Lors de son troisième départ pour l’Afrique, en décembre 1898, François Coillard écrivait dans son journal intime : « A bord du Dunvegan Castle ! partant pour la troisième fois pour l’Afrique ! Pauvre Afrique ! Ah ! si je pouvais lui donner encore jusqu’à la dernière heure de ma viea ! J’envie Livingstone et la grâce que Dieu lui a faite de mourir à genoux, priant pour l’Afrique. Quel homme ! Quelle grâce !
a – Il est mort, en pleine activité, le 27 mai 1904, sur les bords du Zambèze.
« Pour moi, si j’avais à diviser ma vie en chapitres, je ferais aller le premier de mon enfance jusqu’à ma conversion en 1852, le second, de ma conversion jusqu’à mon mariage (1861) ; le troisième comprendrait mon ministère au Lesotho (1857-1876), le quatrième notre expédition chez les Banyaïs (1877) et s’étendrait jusqu’à la fin de mon séjour en Europe, soit jusqu’en décembre 1898 (comprenant ainsi la fondation et les premiers temps de la mission du Zambèze). Et c’est ainsi que j’arrive au dernier chapitre, au bout duquel quelqu’un aura à écrire : Fin. Quel sera ce chapitre ? Dieu seul le sait. Ce que je voudrais qu’il fût, moi, c’est qu’il fût tout à la gloire de Dieu, d’une consécration plus entière, plus vraie ! Mais, Seigneur, à moi aussi tu le dis et tu le répètes : Ma grâce te suffit. »
Ce n’est que lorsque le présent travail était terminé que ce passage du journal me tomba sous les yeux, et m’affermit dans la conviction que ce volume devait être écrit, comprenant l’enfance et la jeunesse de Coillard jusqu’à son mariage, soit les deux premiers chapitres du plan tracé par Coillard lui-même.
Les pages qui suivent donnent un Coillard inédit, inconnu, imprévu. Je me suis efforcé de le laisser parler lui seul et de faire plutôt œuvre d’éditeur que de biographe.
Ces pages contiennent aussi un peu de l’histoire du protestantisme français au siècle dernier ; certains milieux y sont décrits, certaines personnalités apparaissent, dont l’histoire n’avait pas encore tenu compte.
Dans ce récit enfin, Dieu se montre exerçant sur François Coillard une action constante — parce que librement consentie — et faisant de ce petit paysan berrichon, élevé dans la pauvreté, peu robuste, huguenot de naissance, chrétien par tradition, qui n’avait, au dire de ses contemporains, rien de très remarquable, un homme, un chrétien qui a joué un rôle considérable dans la mission du Lesotho, qui a fondé la mission du Zambèze, et qui a été en Europe « un faiseur d’hommes », le mot a été dit, un créateur d’énergies, un révélateur de vocations.
Dieu forme ses serviteurs à mesure qu’Il veut s’en servir. Il m’a paru qu’il valait la peine de raconter comment Dieu a posé en Coillard les bases de l’œuvre qu’Il a accomplie en lui et par lui. J’amène le jeune missionnaire jusqu’en Afrique et je le quitte lorsqu’il a fondé sa station, lorsqu’il a appris la langue, lorsqu’il a fait ses premières expériences et qu’il est marié, bref je le quitte à l’entrée de la carrière proprement dite. Qu’on ne cherche pas dans les pages qui suivent autre chose que l’histoire d’une vocation.
Pour retracer cette histoire, j’ai puisé à trois sources principales : l’autobiographie, le journal intime et la correspondance. Coillard a dû écrire son autobiographie vers 1892 ; il l’a écrite en Afrique, alors, semble-t-il, qu’après la mort de sa femme, il cherchait à tromper sa solitude en la peuplant de ses souvenirs. Quelques années plus tard, après avoir publié son grand ouvrage, Sur le Haut-Zambèze, il projetait un volume anecdotique à la portée de tous. Peut-être l’autobiographie devait-elle en faire partie ? Elle est le seul document écrit relatif à la première enfance de Coillard. J’ai pu en contrôler la grande exactitude par des témoignages recueillis à Bourges, à Asnières, à Foëcy. Toutefois les dates y manquaient ; j’ai pu les préciser et je les ai ajoutées au récit, lui donnant ainsi plus de solidité ; quelques rectifications ont été nécessaires. Ce travail en sous-œuvre, l’établissement de cette charpente chronologique n’était pas un vain plaisir d’historien ; les dates ne sont pas sans intérêt pour l’appréciation de certains phénomènes moraux.
L’autobiographie compte, jusqu’en 1854, soixante-dix grandes pages manuscrites ; à partir de cette année, elle prend une course plus rapide et elle ne consacre que seize pages aux années 1854 à 1857, époque à laquelle elle s’arrête.
Le journal intime commence en 1854 ; j’ai trouvé en lui un guide fidèle. Ce n’est pas à dire que Coillard ait écrit son journal très régulièrement, jour après jour ; parfois il le néglige, quelquefois il comble des lacunes après coup. Cependant, pour toute l’époque qui fait le sujet de la présente étude, il n’y a qu’une seule lacune vraiment importante, du 21 octobre 1859 au 5 mars 1860.
Les lettres écrites par Coillard pendant sa jeunesse sont peu nombreuses : je n’ai pu en recueillir que deux de 1851, trois de 1852, six de 1853, six de 1854, douze de 1855, huit de 1856. Quelques-unes sont très courtes, d’autres sont de véritables mémoires, une ou deux presque des sermons. Dès le départ pour l’Afrique, en 1857, elles deviennent plus nombreuses. Pour les années d’Afrique, j’ai donné autant que faire se pouvait des lettres inédites plutôt que celles déjà publiées dans le Journal des Missionsb.
b – Le Journal des Missions évangéliques sera cité sous la forme abrégée : J. M. E.
Enfin, outre les lettres écrites par Coillard, nous avons retrouvé et utilisé beaucoup de lettres relatives à lui ou à lui adressées.
Dans une récolte aussi riche, le choix était malaisé. A cette difficulté s’en joignait une autre, d’ordre moral : pour qui écrit un journal intime, surtout pour un jeune homme, la tentation est grande d’exagérer un peu ; tout au moins, telle impression, telle faiblesse, telle défaite, qui peut n’avoir été qu’un phénomène rare, peut-être unique, dans la vie de l’auteur du journal, se trouve livrée par lui à la postérité et fixée pour un temps illimité. Celui à qui a été confié un document de ce genre, en séparant tel phénomène de sa concomitance, pourrait donner d’un caractère une notion tout à fait fausse. Il doit donc soigneusement distinguer l’accidentel de l’habituel. Il doit tout savoir, il ne doit pas tout dire. Au milieu des mobiles les plus divers, il doit chercher les résultantes ; dans la broussaille, il doit discerner les tiges maîtresses, ne négligeant ni l’exemple, ni l’anecdote, ni le passage caractéristique, mais ne divulguant pas l’exception.
Loin de moi la pensée de faire le panégyrique d’un saint ! Ce serait détourner sur le front de la créature quelques rayons de la gloire qui n’appartient qu’au Créateur. J’ai voulu écrire la vie d’un homme, je me suis efforcé de l’écrire vraie, tant au point de vue des faits qu’au point de vue moral. Le tact n’est pas contraire à la vérité, je voudrais être certain d’avoir usé de celui-là sans avoir manqué à celle-ci.
Une autre difficulté se présentait, celle-ci d’ordre matériel : il fallait, sans multiplier les notes et sans arrêter constamment le récit, indiquer au lecteur la provenance des passages cités. Pour cela, j’ai adopté deux caractères d’impression, affectant le plus gros à tout ce qui est de Coillard lui-même et qui constitue la majeure partie du volume. Dans ce qui est dû à la plume de Coillard, le lecteur distinguera aisément la provenance de chaque fragment : l’autobiographie seule remplit les trois premiers chapitres. Pour les quatre années 1854 à 1857, durant lesquelles l’autobiographie se poursuit parallèlement au journal intime, les passages de celui-ci se distinguent parce qu’ils sont précédés de la date, tandis que le mot Autobiographie précède les fragments tirés de ce document ; enfin les lettres sont citées comme telles et guillemetées.
Ils sont nombreux ceux qui m’ont fourni des documents, des renseignements et qui m’ont aidé de toutes façons. Ma reconnaissance va d’abord à Mlle C.-W. Mackintosh, qui a désiré que j’écrivisse la vie de son oncle, qui m’a confié tous les documents les plus intimes, et qui m’a renseigné sur plusieurs points par des lettres équivalant à des mémoires. Elle-même vient d’écrire un volumec, le frère aîné du mien, mais très différent, car il est consacré presque exclusivement à la carrière missionnaire de M. et Mme Coillard.
c – Coillard of the Zambesi. The lives of François and Christina Coillard, of the Paris Missionary Society, in South and Central Africa (1858-1904). Londres, 1907.
Ma reconnaissance va au Comité des Missions évangéliques de Paris qui m’a confié ce travail : il m’est impossible de ne pas détailler quelque peu ce nom officiel. Comment ne pas dire merci à M. Alfred Bœgner, qui m’a soutenu et encouragé, alors qu’effrayé par la grandeur de la tâche et par la responsabilité qui m’incombait, j’étais tenté de m’y soustraire ; à M. Jean Bianquis, qui a apporté à l’illustration et à la mise sur pied du volume, ainsi qu’à la lecture des épreuves, son bon goût et tous ses soins ; à M. Beigbeder, chargé du travail ingrat d’éditeur ; à M. Raoul Allier, qui a sacrifié plusieurs journées d’un temps précieux à lui et aux autres, pour écouter la lecture de ce volume, ce qui eût été long et fastidieux si ce n’eût pas été Coillard qui parlait ; enfin à tous les membres du Comité qui m’ont soutenu de leurs prières.
A Paris, j’ai eu le privilège de rencontrer M. Eugène Diény, ancien pasteur de Bourges, auquel je dois de précieuses lettres et de vivants souvenirs, et bien d’autres personnes encore, qui, avec une égale obligeance, se sont prêtées à des interviews et m’ont confié des lettres.
A Bourges et à Asnières, M. le pasteur Damagnez m’a servi de guide et, sans se lasser, a fait des recherches pour moi dans les procès-verbaux du Consistoire et à l’État civil. A Asnières, à Foëcy, j’ai eu la joie de rencontrer des personnes qui avaient connu Coillard jeune et qui m’ont ouvert les trésors d’une mémoire presque infaillible, parce que moins surchargée.
Ceux qui connaissent mon foyer ont déjà nommé celle qui, durant ce travail, a été pour moi un appui moral de tous les instants, une aide que le labeur, même le plus ingrat, n’a jamais lassée.
Mais comment énumérer tous ceux qui m’ont fourni lettres, anecdotes, renseignements, détails et documents de tout genre, vues, portraits ? … Vous tous qui m’avez obligé et que j’aime à appeler mes collaborateurs, vous tous qui avez accompagné un renseignement d’une lettre fraternelle ou d’une prière, soyez certains que ma reconnaissance vous est acquise. Si c’est un privilège pour moi d’avoir pu, grâce à vous, vivre dans l’intimité de Coillard, le privilège n’est pas moindre à mes yeux d’avoir été mis en rapport avec vous tous, chers collaborateurs, et d’avoir trouvé chez vous cet amour que j’ai senti vrai, parce qu’il a pour base le service commun du Maître.
Vous comprendrez que ma gratitude, avant tout et avant tous, aille à Dieu : c’est Lui qui a permis que les papiers de Coillard, sans lesquels ce travail n’eût pas été possible, arrivassent en Europe, après avoir erré pendant un an en Afrique, c’est Lui qui a dirigé mes recherches et les a rendues fructueuses, c’est Lui en un mot qui m’a donné ce volume.
Ce don, puisqu’Il l’a fait, doit être à Sa gloire. Qu’il me soit permis de dire avec Calvin parlant de son Institution chrétienne, et sans vouloir tenter, cela va sans dire, aucun immodeste rapprochement : « Je n’ose pas rendre [du présent livre] trop grand tesmoignage et déclairer combien la lecture en pourra estre proffitable, de peur qu’il ne semble que je prise trop mon ouvrage… J’oseray hardiment protester, en simplicité, ce que je pense de ceste œuvre, le recongnoissant estre de Dieu plus que le mien : comme, à la vérité, la louenge luy en doibt estre rendue. »
Édouard Favre.
Les Ormeaux, Pregny, septembre 1907.