Conférences apologétiques

La sainteté de l’Ancien Testament

Je publie cette réponse sous la forme sous laquelle je l’ai prononcée dans la séance du 10 décembre, tenue au Gymnase. Je n’en retranche absolument rien ; j’y ajoute seulement l’examen de quelques points secondaires dont je ne m’étais pas occupé, afin d’éviter les longueurs. Pour rédiger cette réponse, je n’avais point encore le texte du discours prononcé par M. le professeur Buisson, dans la séance de la Société d’Utilité publique du 5 décembre. Je ne possédais que des notes détaillées, rédigées par plusieurs auditeurs qui avaient assisté à cette séance publique, et le compte-rendu publié dans le National Suisse du 8 décembrea.

a – J’ai ajouté les notes qui terminent cette brochure lorsque j’ai eu sous les yeux le texte imprimé et complet de la conférence de M. Buisson.

J’étais donc sûr du fond et de l’esprit, sinon des expressions.

On me reproche d’avoir répondu à M. Buisson par des personnalités. La première phrase de ma réponse a surtout été incriminée. Qu’exprime-t-elle ? Un sentiment de satisfaction et de reconnaissance de ce que la première fois que les idées émises, qui ont profondément froissé le sentiment public, ont été énoncées chez nous, elles ne l’ont pas été par une bouche neuchâteloise. Ce sentiment, je le confirme, il n’est accompagné d’aucune pensée blessante pour une nationalité quelconque. Le terme de frivolité française que l’on m’impute n’a point passé sur mes lèvres. L’expression de jeune imprudent, que l’on m’a aussi reprochée, se trouve dans une comparaison. Enfin, le terme de pédant, dans une citation de Gœthe, je n’ai pas songé un instant à l’appliquer à l’honorable auteur du discours auquel je répondais.

C’est à cela que se réduisent les prétendues personnalités qui me sont reprochées. Que le public juge, et qu’il compare avec la manière dont s’expriment sur mon compte les correspondances neuchâteloises du National Suisse et du Rationalisteb. Si le sentiment d’indignation que j’ai éprouvé en voyant étudié d’une manière si incomplète et traité avec un tel manque de respect le livre auquel l’humanité doit jusqu’à la notion de la sainteté, s’est trahi une ou deux fois dans ma réponse, je ne m’en excuse pas. Je rougirais même s’il en était autrement.

bNational du 15 décembre, Rationaliste du 24 décembre. Voir Nouvelliste vaudois du 5 et Bund du 7 janvier.

Du reste j’ai, autant qu’il m’a été possible, cherché à rendre justice aux sentiments de mon adversaire, et constaté avec empressement le terrain commun qui subsiste entre nous.

Ma réponse est incomplète, je le sais. Deux questions demandent encore à être traitées : celle de la vérité et de la divinité de l’Ancien Testament, à laquelle se rattache celle du surnaturel dans ce livre et la question de son emploi dans l’éducation de l’enfance. Mais il m’était impossible de tout embrasser d’un soir.

Comme je l’ai dit à la Chaux-de-Fonds et au Locle : « La question de la sainteté de l’Ancien Testament n’est pas tout l’objet de la discussion mais elle en forme le point de départ. Si nous, les défenseurs de ce livre, avons tort sur ce point, nous sommes d’avance condamnés sur les autres. Un livre qui ne serait pas saint ne saurait être un livre divin ; et si la Bible n’est pas le livre de Dieu, elle n’est pas vraie ; car elle dit qu’elle l’est. Et dans ce cas, l’usage pédagogique tout spécial que nous en avons fait jusqu’ici tombe de lui-même. Si, au contraire, elle possède réellement le caractère de sainteté que la conscience chrétienne lui a attribué jusqu’ici, on peut commencer à discuter avec espoir d’aboutir sur toutes les autres questions. »

C’est donc uniquement une base de discussion que j’ai voulu poser.

Le Rationaliste, dans le numéro cité, résume ainsi la Conférence de M. Buisson :

Il a commencé par constater que dans l’Ancien Testament, on rencontre :

  1. des faits immoraux, dont le récit n’est point accompagné d’une seule parole de blâme et dont les auteurs, au contraire, y sont montrés comme jouissant de la protection et de la grâce divines ;
  2. de fausses idées scientifiques ;
  3. une théologie conçue dans un esprit grossièrement anthropomorphique et sanguinaire, qui fait de Dieu un, être changeant, matériel et altéré de sang.

Il y a ici, on en conviendra, quelque chose de plus grave que la simple question pédagogique annoncée par M. Buisson : « Une réforme urgente dans l’enseignement primaire. » Il y a une question de vie ou de mort pour l’Eglise chrétienne. Le jour où l’Eglise se taira devant de telles assertions, elle aura cessé d’exister. C’est dans cette conviction calme et profondément sérieuse que j’ai parlé et que j’ai été écouté. Qu’il me soit permis de remercier bien particulièrement le public des Montagnes, auprès duquel j’avais été recommandé comme l’on sait, de la dignité et de l’esprit d’impartialité dont il a fait preuve à mon égard. J’en suis profondément reconnaissant.

Neuchâtel le 4 janvier 1869.

F. GODET

Messieurs,

Ce n’est ni la divinité ni la vérité de l’Ancien Testament que je viens défendre devant vous ; c’est sa sainteté, attaquée récemment au milieu de nous avec une frivolité qui heureusement n’a rien d’indigène.

Il y a deux questions dans le sujet qu’a traité samedi dernier M. le professeur Buisson : l’une pédagogique, celle de savoir s’il convient de mettre le volume tout entier de l’Ancien Testament entre les mains des enfants. Sur ce point, je crois que des hommes également religieux et moraux peuvent différer d’opinion. Le respect de ce livre n’est point en cause dans cette question. Car l’Ancien, Testament n’a pas été composé comme livre d’instruction religieuse élémentaire. C’est la grande histoire nationale du peuple d’Israël ; c’est le document de son droit public, son code civil et criminel ; c’est même sa philosophie. Aucun historien, juriste ou philosophe ne s’est jamais imposé l’obligation de rédiger ses écrits de telle sorte qu’ils pussent être placés tels quels entre les mains de la jeunesse. Je réserve donc ce côté de la question, qui sera repris ailleurs ; et si l’orateur qui a parlé samedi dernier, après une étude sérieuse de l’Ancien Testament à ce point de vue, avait été conduit à déclarer qu’il croit nuisible de le placer entre les mains des enfants, je me serais senti obligé de peser avec soin ses raisons, mais nullement, je pense, de les combattre publiquement.

Mais la question pédagogique s’est transformée, entre les mains de M. Buisson, en une question religieuse de la plus haute importance. Il a motivé la réforme qu’il demande dans notre enseignement primaire, l’exclusion de l’Ancien Testament de nos leçons de religion, par le caractère immoral et l’influence nuisible de ce livre. Et ici, Messieurs, que je vous rappelle en passant que l’Ancien Testament ne figure nullement dans nos programmes scolaires comme tels.

Tout Neuchâtelois sait que l’enseignement religieux est entièrement séparé de l’école, se donne dans des heures à part, au nom de l’Eglise uniquement et sous la direction des Colloques et du Synode ; que ceux-là seuls enfin d’entre les parents qui adhèrent librement aux formes de notre culte, y envoient leurs enfants ; de sorte que ceux qui ont rompu avec notre Eglise n’ont pas plus de raison de lui adresser des observations publiques sur ce point, que je n’en aurais, moi, d’adresser publiquement des remontrances à la Synagogue aux sujets des livres qu’elle emploie dans l’instruction religieuse de ses enfants. Cependant, M. Buisson a cru devoir faire part au public neuchâtelois de ses idées sur ce point, et c’est à cette occasion qu’il a signalé l’Ancien Testament comme un livre religieusement, moralement et intellectuellement malsain.

Voilà la grave question que je viens traiter devant vous, Messieurs, particulièrement sous le rapport qui me paraît le plus décisif : l’esprit religieux et moral du livre incriminé. Je ne cherche point à exciter votre indignation. Je m’efforcerai seulement de faire passer ce que vous éprouvez instinctivement de votre sentiment dans votre intelligence. Deux choses me réjouissent dans cette discussion. La première, c’est que votre attention soit si énergiquement appelée sur nos Livres saints. La foi s’endort, quand elle n’est pas secouée. La seconde, c’est qu’entre nous et nos adversaires, il reste pourtant un terrain commun : c’est au nom du sens moral inné, au nom de la notion du Dieu vrai, que l’on proteste contre l’esprit de l’Ancien Testament. J’accepte en plein, pour mon compte, la compétence de ce tribunal qui s’appelle la religion et la conscience naturelles ; et c’est justement au nom de ce sens inné du divin et du non divin, du juste et de l’injuste, que nous portons tous en nous-mêmes, que je viens plaider : non coupable ; que dis-je : saint, trois fois saint !

Trois points nous occuperont ; et je pense que dans ce cadre rentrent tous les griefs élevés antérieurement ou présentement contre le caractère religieux et moral de l’Ancien Testament :

  1. La notion de Dieu dans l’Ancien Testament
  2. Le caractère de la législation israélite
  3. L’histoire du peuple en général et de ses hommes les plus marquants

En d’autres termes : Dieu en lui-même, Dieu dans sa loi, Dieu dans l’histoire de son peuple ; voilà mon client, Messieurs. Ce n’est pas ma faute, si j’ai à le défendre devant vous. Il me semble être dans la position d’un fils qui plaide pour revendiquer l’honneur de sa mère.

Vous me pardonnerez s’il me faut plus de temps pour défendre qu’il n’en a fallu pour attaquer. Il ne faut qu’un instant pour briser des vitres ; il faut plus de temps pour les remettre. Un jeune imprudent, une longue perche à la main, se promène dans une salle remplie de vases antiques : il aura vite fait force débris ; que d’heures ne faudra-t-il pas pour restaurer ces monuments précieux !

I

Par sainteté, j’entends aujourd’hui simplement l’horreur du mal, l’amour inaltérable du bien, horreur qui n’est pas oisive, mais qui travaille à détruire le mal ; amour qui ne dort pas, mais qui tend incessamment à la réalisation du bien parfait.

Je demande donc en premier lieu si, mesuré à cette mesure, le Dieu que nous dépeint l’Ancien Testament n’est pas un être saint.

Cherchez, Messieurs, à évoquer dans votre conscience cette vivante figure dont je vais vous rappeler les principaux traits dispersés dans l’Ancien Testament.

C’est Jéhovah, mot qui signifie Celui dont l’essence est d’exister. Tous les êtres ont pour essence le néant. Lui, il est, non parce qu’un autre être le fait être ; il est, parce qu’il est. Cette idée sublime, dont Dieu donne lui-même la formule à Moïse, en lui disant : Je suis Celui qui suis, cette idée que, onze siècles plus tard, la Grèce commença à peine à entrevoir dans un vague loin tain par l’œil de deux ou trois de ses sages d’élite, Anaxagore, Socrate, mais à laquelle ces penseurs eux-mêmes ne parvinrent jamais, dès le temps de Moïse, quinze siècles avant Jésus-Christ, elle se trouve être non la propriété d’un sage israélite, mais la base de la législation et de la vie du peuple entier.

Ce Jéhovah, qui est et reste au-dessus du monde par son incommunicable essence, il est dans le monde par sa toute-puissance et sa toute-science. « Qui est-ce qui dit que cela a été fait, et que l’Eternel ne l’a point commandé ? c » « Où irai-je loin de ton Esprit ? Où fuirai-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux, tu y es ; si je descend au sépulcre, t’y voilà ; si je dis : Les ténèbres me couvriront, la nuit même deviendra lumière tout autour de moi !d »

cLamentations 3.37.

dPsaumes 139.7, 8, 11.

Entre ses qualités morales, il en est deux surtout qui le caractérisent. La première, c’est la sainteté, l’horreur du mal, qui le sépare profondément de toutes les créatures, chez lesquelles le mal est ou réel ou seulement possible. « L’année de la mort du roi Hosias, je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple ; les séraphins se tenaient debout devant lui. Chacun d’eux avaient six ailes ; de deux ils couvraient leur face ; et de deux ils couvraient leurs pieds ; et de deux ils volaient. Et ils se parlaient l’un à l’autre en disant : Saint, saint, saint, est l’Eternel, le Dieu des armées ; toute la terre est remplie de sa gloire ! Et les poteaux des seuils furent ébranlés par la voix de celui qui criait ; et la maison fut remplie de fumée. Alors je dis (c’est le prophète Esaïe qui parle) : Hélas ! c’en est fait de moi ; car je suis un être aux lèvres souillées, et qui habite au milieu d’un peuple aux lèvres souillées ; et voici, mes yeux ont vu le roi, l’Eternel des armées ! Mais l’un des séraphins vola vers moi, et ayant pris un charbon ardent sur l’autel, il en toucha ma bouche et me dit : Voici, ceci a touché tes lèvres ; c’est pourquoi ton iniquité est ôtée, et la propitiation est faite pour ton péché ! e »

eÉsaïe 6.1-7.

Cette sainteté de Dieu, en présence de laquelle les créatures les plus pures se voilent la face, creuserait un abîme entre lui et l’univers, s’il ne possédait un autre attribut, qui forme comme le trait d’union entre lui et les êtres créés : l’amour, l’amour de compassion, de sollicitude, de tendresse même. « La femme peut-elle oublier l’enfant qu’elle allaite, en sorte qu’elle n’ait plus compassion du fils de son sein ? Mais quand les femmes oublieraient leurs enfants, encore ne t’oublierais-je pas, moi.f » « Comme un père est ému de compassion envers ses enfants, ainsi l’Eternel est ému de compassion envers ceux qui le craignent.g » « Quand mon père et ma mère m’auraient abandonné, toutefois l’Eternel me recueillera.h » Et ce n’est point à Israël seulement que s’applique cet amour compatissant de Jéhovah. Il s’étend à tout ce qui s’appelle homme. « Or vous êtes mes brebis, vous hommes, les brebis que je pais, et je suis votre Dieu, dit le Seigneur, l’Eternel.i » Il s’adresse spécialement aux païens, à leurs petits enfants ; il descend jusqu’au bêtes elles-mêmes. « Et moi, dit l’Eternel à Jonas, n’épargnerai-je pas Ninive, cette grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille créatures humaines qui ne savent point discerner entre leur main droite et leur main gauche, et où il y a aussi beaucoup d’animaux ?j » Le pécheur lui-même peut à chaque instant recouvrer la jouissance de cette tendresse paternelle. « Je suis vivant, dit le Seigneur, je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais à ce qu’il se convertisse et qu’il vive.k » « Que le méchant délaisse sa voie, et l’homme injuste ses pensées, et qu’il retourne à l’Eternel, et il aura pitié de lui, et à notre Dieu, car il pardonne abondammentl. »

fÉsaïe 49.15.

gPsaumes 103.13.

hPsaumes 27.10.

iÉzéchiel 34.31.

jJonas 4.11.

kÉzéchiel 33.11.

lÉsaïe 55.7.

Tels sont les traits du caractère divin tel que le décrit l’Ancien Testament. Existence incomparable, unique, absolue, sainteté qui ne pactise avec aucun mal, tendre compassion pour tout ce qui vit, pour le pécheur lui-même, et ardent désir de le sauver : réunissez ces traits ; composez-en une image vivante ; et puis, en face de cette majestueuse figure, faites passer les dieux des nations, les dieux de celle-là même qui, pour l’intelligence et le sens moral, était en tête de toutes les autres, de la Grèce : l’impur Jupiter, la haineuse Junon, le voleur Mercure, l’impudique Vénus et dites s’il n’y a pas un abîme entre la notion parfaite de Dieu qui dès la naissance de la conscience israélite, brille sur elle comme un radieux soleil, et ces hideuses figures des divinités païennes qui, semblables à des fantômes, enfants de la nuit, obsèdent et déchirent la conscience des autres peuples !

Mais, à côté de cela, dit-on, le Dieu de l’Ancien Testament a aussi ses faiblesses, et même ses taches. C’est un Dieu qui se repose, après l’œuvre de la création, comme s’il était fatigué ; qui se repent d’avoir créé l’homme, et qui le détruit par le déluge ; un Dieu qui se met en colère, qui est sujet à la jalousie, à la haine, et qui va jusqu’à endurcir le pécheur pour avoir le droit de le punir plus rigoureusement. N’est-ce pas là une figure ridicule ou atroce aux yeux de la conscience éclairée de nos jours ?

La religion de l’Ancien Testament, Messieurs, est le seul de tous les cultes antiques qui proscrive absolument toute représentation sensible de Dieu, que ce soit sous la forme de statues et de tableaux, ou sous celle de quelque objet de la nature. C’est là un service assez signalé, ce me semble qu’elle a rendu à la pureté de la notion de Dieu. Mais quand elle doit parler de Dieu à ses adhérents, elle est bien obligée de le faire en employant des formes intelligibles pour eux, et par conséquent en se servant du langage figuré, tout en en donnant la clef. Serait-elle devenue une religion populaire, la religion de tous, surtout alors, si elle se fût servie de la langue rationnelle et philosophique ? Et eût-elle jamais réussi à pénétrer par le cœur et l’imagination jusqu’aux couches les plus profondes de l’âme humaine, la conscience et la volonté ? Le Dieu vivant …, pour le rendre sensible à la conscience, il ne suffit pas de le définir, il faut le peindre ; et pour peindre, il faut la forme et la couleur. Quand la Bible parle des cieux comme du trône de Dieu et de la terre comme de son marchepied, y a-t-il un seul israélite qui ne comprenne que ce sont là des images, et quel en est le sens ? La même Bible ne lui dit-elle pas, et dans le verset suivant, que « c’est sa main qui a fait toutes choses,m » et que Dieu est celui que « les cieux et même les cieux des cieux ne peuvent contenir ?n » De même, quand elle lui prête un bras, symbole de sa toute-puissance, des yeux, emblèmes de sa toute-science, n’est-il pas évident qu’elle emprunte aux êtres vivants connus de nous les organes de leur activité, pour nous rendre sensible, sous ces différentes formes, l’activité une et multiple de ce mystérieux Vivant que nous ne connaissons point ? Autrement pourquoi dirait-elle : « A qui feriez-vous ressembler le Dieu fort, et quelle ressemblance lui approprieriez-vous ?o »

mÉsaïe 66.1, 2.

n1 Rois 8.27.

oÉsaïe 40.18.

La Bible se sert de la même méthode pour décrire le caractère moral de Dieu. Elle emprunte aux êtres moraux que nous connaissons les traits de caractère qui présentent le plus d’analogie avec les perfections infinies de Dieu, et parvient ainsi à en faire naître en nous l’impression vivante et à nous remettre en relation avec elles.

Dieu se reposep. L’Ancien Testament nous parle assez de sa toute-puissance pour que nous ne puissions pas supposer qu’il y ait eu chez lui fatigue. N’a-t-il pas créé par sa simple parole ? Que signifie donc ce repos de Dieu ? Deux choses : La première, c’est qu’après avoir formé l’homme, il est arrivé au terme de son travail et a cessé de créer des espèces d’êtres nouvelles. Et la science moderne n’a-t-elle pas pleinement confirmé ce fait ? La seconde, qu’il contemple avec joie et bénédiction son œuvre bonne, comme un artiste contemple le chef-d’œuvre, fruit de son travail. Ce sourire de satisfaction du Dieu créateur, n’est-il jamais parvenu par vos yeux jusqu’à votre cœur ? Une belle journée de printemps, un radieux dimanche où l’homme se reposant lui-même, peut jouir des splendeurs et du calme de la nature, ne vous en ont-ils pas raconté quelque chose ? Le repos de Dieu est donc une image, mais une image sous laquelle se cache une réalité.

pGenèse 2.2.

Dieu se repentq. Mais dans le même chapitre où cette expression est employée, n’est-il pas écrit : « Dieu n’est pas un homme pour mentir ni fils de l’homme pour se repentirr ? » Il faut donc, d’après l’Ancien Testament lui-même écarter de l’idée de repentir, quand il s’agit de Dieu, tout ce qui tient à l’imperfection humaine, tout arbitraire, tout caprice. Dieu change de sentiment, de manière d’agir, quand les êtres moraux avec lesquels il est en relation changent de manière d’agir envers lui. Et c’est par cela même qu’il ne change pas. Un fils change en bien ou en mal : si son père ne changeait pas de manière d’agir envers lui, c’est alors qu’il changerait réellement et qu’il deviendrait infidèle à son propre caractère. Ainsi Dieu a établi Saül roi ; et Saül s’enorgueillit et se rebelle. L’homme, créé primitivement bon, se corrompt. Dans ces deux cas, l’expression : Dieu se repent, signifie qu’il défait ce qu’il avait fait ; il détruit par le déluge l’homme qu’il avait créé, et renverse du trône ce Saül qu’il y avait élevé. C’est fidélité à son plan. L’instrument lui manque ; il le rejette et s’en fait un nouveau. Il peut aussi se repentir, comme à l’égard de Ninive, du mal qu’il avait annoncé : la repentance des Ninivites prévient l’exécution d’une menace qui se serait réalisée sans cela. Dieu changerait si, l’homme changeant, il ne changeait pas. C’est ainsi que le repentir de Dieu, non seulement n’est point contraire, mais appartient à son immutabilité.

qGenèse 5.6 ; 1 Samuel 15.11 ; Jonas 3.10, etc.

r1 Samuel 15.29

Dieu s’irrite, se met en colères. Mais il y a, chacun ne le sait-il pas, sainte, colère et colère charnelle, colère d’indignation et colère d’emportement. La première est la réaction du bien contre le mal, réaction d’autant plus puissante que le ressort qui réagit, l’amour du bien, est plus vif dans le cœur de celui qui est ému de colère. La seconde est due à un mouvement égoïste, celui de la personnalité froissée. Quel père n’a fait l’expérience de ces deux genres de colère ? Refuser à Dieu la première, ce serait du même coup lui refuser l’amour du bien. On hait le mal exactement dans la proportion où l’on aime le bien ; et l’individu qui le commet tombe sous le poids de cette colère-là exactement dans la mesure où il s’identifie lui-même sciemment et volontairement avec le péché. Dans la mesure où il s’en distingue encore, où il le reconnaît, où il lutte contre lui, il est encore l’objet de la compassion et de l’assistance divine. « Je suis vivant que je ne veux pas la mort du pécheur. »

s2 Rois 17.18 ; Psaumes 7.12 ; Nombres 11.33 ; Juges 2.14, etc.

Qu’y a-t-il à objecter contre cette notion de la colère divine ? Le Nouveau Testament enseigne sur ce point exactement comme l’Ancien. C’est Saint Paul qui dit que « la colère se déclare du ciel sur tout homme qui étouffe la vérité injustementt. » C’est dans l’épître aux Hébreux que se trouve cette parole : « Notre Dieu est aussi un feu consumantu. » C’est Jésus-Christ qui nous parle, et cela à trois reprises, dans le même discours, du « ver qui ne meurt point » et du « feu qui ne s’éteint pointv. » Et c’est à lui, ce miséricordieux Jésus, que la superficialité de nos jours oppose si souvent au Dieu irrité de l’Ancien Testament, que s’applique dans le Nouveau cette expression saisissante : la colère de l’Agneauw. En refusant à Dieu la faculté de s’indigner, vous lui refusez par le fait celle d’aimer, d’aimer sérieusement ; vous substituez au Dieu vivant une idée morte, une muette idole de l’intelligence.

tRomains 1.18.

uHébreux 12.29.

vMarc 9.44, 46, 48.

wApocalypse 6.16.

Dieu aime Jacob et hait Esaüx. Il endurcit Pharaony. La première de ces paroles est prononcée par Malachie, le dernier des prophètes, dans un moment où Dieu venait de donner à Israël la marque la plus signalée de sa miséricorde en le ramenant de la captivité de Babylone. Le prophète avait devant les yeux Israël restauré, contre toute prévision humaine, et en même temps le pays des Edomites, des descendants d’Esaü, complètement ruinéz. A cette vue, comparant les états opposés de ces deux peuples parents et voisins, il met dans la bouche de Dieu cette, parole, qui résume leur histoire « J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Esaü. » Est-ce arbitrairement, capricieusement que Dieu a conçu ce sentiment ? L’Ancien Testament ne dit rien de pareil. Il nous représente Esaü comme un homme charnel et profane, qui ne pouvait en aucune manière servir au dessein de Dieu pour l’établissement du règne de la foi ; et le peuple descendu de lui avait marché sur les traces de son premier père. N’étaient-ce pas les Edomites qui se réjouissaient au jour de la ruine de Jérusalem, qui avec une haine diabolique, encourageaient les vainqueurs à la renverser jusqu’en ses fondements, et qui se tenaient aux aguets sur les chemins pour égorger et piller les malheureux fuyardsa ? Voilà pourquoi, quoique branche aînée, Esaü et sa race, tout en étant comblés de bénédictions temporellesb, furent rejetés moralement, tandis que Jacob et ses descendants leur furent substitués, pour l’œuvre supérieure que Dieu avait en vue. Il n’y a là ni haine arbitraire, ni capricieuse préférence ; il y a choix libre, indépendant de la règle humaine, celle de la primogéniture, sans doute, mais choix sage, comme celui de l’ouvrier qui adapte l’outil au travail qu’il se proposec.

xMalachie 1.2 et 3.

yExode 9.27 ; 11.10, etc.

zMalachie 1.3 : « Mais j’ai haï Esaü, et j’ai mis ses montagnes en désolation et son héritage pour les dragons du désert. »

aAbdias 5.10-15.

bGenèse 27.39-40.

c – Comme il ne s’agit ici que de l’Ancien Testament, je n’ai pas à discuter sur Romains 9.11-13.

L’endurcissement de Pharaon n’est pas moins digne de la justice et de la sagesse de Dieu. Il arrive un moment, dans la vie du méchant, où ayant résisté à tous les appels de Dieu, il ne peut plus être sauvé. Croyez-vous qu’alors Dieu le laisse là comme un être inutile ? Rien de ce que Dieu a créé ne peut être inutile. Le méchant est libre de repousser le salut ; car Dieu ne l’impose à personne. Mais dans ce cas, il n’est pas libre d’empêcher que Dieu ne le fasse servir, par l’éclat de son châtiment, au salut d’autrui. Ainsi, une fois que Pharaon s’est endurci lui-même, (c’est bien lui, qui accomplit ce premier acte, comme le dit expressément la narrationd), Dieu tire de lui sa gloire en l’aveuglant de telle sorte que, par sa résistance insensée à l’ordre divin, il magnifie à jamais l’œuvre de l’Eternel pour la délivrance de son peuple. Et Dieu est si peu partial, dans cette conduite, que le jour viendra où il en agira de même envers son propre peuple. Quand Israël se comportera envers l’Eglise chrétienne comme le roi d’Egypte envers Israël, Dieu l’aveuglera de la même manière, de telle sorte que sa ruine et sa dispersion enseignent le monde nouveau, comme le désastre du Pharaon a enseigné le monde ancien. Il y a donc une sérieuse alternative posée à toute âme d’homme : ou devenir son propre but à elle-même, en s’associant au travail et par là à la gloire de son Créateur ; ou être dégradée au rang de moyen, en servant au salut des autres. N’est-ce pas grand, Messieurs ? N’est-ce pas saint, digne à la fois du Dieu sage et de l’homme responsable ? Si la liberté est quelque chose de grand, ce que l’homme grand possède de plus grand, son emploi ne doit-il pas avoir aussi un grand résultat, soit en bien, soit en mal.

dExode 9.7, et cette expression revient plus tard, versets 12, 35, etc. 4.21 le terme j’endurcirai n’est qu’une prophétie.

Je sais qu’il est aisé de travestir cette solennelle vérité. Car, comme du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas, du saint à l’odieux il n’y a qu’un cheveu. On peut la présenter de la manière suivante : Le Dieu de la Bible commence par rendre l’homme méchant pour avoir ensuite la satisfaction de faire éclater sa justice par une punition plus magnifique. Après avoir ainsi travesti, la frivolité persiflee ; et l’ignorance d’applaudir. Mais après ce facile triomphe, le nuage s’évanouit, et la vérité reparaît plus claire par la contradiction même qu’elle a subie.

e – On verra plus tard que cette expression n’est pas trop forte

Ferai-je à votre bon sens l’injure de vous parler encore du Dieu jalouxf ? Comme si l’Être que l’Ancien Testament nous représente comme parfaitement indépendant de sa création et pleinement heureux en lui-même, pouvait être jaloux de notre amour en vue de lui-même et non en vue de nous seuls ! Il sait qu’en lui jaillit pour notre cœur la source d’eau vive, que hors de lui nous ne trouverons que des citernes crevassées. Voilà pourquoi il nous réclame avec une jalousie qui, bien comprise, n’est que l’autre nom de son ardent amour.

fExode 20.5 ; 34.14, etc.

Cette idée sublime du Dieu un, absolu, indépendant, parfait, qui remplit les pages de l’Ancien Testament, depuis la première phrase de la Genèse jusqu’à la dernière de Malachie, qui se pose avec autorité dans la loi, qui inspire de son souffle les prophètes, en face de laquelle adorent les psalmistes et méditent les sages d’Israël ; cette idée que le Fils de Dieu a accueillie, saluée, confirmée, et qu’il a transmise à son Eglise, faisant du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, à la fois notre Dieu et notre Père ; cette idée qui devient la sentence de mort des peuples qui la repoussent, le puissant soutien de tous ceux qui l’adoptent ou la maintiennent, d’où ce peuple l’a-t-il tirée ? C’est son seul trésor intellectuel, puisqu’il n’a eu d’autre grandeur et d’autre mission dans l’histoire du monde que d’en être le porteur ; et c’est son trésor à lui seul ; car nul autre peuple ne l’a partagé avec lui.

On dit que cette notion de Dieu était, chez le peuple d’Israël, le produit d’une prédisposition naturelle aux peuples sémitiques. La branche de l’humanité désignée sous le nom de sémite comprend trois peuples : Les Syriens, au Nord, les Juifs, au milieu, les Arabes, au Sud. Or les Syriens partageaient avec les Phéniciens l’adoration du soleil et de la lune, et avaient en outre d’autres divinités. C’était du milieu de ce peuple que Dieu avait retiré Abraham pour le préserver de la corruption. Les Arabes étaient livrés à l’adoration des astres et au culte des forces de la nature ; et les quelques rayons de la connaissance de Dieu que l’on a retrouvés chez eux proviennent de leur contact avec le judaïsme et le christianisme. C’est contre cette idolâtrie nationale que Mahomet, stimulé par l’exemple de Moïse et de Jésus-Christ et appuyé sur eux, a opéré sa réforme. Des trois peuples de race sémite, en voilà donc deux plongés dans l’idolâtrie, l’un au Nord, l’autre au Sudg. Et en face de ce fait historique patent, vous prétendez nous faire accroire que la foi à l’unité et à la sainteté de Dieu est une prédisposition naturelle inhérente à l’esprit sémitique !

g – « Sauf les Hébreux, tous les peuples sémitiques ont été païens, c’est-à-dire adonnés à quelque forme du culte de la nature, jusqu’à l’époque où ils ont embrassé eux-mêmes le christianisme ou le mahométisme. Restent donc les seuls Hébreux dont l’histoire bien lue nous montre dailleurs tout le contraire de ce que M. Renan pense y trouver. » Edmond Schérer, M. E. Renan, dans la Bibliothèque universelle, octobre 1859, page 171.

Mais cette prédisposition serait-elle peut-être inhérente à l’esprit israélite spécialement ? Si nous ignorions l’histoire des autres peuples sémitiques, nous saurions du moins celle des Juifs. Peut-on supposer raisonnablement que la foi en un seul Dieu provienne d’une prédisposition naturelle à ce peuple, quand on le voit, dans toute la première partie de son histoire, retomber continuellement dans l’idolâtrie ? Pourquoi donc cette longue et laborieuse lutte des prophètes contre les instincts païens du peuple, lutte qui ne s’est terminée qu’au retour de l’exil : si le monothéisme lui était inné ? Pourquoi ce châtiment purificateur, la captivité de Babylone, par lequel seul Dieu est enfin parvenu à arracher le mal jusqu’à la racine ? Cette explication du monothéisme hébreu est un démenti donné à la fois à l’histoire et au bon sens.

II

Voyez-vous ce bateau remontant le courant d’un fleuve qui entraîne à la descente toutes les autres barques ? Que diriez-vous de l’homme qui vous affirmerait qu’il le fait par sa propre nature ? Non, répondriez-vous ; il doit y avoir là un moteur caché. Israël, remontant seul le courant idolâtre qui emporte tous les autres peuples de l’antiquité, et cela en opposition à son propre penchant, qui s’accorde avec ce courant, c’est là, Messieurs, aux yeux de l’historien judicieux, qui apprécie la valeur des choses, non au point de vue de la quantité, mais à celui de la qualité, un fait capital dans l’histoire de l’humanité, et un fait qui s’explique par l’action d’un moteur puissant imprimant à ce peuple un mouvement contraire à la loi de son inclination naturelle. Il faut accepter le mot que les faits réclament : il y a eu révélation.

Le Dieu de l’Ancien Testament, dont nous venons d’établir la notion, a manifesté de la manière la plus immédiate son caractère dans la législation qu’il a donnée à son peuple. Si vous réunissiez toute la série des ordres émanés de vous, ne seraient-ils pas le reflet le plus fidèle de votre caractère moral ? Seulement, n’oublions pas que les ordres que nous donnons dépendent, de deux facteurs, et non pas d’un seul. Le premier, c’est nous ; le second, c’est la personne à qui nous commandons. Vous n’ordonnerez pas à votre enfant de six ans de soulever un fardeau fait pour les épaules d’un adolescent. Instituteur d’une classe primaire, vous ne proposerez pas à vos élèves un problème que ceux des classes supérieures ont seuls les moyens de résoudre. Nos ordres sont donc mesurés, d’un côté, sur le bien absolu que nous avons en vue, et de l’autre, sur ce que comporte la condition actuelle de notre subordonné. C’est d’après cette règle qu’il est juste d’apprécier la législation israélite. Il ne faut pas demander : cette loi formule-t-elle le bien absolu ? Tout progrès subséquent est-il impossible ? Mais il faut demander : était-elle un progrès réel sur l’état du peuple à ce moment-là ? Etait-elle le plus grand progrès possible que comportait son état d’alors ? En dépassant cette limite, le législateur eût risqué de le faire reculer plutôt qu’avancer.

Cela posé, étudions de plus près les caractères de la législation promulguée par Moïse. Il y avait deux buts à atteindre, ce me semble auprès d’un peuple qui sortait du plus dur esclavage. La servitude a le double effet de fausser le caractère et de l’aigrir. Loyauté, humanité, tels seront donc, le bon sens le dit, les deux traits qui devront dominer dans la loi israélite, surtout si l’on tient compte du moment où elle est donnée. Ils ne sont pas moins conformes d’ailleurs au caractère du législateur, du Dieu saint et bon.

En premier lieu : justice, droiture, honnêteté, loyauté. Cette qualité est chez l’homme le reflet de la sainteté divine ; c’est là le trait fondamental de la loi juive. J’en appelle aux dix commandements, que vous connaissez tous. Et ici, Dieu, vous le savez, ne se contente pas d’un accomplissement extérieur. Sachant que la source du mal, le vrai mal, est dans le cœur, il termine le décalogue en disant : « Tu ne convoiteras point. » Tuez le désir mauvais ; par cela seul n’avez-vous pas détruit dans son germe le meurtre, l’adultère, le vol, la calomnie ?

Mais c’est dans le détail des lois particulières sur la vie, la liberté, personnelle, la propriété, qu’il faut étudier la manière dont tout, dans cette loi, est calculé pour développer le sens de la justice. « Œil pour œil, dent pour dent » voilà le principe général que le juge, non l’offensé, comme on le croit souvent, a la mission d’appliquer dans toutes les collisions juridiques. La peine de mort est appliquée à l’homicide commis volontairement ou par imprudences réitérées ; elle est le sceau du respect de Dieu lui-même pour la vie humaine. Les lois sur les mœurs sont aussi très sévères. L’adultère est puni de morth. Le voleur est tenu de restituer au quadruple ou même au quintuple la valeur de l’objet voléi. L’esclavage est proprement interdit entre Israélitesj. L’esclave qui a perdu l’usage d’un membre par les mauvais traitements de son maître, devient libre par le fait mêmek. Comme il est interdit au juge de faire acception de personne en faveur du riche, il lui est dit aussi, pour le prémunir contre un autre genre de partialité : « Tu ne favoriseras point le pauvre en son procèsl. » La loi va jusqu’à interdire tout ce qui, sans être mauvais en soi, pourrait contribuer, à la longue, à altérer le sentiment délicat de la probité et de la pureté. Ainsi elle défend d’ensemencer un champ de diverses espèces de graines, de planter une vigne de plants divers, de tisser le drap avec différentes matières ; la femme ne doit pas porter des habits d’homme, ni l’homme des habits de femmem. Il y a là froissement de l’ordre naturel ; or cet ordre, étant divin, doit être respecté en toutes manières.

hLévitique 20.10.

iExode 22.1.

jLévitique 25.39 ; il n’est toléré qu’exceptionnellement et dans des condition déterminées.

kExode 21.26.

lExode 23.3.

mDeutéronome 22.5, 9, 11 ; Lévitique 19.19.

A côté de ce soin de la loyauté parfaite ressort dans la loi de Moïse le soin non moins grand de tout ce qui appartient au sentiment de l’humanité, de l’équité, de la compassion, de la bonté. Le divin législateur prend sous sa protection spéciale l’ouvrier, le pauvre, l’affligé : « Vous n’affligerez aucune veuve, aucun orphelin ; autrement ils crieront à moi, et ma colère s’allumera contre vous … Si tu prêtes de l’argent au pauvre qui est avec toi, tu n’exigeras pas d’intérêt… Si tu prends en gage le vêtement de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil ; car c’est sa couverture. S’il crie à moi, je l’entendrai, car je suis miséricordieuxn. » La moisson et la vendange achevées, il faut se garder de recueillir ce qui reste sur le champ ou pendu aux ceps ; c’est la part du pauvre et de l’étrangero. La sollicitude de Dieu s’applique tout spécialement aux étrangers qui habitent en Israël : « Tu ne fouleras, ni n’opprimeras point l’étranger ; car vous avez été étrangers au pays d’Egyptep. » Les rabbins comptent jusqu’à 21 passages dans la loi où l’étranger est recommandé aux Israélites. « L’étranger qui habite parmi vous sera comme celui qui est né parmi vous, et vous l’aimerez comme vous-mêmes ; car vous avez été aussi étrangers en Egypte ; je suis l’Eternel, votre Dieuq ! » L’étranger doit pouvoir se reposer le jour du sabbat aussi bien que l’israélite. L’esclave étranger qui a trouvé un asile en Israël ne doit point être rendu à ses maîtres païensr Que l’on compare cette législation avec la manière dont les étrangers, les barbares, étaient envisagés chez les peuples anciens les plus avancés.

nExode 22.22-27.

oLévitique 19.9, 10.

pExode 22.21.

qLévitique 19.33.

rDeutéronome 23.15.

Il n’y a pas jusqu’aux animaux dont la loi ne prenne soin et pour lesquels elle n’exige des égards. Il n’est pas bien d’emmuseler le bœuf qui a eu le rude travail du labour, quand vient le beau jour de la moisson où, tout en foulant le blé, il peut prendre sa part du fruit de ce travail partagé avec l’hommes. Il ne faut pas atteler à la charrue deux animaux de force aussi inégale qu’un bœuf et un ânet. Il ne faut pas cuire le chevreau dans le lait de sa propre mèreu ; et quand on prend les œufs dans un nid, il faut laisser échapper la mèrev.

sDeutéronome 25.4.

tDeutéronome 22.10.

uExode 23.19.

vDeutéronome 22.6 ; afin sans doute de ne pas nuire à la conservation de l’espèce.

Notre ennemi lui-même est compris dans le cercle que doit embrasser notre charité. « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne égaré, tu ne manqueras pas de le lui ramener. Si tu vois l’âne de celui qui te hait (non : que tu hais ; la loi n’admet pas ce sentiment chez le vrai serviteur de Jéhovah) abattu sous son fardeau, garde-toi de l’abandonner ; tu ne passeras pas outrew. » Et tout cela fondé sur ce mot sublime, qui explique tout et dit plus que tout : « Tu aimeras ton prochain comme toi-mêmex. »

wExode 23.5, 6.

xLévitique 19.18.

Que de lois analogues ne pourrais-je pas encore citer ? Ajoutez à cela trois admirables institutions :

  1. Celle du sabbat hebdomadaire ;
  2. Celle de l’année sabbatique, qui revenait tous les sept ans, où la terre devait être laissée à elle-même et son revenu spontané devenir la jouissance du peuple entier, particulièrement des veuves, des pauvres et des étrangers ;
  3. Celle de l’année de jubilé, qui devait se célébrer tous les cinquante ans, qui était le terme au-delà duquel ne devait point s’étendre, la vente des fonds de terre ; tellement que l’acheteur n’achetait proprement que le nombre des récoltes qui restaient encore jusqu’au prochain jubilé, et qu’alors la propriété revenait à la famille qui avait été forcée de l’aliéner momentanément, ce qui coupait court au paupérisme permanent, ce fléau de toutes les sociétés anciennes et modernes.

Voilà la loi de Moïse. En même temps qu’elle est juste, n’est-elle pas humaine ? Ce n’est peut être pas là l’idée que vous vous en faisiez. Et peut-on dire, après cela, qu’il n’y eût pas là un progrès, le plus grand progrès possible pour Israël quinze siècles avant Jésus-Christ ? Et si cette loi eût pu s’étendre à tous les peuples, quel progrès pour le monde entier !

Mais on objecte certaines lois du Lévitique dont la lecture serait un véritable scandale ; la multitude des sacrifices sanglants prescrits dans ce même livre ; la polygamie, enfin, et le divorce autorisés par la loi.

Les Juifs, Messieurs, s’établissaient dans un pays dont les anciens habitants étaient livrés à toutes les infamies, et dont les voisins ne valaient guère mieux. Il n’eût servi à rien, il eût été dangereux peut-être, de ne pas parler franchement de bien des choses. Le code civil et surtout le code criminel ne peuvent pas ne pas parler de choses choquantes pour le sens moral. Ces articles du code sont-ils immoraux pour cela ? Non, car les actes qui y sont énumérés ne le sont que pour être qualifiés de forfaits. Et s’il est un code qui remplisse fidèlement cette condition, c’est bien la loi mosaïque, dont le refrain est : « Je suis l’Eternel ; soyez saints, car je suis saint ! »

Sur les sacrifices sanglants, observez d’abord que ce n’étaient que des sacrifices d’animaux. Les sacrifices humains en usage chez les peuples voisins des Israélites, rappelez-vous le culte de Moloch chez les Hammonites, comme chez les peuples les plus civilisés de l’antiquité, sans en excepter les Grecs eux-mêmes, étaient interdits en Israël comme l’un des plus abominables forfaits. Remarquez ensuite que les sacrifices d’animaux étaient accompagnés à chaque fois d’une cérémonie saisissante pour la conscience. L’Israélite coupable devait imposer la main à la victime qu’il amenait, tout en confessant sur elle son péché ; et après l’avoir ainsi consacrée comme son substitut, il devait la frapper du coup mortel de sa propre main. Que devait-il éprouver en accomplissant cet acte ! Quelle éducation, pour des consciences grossières ! Un pareil acte de pénitence ne devait-il pas tracer dans l’âme, pour peu qu’elle fût accessible à l’horreur du mal, un sillon ineffaçable ?

Le divorce n’est pas interdit dans la loi, il est vrai ; mais il est limité par la lettre de divorce que le mari qui congédie sa femme est obligé de lui donner. C’était déjà beaucoup dans les mœurs d’alors, et comme le déclare expressément Jésus, c’était tout ce que Moïse pouvait faire. « Moïse, dit-il aux pharisiens, en a agi ainsi (c’est-à-dire : vous a permis le divorce), à cause de la dureté de votre cœur ; mais il n’en était pas ainsi tout au commencementy. »

yMatthieu 19.8.

Cette parole de Jésus s’applique aussi aux cas de polygamie que nous trouvons chez les Juifs. Cet usage n’est ni approuvé ni interdit positivement par la loi ; il est dit seulement par rapport au roi qu’« il ne prendra pas plusieurs femmesz. » Cette parole impliquait le retour à l’ordonnance primitive telle qu’elle résultait du fait que Dieu avait formé au commencement un seul homme et une seule femme. Une partie des malheurs domestique de Jacob et de David, provinrent de ce péché de la polygamie ; et l’histoire de ces hommes est racontée dans l’Ancien Testament de manière à ne laisser aucun doute sur l’intention de l’écrivain de faire ressortir les terribles conséquences de cet abus momentanément toléré. Il est si vrai qu’un tel usage est contraire à l’esprit de toute la constitution mosaïque, qu’il finit par tomber tout à fait, et que depuis la captivité de Babylone, il n’y a pas plus d’exemple de polygamie que d’idolâtrie en Israël.

zDeutéronome 17.17.

Dieu n’a-t-il pas été pour son peuple un éducateur à la fois ferme et tendre ? Droiture incorruptible, compatissante charité : voilà les deux traits dont il a cherché par sa loi à faire le fond du caractère national, dans les moindres relations sociales. Et quant aux points qu’il ne pouvait emporter par la voie impérative, il a usé de patience, mais sans abandonner jamais la loi du progrès ; il a enseigné, comme dit un prophète, ligne après ligne, commandement après commandement, ainsi que fait un père avec son enfant.

III

Voilà le tableau fidèle, quoique sommaire, de la législation divine au sein d’Israël. Trouvez-vous là quelque chose d’indigne de l’Etre que nous adorons, d’indigne du peuple qu’il s’était choisi pour en faire l’initiateur de tous les autres au grand salut destiné au monde ? Je ne saurais le penser. Et je crois pouvoir passer au troisième point qui doit nous occuper : le rôle de Dieu dans l’histoire du peuple d’Israël.

Messieurs, l’histoire biblique est le tableau de la relation entre Dieu et l’humanité. Elle résulte donc du concours de deux facteurs : l’un saint, c’est la conduite de Dieu envers l’homme ; l’autre impur, c’est la conduite de l’homme envers Dieu. Cette histoire sera sainte, si la sainteté du premier facteur triomphe de l’impureté, du second ; souillée, si l’impureté du second triomphe de la sainteté du premier, ou si, surtout, et c’est ici la thèse que l’on pose résolument, le premier, facteur, Dieu, s’abaisse dans cette histoire à devenir le complice des souillures de l’autre.

Dieu ne joue-t-il pas, dès le commencement de l’histoire juive, un rôle indigne de lui ? N’est-il pas un être partial, quand il se choisit un peuple qu’il favorise aux dépends de tous les autres ? Ne se fait-il pas ensuite, dans le cours de cette histoire, le patron du vice chez ses élus : du mensonge, chez Abraham et Jacob ; de l’impureté, chez Juda, Rahab, David, Salomon, et tant d’autres ; de la cruauté dans le massacre des Cananéens, le meurtre de Sisera, le châtiment des enfants de Samarie ? Non seulement il tolère ces crimes ; parfois il les ordonne ; toujours il bénit ceux qui les commettent.

Ce n’est donc pas, vous le voyez, par impiété que l’on proteste contre le Dieu de l’Ancien Testament ; c’est plutôt par piété : on désire déchirer le masque difforme dont la vraie figure de Dieu est recouverte dans ce livre, pour rendre à nos enfants le Dieu saint et bon que proclament la conscience, la raison et même, ajouterait-on peut-être, on ne l’a pas dit, mais je suis prêt à le supposer, l’Evangile.

Comme le Dieu que nous voulons est aussi celui de la conscience et de la raison, en même temps que celui de l’Evangile, il ne reste ici qu’une question de fait. Reprenons donc les faits et examinons. La conduite de Dieu, dont l’Ancien Testament nous trace le tableau, est-elle réellement contraire à la conscience, à la saine raison et à l’Evangile ?

Dieu apparaît corporellement à Abraham. Est-ce contraire à la saine raison ? Tout dépend du terme qu’il se propose d’atteindre. Ce terme est-il de laisser l’univers aller comme il va, et l’homme se gouverner lui-même de son mieux, ces apparitions aux patriarches n’ont pas de sens. Mais le terme des voies divines est-il la réalisation de l’union parfaite entre le Dieu d’amour et l’homme, sa créature bien-aimée, dans une seule et même personne, le Dieu-homme, on doit reconnaître qu’il n’y a pas de commencement plus naturel, plus rationnel, en vue de ce but, que ces visites ou apparitions passagères de Dieu aux patriarches. Elles se transformeront plus tard en ces glorieuses visions accordées aux prophètes, et aboutiront enfin à l’incarnation permanente que raconte le Nouveau Testament. Pour juger de la convenance du premier pas dans un voyage, il faut connaître le dernier. Et ce que je dis ici des apparitions de Dieu dans la vie des patriarches, s’applique au fond à tous les miracles de l’histoire sainte. Ils sont tous comme autant de pas sur la voie qui conduit de la vocation d’Abraham à l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Ce sont les chaînons d’une chaîne dont voilà le premier et le dernier anneau. Brisez ces deux anneaux : la chaîne, cela va sans dire, tombe tout entière ; et vous pouvez vous épargner la peine d’en briser un à un les chaînons. Tout le surnaturel, dans l’Ancien Testament, est donc implicitement contenu dans l’incarnation et la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. C’est sur le terrain du Nouveau Testament que doit se décider la question du surnaturel dans l’Ancien. C’est devant la tombe ouverte de Jésus-Christ qu’il faut discuter sur Abraham, Jacob, Moïse, Elie ; c’est là que je vous donne rendez-vous, au besoin, et quand vous le voudrez ! Vous le voyez, la question des miracles dans l’Ancien Testament a une plus grande portée pour notre foi qu’il ne le semble au premier coup d’œil. Dans le fruit de l’arbre est renfermé tout l’arbre.

Mais Dieu peut-il être partial ? Tous les peuples n’ont-ils pas également droit à son amour ? Assurément. Et l’Ancien Testament le sait tellement, que trente-deux siècles avant que nous le lui disions, il l’a dit à quatre reprises. Il prononce en quatre endroits différents cette parole « Dieu ne fait point acception de personnesa. » Bien plus, c’est précisément parce que Dieu aimait tous les peuples, qu’il en a choisi un pour exécuter par lui ses desseins d’amour envers tous les autres. Vous êtes instituteur ; vous avez une classe nombreuse ; et vous cherchez à vous préparer dans l’un de vos élèves, par des soins tout particuliers, un auxiliaire pour travailler avec vous au bien de tous les autres. Y a-t-il dans cette élection quelque chose de contraire à l’amour que vous portez à la classe entière ? Non, parce que cette élection n’est que momentanée ; non encore, parce que cet élève n’est pour vous qu’un moyen et que la classe entière reste le but. C’est quelque chose d’analogue que l’élection d’Israël. Ce peuple est l’instrument que Dieu se forme pour agir par lui sur tous les autres. Ecoutez la première parole que Dieu adresse à Abraham, lors de sa vocation : « En toi seront bénies toutes les familles de la terreb. » Rappeler sans cesse à Israël sa tâche envers le monde entier si bien formulée dans cette parole, c’est là la principale mission des prophètes. Et ils l’ont remplie jusqu’au moment où Israël, répandu au milieu des nations païennes depuis le temps de la captivité de Babylone, a commencé à remplir effectivement cette mission et à être la bénédiction de toutes les familles de la terre.

aDeutéronome 10.17 ; 1 Samuel 16.7 ; 2 Chroniques 19.7 ; Job 34.19.

bGenèse 12.3.

Si l’impartialité de Dieu ressort du caractère temporaire de ce moyen et de l’universalité du but qu’il avait toujours en vue, elle éclate non moins. clairement dans la méthode d’éducation qu’il emploie envers ce peuple. Quelles grâces ! Mais aussi, quelle sévérité proportionnée ! Quel joug, que celui de la loi, avec ses innombrables statuts ! Voudrions-nous en être chargés de nouveau ? Quels châtiments, en cas d’infidélité ! Je ne vous rappelle ici que les servitudes réitérées du temps des Juges, les deux désastres complets sous les coups de Salmanazar et de Nébucadnézar, et enfin la ruine, et la dispersion actuelles d’Israël, prédites déjà par, Daniel et Zachariec, enfin par Malachie, dans ce dernier mot, oui, le dernier de l’Ancien Testament : « De peur que je ne vienne et que je ne frappe le pays à la façon de l’interdit !d » Messieurs, s’il y a là de la partialité, c’est dans le sens du proverbe : « Celui qui aime bien, châtie bien. »

cDaniel 9.26-27 ; Zacharie 11.1-14.

dMalachie 4.6.

Enfin ces païens, que Dieu semblait abandonner pendant un moment, savez-vous pourquoi il les laissait marcher dans leurs voies ? Afin qu’ils fissent l’expérience de ce qu’est l’homme, laissé à lui-même, et qu’ils se préparassent ainsi à accepter avec plus d’empressement le salut qu’Israël devait leur apporter un jour de la part de Dieu. Et certes, le résultat a montré que cette préparation purement négative des païens n’a pas été moins utile que la préparation positive d’Israël, pour la fondation de l’Eglise et l’établissement du règne de Dieu !

« O profondeur ! » s’écrie saint Paul, en contemplant ces grandes voies de Dieu dans le gouvernement du monde. O profondeur, en effet, et d’amour et de sagesse envers ceux que Dieu laisse errer, pour les retrouver au jour marqué par lui, et envers celui qu’il prend sous sa tutelle, afin de se servir de lui comme du moyen humain indispensable pour regagner tous les autres !

Voilà, Messieurs, à quoi se réduit la partialité reprochée au Dieu de l’Ancien Testament. Restent les traits particuliers de l’histoire biblique dans lesquels on prétend que ce Dieu se fait le patron du crime, de la tromperie, de l’inceste, de la vengeance et du sang versé. Ne craignez pas de ma part des représailles d’expression, Messieurs. Nous voulons examiner les choses froidement, comme il convient à des hommes, à des hommes dont les plus hauts intérêts sont en jeu. Nous reprendrons les faits principaux ; cela suffira, j’espère.

Avant tout : ce qui concerne Abraham, le père des croyants. Lorsqu’il n’était encore qu’un pauvre Syrien, selon l’expression de l’Ecrituree, vivant au milieu d’un peuple, idolâtre, fils d’un père idolâtref, peut-être idolâtre lui-même, il avait, longtemps avant la vocation divine dont il fait l’objet, épousé Sarah, fille de son père, mais d’une autre mère. On trouve chez les Perses des traces d’un pareil usage. Et l’on pouvait essayer de le justifier par ce qui avait dû se passer dans la première famille humaine. Serait-ce là une raison pour appeler le Dieu qui le choisit, le fauteur de l’inceste ? Je ne le pense pas ; de pareilles alliances sont totalement interdites dans la loi de Sinaï. Et Dieu ne prend pas à sa charge, par le fait qu’il s’associe un homme, tous les genres de péché que cet homme a commis. Plus tard, Abraham se laisse aller à deux reprisesg à commettre une lâcheté et un mensonge, en faisant passer en Egypte et chez les Philistins Sarah pour sa sœur, ce qui était vrai, mais ce qui devenait mensonge, parce que cette moitié de la vérité était destinée à cacher l’autre, à savoir qu’elle était aussi sa femme. Or, nous dit-on, le Dieu de l’Ancien Testament prend certainement le mensonge d’Abraham sous sa protection ; car Abraham sort de ces deux situations honoré et enrichi. Mais, dans les deux cas, l’historien sacré prend évidemment le parti des deux rois païens contre Abraham. Car il nous transmet tout au long les reproches énergiques que l’un et l’autre lui adressent : « Qu’est-ce que tu m’as fait ? dit Pharaon à Abraham ; et pourquoi ne m’as-tu pas averti que c’est ta femme ? » Et Abraham ne répond pas un seul mot. Ce qui veut dire, je pense, qu’il se reconnaît coupable. « Que nous as-tu fait ? lui dit le roi philistin ; tu m’as fait des choses qui ne se doivent pas faire. » Et Abraham ne cherche point à se justifier ; seulement il s’excuse à demi en expliquant à Abimélec que son allégué n’était pas un mensonge aussi complet qu’il pouvait lui sembler au premier coup d’œil. Le héros biblique, le père d’Israël, est donc réprimandé dans les deux occasions par les deux rois païens, et cela dans deux censures transmises in extenso, et l’on pourrait presque dire con amore, par l’écrivain sacré. Voilà comme Abraham sort justifié du récit ! Quant aux dons faits à Abraham par les deux rois, ils avaient, eux aussi, leur péché à expier dans cette affaire. S’il n’est pas permis de prendre à un homme sa femme, il ne l’est pas non plus de lui ravir sa sœur. S’ils s’imposent, pour cet acte de violence, une réparation vis-à-vis d’Abraham, ce n’est que justice. Le seul qui sorte glorifié de cette histoire, c’est Dieu qui intervient pour sauver son élu de la position fausse où il s’est placé par sa faute, et qui préserve d’un crime les deux rois païens relativement innocents.

eDeutéronome 26.5.

fJosué 24.2.

gGenèse 12.10 et suivants ; 20.1 et suivants.

Dans la conduite d’Abraham vis-à-vis d’Agar, s’il y a de la dureté, en tout cas Dieu ne la ratifie pas ; car au contraire, c’est lui qui envoie son ange pour assister la malheureuse esclave et son enfant, et ouvrir à celui-ci une glorieuse carrière. « Je multiplierai tellement ta race qu’elle ne se pourra comptera. »

aGenèse 16.10.

Il est si faux de mettre sur le compte de Dieu tout ce que fait son élu, que l’écrivain sacré prononce, au moment culminant de la vie d’Abraham, cette grande parole, qui est devenue le texte de l’Evangile : « Et Abraham crut (crut à la promesse que Dieu venait de lui faire) et cela lui fut imputé à justiceb. » Si, aux yeux du Dieu de l’Ancien Testament, Abraham eût été juste, il n’eût pas été nécessaire que sa foi lui fût comptée comme justice. A bon entendeur, ce seul mot dit tout. Ce n’est pas comme juste, c’est comme croyant qu’Abraham est devenu l’élu de Dieu. Attaquez cette grande doctrine de la justification par la foi, à la bonne heure ; nous vous répondrons. Mais vous n’oubliez pas, je pense, qu’en tout cas c’est celle du Nouveau Testament comme de l’Ancien.

bGenèse 15.6.

Passons à un autre trait celui des filles de Lot. L’inceste commis par elles est-il mis en quelque manière par le récit sacré sous le divin patronage ? Pardonnez cette question, Messieurs ; je suis obligé de prendre la cause comme elle est présentée. Mais Dieu, dont on veut faire, à cette occasion, le patron de l’inceste, vient de détruire Sodome et Gomorrhe et deux autres villes encore, pourquoi ? A cause de leurs impudicités et le récit du forfait des deux jeunes filles, qui suit immédiatement, n’a pas d’autre but que de faire voir jusqu’à quel point, le venin de l’impureté avait infecté même cette branche de la famille patriarcale qui avait eu l’imprudence d’aller s’établir dans de telles villes. J’ai dit : n’a pas d’autre but ; je me trompe : les Moabites et les Hammonites, les deux peuples issus de cette union monstrueuse, étaient à la fois les plus proches voisins et, après les Edomites, les plus proches parents des Israélites. Or ils étaient plongés à la fois dans l’idolâtrie la plus sanglante et dans des impuretés dignes de celles de Sodome et de Gomorrhe. Quel moyen plus efficace d’inspirer aux Israélites l’effroi de se mêler avec de tels voisins, que de leur dire l’acte odieux auquel ces peuples devaient leur origine, et qui semblait avoir empreint sa flétrissure sur la race entière ? Aussi le récit se termine-t-il par ces mots : « Et l’aînée enfanta un fils et l’appela Moab ; c’est, le père des enfants de Moab, qui durent jusqu’à ce jour. Et la plus jeune aussi enfanta un fils et l’appela Ben-Hammi ; c’est le père des enfants de Hammon, qui durent jusqu’à ce jourc. » Ce récit, je vous prie, respire-t-il la sympathie pour l’inceste ?

cGenèse 17.37-38.

Nous arrivons à Jacob. Quel Dieu, que le Dieu de Jacob ! Jacob trompe indignement son vieux père aveugle ; et il est béni ; Dieu se montre à lui en songe au haut de l’échelled ! Jacob trompe son beau-père Laban ; et il s’enrichit ; il s’en retourne chez lui comblé de biens. Rachel, sa femme, vole son père et le trompe par une ruse honteuse ; tout n’en va que mieux pour elle ; elle rentre triomphante en Canaan.

d – Non pas le soir du même jour, comme on l’a prétendu ; le récit suppose un intervalle considérable entre les deux faits, ne fût-ce qu’à cause de la distance considérable entre Beerséba et Béthel.

Oui ; mais il est dans cette même histoire des côtés que l’on oublie de nous montrer. Jacob trompe son père de concert avec sa mère ; mais à la suite de ce criminel complot, ils sont obligés de se séparer pour ne plus jamais se revoir. Jacob doit fuir la maison paternelle. Il arrive chez son oncle ; et la première chose qui lui arrive là, c’est d’être trompé à son tour. Comment, vous le savez. Mais avez-vous jamais bien pensé à la loi de la rétribution, au terrible œil pour œil, qui se réalise dans cette histoire ? Il s’est substitué, lui, le cadet, à son aîné, au moyen d’un déguisement. Au jour de la joie de son cœur, au jour de son mariage, Laban, profitant du grand voile dont est couverte en Orient la fiancée, substitue l’aînée, que Jacob déteste, à la cadette, qu’il aime. Quelle main, Messieurs, a aiguisé ce trait ? Celle de Laban, ou celle de Dieu ? C’est ainsi que Dieu traite ses bien-aimés, et qu’il sympathise à leurs péchés.

Cette fois, la dette est suffisamment payée, pensez-vous. Vous vous trompez. Jacob, dont le nom signifie le supplanteur, retombe dans son péché naturel, la ruse. Pour se mettre à l’abri des tromperies de Laban, il le trompe à son tour. Mais voici venir le moment de rentrer dans sa patrie. Vingt années de servage, vingt années d’exil, pèsent lourdement sur son cœur. Sa mère est morte pendant son absence ; mais son vieux père vit encore. En arrivant aux frontières de Canaan, il apprend que son frère, qui a juré sa mort, vient au-devant de lui avec une troupe armée. Quelle angoisse ! Il est à sa merci. Où trouver secours ? Auprès de son Dieu. C’est ici que Dieu l’attendait. Vous connaissez le récit de cette lutte nocturne et mystérieuse ! Je n’en entreprends pas l’explication ; j’en recueille le sens. Seul dans la, nuit, le patriarche prie, lutte, demande grâce, assistance. Il trouve Dieu inflexible. Il apprend que péché oublié n’est pas péché pardonné. Et ce n’est qu’au matin que, par un dernier et suprême acte de foi, il obtient enfin le pardon de Dieu et l’assurance de son secours. Et comment Dieu le bénit-il en ce moment solennel ? « Tu ne t’appelleras plus Jacob, supplanteur, mais Israël, vainqueur de Dieu » ; c’est-à-dire : Tu renonceras à tes vieilles ruses ; et tu vaincras désormais par la sainte et franche guerre de la prière et de la confiance en ton Dieu ! Et comprenez-vous pourquoi cette histoire est racontée en détail au peuple juif ? La nature rusée de Jacob ne lui est-elle pas innée ? Ne doit-il pas la déposer aussi pour revêtir le caractère d’Israël ? Voilà comment le Dieu de l’Ancien Testament sympathise à la ruse !

Cette fois, c’est fini, et bien, fini, pensez-vous. Avez-vous oublié Joseph, et cette robe de Joseph teinte du sang d’un chevreau, ce vêtement au moyen duquel il est de nouveau trompé, et cette fois par ses propres enfants, comme lui, fils, a jadis trompé son père par un faux vêtement ? Il a brisé le cœur de son père. L’expiation n’est complète que quand son cœur de père a aussi été brisé ! Ah ! n’êtes-vous pas tentés, Messieurs, de trouver que le Dieu de Jacob est plutôt trop que pas assez sévère ?

Quant à Rachel, ces idoles de son père, qu’elle a emportées par un vol et conservées par une ruse, elle doit les enterrer peu après sous un chêne près de Sicheme. Voilà, sauf le remords, tout ce, qui lui reste de son vol.

eGenèse 35.2-4.

Un grand écrivain moderne, qui n’est suspect ni de piétisme, ni d’obscurantisme, ni de cléricalisme, Gœthe, a écrit à l’occasion des patriarches quelques pages remarquables dont le temps ne me permet de vous citer que les paroles suivantes :

« Pour la première fois apparaît en Jacob dans cette noble famille un membre qui ne craint pas d’obtenir par la finesse et la ruse des avantages que la nature et les circonstances lui refusent. On a déjà souvent remarqué et dit que les saintes Ecritures ne nous proposent nullement les patriarches et les autres hommes favorisés de Dieu comme des modèles de vertu. Ce sont aussi des hommes de caractères très divers, sujets à maintes infirmités et à maints défauts. Mais, ajoute ce prince des littérateurs modernes, une qualité fondamentale ne doit pas manquer à ces hommes selon le cœur de Dieu : c’est la foi inébranlable que Dieu prend particulièrement soin d’eux et des leursf. »

fAus meinem Leben, première partie (Werke, édition 1828-33, tome XXIV), page 218.

Cette foi inébranlable au Dieu fidèle et miséricordieux, voilà le sceau dont Jacob est marqué aussi bien qu’Abraham. Vous pouvez comprendre maintenant pourquoi Dieu l’a choisi, malgré toutes ses fautes. Il y avait là, sous les scories, le noble métal dont Dieu a besoin, ce sens spirituel qu’on appelle la foi, ce sens qui manquait au profane Esaü.

Il semble que ces paroles de Gœthe soient faites pour enlever aussi le scandale que l’on puise dans l’histoire de Rahab. Cette Cananéenne d’une conduite douteuse, qui trahit sa patrie, en sauvant par un mensonge les espions israélites, est épargnée par Dieu lors de la ruine de Jéricho. Bien plus, dit-on, elle vient prendre place dans la ligne des ancêtres de Jésus-Christ, en société de l’impure Tamar et de la coupable Bathsébah !

Messieurs, nous venons de voir, dans l’exemple de Jacob, comment Dieu paie ses dettes à ses enfants. Mais il paie aussi ses dettes d’une autre manière. Rabab a sauvé la vie à deux des enfants de son peuple, réfugiés chez elle. La laissera-t-il donc périr dans la destruction des Cananéens qui s’approche ? Non. Vie pour vie ! N’est-ce pas très digne de Dieu ? Ne serait-il pas indigne de lui de rester débiteur d’une Rahab ? Le Nouveau Testament ne nous enseigne-t-il pas aussi que celui qui aura donné un verre d’eau froide, au nom du Seigneur ne perdra pas sa récompense ? Mais l’impureté et la trahison glorifiées en Rahab ! Oui, Messieurs ; mais n’est-ce pas là le prélude de l’histoire du brigand converti, qui ne sait dire que : « Souviens-toi de moi, » mais qui sait le dire ! du péager repentant, qui ne sait dire que : « O Dieu, aie pitié de moi, » mais qui sait le dire ! Rahab, tremblante à l’ouie des plaies dont Dieu vient de frapper l’Egypte et de la destruction de Pharaon dans la mer Rouge, comprend que l’heure de son peuple a sonné. Elle reconnaît qu’elle a mérité d’être enveloppée dans sa ruine, comme elle a participé à ses péchés, mais elle fait appel à la clémence du Dieu d’Israëlg. Et Dieu repousserait cet appel adressé à sa miséricorde ! Non ; voilà la foi dont parle Gœthe, et qui fait du pécheur un objet de pardon et de bénédiction. Elle suffit, parce qu’un tel mouvement d’âme décide de la vie entière, et devient le principe d’une existence toute nouvelle. Que diraient les adversaires de la Bible, dont la littérature n’est que la variation de : la réhabilitation de la prostituée, si la Bible avait parlé autrement ? Ils ne manqueraient pas d’accuser sa dureté comme ils dénaturent maintenant sa miséricorde.

gJosué 2.9-13.

Mais encore, Rahab, Tamar, Bathsébah, figuraient dans la généalogie du Messie ! C’est le Nouveau Testament qui fait ressortir ce trait, Messieurs, ce n’est pas l’Ancien ; je pourrais donc ici m’en taire. Mais non ! Il y eut un jour, dans la vie du Seigneur, où des hommes s’écrièrent, comme avec un saint dégoût : « Il mangé avec les péagers et les gens de mauvaise vieh ! » Savez-vous qui étaient ceux qui parlaient de la sorte ? Les pharisiens, qui nettoyaient le dehors, tout en oubliant le dedans. Ils ne pouvaient pas plus supporter la grâce magnifique que l’austère sainteté de Dieu. Et nous, ne serions-nous pas plus avancés qu’eux ? Nous scandaliserions-nous de l’abaissement profond de la personne du Sauveur ? S’il a consenti à naître d’une famille parmi les ancêtres de laquelle avaient figuré de très grands pécheurs, c’est qu’il est venu sauver un monde non de justes, mais de pécheurs.

hLuc 15.1-2.

Je viens de dire : l’austère sainteté de Dieu. C’est par elle, et par elle seule, que s’explique le nouveau fait, qui doit nous occuper : la destruction des Cananéens, et cela de la main des Israélites et par l’ordre de Dieu même.

« Là où est le corps mort, c’est Jésus, qui le dit, là les aigles s’assembleronti. » Quand une société est pourrie jusqu’en ses racines, le jugement de Dieu tombe sur elle. Car Dieu ne supporte l’existence du mal qu’en vue du relèvement. Quand tout espoir est perdu, il frappe. « Pourquoi cet arbre occuperait-il la terre inutilementj ? » Telle était la situation des peuplades cananéennes. Dieu leur avait donné un premier avertissement dans le châtiment épouvantable de Sodome et de Gomorrhe. Après cela, Dieu patiente. Car il est plein d’équité même envers les plus grands pécheurs. « Ta postérité, dit-il expressément à Abraham, ira habiter comme étrangère dans un autre pays ; mais en la quatrième génération ils reviendront ici. Car (pesez cette expression) l’iniquité des Amorrhéens n’est pas encore parvenue à son comblek. » Dieu mesurait donc la crue des eaux, si j’ose ainsi dire. Il est tellement équitable qu’il ne voulait pas, d’après le récit, livrer cette terre de Canaan à son peuple avant que les anciens habitants du pays se fussent rendus absolument indignes de l’occuper c’est pourquoi il envoie la famille d’Abraham en Egypte, comme dans un lieu d’attente. Mais pendant ce temps, les Cananéens, au lieu de s’améliorer, s’enfoncent de plus en plus dans leurs vices. Le mal devient incurable. Alors Dieu laisse tomber le glaive, suspendu depuis longtemps sur leur tête. Et cette race, tellement corrompue qu’elle ne pouvait plus désormais produire autre chose que le mal, est retranchée comme celle du déluge. Voulez-vous entendre de la bouche du juge la sentence avec ses considérants. ? La voici : « C’est par toutes ces choses, dit Dieu à Israël (ceci suit une énumération de crimes abominables), c’est par toutes ces choses que se sont souillées les nations que je vais chasser de devant vous ; et je vais punir leurs iniquités ; et la terre vomira ses habitantsl. » Dieu prête à la terre elle-même le dégoût qu’il éprouve pour sa population corrompue, sans retour.

iLuc 17.37.

jLuc 13.7.

kGenèse 15.13-16.

lLévitique 18.24-25.

Mais pourquoi user contre eux du bras des Israélites ? N’était-ce pas exercer son peuple à la cruauté ? Dieu eût pu, il est vrai, en finir avec ces peuples par un autre moyen, par un déluge, par une pluie de feu. Mais vous rappelez-vous le sacrifice israélite tel que je vous le décrivais tout à l’heure : comment l’Israélite, après avoir confessé son péché sur la tête de la victime, l’immolait de sa propre main ? Dieu eût pu la faire égorger par la main d’un autre, du prêtre par exemple. Mais quelle réaction plus puissante ce sang ne devait-il pas produire sur la conscience du coupable, quand c’était lui-même qui le versait ! Tel était le sens de l’exécution du châtiment des Cananéens par la main d’Israël lui-même. Il ne lui restait qu’à se dire : Ce que je leur fais, me sera fait à moi-même, si je tombe dans les mêmes péchés. « Ne vous souillez point des mêmes souillures qu’eux, leur avait dit Dieu, de peur que la terre ne vous vomisse, si vous la souillez, comme elle a vomi ses habitants, qui étaient avant vous. Je suis l’Eternelm ! » Combien cet avertissement devenait plus saisissant pour eux, par le fait qu’ils avaient été les instruments d’un jugement semblable à celui dont ils étaient eux-mêmes menacés ! Chaque coup qu’ils portaient aux Cananéens, dans une telle guerre, ne renfermait-il pas leur propre sentence de mort, s’ils venaient jamais à s’assimiler moralement à ces peuples ? Et cette guerre, ne devenait-elle pas par là pour Israël un acte souverainement tragique, et même, dans le vrai sens du mot, une guerre sainte ?

mLévitique 18.24-30

Disons un mot de quelques faits particuliers :

La prière de Moïse sur la montagne pendant qu’Israël combat dans la plaine, victorieux quand ses bras s’élèvent, vaincu quand ils s’abaissent : qu’y a-t-il là de ridicule ? (Le mot de gymnastique a, je crois, été employé.) Jusqu’au moment où le Fils de Dieu priant sur la terre a élevé ses mains vers le ciel, aucun spectacle a-t-il enseigné au monde plus efficacement la puissance de la prière, que ces bras de Moïse, signes de victoire quand ils s’élèvent, de défaite dès qu’ils s’abaissent ? Chacun ne comprend-il pas que Dieu a voulu présenter en ce moment à son peuple encore enfant un ineffaçable symbole de l’une des plus importantes vérités religieuses ? On veut de l’enseignement élémentaire : en voilà !

Samson : Samson, béni et fort quand il a sa chevelure, privé de bénédiction et de force quand il la perd, béni de nouveau, (rebéni, comme on a dit, si je ne me trompe) quand les cheveux lui repoussent ! Mais relisez le récit : vous verrez qu’il y a ici tout autre chose qu’une chevelure. Il y a la fidélité à un vœu. Samson avait été consacré à Dieu par le vœu du naziréatn. Rompre ce vœu, c’était briser le lien au moyen duquel une force surnaturelle lui était communiquée. Rentrer dans les conditions de son vœu, c’était renouer ce lien. Il est évident que toute cette histoire appartient également au système éducatif dont Dieu était obligé de se servir dans ces temps grossiers. De même que l’histoire de Moïse priant devait montrer comme à l’œil que l’homme, dans la lutte contre le mal, ne peut vaincre que par la prière, de même celle de Samson, qui en est le pendant, devait montrer d’une manière palpable que la force divine n’est accordée qu’à la fidélité, et qu’elle se retire du cœur infidèle. La mort tragique de Samson a mis la sceau à cet enseignement. Chez les peuples simples, comme chez les enfants, les vérités n’entrent que par les yeux. C’est par des faits patents, et non par un enseignement abstrait, que Dieu a fait grandir son peuple enfant, jusqu’au moment où les prophètes ont pu lui parler un autre langage.

nJuges 13.5 « Le rasoir ne passera point sur sa tête, parce que l’enfant sera nazaréen de Dieu dès le sein de sa mère. »

A la même époque, dans le temps des Juges, une femme, Jaël, tue froidement Sisera, qui s’est réfugié chez elle, et elle est louée pour cet acte inhumain. « Bénie soit Jaël par-dessus toutes les femmes, » s’écrie la victorieuse Déborao. Mais Sisera était le chef de l’armée ennemie ; il avait, pendant vingt ans, opprimé Israël et mis le pays à feu et à sangp. Jaël, juive d’origine (son nom paraît signifier en hébreu chamois), était mariée à un nomade d’origine païenne ; et l’on ne peut s’étonner de trouver chez une pareille femme un patriotisme entaché d’un fanatisme cruel, surtout en considérant la grossièreté de ces temps. Quant à la parole de Débora, cette libératrice d’Israël, cette Jeanne d’Arc de l’ancienne alliance, il faut se rappeler d’abord que si elle exalte Jaël, c’est pour humilier les hommes en Israël ; car ils s’étaient d’abord montrés lâches, tellement que Débora avait dû dire à Barak, leur chef : « Tu n’auras point d’honneur dans cette entreprise ; et l’Eternel livrera Sisera entre les mains d’une femmeq ! » C’est l’accomplissement de cette prophétie par la main de Jaël qu’elle célèbre dans son chant de triomphe. Et une telle parole, dans la bouche d’une Débora, offre précisément à l’instituteur chrétien l’occasion d’expliquer à l’enfant combien le patriotisme humain, même au service de la foi, diffère encore du patriotisme complètement renouvelé par les douces influences de l’Evangile, et tel que nous le voyons apparaître en Jésus-Christ pleurant sur Jérusalem prête à le crucifier, en saint Paul, souhaitant d’être anathème, si par là il pouvait sauver ses compatriotes qui le persécutent en tous lieux. A chaque temps sa mesure. La sève exquise qui en octobre produit un fruit plein de douceur, au mois de juillet n’a pas encore dépouillé toute son âpreté naturelle.

oJuges 5.24.

pJuges 4.3.

qJuges 4.9.

David ! Salomon ! Autres sujets de scandale. Ils pèchent, il est vrai, l’un et l’autre, et de la manière la plus grave. Mais avez-vous oublié ce mot terrible, que le prophète Nathan adresse de la part de Dieu à David coupable : « Tu es cet homme-là ! » mot qui ne signifie rien moins, dans ce moment-là, que : Tu es un homme mortr ! Oubliez-vous que cette sentence, n’est retirée que quand David s’écrie du plus profond de son âme : « J’ai péché ! » et ne l’est que pour être commuée en une sentence de mort sur l’enfant, fruit de l’adultère ? Oubliez-vous ce mot de Nathan : « Parce que tu as méprisé la parole de l’Eternel en faisant ce qui lui déplaît, que tu as enlevé la femme d’Urie, et que tu l’as fait mourir par l’épée des enfants de Hammon, l’épée ne sortira pas de ta maisons. » Seriez-vous seul à n’avoir pas lu ce Psaume 51, dans lequel David a fait solennellement pénitence devant tout son peuple et poussé sur sa faute un cri de douleur, qui retentit encore à travers les siècles ? Ah ! la sainteté de Dieu, bien loin de se voiler, elle éclate radieuse dans cette affaire, tellement que David lui-même lui rend humblement hommage, en disant, au moment où elle le frappe le plus rigoureusement : « De sorte que tu seras reconnu juste dans tes paroles (c’est-à-dire : dans tous les reproches que tu m’adresses) et trouvé pur quand tu me jugerast. »

r2 Samuel 12.7 ; comparez avec le verset 5.

s2 Samuel 12.9-10.

tPsaumes 51.4.

Quant aux cruautés reprochées à David, elles sont d’abord fort diminuées par l’interprétation la plus probable du texte. Mais laissons-les subsister telles quelles. Sont-elles approuvées de, Dieu ? Ecoutez ces paroles de David à son fils Salomon : « Mon fils, j’avais eu le dessein de bâtir une maison à l’honneur de l’Eternel mon Dieu. Mais la parole de l’Eternel m’a été adressée, et il m’a dit : Tu as répandu beaucoup de sang, et tu as fait de, grandes guerres ; tu ne bâtiras pas de maison à mon honneur, car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant moi. Voici, un fils naîtra de toi ; ce sera un homme de paix ; c’est lui qui bâtira une maison à mon honneuru. » Dieu refuse donc pour lui bâtir son temple les services du plus grand des héros de son peuple, parce qu’il a fait trop de guerres, versé trop de sang ! Et ce Dieu de l’Ancien Testament doit être un Dieu de sang, un Dieu de massacres, dont il faut cacher avec soin la face horrible aux regards de nos enfants ! Messieurs, pourriez-vous nous expliquer avec quels yeux on a lu l’Ancien Testament ? N’est-ce pas dans ce livre aussi que nous lisons ces paroles que ce Dieu met dans la bouche de ses deux prophètes Michée et Esaïe : « Les épées seront changées en hoyaux et les lances en serpes. Une nation ne tirera plus le glaive contre l’autre ; et l’on ne s’exercera plus à faire la guerrev. »

u1 Chroniques 22.7-10.

vÉsaïe 2.4 ; Michée 4.3.

Au temps de David périt Huza frappé de mort pour avoir voulu retenir l’arche de l’alliance prête à tomber, quand on la transportait à Jérusalemw ; Quel Dieu, que celui qui punit de la sorte ! Dieu avait défendu sous peine de mort que d’autres que les sacrificateurs touchassent l’arche de l’alliance, symbole de son trône céleste. Dans cette alliance toute éducative, les ordonnances rituelles devaient avoir la même valeur que les commandements moraux. Tout Israël avait assisté à l’acte d’Huza, et devait apprendre en cette occasion solennelle, par un exemple ineffaçable, que Dieu n’est pas une idée, que ses menaces ne sont pas de vains mots, que son Arche est autre chose qu’une caisse ordinaire, et que si quelqu’un la touche, fût-ce même à bonne intention, il en sort une force qui le renverse.

w2 Samuel 6.

A ce trait nous en rattacherons un autre de nature analogue. Le prophète Elisée, devenu l’objet des railleries d’une troupe d’enfants dans le royaume des dix tribus, leur dénonce la malédiction de Dieu ; et des ours, sortant de la forêt, en font périr quarante-deuxx. C’est à Béthel, siège principal de l’idolâtrie dans le royaume des dix tribus, que ce fait se passe. La moquerie de ces enfants contre le prophète de l’Eternel était donc une moquerie contre l’Eternel lui-même. Ils poussent même le sarcasme jusqu’au blasphème. Car en criant à Elizée : « Monte, chauve ! Monte, chauve ! » ils persiflent l’ascension d’Elie qui venait d’avoir lieu au dire d’Elizée et invitent, le serviteur à suivre au ciel son maître, s’il le peut ! Le châtiment immédiat de tels enfants servait à faire pressentir à tout le peuple de la Samarie, la ruine totale à laquelle allait le conduire dans peu son impiété.

x2 Rois 2.23-24.

Salomon ! Jeune encore, il avait reçu de Dieu le don de la sagesse, qu’il avait demandé afin de pouvoir juger Israël. Est-ce une raison pour mettre sur le compte de, Dieu sa vie entière, son luxe, ses débordements, son idolâtrie même peut-êtrey ? N’est-il pas dit expressément : « L’Eternel fut indigné contre Salomonz ? » Et les faits confirment cette déclaration : Dieu lui annonce par un prophète que parce qu’il a agi de la sorte, « son royaume sera déchiré entre les mains de son fils, » menace qui s’accomplit par le schisme des dix tribus, par lequel fut brisée désormais la puissance israélite. Aussi, tandis que David est fréquemment nommé par les prophètes, le nom de Salomon, comme un nom souillé, ne passe pas une fois sur leurs lèvres. Voilà des signes assez éclatants de la réprobation divine sur ce règne aussi brillant à l’extérieur que désastreux moralement parlant.

y – Après avoir rapporté quelques détails sur le harem du sage Salomon, l’orateur auquel nous répondons a demandé à ses auditeurs : « Et qu’eût-il fait, s’il n’eût pas été sage ? » C’est à des traits de ce genre que s’applique le mot de persiflage par lequel nous avons caractérisé sa manière de traiter l’Ancien Testament.

z1 Rois 11.9.

Messieurs, on se lasse de réfuter des accusations qui, si elles ne sont pas dues à la mauvaise foi, le sont en tout cas à une inconcevable légèreté. Il semble vraiment qu’on ait feuilleté les pages du volume sacré, et que partout où l’on a trouvé une phrase, un mot, qui peut faire scandale, on s’en soit emparé, sans regarder ni à ce qui précède, ni à ce qui suit, en spéculant sur l’ignorance de ceux à qui l’on s’adresse. Assez de cette pénible revue, que j’ai peut-être trop prolongée. Terminons par quelques remarques générales.

Oui, la notion de Dieu que nous donne l’Ancien Testament est pure, noble, sublime. Ce Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, notre Seigneur Jésus-Christ l’a appelé son Dieu, et il est digne de demeurer le nôtre. Sa législation nous est apparue comme le reflet tout à la fois de sa sainteté et de sa parfaite bonté. Tout y est disposé de manière à cultiver dans ceux qui y sont soumis le sens de la droiture aussi bien que celui de l’humanité. Aussi, quelle distance entre l’état des nations païennes au temps de Jésus-Christ, et celui du peuple d’Israël ! Ne rougissons pas de reconnaître dans les hommes formés sous ce régime saintement énergique nos ancêtres spirituels. L’histoire d’Israël, enfin, est sainte, parce que si le péché de l’homme y abonde, (et comment serait-elle, un tableau vrai des faits, s’il en était autrement), le jugement du Dieu saint y surabonde. Le péché de l’homme n’y sert qu’à faire éclater à chaque fois la sainteté de Dieu. On reconnaît l’arbre à son fruit. Et le fruit de l’histoire du peuple juif, savez-vous quel il est ? Il se nomme Jésus-Christ. Je pense que, pour vos cœurs et vos consciences, cela dit tout sur la nature de l’arbre.

Jésus-Christ, Messieurs, n’accepterait point un hommage qui l’exalterait aux dépens du Dieu de l’ancienne alliance, ou qui mettrait sa parole en contradiction d’esprit et de tendance avec celle de Moïse et des prophètes, ou qui voudrait reléguer le miracle dans les temps nuageux des anciens âges, pour l’élaguer de sa vie et de son œuvre. L’Ancien, Testament converge à Jésus-Christ par toutes ses lignes : loi, prophétie, histoire. Jésus l’accomplit à tous égards. Rompre avec l’un, c’est donc, qu’on le veuille où ne le veuille pas, rompre avec l’autre. Et si l’on bannit aujourd’hui l’Ancien Testament des rayons de nos bibliothèques et des mains de nos enfants, le Nouveau ne manquera pas de le suivre, comme le second tome d’un livre suit le premier.

Et pour être remplacé par quoi ? Nos littérateurs modernes sont-ils bien propres à nous servir à l’avenir de psautier et de prophètes ? Ils ne disent peut-être pas les choses aussi crûment que la Bible ; non. Mais voici ce qu’ils font. Ils chatouillent habilement l’imagination par des tableaux à demi voilés, qui inspirent le goût des voluptés criminelles. Et savez-vous quelle société ils travaillent à former ? Une société qui, comme on l’a dit, « n’a plus de chaste que les oreilles. » Sans doute, la main de la Bible est rude ; elle déchire les voiles ; elle appelle les choses par leur nom. C’est dégoûtant, dit-on. Il est vrai, et c’est pour cela que la Bible dégoûte du mal.

Aussi comparez les populations armées de la Bible avec celles qui en sont privées. Voyez l’Angleterre, voyez l’Amérique. La sainteté de Dieu a fait son apparition dans la conscience de ces peuples. La Bible y est dans toutes les mains. Le regard pur, franc, énergique de la jeune fille elle-même, suffirait pour attester que, si elle connaît le mal, cette connaissance n’a laissé en elle aucune trace de sympathie : elle a appris à le connaître saintement ; la Bible fait cela.

Permettez-moi de vous rappeler encore une parole de l’homme que j’ai cité tout à l’heure, le plus grand écrivain de l’Allemagne moderne. Voici comment Gœthe s’exprime sur la Bible :

« C’est à sa valeur intrinsèque que la Bible doit la grande vénération qui lui est vouée par tant de peuples et de générations. Elle n’est pas seulement un livre populaire, elle est le livre des peuples…

« Plus les siècles progresseront dans la culture, plus aussi la Bible pourra être employée comme le fondement et comme instrument de l’éducation, j’entends de l’éducation par laquelle on forme non des pédantsa, mais des hommes vraiment sages. »

a – … Erziehung, freilich nicht von naseweisen, sondern von wahrhaft weisen Menschen. » Il est impossible de rendre exactement en français le mot naseweis et le jeu de mots qu’il forme avec weise qui suit. Toute réflexion faite nous traduirons : « pleins non de suffisance, mais de vraie sagesse. » Nous déclarons ici de la manière la plus formelle qu’il ne nous est pas venu à l’idée d’appliquer ce terme à l’homme auquel nous répondions. Comme Gœthe lui-même, nous l’avons rapporté aux jeunes générations à former, à l’éducation desquelles se rapportait aussi la conférence de M. le professeur Buisson. Nous ne sommes pas responsables de l’application qu’a pu faire le public d’une citation si évidemment motivée par notre sujet.

« Prenez la Bible livre après livre, et vous trouverez que ce Livre des livres nous a été donné afin que par le contact avec lui, comme avec un monde nouveau, nous puissions nous éprouver…, nous éclairer et nous développerb. »

b – Nous avons cité d’après Sudhoff : In der Stille, deuxième partie pages 69 et 72. Les deux passages complets se trouvent Geschichte der Farbenlehre, première partie (Werke, tome III, pages 81-83, et Noten zum westostlichen Divan (Werke, tome VI), page 9.

Messieurs, qu’aurait dit Gœthe de la réforme urgente réclamée dans notre enseignement primaire ? Et quand M. Buisson trouve qu’en lisant la Bible on se prend à regretter son Plutarque, nous opposons encore à cette expérience celle de Gœthe. « Quand, dit-il, en se reportant au temps de sa jeunesse, mon imagination, toujours active, m’emportait tantôt ici, tantôt là, et que tout ce mélange d’histoire et de fable, de mythologie et de religion, menaçait de me troubler l’esprit, je m’enfuyais volontiers dans ces contrées de l’Orient ; je me plongeais dans les premiers livres de Moïse, et je me trouvais là, au milieu de ces tribus nomades, à la fois dans la plus grande des solitudes et dans la plus grande des sociétésc. »

cAus meinem Leben, première partie, page 221.

Voilà le jugement d’un des hommes les plus éminents des temps modernes, d’un homme qu’aucune sympathie religieuse particulière ne conduisait à la Bible. Cette appréciation était chez lui le résultat de sa conscience morale, de son goût littéraire et de son bon sens.

Voltaire, Messieurs, en jugeait autrement. Il a épuisé contre la Parole de Dieu tout le carquois de ses sarcasmes ; il a échoué. En relevant ses flèches tombées à terre, et en les décochant de nouveau, réussira-t-on mieux ?

Je ne le crains pas. Ni vous non plus, j’espère. Que seulement la sainteté de la Bible passe dans notre cœur et dans notre vie ! Qu’à ce but élevé tendent et l’éducation de notre jeunesse et l’effort sérieux des hommes faits sur eux-mêmes !

Ainsi nos progrès futurs seront assurés, et notre prospérité nationale restera solidement fondée. Dieu le fasse !

Notes et additions

§  Dans la scène où Dieu apparaît à son serviteur Moïse (Exode 33.12 à 34.8), le texte est là pour faire comprendre au plus ignorant des Israélites que la face de Dieu représente son essence, sa sainteté dont nul pécheur ne peut supporter la vue, (« Tu ne pourras voir ma face, car nul homme ne peut me voir et vivre, »), tandis que le voile de sa grâce qui flotte sur ses pas, est pour l’homme le spectacle le plus rassurant, « L’Eternel passant devant lui criait : Le Dieu fort, pitoyable, miséricordieux, tardif à la colère, abondant en gratuité ! »

Voici comment M. Athanase Coquerel père s’exprime sur ce passage : « Dans ces mots, vous voyez réunies et la juste condamnation de toute curiosité téméraire, et la belle image d’une lumière si éclatante qu’elle tuerait quiconque essaierait de la soutenir, et la profonde idée que nul ne peut entièrement connaître et comprendre l’Être des êtres… Et le lendemain sur le Sinaï, la scène magnifique eut lieu ; selon sa promesse, le Seigneur apparut et se manifesta à Moïse, autant qu’un mortel peut supporter sa présence, autant qu’un mortel peut comprendre son infinité ; et lorsque la gloire divine eut passé devant lui, lorsque le nuage s’entrouvrit, Moïse eut la liberté de jeter un regard sur cette splendeur qui fuyait au loin dans l’espace… Un seul regard, mais c’était assez ! » Sermons, 3e recueil, 1856, pages 14-15. Voilà comment juge de cette scène un homme qui n’est pas suspect d’étroite orthodoxie.

§  M. Athanase Coquerel dit : « L’Eternel se repentit de ce mal, vive et simple expression qui rapproche de nous la bonté de Dieu, la met pour ainsi dire à notre portée et nous familiarise avec elle ; expression sublime, si l’on ne voit là que l’antique poésie de la religion et qui perd toute sa force et sa beauté, dès que l’ignorance ou le fanatisme la prend à la lettre. » Sermons, 3e recueil, pages 387-388.

§  M. Buisson dit de la loi mosaïque : Il n’y a pas un des grands principes proclamés par la révolution dont on ne trouve le contrepied dans la constitution hébraïque. Nous reconnaissons qu’il y a une différence essentielle entre le point de vue de l’Ancien Testament et celui que notre société moderne doit à l’Evangile. Tandis que Jésus a dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, » et a ainsi tracé d’une main ferme la ligne de démarcation entre les deux domaines civil et religieux, ces deux sphères de la vie humaine n’en sont qu’une dans l’Ancien Testament. Le roi, c’est Dieu. Le code, c’est la loi divine. Et l’enfant entre aussi nécessairement dans la communauté religieuse par la circoncision que dans la société civile par sa naissance. Cet état de choses appartenait non seulement au système éducatif dont Dieu devait se servir dans cet état préparatoire, mais encore à la constitution générale du monde ancien. Il n’existait pas un peuple qui n’eût son Dieu national et dont la constitution religieuse ne fût confondue avec sa constitution civile. Et Israël ne pouvait exister comme peuple une seule année, au milieu de tous les autres peuples constitués de la sorte, sans partager cette condition. Or, il devait exister comme peuple, et comme peuple monothéiste, en face de tous les autres peuples idolâtres. Et cette constitution à la fois civile et religieuse qui s’imposait à tous les individus, était le seul moyen de créer un tel peuple et de donner ainsi une base solide à l’œuvre de Dieu sur la terre, Tout ce que Dieu pouvait faire alors, c’était de préparer la transformation future en rappelant que lui, le Dieu d’Israël, il était en même temps l’Eternel, le Dieu absolu, universel, par conséquent le Dieu des nations. « Moi, l’Eternel (l’Être des êtres), c’est moi qui suis ton Dieu. » Par cette notion était préparée l’émancipation de l’idée de Dieu de la forme nationale sous laquelle elle apparaissait momentanément. Et c’est la tâche de l’instituteur de faire observer à l’enfant le progrès qui a marqué à cet égard l’œuvre divine. Il est une foule de détails, dans la vie israélite et dans nos Ecritures elles-mêmes, qui s’expliquent par cette différence fondamentale entre les temps de l’Ancien Testament et ceux du Nouveau. Ainsi, les Psaumes de vengeance, comme on les appelle, qui seraient inconciliables avec la notion de la charité telle que l’inculque le Nouveau Testament, et même, comme nous l’avons vu, l’Ancien, si les ennemis d’Israël, qui sont maudits de la sorte, n’étaient envisagés en même temps comme ceux de Dieu lui-même. Quant à lui personnellement, combien de fois David n’a-t-il pas épargné Saül, son persécuteur, et de quelle longanimité n’a-t-il pas usé envers l’insolent Simhi ? Du reste, l’inviolabilité de la personne, de la famille et de la propriété, et l’égalité absolue des citoyens devant la loi, ces principes de 89 sont garantis par la loi juive avec une fermeté que l’on trouverait difficilement dans aucune législation ancienne. Il en est de même de la position de la femme au sein de la famille. Nulle part la femme n’est plus respectée qu’en Israël. Le législateur va jusqu’à la placer avant le père dans cette parole : « Que chacun révère sa mère et son père. » (Lévitique 19:3) Aussi faut-il se garder de voir, avec M. Buisson ; la moindre atteinte portée à la dignité de la mère dans la forme du commandement, Exode 20:17, où elle est placée après la maison. Dieu rappelle à chaque Israélite qu’il doit envisager la femme de son prochain comme la première et la plus sacrée de ses propriétés ; et pour cela, il la met en tête de tout ce qui lui appartient dans l’énumération de ce qui constitue sa maison. Que si l’Eglise a choisi comme texte officiel des commandements la formule de l’Exode, et non celle du Deutéronome, c’est que la première rend plus exactement la teneur authentique de la loi promulguée en Sinaï, tandis que celle du Deutéronome n’en est qu’une libre reproduction.

§  « La Bible ne contient aucune protestation explicite contre la polygamie, » dit M. Buisson. Mais dans la loi des rois (Deutéronome 17), il est dit que « le roi ne prendra pas plusieurs femmes » (verset 17), et c’est de la Genèse (chapitres 1 et 2) que Jésus tire la condamnation de cet usage admis dans tout l’Orient. « Tous les patriarches sont polygames, » dit encore M. Buisson. Mais Abraham n’a pas eu d’autre épouse, pendant la vie de Sarah, que Sarah elle-même. Le péché qu’il a commis avec Agar, et cela à l’instigation de Sarah, n’a point élevé Agar au rang d’épouse ; la suite le prouve bien ; et il n’a épousé Kétura qu’après la mort de Sarah. Isaac n’a pas eu d’autre femme que Rébecca. Joseph, Moïse, n’ont eu qu’une femme. Il ne reste, en définitive, que Jacob, pour justifier l’assertion de M. Buisson. Au lieu de dire : « Tous les patriarches sont polygames, » l’histoire dit : « Un patriarche a été polygame. » M. Buisson prétend que, d’après l’Ecriture, le crime de Salomon n’est pas d’avoir eu plusieurs femmes, mais d’avoir pris des femmes étrangères. Mais la défense du Deutéronome est là, et sa violation est flagrante chez Salomon, comme chez David. A ce premier péché s’en ajoute chez Salomon un second, que n’avait pas commis son père, celui d’épouser des femmes païennes, ce qui était aussi défendu par la loi ; et si ce péché est si spécialement relevé (1 Rois 11.1), c’est pour expliquer comment ce roi a été enfin entraîné par là à l’idolâtrie (11.4).

§  La question du surnaturel dans l’Ancien Testament se rattache à une question plus profonde : Dieu, après avoir créé, continue-t-il à agir dans l’espace et le temps comme éducateur des hommes et rédempteur de l’humanité déchue ? L’histoire du peuple juif est-elle le produit de son concours continuellement actif, l’apparition de Jésus-Christ le terme voulu dès le commencement de cette activité divine, et sa résurrection la clôture de cette œuvre rédemptrice ? Dans ce cas-là, la chaîne d’opérations miraculeuses qui traverse l’ancienne alliance est rationnelle ; le pourquoi de tous ces miracles résulte de leur but final, et leur comment réside, comme celui de la résurrection elle-même, dans l’efficacité absolue de la volonté divine. Que si l’on part, comme le fait M. Buisson, de l’opinion en vertu de laquelle Dieu, après avoir créé, renonce à toute action dans le temps et l’espace, et regarde constamment sans intervenir jamais, alors tous les miracles sont, cela va sans dire, niés d’avance. Seulement, nous ne saurions envisager cette manière de voir comme plus rationnelle que l’autre. Au contraire ; car l’acte créateur par lequel Dieu a posé le monde dans le temps et l’espace, reste ainsi un fait isolé, une exception totalement inexplicable. Il n’y a pas accord logique, ni même moral ; entre cette opération primordiale et l’abstention qui la suit. Cette exception unique, l’acte créateur, doit donc logiquement être supprimée, et il ne reste plus qu’à descendre du déisme au panthéisme, qui identifie le monde et Dieu, et qui n’est qu’un athéisme déguisé. A nos yeux donc, le Dieu vivant et tout-puissant de l’Ancien Testament est le seul qui soit en accord logique et moral avec le fait de la création, et le christianisme, avec tout le surnaturel qu’il implique, est le seul véritable théisme.

Quant à la chute, nous attendons encore qu’on nous donne de ce fait, qu’atteste irrésistiblement la puissance du mal moral, du péché, dans l’enfant et dans le monde, unie à la conscience de notre responsabilité, une explication, à la fois plus simple et plus profonde que celle qui est renfermée dans le chapitre trois de la Genèse. Nul, je le pense ne discernera jamais ce qui doit être pris à la lettre et dans un sens figuré, dans ce tableau, fait pour présenter à l’homme une idée d’une scène qui appartient à un ordre de choses tout différent de notre état présent. Le parler du serpent n’est pas seulement étonnant, parce que c’est un serpent qui parle, mais parce que c’est à Eve qu’il parle, à elle qui ne pouvait en être, à ce moment-là, qu’aux premiers bégaiements de la langue humaine ! Il est donc évident que ce parler représente une communication d’une autre nature, mais dont le contenu ne pouvait nous être exprimé qu’en mots. L’épreuve est aussi simple et enfantine que l’état des premiers hommes en ce moment-là. L’arbre de la connaissance du bien et du mal représente ou est réellement le moyen d’épreuve auquel devait se rattacher, pour l’homme, cette double connaissance à laquelle il devait arriver. Car, d’un côté, par l’obéissance, il apprenait à connaître le bien par sa propre expérience, et le mal, comme un abîme au bord duquel on a passé ; et de l’autre, s’il désobéissait, il apprenait à connaître par sa propre, expérience le mal, et le bien par contraste, comme un objet de désir et de regret. Il n’est donc pas question ici d’un moyen magique, comme le croit M. Buisson. Si Dieu chasse l’homme du paradis pour lui fermer l’accès à l’arbre de vie, ce n’est certes pas par crainte qu’il lui dérobe l’immortalité, Adam n’est-il pas son impuissante créature (Genèse 1) ? Cela signifie simplement qu’une fois pécheur, le plus grand malheur pour l’homme serait d’être immortel. L’arbre de vie représentait ou était le moyen par lequel le corps de l’homme, naturellement susceptible de dissolution, devait parvenir à un état supérieur d’incorruptibilité.

§  Dieu a certainement voulu l’exclusion d’Agar et d’Ismaël de la maison d’Abraham, parce qu’il voulait un démêlement complet entre la postérité d’Abraham en qui devaient être bénies toutes les familles de la terre (Isaac et sa race), et tous ses autres descendants. Voilà pourquoi il ordonne à Abraham d’obéir en ce point à Sarah. Mais il se réserve d’adoucir les effets de la dureté de celle-ci et de sauver, comme il le fait immédiatement, l’esclave malheureuse et son enfant.

§  Ce n’est point sur « le misérable quiproquo d’un vieillard » que repose la grâce spéciale accordée à Israël lors de la bénédiction de Jacob. Car dès avant la naissance des deux enfants, Dieu avait dit à Rébecca : « Le plus grand sera asservi au plus petit. » (Genèse 25.23.) Et Isaac le savait fort bien. Aussi, après la bénédiction donnée à Jacob, reconnut-il là, malgré l’imposture de son fils, un fait accompli, sur lequel il ne se sentit pas libre de revenir, et qui avait pris, par son accomplissement même, un caractère providentiel. Il n’y a donc pas à parler ici de talisman, de vertu fatidique, de sortilège, de formule enchantée, etc. Car tout repose sur un décret divin, qui arrive à la conscience d’Isaac au moment même où l’acte de la bénédiction est consommé. Il s’entend de soi-même que si Rébecca et Jacob fussent demeurés dans la ligne du devoir, Dieu aurait bien su sauvegarder lui-même son décret et empêcher Isaac de se laisser dominer, dans un acte aussi important pour le règne de Dieu, par le penchant sensuel auquel il obéissait dans sa préférence pour Esaü (Genèse 27.4).

En général, remarquons que Dieu, dans l’histoire sainte, voulant faire une œuvre avec le concours de l’homme, tout en laissant subsister sa personnalité et sa liberté, est obligé de patienter avec lui et de l’accepter tel qu’il se donne, tout en travaillant incessamment à compléter son éducation morale. S’il voulait rejeter l’homme chaque fois qu’il pèche, il serait obligé de recommencer à chaque fois avec un instrument nouveau, pour en agir bientôt de même avec celui-ci. Quelle histoire que celle-là, et à quoi aboutirait-elle ?

Le vœu de Jacob, que M. Buisson compare à ceux que font les peuples sauvages avec leurs fétiches, nous parait au contraire fort humble et fort touchant. Pauvre jeune homme exilé pour la première fois de la maison paternelle, il demande à Dieu d’être avec lui et de ne le laisser manquer ni de pain ni de vêtement. Et s’il daigne être pour lui, dans ce sombre avenir ouvert devant lui, le miséricordieux protecteur que sa détresse réclame, ce Dieu qui n’a été jusqu’ici, pour lui, que le Dieu de son grand-père et de son père, le Dieu d’Abraham et la frayeur d’Isaac (Genèse 31.42), deviendra son Dieu, le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. »

Nous ajouterons ici un mot relatif à Joseph. L’institution par laquelle il dépouille les Egyptiens de leurs terres pour en faire passer la propriété à Pharaon, devrait, dit-on, être énergiquement flétrie dans des écoles républicaines. Et qui pourrait empêcher un instituteur de le faire ? La conduite de Joseph n’est nulle part donnée comme infaillible. Reste à savoir si cette condamnation serait équitable. Joseph achète, pour le blé qu’il livre aux Egyptiens, la totalité des terres ; puis il les leur rend comme fiefs à la seule condition de la redevance d’un cinquième du produit. Constatons d’abord que les Egyptiens eux-mêmes n’envisagèrent point cette condition comme trop dure ; car ils rendent grâces à Joseph en lui disant : « Tu nous as sauvé la vie. » (Genèse 47.25) Mais il y a ici un fait plus considérable à relever. Si le magnifique canal sur lequel repose tout le système d’irrigation d’où dépend la fertilité de l’Egypte porte encore aujourd’hui le nom de Canal de Joseph (Hartmann, Erdbeschreibung, pages 10 à 19 et suivantes), ce fait ne renferme-t-il pas la justification de notre accusé ? Ce qu’il avait été impossible de faire tant que la propriété foncière était purement privée, et par conséquent divisée, put s’exécuter, dès le moment où le roi fut devenu le propriétaire du sol. Cet immense système de canaux qui a garanti dès lors la fertilité de l’Egypte et l’a mise pour toujours à l’abri de la famine, voilà ce qu’a rendu possible l’institution que M. Buisson voudrait voir flétrir dans toutes nos écoles républicaines ! Et remarquons que le nouvel état de choses introduit par Joseph n’était point trop pesant pour la population égyptienne ; car elle ne payait que le cinquième du revenu, ce qui est peu de chose dans un pays d’une pareille fertilité. Aujourd’hui, chaque village cultive les deux tiers de son territoire pour le pacha et doit encore une redevance sur le produit du troisième tiers. Quand un village ne peut pas payer, les villages voisins sont obligés de payer pour lui. Du reste, quand M. Buisson met l’état actuel de l’Egypte en rapport de filiation directe avec l’état de choses dû à Joseph, il oublie qu’à la souveraineté des Pharaons ont succédé la domination grecque et la domination romaine, qui appartenaient à une civilisation toute différente, et que le despotisme est rentré dans ce pays avec la puissance des Musulmans.

§  Il est faux de dire, comme le fait M. Buisson, que la loi de l’interdit ordonnât de détruire tous les êtres vivants, et de ne garder que le butin. L’exemple de Hacan (Josué 7), qui avait conservé de l’or, de l’argent et une robe, et qui périt pour avoir gardé cet interdit, prouve le contraire. Proprement, le butin des Cananéens était interdit, c’est-à-dire voué à la destruction aussi bien que les personnes, probablement à l’exception des objets en métal qui pouvaient être refondus (Josué 6.17, 19, 24). Dieu voulut constater la plénitude de son droit à cet égard, lors de la prise de la première ville, celle de Jéricho. Puis il en atténua expressément la rigueur dans la suite de la conquête (Josué 8). Nous constatons le même principe dans l’exemple de Saül et de Samuel ; car dans ce cas, l’interdit devait frapper évidemment non seulement les hommes, mais aussi les troupeaux et les richesses des Hamalécites, ce peuple qui avait été mis exactement sur la même ligne que les Cananéens ; et Saül est puni, non pour avoir été plus humain que Samuel en épargnant Agag, mais pour s’être moqué de l’ordre de Dieu, et cela afin de satisfaire sa cupidité (au moyen des bestiaux conservés), et sa vaine gloire (au moyen du roi vaincu épargné). Quant à Agag, il devait périr, en vertu de la loi du talion qui réglait tous les rapports officiels de l’ancienne alliance (1 Samuel 15.33) : « Comme ton épée a privé des femmes de leurs enfants, ainsi ta mère sera privée d’un fils. »

Mais, dit-on, les petits-enfants enveloppés dans le massacre des parents ! Ce mystère est grand, il est vrai, mais il n’appartient pas seulement à l’Ancien Testament : il se rencontre dans la vie humaine tout entière. Ne voyons-nous pas tous les jours combien la conduite des parents influe en bien ou en mal sur le sort de leurs enfants ? Contemplez ce pauvre enfant méfait, rachitique. Qui est-ce qui l’a plongé dans cet état ? Son père, débauché ou ivrogne. Contemplez cette famille plongée dans la misère et dans le vice ? Qui est, la cause de cette situation ? Une mère paresseuse ou corrompue. Assurément, si tout était fini avec cette vie, le problème serait sans solution. Mais il y a de l’avenir dans les plans de Dieu. En attendant, reconnaissons que le mystère n’est pas plus grand dans l’histoire de l’Ancien Testament que dans celle de tous les jours. La transmission de la malédiction de Cham à ses descendants repose sur la persévérance des descendants dans les dispositions des parents : « jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui me haïssent, » dit expressément le second commandement.

§  Le mot de gymnastique, à l’occasion de la prière de Moïse, ne paraît pas avoir été prononcé, d’après le texte publié par M. Buisson, mais la comparaison avec les moulins à prière des Bouddhistes ne vaut guère mieux. On ne peut méconnaître plus complètement le sens du récit biblique, qu’en confondant le Dieu vivant qui en est l’âme, avec un fétiche. Nous ne savons pas quelle valeur M. Buisson, qui rejette toute intervention de Dieu dans l’histoire du monde, attribue à la prière. Mais ce que nous savons fort bien, c’est que le premier principe de l’Ancien Testament est que Dieu regarde au cœur, et non à ce qui n’a que l’apparence (1 Samuel 16.7).

§  On voit, par les passages cités, que l’Ancien Testament est parfaitement d’accord avec le principe de M. Buisson, « qu’il est immoral de justifier la guerre et d’en excuser les monstrueuses fureurs aux yeux de nos enfants. » Nous prions une fois pour toutes, en face de tous les massacres que M. Buisson met sur le compte du Dieu de l’Ancien Testament, de se rappeler cette magnifique parole (1 Chroniques 22.8 ; 28.3) par laquelle David est exclu du privilège qu’il ambitionnait de bâtir un temple à l’Eternel parce qu’il a fait beaucoup de guerres et répandu beaucoup de sang devant l’Eternel. Dieu ne l’a point blâmé et puni dans chaque cas particulier, mais il a tout vu, et le jour vient où il manifeste sa désapprobation. Nous pouvons appliquer cette norme à tant d’autres cas, cités par M. Buisson, sur lesquels le jugement de Dieu n’est point exprimé. Le Dieu de l’Ancien Testament n’est-il pas le législateur qui a dit à Noé : « Celui qui aura répandu le sang de l’homme, par l’homme, son sang sera répandu, » et qui dans toute sa loi, comme nous l’avons prouvé, se montre l’humanité même ?

En parlant du supplice horrible infligé par David aux Hammonites, nous avons fait allusion dans le texte à l’explication adoptée par plusieurs interprètes qu’Ostervald a placée dans sa traduction en regard de l’autre, d’après laquelle les termes signifieraient simplement que David employa les Hammonites au travail des scies, etc. (1 Chroniques 20.3). Cependant, au point de vue philologique, cette explication ne se justifie pas aussi bien que l’autre, d’après laquelle il les fit périr par le moyen des scies et des herses, etc. il est possible que nous ayons ici une application rigoureuse, mais juste, du principe œil pour œil. Voir Amos 1.13 ; comparez avec verset 3.

2 Chroniques 13.7, Abija tue 500 mille hommes de l’armée ennemie que l’Eternel avait livrée entre ses mains. Est-ce à dire que l’Eternel approuve ce massacre ? Pas plus que quand il livre Israël entre les mains du roi d’Assyrie, et qu’ensuite il dit : « J’examinerai le fruit de la fierté du cœur du roi d’Assyrie » (Ésaïe 10.12), et : « Malheur à Assur, verge de ma colère ! » (10.5).

Je termine par quelques observations générales :

1) M. Buisson s’écrie : « Qui parle de vous ôter la Bible ? Il s’agit tout simplement de savoir comment il en faut user dans la première éducation. » Mais si l’Ancien Testament est réellement ce qu’il l’accuse d’être, un livre qui contient sur tous les points le contrepied des notions modernes, qui rétrécit les droits de la raison et dans lequel se trouvent des pages pleines de sang et de boue, dont le Dieu est un Dieu « qui commande le massacre et bénit les massacreurs, un Dieu qui n’est pas toujours le Dieu juste, encore bien moins le Dieu amour », nous ne voyons pas quelle édification il peut apporter aux adultes. C’est un livre désormais dépassé et qui n’est plus bon qu’à servir de document historique entre les mains des savants. La thèse de M. Buisson ôte réellement la Bible à l’Eglise ; et c’est un leurre de dire qu’il ne s’agit ici que de l’usage de ce livre dans l’éducation de l’enfance.

2) M. Buisson voudrait que nous renoncions à tourner les yeux de nos enfants vers « ce petit coin de la Syrie », où s’est passée une histoire qui en réalité ne nous intéresse pas plus que celle de tous les autres peuples de l’antiquité. Cette thèse est juste, dès que la révélation est niée ; elle tombe d’elle-même, dès que le fait de la révélation est admis. Car, dans ce cas, l’histoire d’Israël devient celle de l’humanité, et l’Ancien Testament est, comme le dit si bien Gœthe, le livre des peuples. Les premières pages de l’Ancien Testament ne sont plus, comme les appelle M. Buisson, « les premiers bégaiements de la pensée humaine » ; ce sont les premiers accents de la parole divine sur la terre, parole qui s’est développée graduellement par la bouche inspirée des prophètes, et dont le dernier mot a été la venue de Jésus-Christ et la prédication de ses apôtres. En se séparant de l’Ancien Testament, l’Eglise chrétienne renierait donc son berceau. Elle se renierait elle-même, car le Nouveau Testament est saturé de l’Ancien. Et pas plus un édifice ne peut subsister sans son fondement, pas plus l’Evangile ne saurait subsister sans sa base, dans l’histoire, la loi et la prophétie d’Israël. « Si vous croyiez à Moïse, a dit Jésus, vous croiriez aussi en moi ; car il a écrit de moi. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à ma parole ? » (Jean 5.46-47). Comme on l’a dit dans le journal la Montagne (du 19 décembre) : « La Bible forme un tout qui ne peut être divisé. Le commencement prévoit la fin, la fin est l’accomplissement du commencement. En ôter quelque chose, en admettre une partie, tandis qu’on rejette l’autre, c’est la tronquer, c’est la détruire. »

3) Le grand tort de M. Buisson, dans toute cette discussion, nous paraît avoir été d’appliquer au jugement moral de l’Ancien Testament des prémisses religieuses tout autres que celles de ce livre et dont l’application ne pouvait que fausser l’appréciation des faits étudiés. Si l’on commence par substituer au Dieu vivant, personnel, plein de la sainteté la plus active et de l’amour le plus compatissant pour ses créatures, qui est celui de l’Ancien Testament, le Dieu du déisme, « enfermé dans son ciel comme dans une prison, » selon l’expression énergique d’un instituteur de nos Montagnes, toute une portion de l’histoire de l’Ancien Testament devient incompréhensible et une autre paraît moralement injustifiable : ainsi le châtiment des Cananéens ou celui d’Huza. Mais partez de la prémisse fondamentale de l’Ancien Testament, le Dieu qui, tout en étant au-dessus du monde, pénètre le monde de son action sainte et bienfaisante et ces pierres d’achoppement disparaissent d’elles-mêmes. Nous comprenons alors que dans sa justice suprême il a le droit d’ordonner ce que l’homme n’aurait pu se permettre de faire. Derrière la question qu’a traitée M. Buisson, il y en a donc une autre préalable : celle du Dieu de la Bible ou du Dieu de M. Buisson. Il la suppose tranchée en sa faveur, et part de là pour critiquer l’Ancien Testament. Mais dès que ce point de départ est remis en question, tout chancelle ; s’il est faux, tout croule.

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