Le serpent qui se mord la queue est le symbole de l’éternité ; c’est quelquefois aussi celui de la vie humaine. Je me rappelle que, jeune collégien, me promenant sur la terrasse qui entoure notre vieille cathédrale et au pied de laquelle je demeurais, je pensais qu’il serait désirable que l’on possédât un livre dans lequel les épîtres de saint Paul seraient rangées dans leur ordre chronologique et remises chacune dans sa situation historique, comme un œuf dans son nid. J’ignorais que de tels ouvrages existassent et je ne songeais certainement pas à écrire moi-même celui dont la pensée hantait mon esprit.
Cet ouvrage rêvé, le voici, et le voici comme fruit de mon travail. Le rêve n’allait pas plus loin ; la réalité le dépassera-t-elle ? Me sera-t-il donné, après avoir publié ce premier volume, d’y en ajouter un second sur les Évangiles et les Actes et même un troisième sur les Épîtres Catholiques et l’Apocalypse ? Ce serait pour moi un bien grand surcroît de grâce et de joie. J’entreprends dès maintenant ce nouveau travail, ignorant s’il me sera donné de l’achever. Ce que je sais, c’est que la tâche est immense autant que grave.
L’ouvrage dont j’offre aujourd’hui à l’Église la première partie, est le fruit d’un enseignement de quarante années, durant lesquelles une année sur deux a toujours été consacrée à l’Introduction particulière au Nouveau Testament, l’autre à l’Introduction générale. Chaque répétition de ce cours en a été un remaniement plus ou moins complet. Mes vues sur bien des points particuliers se sont souvent modifiées ; toutefois, dans ce travail toujours renouvelé, les lignes générales n’ont fait que se creuser toujours plus profondément et acquérir d’un cours à l’autre la valeur d’une conviction plus consciente d’elle-même.
En soi je pense que l’Introduction générale devrait précéder l’Introduction spéciale. L’appréciation des témoignages patristiques relatifs à chaque livre suppose, pour être faite avec sûreté, la connaissance de la formation du Canon et celle de la place occupée dans l’Église par les auteurs auxquels sont empruntés ces témoignages. De même les questions relatives au texte de chaque livre ne peuvent être résolues que par la connaissance de l’histoire générale du texte et de ses moyens de conservation (versions, manuscrits et autres). Si j’ai dérogé à cet ordre, qui me paraît le plus normal, c’est par des raisons toutes personnelles. Pouvant à peine concevoir à mon âge l’espoir d’accomplir les deux tâches, il m’a paru que je pouvais rendre un plus grand service en traitant de l’origine des livres particuliers, qu’en discutant sur la formation du Canon et sur la conservation du texte.
Il est un sujet que j’ai développé dans cet écrit d’une manière plus détaillée qu’on ne le fait d’ordinaire dans ce genre d’ouvrages ; c’est l’exposé du contenu des épîtres. Il est résulté de ce fait que ce volume a pris une extension plus considérable que celle que j’avais compté lui donner. Je le regrette, sans pourtant le regretter. Je désirerais sans doute que ce volume eût cent pages de moins, et toutefois, si c’était à refaire, je ne pense pas que je pusse me décider à agir autrement que je ne l’ai fait. Il importe, avant de se livrer à l’étude critique d’un livre, de se remettre en contact direct avec ce livre lui-même. Une appréciation qui n’a pas lieu sous cette impression immédiate, ne saurait être complètement juste.
Mon désir a été de présenter avec une entière franchise et une parfaite fidélité les opinions diverses qui se sont produites sur l’origine des épîtres de saint Paul et de les discuter avec une loyale impartialité. Quelqu’un exigerait-il que cette impartialité fût allée de ma part jusqu’à rester complètement neutre ? On peut demander une neutralité absolue à celui qui commence l’étude d’une question, mais non à celui qui la termine. « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, » disait le psalmiste. C’est parce qu’un examen sincère m’a conduit à certains résultats, parce que ces résultats me paraissent non seulement vrais, mais utiles à l’Église, et que je désire y associer tous ceux qui peuvent exercer une action sur sa marche, professeurs ou pasteurs, étudiants ou laïques, que j’ai pris la plume.
Je la dépose en priant Dieu d’accompagner de son Esprit tout ce qui est de la vérité dans ces pages et de s’en servir pour affermir dans le cœur de mes lecteurs et pour féconder sur leurs lèvres le témoignage qu’ils sont appelés à rendre à l’Évangile de la grâce de Dieu prêché de sa part par l’apôtre Paul.
Janvier 1893.
L’Auteur.