L'apôtre commence par établir un contraste entre la charité et les diverses qualités qui de tout temps ont été tenues en plus haute estime parmi les hommes. Je n'en ferai qu'une revue fort sommaire, leur infériorité étant par trop manifeste.
Paul compare la charité à l'éloquence. Assurément, c'est un don magnifique que celui de pouvoir influencer les âmes et les volontés pour les stimuler à l'accomplissement de saintes actions et de nobles entreprises. Cependant saint Paul nous dit : « Quand même je parlerais toutes les langues des hommes et même des anges, si je n'ai point la charité, je ne suis que comme l'airain qui résonne ou comme une cymbale qui retentit. » Tous nous savons pourquoi, car tous nous avons senti le vide de paroles sans émotion, le creux, l'impuissance d'une éloquence d'où l'amour est absent.
Il compare ensuite la charité au don de prophétie, à la connaissance des mystères de la science, à la foi, à l'aumône elle-même.
Pourquoi la charité est-elle plus grande que la foi ?
Parce que la fin est plus grande que ce qui n'est qu'un moyen d'y parvenir.
Pourquoi est-elle supérieure à l'aumône ?
Parce que le tout est plus grand que la partie.
Nous venons de dire que la charité est plus grande que la foi, parce que le but à atteindre est plus grand que le chemin qui y mène. En effet, à quoi sert la foi ? Elle sert à unir l'âme à Dieu. Pourquoi devons-nous rechercher cette union ? Afin de lui devenir semblables. Or, Dieu est amour ; donc, la foi n'est que le moyen, tandis que l'amour est le but.
De même nous avons dit que l'amour est plus grand que l'aumône, puisque le tout est plus grand que la partie. L'aumône n'est qu'une face de l'amour ou, si vous voulez, de la charité, une seule manière entre mille dont l'amour se manifeste. Il se pourrait même qu'on fit beaucoup d'aumônes sans avoir une parcelle d'amour dans le cœur. C'est chose bien facile de jeter une obole à un mendiant, c'est même souvent plus facile que de ne point le faire ; or, l'amour vrai peut avoir justement pour effet de nous en empêcher. Au prix de notre argent, il nous arrive fréquemment d'acheter un soulagement au sentiment pénible que nous cause la vue de la misère, mais c'est nous procurer ce soulagement à trop bon marché, à trop bon marché pour nous et souvent trop cher pour le malheureux que nous croyons secourir. Si nous l'aimions véritablement, nous ferions pour lui ou plus ou moins.
Enfin, Paul compare l'amour avec le sacrifice de soi-même, le martyre. Il y a parmi nous de chers jeunes gens qui désirent consacrer leur vie au service du Seigneur en qualité de missionnaires. Pleins de zèle, ils ne songent qu'à se dévouer et se croient prêts à tout oser, à tout souffrir pour l'honneur de l'Évangile. À ceux-là, je dirai avec l'apôtre, et je les supplie de ne jamais l'oublier : Quand même vous donneriez vos corps pour être brûlés, si vous n'êtes animés d'un véritable amour des âmes, cela ne vous servira de rien. Rien de ce que vous pourriez apporter au monde païen ne saurait lui être vraiment profitable, à moins qu'il ne trouve en même temps, dans vos cœurs et dans votre conduite, l'image et comme le reflet de l'amour divin. C'est la langue universelle comprise de tous. Des années se passeront avant que vous puissiez parler le chinois ou les divers dialectes de l'Inde, mais dès l'heure même de votre arrivée, le langage de l'amour fera sentir son éloquence inconsciente.
C'est l'homme qui est le missionnaire, bien plus que ses paroles ; son message se trouve incarné dans sa manière d'être. Il m'est arrivé de rencontrer en Afrique, dans le pays avoisinant les grands lacs, des indigènes, hommes et femmes, qui gardaient un tel souvenir du seul homme blanc qu'ils eussent jamais vu, David Livingstone, qu'en parlant du bon docteur, quoique de longues années se fussent écoulées depuis son départ, leurs figures noires en étaient comme illuminées. Ils n'avaient pas compris son langage, mais ils avaient senti l'amour dont son cœur battait pour eux.
Prenez avec vous, dans la sphère du travail auquel vous voulez consacrer votre vie, ce simple talisman, l'amour, et, forcément, votre œuvre réussira. Vous ne pouvez y apporter rien de plus puissant ; y apporter moins serait parfaitement inutile. Sans amour, ce n'est pas la peine de rien entreprendre. Vous pouvez posséder tous les talents, être prêts à tous les sacrifices, mais quand même vous donneriez votre corps pour être brûlé, si vous n'avez pas l'amour, cela ne servira de rien ni à vous, ni à la cause de Christ.