Jean Claude naquit à La Sauvetat-du-Drop, dans l’Agenais, en 1618 ou 1619, et mourut, le 13 janvier 1687, à La Haye, dans l’exil décrété par Louis XIV lors de la Révocation de l’Édit de Nantes. Dès son enfance, il fut entouré d’exemples de vertu. Il fit ses premières études sous la direction de son père, pasteur instruit et dévoué, puis il se rendit à la Faculté de théologie de Montauban, où il obtint promptement l’affection de ses professeurs, MM. Garissoles et Charles. Avant d’être appelé dans l’Église de la Treyne, fief appartenant à la maison de Duras, il fut, en 1645, reçu ministre au Synode de la Haute-Guyenne et du Haut-Languedoc. A l’époque dont nous nous occupons, les Églises réformées de France formaient encore un tout compact et appuyé sur des bases solides. Quatre pouvoirs relevant les uns des autres dirigeaient l’Église. Sur le premier plan se trouvait le Consistoire, qui se réunissait toutes les semaines et veillait aux intérêts de la communauté. Les églises les plus voisines nommaient chacune deux députés et avaient à leur tête un Colloque qui se réunissait tous les trois mois. Au-dessus du Colloque se trouvait le Synode provincial, qui se réunissait tous les ans et où chaque Colloque était représenté par deux députés. Enfin, au sommet de l’édifice était le Synode national, qui jugeait en dernier ressort toutes les questions de foi et de discipline. Il était convoqué tous les trois ans, mais les circonstances politiques empêchèrent souvent sa réunion. En 1646, Claude fut choisi par l’Église de Sainte-Affrique, dans l’Aveyron. Celle-ci avait eu le bonheur d’être servie par des hommes d’un grand mérite, puisque M. Gâches, mort en 1668, pasteur à Charenton, et M. Martel, nommé en 1653 professeur de théologie à Montauban, y avaient exercé leur ministère.
Huit ans après, l’Église de Nîmes, guidée par la réputation de J. Claude, le demanda et l’obtint. L’Église de Nîmes n’avait pas cessé d’être une des plus importantes de France. Claude acceptait une lourde tâche, mais il joignait à beaucoup d’instruction une remarquable puissance de travail, et le 3 mai, le Synode d’Uzès, tout en lui laissant les fonctions de pasteur, le chargea d’enseigner la théologie dans l’Académie de Nîmes. Cette académie, fondée en 1561, dura jusqu’en 1666, malgré les difficultés que le pouvoir lui suscita de bonne heure (voir Bulletin du Protestantisme français, 1854, p. 543 et suivantes). « L’enseignement de Claude était si net, nous dit M. De La Devèzea, les matières qu’il expliquait paraissaient si bien méditées, et tournées si heureusement à l’usage de la chaire et à l’intelligence de l’Écriture-Sainte, qu’il attira un grand nombre de proposants. » Dans ce nombre, signalons, en passant, David Martin, bien connu par sa traduction de la Bible.
a – Abrégé de la vie de M. Claude, par A.B.R.D.L.D., c’est-à-dire Abel Rotolp de La Devèze, pasteur à Castres, puis à La Haye (Amsterdam, 1687, in-32).
Le ministère de Claude était de ceux qui devaient éveiller promptement la défiance inquiète des catholiques fanatisés. Ils cherchaient donc avec impatience l’occasion de l’entraver, et cette occasion ne devait pas tarder à se présenter. Un nouveau projet de réunir les deux religions avait été mis en avant, sous l’influence de la Cour, par le prince de Conti, gouverneur du Languedoc. Claude, qu’on avait nommé modérateur du Synode provincial tenu à Nîmes au mois de mai 1661b, remarqua qu’un petit nombre de ses collègues inclinait à accepter une proposition si étrange ; il la combattit énergiquement dans l’Assemblée et conclut en disant qu’il était « impossible d’unir la lumière avec les ténèbres et Jésus-Christ avec Bélial ». Le commissaire Peyremales, qui assistait à l’assemblée par ordre du roi, suivant l’usage, protesta vainement contre ces paroles qu’il trouvait injurieuses pour la religion du roi, vainement il chercha à en empêcher l’insertion au procès-verbal, on ne partagea pas sa manière de voir, et la proposition du Modérateur fut votée à l’unanimité. Prévenu aussitôt, l’évêque de Nîmes, Cohon, signala au roi cette conduite, et Louis XIV, après avoir cassé la délibération du Synode, interdit à Claude l’exercice de son ministère à Nîmes et le chassa de la province (6 août 1661).
b – Voir l’Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes, par M. Ménard, conseiller au présidial de la même ville. Tome VIII, édition de 1755, livre xxiii, page 153.
Claude se rendit sans retard à Paris pour réclamer contre cette condamnation et pour se justifier. Pendant son séjour à Paris, il entama sa fameuse polémique avec Nicole et Arnauld sur la question de l’Eucharistie, dont nous aurons à nous occuper avec soin dans le cours de cette étude. Cependant toutes ses démarches restaient sans résultat et, n’attendant rien désormais d’une cour où régnait l’intolérance, il partit pour Montauban où il prêcha le lendemain de son arrivée et fut aussitôt nommé pasteur.
D’après M. Michel Nicolas, il fut également professeur de théologie dans cette ville (voir Bulletin de l’Histoire du Protestantisme français, année 1858). Quatre ans après, on le frappa d’une nouvelle interdiction, par suite des plaintes formulées par l’évêque Berthier. Il courut encore à Paris pour réclamer contre cette nouvelle rigueur ; mais il ne réussit pas mieux que la première fois, et il allait se rendre aux vœux du Consistoire de Bordeaux lorsqu’il fut retenu par celui de Charenton (1666). L’Église de Charenton, aux portes de Paris, organisée depuis l’année 1606, était comme la métropole du protestantisme français et le principal théâtre de la controverse huguenote. Tout naturellement cette Église ne mettait à sa tête que des ministres distingués, et, si la religion dominante ne les avait comptés parmi ses adversaires, elle eût rendu à leur talent un hommage qu’elle leur a refusé. Claude ne tarda pas à occuper dans ce milieu le rang dont il était si digne, et il fut choisi comme le champion le plus capable de se mesurer avec Arnauld, Nicole et Bossuet. Il suivait, pas à pas, les plus minutieuses objections, il répondait, ligne pour ligne, aux plus longs ouvrages des adversaires de la Réforme. Il trouvait encore le temps d’entretenir une nombreuse correspondance pour ranimer les courages ou donner les consolations que la foi chrétienne sait inspirer. On n’a malheureusement pu recueillir qu’un volume de cette correspondance, mais nous y voyons une grande variété dans les sujets qu’il a abordés. La plupart des lettres qui nous ont été conservées sont de véritables traités d’apologétique ou de controverse ; d’autres nous donnent un éclaircissement détaillé sur tel ou tel passage obscur de la Bible.
Pendant dix-neuf ans, c’est-à-dire jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes, Claude resta l’infatigable défenseur des droits de ses coreligionnaires que le gouvernement foulait audacieusement aux pieds. A plusieurs reprises il protesta, au nom des opprimés, contre les violations chaque jour croissantes de l’Édit que l’on devait à Henri IV. Il protesta notamment contre un arrêt de 1675 qui excluait des synodes tous les ministres de fief, mesure qu’il regardait avec raison comme une des plus dangereuses atteintes que le clergé eût fait porter aux libertés des églises. Il protesta avec non moins d’énergie contre la Déclaration du 17 juin 1681, qui permettait aux enfants de se convertir à l’âge de sept ans, loi criminelle, contraire non seulement à l’Edit de Nantes, mais aux droits les plus sacrés de la nature. — Louis XIV ne tint nul compte de ces requêtes, et nous regrettons que toutes ne nous aient pas été conservées. Élie Benoit, dans son Histoire de l’Édit de Nantes (tome IV, p. 298), les cite avec éloge et nous en présente une analyse sommaire.
Bayle, généralement si peu prodigue d’admiration, a dit, en parlant de Claude : « Je ne sais si l’on vit jamais plus de délicatesse avec plus de force, plus d’abondance avec plus de choix, plus de pénétration avec plus de justesse, plus de vivacité d’esprit avec plus de solidité de jugement, un tour plus aisé avec une méthode plus exacte, plus d’élévation dans les pensées… etc.c »
c – Nouvelles de la République des Lettres, n° de novembre 1867.
Jamais ministre ne fut donc plus apte à diriger un consistoire et à présider un synode. Il fallait un talent spécial pour résumer les discussions, un calme et une prudence rares au milieu de circonstances si difficiles, et ces qualités, il les déploya, notamment en 1682, dans la fameuse séance du consistoire où l’intendant de l’Ile-de-France, accompagné de l’official, de plusieurs ecclésiastiques et de deux notaires apostoliques, vint, par ordre du roi, lire « l’Avertissement que l’Église gallicane assemblée à Paris adressait à tous ceux de la religion prétendue Réformée, pour les porter à se convertir et à se réconcilier avec Rome. »
Tour à tour bienveillant, menaçant et hautain, cet appel se terminait ainsi : « Si vous refusez de reconnaître votre égarement devant Dieu, vous devez vous attendre à des malheurs incomparablement plus épouvantables et plus funestes que tous ceux que vous ont attirés jusqu’ici votre révolte et votre schisme. » Un pareil langage suffirait, à notre sens, pour montrer que le clergé catholique du dix-septième siècle a été l’instigateur ardent et acharné du crime odieux de la Révocation. Claude, tout en reconnaissant que la haute position occupée dans le royaume par les prélats méritait le respect, fit entendre que la soumission a ses bornes, et que la conscience des Réformés n’était pas prête à faiblir devant des menaces brutales ou de fausses protestations d’intérêt. Peu après, il publia des Considérations sur l’avertissement du clergé ; il avait cru utile de garder l’anonyme, mais l’auteur s’y laissait deviner. Tout en ne s’écartant pas d’un profond respect pour les évêques, il sait y prendre un véritable air de grandeur bien légitime à l’égard de ceux qui prétendaient régenter les âmes, oubliant que la religion et la conscience ne relèvent que de Dieud. Cet échec ne découragea pas le clergé persécuteur qui, en 1685, poursuivit son but par d’autres moyens et eut recours à un véritable guet-apens pour convertir les protestants de Paris. On devait entourer de soldats le temple de Charenton ; l’archevêque de Paris et l’évêque de Meaux devaient s’y transporter avec le lieutenant de police. Un de ces prélats, montant alors en chaire, aurait sommé l’assemblée de se réunir à l’Église romaine, et quelques catholiques apostés auraient crié : Réunion ! Réunion ! Les évêques devaient ensuite donner l’absolution du crime d’hérésie et la victoire serait ainsi gagnée. On différa donc l’enregistrement de l’édit révocatoire qui venait d’être signé, et les ministres furent prévenus qu’ils pourraient tenir encore une assemblée le dimanche 21 octobre, et qu’on leur donnerait des gardes pour leur sûreté. Claude, qui devait prêcher ce jour-là, soupçonna quelque machination, fit prévenir les fidèles qu’il n’y aurait pas de service et déjoua ainsi le complot (Voir la France protestante, tome III, p, 474). — La cour ne pardonna pas à Claude et honora son mérite par une distinction de sévérité. Tandis qu’un délai de quinze jours était accordé aux pasteurs pour sortir du royaume, il reçut l’ordre de s’éloigner dans les vingt-quatre heures, le 22 octobre 1685, et pour assurer l’exécution de cet ordre, on lui donna l’escorte de Laguerre, valet de pied du roi. On raconte qu’à son passage à Cambrai il reçut la visite du recteur des Jésuites qui eut pour lui les égards dus au talent et au malheur. C’était peut-être estime réelle pour le ministre banni, c’était peut-être aussi dissimulation hypocrite du triomphe. Claude se retira en Hollande, auprès de son fils, qui était pasteur à La Haye. Il refusa l’offre d’une chaire dans l’Université de Francfort-sur-l’Oder, comme il avait déjà refusé la place de professeur de théologie à Groningue. Ayant prêché à Clèves, devant l’électeur de Brandebourg, il se vit parfaitement accueilli et espéra un moment voir se réaliser l’union avec les protestants de la confession d’Augsbourg ; mais il ne se fit aucune illusion sur les obstacles qui en entravaient l’accomplissement. A ses yeux, cette réunion ne pouvait pas être le résultat de la dispute, qui ne sert ordinairement qu’à aigrir les esprits, mais, ajoutait-il, la maison du Seigneur n’est pas divisée par des dogmes essentiels, et le chemin le plus sûr doit être un tempérament sage qu’il serait aisé de trouver si chacun voulait concourir à cette bonne œuvre. La demeure de Claude était un refuge pour tous les affligés ; il témoignait à tous ses frères exilés la plus cordiale sympathie, et il travaillait, dans la mesure de ses forces, pour secourir ses coreligionnaires malheureux. Ce fut alors qu’il écrivit en faveur des victimes ce brûlant mémoire qu’il intitula : Les plaintes des protestants cruellement opprimés dans le royaume de Francee. Il se bornait à énumérer les faits qui prouvent la plus cruelle persécution et il accompagnait ce récit de réflexions saisissantes. L’ouvrage se terminait par une protestation éloquente et généreuse :
d – Actes de l’assemblée générale du clergé de France concernant la religion, avec la relation de ce qui s’est passé au Consistoire de Charenton et des considérations par un particulier, 1683.
e – Nouvelle édition augmentée d’une préface (par Basnage) contenant des réflexions sur la durée de la persécution et sur l’état présent des réformés en France (Cologne 1713).
« Nous ne demandons point de vengeance ; au contraire, nous souhaitons qu’il plaise à Dieu toucher de repentance les cœurs endurcis de nos ennemis, et qu’ensuite il leur pardonne… En attendant l’effet de sa miséricorde, nous voulons que cet écrit, qui contient nos justes plaintes, nous serve de protestation devant le ciel et devant la terre, contre toutes les violences qu’on nous a faites dans le royaume de France, contre tous les arrêts, déclarations, édits, règlements et autres dispositions de quelque nature qu’elles soient, que nos ennemis ont fait publier au préjudice de l’édit de Nantes… Nous protestons contre toutes les suites de la révocation, contre l’extinction de l’exercice de notre religion dans tout le royaume de France, contre les infamies et cruautés qu’on y exerce sur les corps en leur refusant la sépulture, en les jetant dans les voiries, ou en les traînant ignominieusement sur des claies ; contre l’enlèvement des enfants pour les faire instruire dans la religion romaine, et l’ordre aux pères et mères de les faire baptiser par les prêtres et de leur en laisser l’éducation. Nous protestons surtout contre cette impie et détestable pratique qu’on tient à présent en France, de faire dépendre la religion de la volonté d’un roi mortel, et de traiter la persévérance en la foi de rébellion et de crime d’État ; ce qui est faire d’un homme un Dieu et autoriser l’athéisme ou l’idolâtrie. Nous protestons contre la violente et inhumaine détention qu’on fait, en France, de nos frères, soit dans les prisons ou autrement, pour les empêcher de sortir du royaume et d’aller chercher ailleurs la liberté de leur conscience ; car c’est le comble de la violence brutale et de l’iniquité. »
Presque toutes les lumières du protestantisme français se trouvaient rassemblées en Hollande dans les premiers temps qui suivirent la révocation. Là, en effet, se rencontrèrent Bayle, Jurieu, La Placette, Daniel de Superville, Basnage et Du Bosc, pour ne citer que les plus distingués. Claude avait été honorablement accueilli par le prince d’Orange et recevait une pension considérable, mais il n’en jouit pas longtemps. En descendant de chaire, le jour de Noël 1686, il tomba malade et mourut quelques jours après, invariablement attaché à ses plus chères convictions. Il ne faut donc voir qu’une odieuse fable dans la prétendue déclaration de Claude, à son lit de mort, en faveur de la religion romaine qu’il aurait alors embrassée s’il n’eût été retenu par la honte d’une rétractation. Si le récit de l’abbé Faydit avait eu le moindre fondement, ce n’est pas dans ce petit écrit seulement qu’on en trouverait la trace. — « La fin de M. Claude répondit à ce qu’on en espérait, et rien n’y démentit les ouvrages qu’il avait faits pour soutenir les intérêts et la vérité de sa religion. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Église romaine emploie les fraudes pieuses quand elle a cru pouvoir en recueillir du fruit, elle ne s’est jamais fait scrupule d’employer cette voie honteuse pour la propagation de la foi. Dans ces derniers temps même, M. l’archevêque de Paris n’a-t-il pas assuré « qu’il en avait reçu une parole positive d’embrasser le papisme, quoique cependant ils ne se soient jamais vus, jamais parlé, jamais écrit, ni directement ni indirectementf ? »
f – Les Œuvres posthumes de M. Claude ; voir la préface du tome V. Amsterdam, 1689.
La mort de J. Claude fut une perte cruelle pour les églises réformées. Tous les adversaires que l’esprit de parti n’aveuglait pas entièrement, tous ceux-là ont rendu hommage au célèbre ministre de Charenton, et parmi les nombreuses preuves que nous pourrions recueillir, qu’il nous suffise de citer quelques lignes du cardinal de Bausset :
« Des talents distingués, des connaissances très étendues, une dialectique forte et pressante étaient relevés en lui par des qualités plus estimables encore ; l’intégrité de ses mœurs, la facilité de son commerce et ces vertus aimables qu’on se plaît toujours à chercher et à trouver dans les hommes d’un mérite supérieur lui avaient acquis parmi les protestants, en France et dans les pays étrangers, la plus flatteuse de toutes les dominations, celle de l’estime, du respect et de la confiance générales. » (Histoire de Bossuet, par M. de Bausset, ancien évêque d’Alais, vol. II, p. 19. Versailles, 1814.)
Nous avons cherché à donner une biographie exacte et fidèle de Claude ; l’homme nous paraît maintenant suffisamment connu, et nous croyons pouvoir affirmer que, parmi ceux qui ont illustré le protestantisme français au dix-septième siècle, Claude, prédicateur, théologien et surtout remarquable controversiste, a des droits réels à être étudié et mis en lumière.