Ami lecteur, ta vie est assurément si remplie, les heures que tu peux consacrer à la lecture sont si espacées, que je n’ai pas la fatuité de croire que tu aies encore présents à la mémoire — si toutefois tu les as lus — l’histoire de l’enfance et de la jeunesse d’un certain petit paysan berrichon qui avait nom François Coillard, et le récit des années qu’il passa en Afrique, au Lesotho.
Permets-moi de te les rappeler en quelques lignes. Si la peine que je prends est vaine, si tu m’as lu et si tu t’en souviens, ne tiens pas compte de ces pages préliminaires, mais aussi ne t’étonne pas que le chapitre premier de l’ouvrage qui t’est présenté aujourd’hui, commence tout simplement, sans préambule.
Donc, François Coillard était né en 1834 à Asnières-lès-Bourges, au centre de cette France qu’il aimait comme le plus fidèle de ses enfants. Dès son âge le plus tendre, il avait appris à aimer la Mission et sa vocation de missionnaire suivit immédiatement sa conversion (1852).
Malgré sa pauvreté et mille circonstances adverses, il fit des études et entra à la Maison des Missions, à Paris (novembre 1856). Après y avoir séjourné quelques mois, il partait pour le Lesotho (septembre 1857). Il trouvait la contrée ravagée par la guerre, néanmoins il fondait (1859) la station de Léribé.
Il se fiança (1860), par correspondance, avec Mlle Christina Mackintosh, une jeune Écossaise qu’il avait vue à Paris. Elle vint le rejoindre en Afrique ; il alla à sa rencontre au Cap où ils se marièrent (26 février 1861) ; puis, ils repartirent ensemble pour Léribé où ils arrivaient le 9 juillet 1861. Courageusement, ils se mirent au travail. Mais l’œuvre spirituelle était ardue, des difficultés matérielles surgirent et bientôt des troubles politiques (fin 1864) : en juin 1865, la guerre éclatait entre les Bassoutos et les Boers, Léribé était dévasté par ces derniers, M. et Mme Coillard en étaient expulsés (mars 1866) et, se réfugiaient au Natal où ils travaillèrent, pendant deux ans, dans une mission américaine ; de là, ils furent appelés à Motito (1868) pour y relever la station fondée par un missionnaire français. Ils durent, pour s’y rendre, franchir, à travers l’Afrique, une distance de plus de sept cents kilomètres en ligne droite. On a oublié ce qu’étaient alors de semblables voyages.
Enfin, en mai 1869, ils rentraient à Léribé, singulièrement enrichis d’expériences des hommes et des choses. Tous deux, dans la force de l’âge, se remettaient à l’œuvre avec un nouvel entrain. Cette fois au moins, tout leur permettait de croire à un séjour prolongé à Léribé.
En 1875, un ancien officier anglais, le major Malan, visitait les églises du Lesotho ; Adolphe Mabille et Coillard, entre autres, étaient profondément remués par lui ; ce dernier se consacrait, tout à nouveau, au service du Maître et se sentait retrempé et prêt pour de nouveaux travaux et de nouveaux combats. Quels seraient-ils ? Pourquoi cette éducation de voyageur et de pionnier, pourquoi ce renouvellement de forces morales et spirituelles ? Le Maître avait besoin de lui.
En effet, à cette même époque, la question de la mission extérieure se posait, avec intensité, devant les missionnaires du Lesotho ; ils estimaient que le moment était venu pour les Bassoutos chrétiens de porter l’Évangile à des peuplades qui ne l’avaient pas encore reçu. Une expédition d’évangélisation qui devait, sous la direction de M. Hermann Dieterlen, se rendre au delà du Limpopo, chez les Banyaïs, fut arrêtée à Prétoria (1876). Coillard, qui s’apprêtait à rentrer en Europe, fut mis, par la Conférence des missionnaires, à la tête d’une nouvelle expédition (1877).
C’est alors que commença ce voyage qui tient de l’épopée. Après un an de dangers, de privations, d’échecs, d’épreuves de tous genres, mais aussi de délivrances, d’exaucements et de bénédictions, après avoir été en danger de mort chez les Banyaïs, après avoir été prisonnier des Matébélés, Coillard prenait sa route directement au nord, arrivait au Zambèze (1er août 1878) et acquérait la conviction inébranlable que c’était là, sur le bord de ce fleuve, chez les Barotsis, que Dieu voulait un nouveau champ de mission.
Du Zambèze, l’expédition reprend (novembre 1878) le chemin du Lesotho ; la mort a frappé et frappe encore autour de M. et de Mme Coillard ; enfin ils arrivent à Léribé (août 1879). Mais c’est au Comité de Paris à décider si une nouvelle mission, la mission du Zambèze, doit être fondée. Et Coillard, qui n’était encore jamais revenu en Europe, part, non pas pour prendre enfin ce congé si souvent différé, mais pour faire rapport au Comité des Missions évangéliques. Celui-ci autorisa Coillard, après qu’il se serait assuré l’appui des églises, à aller fonder une station chez les Barotsis. Pendant deux ans (1880-1882), M. et Mme Coillard parcoururent la France, l’Angleterre, l’Écosse, l’Alsace, la Suisse, l’Italie, la Hollande, la Belgique pour faire retentir l’appel en faveur de cette nouvelle mission.
Enfin M. et Mme Coillard s’embarquaient de nouveau pour l’Afrique (mai 1882), les regards fixés sur ce royaume des Barotsis, vrai royaume de Satan. Qu’est-ce qui les attend ? C’est cela qui va t’être raconté, ami lecteur.
Tu vas me dire que tu as déjà lu les lettres de Coillard Sur le Haut-Zambèze ; je m’en réjouis avec toi et pour toi. Mais, dans ce beau volume, tu as lu l’histoire de la mission, tu as lu l’histoire de l’œuvre ; moi, j’ai à te raconter l’histoire intime de l’ouvrier : tu vivras de sa vie, tu assisteras, étape par étape, à la montée de cette âme vers son Dieu, peut-être c’est là mon désir, mon but, ma prière — seras-tu entraîné toi-même dans cette ascension.
Suis-moi donc, ami lecteur, je pense que tu ne le regretteras pas ; je voudrais qu’en terminant cette lecture tu puisses dire, comme Coillard après avoir lu les lettres d’Adolphe Monod : « J’ai passé des moments bénis dans l’atelier du Seigneur. »