Messieurs,
Il n’est besoin ni de beaucoup d’art ni de beaucoup de paroles pour vous faire sentir l’importance du sujet dont l’étude nous rassemble en ce moment. Le problème du mal ! Qui ne se l’est pas souvent posé ? Les uns regardent au dehors, et, considérant la société humaine, ils se plaignent, au point de vue politique, de tant de tyrannies et de révolutions ; au point de vue économique, de tant de luxe d’un côté, et de tant de misère de l’autre. L’histoire des peuples n’est trop souvent qu’une trame de crimes et un tissu de malheurs. Aux bouleversements de la société s’ajoutent les troubles de la nature : l’ouragan qui engloutit les navires, le tremblement de terre qui détruit les villes, la disette qui affame les populations. Ainsi, lorsque nous jetons les yeux hors de nous, le problème du mal se pose dans l’histoire et dans la nature. Si nous regardons en nous-mêmes, nous rencontrons la douleur. Souffrir et (ce qui est plus dur encore pour bien des âmes) voir souffrir, n’est-ce pas notre destinée ? Enfin, à qui descendra dans sa conscience et se placera en face du devoir,
Une voix sera là pour crier à toute heure :
Qu’as-tu fait de ta vie et de ta libertéa ?
a – Alfred de Musset, la Nuit d’août.
et le problème du mal se posera dans les douleurs du repentir et dans les amertumes de l’impuissance. Ce n’est pas seulement la curiosité de l’intelligence qui soulève cette question. En présence du mal et des proportions du mal en nous et hors de nous, il peut arriver que la conscience hésite à croire au bien, que le cœur se décourage parce qu’il n’ose plus croire au bonheur, et que l’âme finisse par douter de Dieu. Aussi quel puissant écho a éveillé le poète qui s’est écrié :
Pourquoi donc, ô Maître suprême !
As-tu créé le mal si grand,
Que la raison, la vertu même,
S’épouvantent en le voyant ?
Comment, sous la sainte lumière,
Voit-on des actes si hideux
Qu’ils font expirer la prière
Sur les lèvres du malheureuxb ?
b – Alfred de Musset, l’Espoir en Dieu.
Est-il nécessaire de vous dire, — j’espère, Messieurs, que personne ici ne m’accuse d’assez de présomption pour que cela soit nécessaire, — est-il nécessaire de vous dire qu’en abordant le problème qui va nous occuper, je n’ai pas la prétention de lever tous les voiles, de dissiper tous les mystères, de répondre à toutes les questions ? Mais, voici ce que je désire, ce que j’espère. L’étude de ce triste sujet m’a été profitable. En fixant un long regard sur les régions ténébreuses du mal, j’ai vu toujours plus resplendir la lumière du bien. Cette expérience m’a donné le courage d’affronter les difficultés très grandes de l’exposition que nous commençons aujourd’hui. Vous associer à des pensées bienfaisantes, à des sentiments qui m’ont paru salutaires, tel est précisément le but que je poursuis. Je ne suis pas un artiste cherchant à vous captiver par la beauté de la parole, ni un docteur parlant avec autorité ; mais un simple compagnon de voyage qui, dans la vallée obscure que nous allons traverser ensemble, croit avoir fait quelques pas du côté de la lumière, et voudrait vous en montrer le chemin.
Nous essaierons aujourd’hui de définir l’idée du bien, puis d’en préciser la nature ; nous chercherons enfin quelle garantie nous pouvons avoir de la réalité de cette idée. Définition du bien ; — détermination du bien ; — garantie du bien : tel sera l’ordre de notre étude.