Dans ses convictions sur la fin des temps, Jonathan Edwards est ce que nous appellerions aujourd’hui un post-millénariste ; le mot n’existait pas à son époque. Cela signifie qu’il croit que Jésus-Christ reviendra physiquement sur terre, selon sa promesse, après le Millénium, cet âge d’or annoncé en particulier par le prophète Esaïe ; l’humanité vivra alors sous la bénédiction de Dieu, loin du péché, pendant une période qui durera peut-être littéralement mille ans, très longue en tous cas. Quand débutera ce millénium ? c’est toute la question.
Edwards distingue quatre venues de Christ, deux physiques, deux spirituelles :
- La première, en chair et en os, lors de son incarnation.
- La seconde, en esprit, lorsqu’il détruit l’empire romain païen, par l’intermédiaire de Constantin.
- La troisième, en esprit de nouveau, lorsqu’il vient détruire le royaume de Satan, et inaugurer le Millénium. Cette venue est donc encore à venir (sans l’affirmer totalement Edwards pense qu’elle aura lieu vers l’an 2000).
- La quatrième enfin, Christ revient dans son corps de gloire, à la fin du Millénium, pour exercer le jugement dernier, et instaurer son règne éternel.
Edwards croit que le début du Millénium est proche de son siècle pour deux raisons :
1°) Parce qu’il trouve vraisemblable la théorie de la semaine millénaire, à savoir que l’histoire du monde devrait durer 7000 ans, pour correspondre à la semaine de sept jours de la Création : 4000 ans entre le début du monde et la première venue de Christ, 1000 ans de millénium tout à la fin (le septième millénaire), il reste par conséquent 2000 ans pour l’histoire de l’Église, entre l’ascension et le début du millénium.
2°) Parce qu’il croit que les grands réveils religieux qui surviennent à son époque, dans son pays, sont des signes précurseurs d’une prise de conscience des chrétiens de supplier dans la prière pour que Christ écrase définitivement l’Antéchrist (la papauté) et inaugure le Millénium. Traduisons un passage de ses Pensées sur le Réveil religieux actuel, en Nouvelle-Angleterre, part.2, section.2 :
« Il n’est pas improbable que cette œuvre de l’Esprit de Dieu, si extraordinaire et si merveilleuse, soit en quelque sorte l’aurore, ou peut-être le prélude du glorieux travail de Dieu, si souvent annoncé dans l’Écriture, qui au terme de son progrès renouvellera le monde. Si nous considérons quel grand laps de temps s’est écoulé depuis que cette période a été prédite, ainsi que les choses ce qui doivent la précéder, combien longue a été l’attente de l’Église, et combien d’hommes de Dieu éminents ont cru qu’elle était proche, nous ne pouvons pas raisonnablement penser autre chose sinon que le début de ce grand ouvrage de Dieu doit être imminent. »
Mieux, Edwards explique pourquoi il pense que le Millénium débutera en Amérique (dire aux États-Unis serait un anachronisme : le grand réveil a lieu une génération avant la déclaration d’indépendance ; Edwards ne la connaîtra pas, il meurt en 1758) :
« Plusieurs choses rendent probable que cette action de Dieu commencera en Amérique. Esaïe.60.9 nous apprend qu’elle sera initiée dans une partie du monde fort lointaine sans communication avec les autres parties du monde, sinon par la navigation : Car les îles s’attendront à moi, et les navires de Tarsis viendront les premiers pour ramener tes fils de loin, avec leur argent et leur or, au nom de l’Éternel, ton Dieu, et vers le Saint d’Israël, parce qu’il t’a glorifié ! Il est complètement évident que tout ce chapitre est une prophétie de la période de prospérité la plus glorieuse sur terre de l’Église, dans les derniers jours. Je ne peux pas imaginer que par les îles lointaines dont parle ce verset, il puisse être question d’un autre pays que l’Amérique. Il est vrai que dans d’autres passages prophétiques, ceux qui annoncent le temps de l’Évangile, les îles désignent souvent l’Europe. Il en est ainsi pour les prophéties qui prévoient la diffusion de l’Évangile après la résurrection de Christ, car cette partie du monde était éloignée de celle où l’Église se situait, et parce qu’on y allait par mer. Mais la prophétie d’Esaïe que j’ai citée, ne peut pas s’appliquer à la conversion de l’Europe dans les premiers siècles, il s’agit d’un temps beaucoup plus glorieux, et par conséquent une autre partie du monde doit être désignée sous les mots d’Îles de Tarsis. D’ailleurs la diffusion de l’Évangile n’a pas commencé en Europe, mais à Jérusalem, pour se poursuivre en Asie mineure, avant d’atteindre l’Europe. Il est donc question dans la prophétie d’Esaïe, non des temps primitifs, mais d’un travail de Dieu à la fin des temps, et elle désigne l’Amérique comme le lieu qui produira les prémices de cette glorieuse période. » (Ibidem)
L’eschatologie d’Edwards pourrait en un mot être qualifiée d’optimiste, par opposition à l’eschatologie pessimiste des pré-millénaristes, qui s’attendent à l’apparition soudaine d’un antéchrist personnel, puis d’une grande tribulation mondiale devant durer sept ans. De manière générale les puritains de l’époque d’Edwards assimilaient la grande Babylone et l’Antéchrist, à l’Église catholique romaine avec son système papal, dont le règne devait durer 1260 années (un temps, des temps et la moitié d’un temps). Mais comme on ne savait pas bien de quelle année il fallait dater le premier pape-antéchrist, ils n’étaient pas tous d’accord sur l’année où surviendrait la fin de ces 1260 ans, la chute du dernier pape, et le début du Millénium. Ainsi on le verra plus dans la traduction de la troisième partie de l’humble essai, Edwards s’oppose à un certain Lowman, exégète qui prétendait faire se terminer le règne de l’antéchrist vers 2010, ce qui n’arrangeait pas l’auteur pour motiver ses contemporains à s’unir dans une prière universelle visant à réclamer l’instauration imminente du royaume de Dieu.
Est-ce à dire que le post-millénarisme de Jonathan Edwards soit le même que celui dont se réclame volontiers la mouvance néo-calviniste, qui à la fin du xxe siècle aux États-unis a pris le pas sur le dispensationalisme Scofield dans la faveur pastorale ? Non, ils diffèrent grandement : le post-millénarisme actuel est en somme un a-milléranisme qui n’ose pas dire son nom. Christ reviendra après le millénium soit, mais comme on ne sait jamais si ce millénium a déjà débuté, ou quand il débutera, et qu’il ne dure d’ailleurs pas littéralement mille ans, toute spéculation sur un calendrier eschatologique est exclue. Quant à l’identité de l’antéchrist, c’est un système plutôt qu’une personne, mais l’on ne s’aventurera plus à dire qu’il s’agit de celui de Rome. Edwards, au contraire, se mouille considérablement dans son interprétation des prophéties, puisqu’il va jusqu’à proposer une époque pour le début du millénium, et même un pays pour sa première manifestation, le sien ! Quoi qu’on puisse penser des erreurs aujourd’hui manifestes de ses calculs, la motivation de son appel à la prière est sans arrière-pensée, Edwards croit sincèrement à un millénium littéral au terme duquel Christ reviendra physiquement. Tandis que l’origine du post-millénarisme néo-réformé tient surtout au désir d’éviter tout opprobre semblable à celui qui atteint les dispensationalistes pour avoir annoncé l’enlèvement de l’Église avant l’an 2000. Ne s’engageant sur rien le post-millénarisme néo-réformé rend inutile l’étude de la prophétie.
Se réclamer de Jonathan Edwards est devenu une sorte de schiboleth obligé dans l’internet évangélique, car les échos de sa réputation de génie théologique ne datent pas d’hier mais ont été abondamment répercutés après sa mort par mainte page de littérature religieuse américaine. Le lire et le comprendre est une autre affaire. Comme toujours il faut replacer l’homme dans son siècle pour pouvoir faire le tri entre ce qui, dans le nôtre, nous sépare intellectuellement de son exégèse biblique et ce qui intemporellement nous réunit dans une même foi en Christ.
Dans ce même passage des Pensées sur le Réveil où Edwards explique pourquoi il pense que le Millénium commencera en Amérique (et plus spécialement en Nouvelle Angleterre), il suggère aussi, en se basant sur le chapitre 38 d’Esaïea, que Dieu bouleversera tellement l’ordre naturel des choses en réponse aux prières de son Église, que le soleil se lèvera à l’Ouest pour aller vers l’Est, comme type de la résurrection de Jésus-Christ, qui réapparaît au lieu où il avait été couché. La science moderne a profondément transformé notre vision de l’univers physique, et aucun pasteur ne soutiendrait aujourd’hui une pareille supposition ; le fait que les bizarreries de l’exégèse d’Edwards ne soient jamais signalées par les commentateurs modernes confirme d’ailleurs que ses ouvrages ne sont quasiment plus lus, comme c’est le cas pour la quasi totalité de la littérature théologique de son époque. Abstraction faite des fossés inévitables que la marche de l’Histoire creuse entre les générations, le désir consumant de Jonathan Edwards de voir s’établir le règne de Christ sur toute la terre, sa persévérance à essayer de saisir les mystères des prophéties de l’Apocalypse, son engagement pratique pour hâter le jour de Christ, ne peuvent qu’éveiller une passion semblable dans le cœur chrétien, et lui laisser le sentiment qu’il vaut mieux se tromper comme Edwards en attendant l’époux, quitte à avancer des spéculations peu justifiées sur les circonstances de sa venue, qu’avoir raison dans l’indifférence, et dans la négligence de la lampe prophétique que l’Esprit saint a laissée à son Église.
a – Histoire du miracle du recul de l’ombre sur le cadran solaire, comme signe de la prolongation de la vie d’Ezéchias.