Est-il important que les documents du Nouveau Testament soient dignes de foi ? Est-il essentiel que nous puissions leur accorder une valeur historique ? Non, répondront certains sans hésiter, car les principes essentiels du christianisme sont contenus dans le Sermon sur la Montagne ainsi que dans d’autres passages du Nouveau Testament, et leur valeur intrinsèque ne dépend aucunement de la validité historique de leur contexte narratif. Peut-être, en effet, n’avons-nous aucune certitude sur la personne du Maître qui est à l’origine du christianisme ; peut-être l’histoire de Jésus, telle qu’elle nous est parvenue, n’est-elle que mythe ou légende ; de toute façon, cela ne diminue en rien la valeur propre de l’enseignement qui lui est imputé, qu’il en soit l’auteur ou non ; et celui qui accepte cet enseignement et le met en pratique peut être un vrai chrétien, quand même il croirait que le Christ n’a jamais existé.
Nous avons là, à première vue, un argument sérieux, et valable sans doute pour certaines religions : on peut dire, par exemple, que la valeur de l’éthique confucianiste est indépendante de l’histoire de la vie de Confucius, de même que la philosophie platonicienne possède une valeur intrinsèque, au-delà de tout ce que nous pouvons savoir de la vie de Platon ou de la part de l’influence de Socrate sur la formation de sa pensée. A moins, cependant, d’ignorer la véritable essence du christianisme, nous ne pouvons utiliser cet argument au sujet du Nouveau Testament, car l’Evangile chrétien n’est pas essentiellement un code éthique ni un système philosophique ; il est d’abord et avant tout une Bonne Nouvelle, et c’est sous ce titre qu’il a été proclamé dès le départ. Il est vrai que les premiers prédicateurs présentaient le christianisme comme ‘la Voie’ et ‘la Vie’, mais, avant de pouvoir être un mode de vie, le christianisme doit être reçu comme Bonne Nouvelle ; or, cette Bonne Nouvelle est intimement associée au plan historique, puisqu’elle nous raconte comment, pour racheter le monde, Dieu est entré dans l’Histoire, l’Eternel est entré dans le Temps, le Royaume des cieux a envahi le Royaume terrestre, par les grands événements de l’incarnation, de la crucifixion et de la résurrection du Christ-Jésus. ‘Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est proche ; repentez-vous et croyez à la bonne nouvelle’ : tels sont les premiers mots qui nous sont rapportés de la prédication de notre Seigneur en Galilée. 1
1 Cf. Marc 1.15.
L’enracinement du christianisme dans l’histoire est souligné par les plus anciennes croyances de l’Eglise qui donnent à la révélation de Dieu une date précise dans l’histoire : la passion de son fils unique Jésus-Christ, notre Seigneur, sous Ponce Pilate. Par ce caractère temporel et historique, le christianisme se distingue des autres systèmes philosophiques et religieux qui ne se rattachent à aucune époque précise ; mais l’authenticité des documents qui rapportent cette révélation devient alors d’une importance primordiale.
Mais, me dira-t-on, quand bien même la véracité de la foi chrétienne serait étroitement liée à l’historicité du Nouveau Testament, de toute façon, le problème de l’authenticité des documents est de peu d’intérêt pour ceux qui refusent le christianisme sur un autre plan. A cela, le chrétien pourra répondre que, quand bien même on ignorerait ou dénierait l’authenticité du Nouveau Testament et la véracité du christianisme, cela ne les empêcherait pas pour autant d’être d’une importance capitale pour l’humanité. Même d’un point de vue purement historique, la question de la véracité des documents demeure très importante ; on a souvent cité à ce sujet les paroles de l’historien Lecky qui se refusait pourtant de croire à une religion révélée : ‘La personne de Jésus a été non seulement le plus parfait modèle de vertu que l’on puisse trouver, mais aussi le plus puissant appel à la pratiquer. Elle a exercé une telle influence qu’il est permis de dire que la simple histoire de ses trois brèves années de ministère a fait plus pour adoucir et transformer l’humanité que toutes les spéculations des philosophes et toutes les exhortations des moralistes.’ 2
2 W.E.H. Lecky, History of European Morals, II (1869), p. 88.
Or, ce personnage de Jésus, nous ne le connaissons qu’à travers les écrits du Nouveau Testament ; l’influence qu’a pu avoir le personnage de Jésus n’est donc autre que l’influence qu’ont eue les écrits du Nouveau Testament. Ne serait-il pas alors paradoxal que les documents qui, de l’avis même d’un historien rationaliste, ont produit de tels résultats soient dénués de toute vérité historique ? Ceci, bien sûr, ne constitue pas une preuve en soi de l’authenticité des documents en question, car l’histoire est pleine de paradoxes, mais c’est sans doute une raison supplémentaire d’examiner de près la valeur de ces documents qui ont eu une influence déterminante sur l’histoire de l’humanité. Ainsi donc, que nous nous placions sur un plan théologique ou sur un plan historique, il est capital de savoir si, oui ou non, les documents du Nouveau Testament sont dignes de foi. 3
3 Il n’est peut-être pas inutile, avant d’étudier plus avant l’authenticité des documents du Nouveau Testament, de suggérer au lecteur de lire les textes eux-mêmes.