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1.
Sur le véritable héroïsme

Celui qui est maître de son cœur, vaut mieux que celui qui prend des villes.

Proverbes 16.32

Si nous jugeons des paroles de ce texte par la première impression qu’elles feront sur notre esprit, nous les rangerons parmi ces propositions hyperboliques dans lesquelles l’imagination de celui qui les prononce ajoute beaucoup à la vérité. Un esprit frappé de certains objets en outre l’idée. Plus les peuples ont été susceptibles de vives impressions, plus ils ont été sujets aux déclamations et aux hyperboles. Nous avons quelquefois besoin de cette maxime pour l’explication des auteurs sacrés. Si vous vous tenez scrupuleusement à leurs termes, vous porterez souvent leur pensée au-delà de ses justes bornes. Les Orientaux s’expriment rarement avec précision. Un nuage qui intercepte quelques rayons de lumière, c’est le soleil obscurci Matthieu 24.29 : un météore élevé dans les airs, ce sont les puissances des cieux ébranlées. Jonas dans le ventre de la baleine, c’est un homme arrivé aux racines des montagnes Jonas 2.7 ; le tonnerre, c’est la voix du Tout-Puissant, la voix forte et magnifique qui jette des éclats de flamme de feu, qui brise les cèdres du Liban, qui fait sautiller Sirion, et qui découvre les forêts Psaumes 29.4-9 ; un essaim de sauterelles, c’est une nation rangée en bataille, qui garde sévèrement ses rangs, qui vient assiéger un pays, qui a les dents d’un lion, et les mâchelières d’un vieux lion Joël 1.6 ; 2.7.

Si jamais nous sommes autorisés à chercher dans la licence du style hyperbolique la solution d’un texte difficile : si jamais il fallut réduire l’hyperbole à la précision, n’est-ce pas dans l’explication de la maxime que vous venez d’entendre : Celui qui est maître de son cœur, est plus fort que celui qui prend des villes ? Quelle justesse peut-il y avoir dans la comparaison, entre un homme qui vient à bout par la réflexion de corriger sa colère et sa jalousie, et un héros qui, à force de projets concertés, de fatigues endurées, de jours et de nuits passés à cheval, de travaux domptés, de frimas et de chaleurs supportées, de périls bravés, parvient enfin, à travers une grêle de traits qui volent dans les airs, à percer des escadrons, à escalader une muraille, et à planter son étendard dans une place ennemie ?

Mais, quelque juste que vous paraisse ce commentaire, vous n’y aurez recours que tandis que vous bornerez votre christianisme à l’exercice des vertus aisées, et qu’à l’exemple de la plupart des hommes vous accommoderez la religion aux idées de la cupidité, au lieu de réformer les idées de la cupidité par les maximes de la religion. Travaillez à vous refondre : résistez au torrent et à la coutume : déracinez le préjugé : entreprenez de vous vaincre vous-même : portez le fer et le feu sur la partie la plus sensible de votre âme : entrez en lice avec votre passion favorite : Faites mourir ce qui compose en vous l’homme terrestre Colossiens 3.5 : élevez-vous au dessus de la chair et du sang de l’amour-propre et de la nature ; et, pour tout dire en un mot, essayez d’être le maître de votre cœur. Alors vous verrez que Salomon a rigoureusement observé les lois de la précision ; qu’il a été moins orateur que logicien ; et qu’il n’y a pas une ombre d’hyperbole ni d’exagération dans cette proposition : Celui qui est maître de son cœur, vaut mieux que celui qui prend des villes.

Mais à quel période renvoyons-nous l’explication des paroles de notre texte ? Faisons suppléer la méditation à l’expérience et établissons une vérité que le plus grand nombre de vous n’ont pas encore éprouvée, et que peut-être ils n’éprouveront jamais. C’est le but de ce discours. Il doit rouler sur le véritable héroïsme et sur le véritable héros. J’entre en matière. Ce mot d’héroïsme est emprunté des païens. Ils appelaient héros ces hommes qu’un reste de pudeur et de religion les empêchaient de ranger parmi les dieux, mais que la grandeur de leurs exploits ne leur permettait pas de laisser parmi les hommes. Épurons cette idée. L’homme dont parle Salomon, Celui qui est maître de son cœur, ne doit pas être rangé parmi le commun des hommes ; c’est un homme que la grâce a transformé, et qui, selon les idées et les expressions de l’Écriture, est participant de la nature divine 2 Pierre 1.4. C’est de cet homme que nous devons vous entretenir. 1° Nous en donnerons l’idée ; 2° nous en relèverons la grandeur. Ou, pour tenir aux expressions de notre texte, nous expliquerons dans notre première partie ce que c’est qu’être maître de son cœur. Dans la seconde, nous prouverons que celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes. Si nous allons au-delà de ce but que nous venons de marquer, ce ne sera que pour faire un petit nombre de réflexions tendant à vous convaincre que vous êtes tous appelés à l’héroïsme : que dans la religion il n’y a point de milieu ; qu’il faut ou être couvert de honte et d’infamie avec les âmes lâches et timides, ou être couronné de gloire avec les héros.

I

Expliquons d’abord ces paroles de notre prophète : Être maître de son cœur. Celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes. Il y a peu d’expressions plus équivoques dans la langue sainte que celle de souffle, que nos interprètes ont traduite ici par celle de cœur. Elle peut signifier également les pensées de l’esprit, les passions de l’âme, les mouvements des sens, les fantômes de l’imagination, les illusions de la cupidité. Ne nous répandons pas en dissertations grammaticales. Dans le génie de notre langue, être maître de son cœur (et c’est là précisément l’idée de Salomon) être maître de son cœur, c’est ne se laisser jamais prévenir par de fausses idées, voir les choses dans leur véritable point de vue, et régler sa haine ou son amour, ses désirs ou son indolence, selon qu’on a connu, après de mûres délibérations, que les objets sont dignes qu’on les aime ou qu’on les haïsse, qu’on les recherche ou qu’on les néglige.

Mais comme cette façon de parler, être maître de son cœur, suppose de l’exercice, des peines, des travaux de la résistance, nous ne devons point nous borner à l’idée générale que nous avons donnée. Considérons l’homme dans trois points de vue : 1° par rapport à ses dispositions naturelles ; 2° par rapport aux objets qui l’environnent ; 3° par rapport aux habitudes qu’il a contractées.

1. Considérez l’homme dans ses dispositions naturelles. L’homme en venant au monde se trouve esclave de son cœur, au lieu d’en être le maître. Je veux dire qu’au lieu de pouvoir avec facilité n’admettre que ce qui est vrai, n’aimer que ce qui est aimable, il sent souvent je ne sais quelle force intérieure qui l’éloigne de la vérité et de la vertu, qui le porte vers le vice et vers le mensonge.

Je ne veux point agiter les fameuses questions touchant la liberté de l’homme, ni entrer en lice avec ceux qui se sont notés d’hérésie dans l’Église, pour s’être inscrits en faux contre le dogme de la corruption originelle : ni entasser tous les arguments bons et mauvais qu’on a allégués pour les combattre. S’il y a un sujet sur lequel il soit besoin de ne se livrer aveuglément ni à ceux qui ont nié, ni à ceux qui ont affirmé : s’il y a un sujet dans la discussion duquel ceux qui prenaient le parti du mensonge aient avancé des vérités, et ceux qui prenaient le parti de la vérité aient avancé des mensonges, c’est celui-là même. Mais n’entamons pas un sujet si litigieux. Nous n’alléguons ici qu’une seule preuve de la dépravation que nous portons en venant au monde, c’est l’expérience : et nous renvoyons chacun de vous, pour le convaincre de cette fatale vérité, à son propre sentiment.

S’agit-il de pratiquer la vertu ? Qui est-ce qui ne sent, dès qu’il est en âge de se connaître, une puissance intérieure qui y résiste ? J’entends ici par la vertu cette disposition universelle d’une âme intelligente qui se voue à l’ordre, et règle sa conduite selon ce que l’ordre exige d’elle. L’ordre demande, quand je souffre, que je me soumette à la puissante main de Dieu qui me frappe. Quand je suis dans la prospérité, l’ordre demande que je m’occupe des bontés de mon bienfaiteur. Lorsque je possède des talents supérieurs à ceux de mon prochain, l’ordre demande que je les rapporte à la gloire de celui qui me les a donnés. Lorsque je suis forcé de reconnaître que mon prochain est plus richement partagé que moi, l’ordre demande que j’acquiesce avec soumission, au lieu de me révolter avec insolence, et que je reconnaisse avec humilité la différence de ce partage, au lieu de le contester par jalousie ou par amour-propre.

Ce que je dis à l’égard de la vertu, que c’est une disposition générale, je le dis aussi à l’égard de l’éloignement du vice. Fuir le vice, c’est s’éloigner également de ce qui est contraire à l’ordre : n’être ni médisant, ni colère, ni indolent, ni voluptueux ; et ainsi du reste. Celui qui se forme ces idées des devoirs de l’homme, n’aura que trop de sujets de reconnaître, par son sentiment intérieur et par sa propre expérience, que nous portons en venant au monde de funestes obstacles à ces devoirs. Il y en a dans notre corps : il y en a dans notre esprit.

Il y en a dans le corps. Qui est-ce qui trouve dans ses sens cette souplesse, cette soumission pour une volonté qui serait elle-même dirigée par les lois de l’ordre ? Qui est-ce qui ne sent dans son tempérament certaines rébellions contre la vertu ? Je ne parle pas ici de ces hommes qui se livrent brutalement à leurs sens, qui ne consultent d’autres lois que les révolutions des esprits, et qui, pour avoir abandonné pendant une longue suite d’années la conduite de leur âme aux humeurs qui entrent dans la composition de leurs corps, n’ont plus aucun empire sur leurs sens. Je parle de ceux même qui ont des désirs sincères d’écouter et de suivre les lois de l’ordre. Combien de fois une âme tendre et charitable a-t-elle trouvé dans un corps sujet à l’emportement et à la colère des obstacles à l’exercice de sa charité et de sa tendresse ? Combien de fois une âme pénétrée de respect pour les lois de la pureté a-t-elle trouvé dans un corps rebelle à cette vertu des obstacles qui l’ont effrayée, et, auxquels elle a été comme contrainte de céder ?

Ce n’est pas seulement le corps qui est en désordre : l’âme aussi y est engagée. Consultez-vous par rapport à ces vertus et à ces vices qui sont pour ainsi dire tout spirituels, et qui n’ont qu’une relation éloignée avec la matière : vous verrez que chacun porte en venant au monde des dispositions qui l’éloignent de quelques unes de ces vertus, et qui le poussent vers quelques uns de ces vices. L’avarice, par exemple, est un de ces vices spirituels qui n’ont qu’une relation éloignée avec la matière : je n’entends pas que l’avarice ne nous porte vers les objets sensibles : je dis seulement que c’est une de ces passions qui ont moins leur siège dans la partie matérielle de l’homme que dans la spirituelle : elle vient plutôt des réflexions de l’esprit que des mouvements du corps. Cependant combien de gens nés sordides ; de gens toujours portés à amasser, et auxquels la seule pensée de donner, de répandre, fait horreur ; de gens qui prouvent par la manière même dont ils exercent les lois de la générosité, qu’ils sont naturellement portés à les violer ; de gens qui ne donnent que par contrainte, qui s’arrachent en quelque sorte ce qu’ils fournissent aux besoins des pauvres, et qui ne se séparent de ces chères parties d’eux-mêmes qu’après leur avoir dit les plus tendres adieux ! L’envie et la jalousie sont encore de ces dispositions que nous avons appelées spirituelles. Elles ont leur siège dans l’âme. Et il y a des personnes qui reconnaissent l’injustice, la bassesse de ces sortes de vices ; des personnes qui les haïssent, et qui cependant ne sont pas assez maîtresses d’elles-mêmes, sinon pour ne pas s’en laisser dominer, du moins pour n’en pas ressentir quelques accès, et pour ne pas trouver quelquefois dans le bonheur d’autrui leur propre supplice.

Si nous sentons dans notre constitution des obstacles à la vertu et du penchant au vice, nous sentons aussi du penchant au mensonge et des obstacles à la vérité. Ces choses ont une liaison intime : par cela même que nous trouvons au dedans de nous des obstacles naturels à la vertu, nous en trouvons à la vérité ; et, par cela même que nous avons en venant au monde des penchants qui nous portent au vice, nous en avons qui nous portent au mensonge. Même, à proprement parler, l’idée de tous ces vices peut se rapporter à une seule, à savoir, à celle du mensonge. Tout vice, toute passion déréglée, renferme un mensonge implicite ou découvert. Tout vice, toute passion déréglée, renferme ce mensonge qu’un homme qui satisfait sa passion est plus heureux que celui qui la contraint ou qui la modère. Or, tout homme qui fait ce jugement, soit qu’il le fasse d’une manière découverte, soit qu’il le fasse implicitement, prend le parti du mensonge. Si nous sommes donc portés naturellement à certains vices, nous sommes portés naturellement à certains mensonges ; je veux dire à ce faux jugement sur lequel la passion déréglée établit le vice qu’elle veut commettre, le désir qu’elle a de se satisfaire. Un homme possédé d’une passion n’est plus libre de discerner la vérité d’avec le mensonge ; du moins, il ne saurait, sans une extrême contrainte, faire ce discernement. Il est porté à fixer son esprit sur tout ce qui favorise cette passion, sur tout ce qui en change la nature, et qui érige le vice en vertu : et pour tout dire en un mot, il est porté à fixer son esprit sur tout ce qui érige la vérité en mensonge, et le mensonge en vérité.

Je conclus : cette disposition d’esprit dont parle Salomon, et qu’il désigne de cette manière : Être maître de son cœur, suppose du travail, de la contrainte, de l’exercice. Un homme qui veut acquérir cette noble disposition d’esprit, un homme qui veut être maître de son cœur, doit en quelque sorte se refondre : il se voit d’abord, s’il est permis d’ainsi parler, aux prises avec la nature : il faut qu’il se forme un corps nouveau : il faut qu’il donne un autre cours à ses humeurs, à ses esprits : il faut qu’il fasse violence à toutes les puissances de son âme.

2. Après avoir considéré l’homme par rapport à ses dispositions naturelles, considérez-le secondement par rapport aux objets qui l’environnent ; vous aurez un second commentaire de cette expression de Salomon : Être maître de son cœur : vous aurez une seconde source de preuves de cet exercice, de ce travail, de cette contrainte que suppose le véritable héroïsme. La société est composée d’autant d’ennemis qui semblent avoir pris à tâche d’augmenter ces obstacles, que nos dispositions naturelles opposent à la vérité et à la vertu.

Examinez les membres de cette société au milieu de laquelle nous sommes appelés à vivre ; consultez leurs idées ; écoutez leurs discours ; pesez leurs raisonnements : vous ne trouverez presque partout que faux jugements, que mensonges, qu’erreur et que préjugés. Préjugés de naissance, selon les pères qui les ont mis au monde, selon les nourrices qui les ont allaités, selon les mains qui ont préparé les langes dont nous avons été enveloppés dans notre berceau ; préjugés d’éducation, selon les maîtres auxquels on a confié le soin de notre jeunesse, selon les fausses idées qu’ils ont eues, selon le genre d’illusions qu’ils se sont faites eux-mêmes ; préjugés de nation, selon le génie des peuples parmi lesquels nous avons vécu, et selon l’air que nous avons respiré ; préjugés de religion, selon les catéchismes qu’on nous a donnés, selon les docteurs que nous avons consultés, selon les pasteurs qui nous ont dirigés, selon la secte que nous avons embrassée ; préjugés d’amitié, selon les liaisons que nous avons eues, selon le commerce que nous avons contracté ; préjugés de métier et de profession, selon que nous avons été adonnés aux arts mécaniques ou aux sciences abstraites ; préjugés de fortune, selon que nous avons vécu parmi les grands ou parmi les petits. Ce n’est là qu’une petite partie des canaux par lesquels le mensonge nous est communiqué. Quel effort ne faut-il pas faire sur soi-même, pour se préserver de la contagion, pour tenir sans cesse son âme en équilibre, pour fermer toutes ces portes de l’erreur et pour conserver sans cesse au milieu de tant de préjugés cette liberté de jugement qui pèse l’argument avec l’objection, l’objection avec l’argument ; qui examine mûrement tout ce qui peut être avancé en faveur d’une proposition, et tout ce qui peut la combattre ; qui envisage un objet sous toutes ses faces ; et qui fait qu’on ne se détermine que quand on y est contraint par l’inviolable autorité et par la douce violence de la vérité, de la démonstration et de l’évidence ?

Si les hommes qui nous environnent nous font illusion par leurs erreurs, ils nous entraînent dans le vice par leur exemple. Dans tous les lieux, dans tous les siècles, la vertu eut moins de partisans que le vice ; dans tous les lieux, et dans tous les siècles, les partisans de la vertu furent en si petit nombre en comparaison des partisans du vice, que les saints se sont plaints que la terre n’avait plus d’hommes de ce premier genre, et que le monde universel n’était occupé que par les autres : Les bien aimés sont défaillis de dessus la terre. L’Éternel a regardé des cieux sur les fils des hommes, pour voir s’il y en a quelqu’un qui ait de l’intelligence et qui cherche Dieu. Ils se sont tous dévoyés, et sont tous devenus puants : il n’y a personne qui fasse bien, non pas même un Psaumes 14.2-3. Exagération du prophète, je le veux ; mais exagération à laquelle l’universalité de la corruption ne donne que trop de lieu. Jetez des yeux attentifs sur la société, vous serez effrayé, comme notre prophète, du grand nombre des partisans du vice ; vous aurez de la peine, comme lui, à démêler dans la foule les partisans de la vertu ; et vous vous sentirez portés à dire comme lui : Il n’y a personne qui fasse le bien, pas même un seul Romains 3.12.

Mais qu’il est difficile de résister à l’exemple, et d’être maître de son cœur, parmi tant de tyrans qui ne cherchent qu’à l’asservir ! Pour résister à l’exemple, il faut s’opposer sans cesse à ces penchants naturels qui nous portent à l’imitation. Pour résister à l’exemple, il saut ne se laisser éblouir ni par le nombre ni par l’éclat de ceux qui ont placé le vice sur le trône. Pour résister à l’exemple, il faut braver les persécutions, et toutes les traverses que les gens du monde ne cessent de susciter à ceux qui refusent de les suivre dans le précipice. Pour résister à l’exemple, il faut aimer la vertu pour la vertu même. Pour résister à l’exemple, il faut se transporter, dans un autre monde, se placer par la pensée au milieu de ces saintes sociétés qui environnent le trône d’un Dieu saint, qui font de ses vertus la matière continuelle de leurs adorations et de leurs hommages, et qui volent au premier signal de sa main et au premier souffle de sa bouche. Quel ouvrage, quel difficile ouvrage, pour vous, pauvres mortels, qui avez les yeux toujours tournés vers la terre, et qu’un poids involontaire et insurmontable ne cesse d’y faire pencher !

3. Mais vous reconnaîtrez enfin combien la disposition dont parle Salomon demande de travail, de peine, de résistance, si vous considérez l’homme dans les habitudes qu’il a contractées. A peine entrons-nous dans le monde, que nous nous trouvons emportés par notre pente naturelle, étourdis par le bruit de nos passions, et comme j’ai dit, séduits par les erreurs, entraînés par l’exemple de nos semblables. Il est rare que, dans les premières années de la vie, nous surmontions cette puissance naturelle, et cette puissance d’exemple, qui nous porte au vice et au mensonge. La plupart des hommes ont fait plus d’actes de vice que d’actes de vertu : par conséquent, pendant un certain nombre d’années, nous contribuons par notre genre de vie à joindre à la dépravation de la nature, celle qui lui vient de l’exercice et de l’habitude. Un homme qui veut être maître de son cœur est donc appelé à déraciner les habitudes qui en ont pris possession. Quelle gêne !

Quelle gêne, quand nous voulons prévenir ce retour d’idées qui ont roulé dans notre esprit pendant un grand nombre d’années ! Quelle gêne, pour se défendre d’une passion qui s’est ménagé toutes les avenues d’un esprit qui a facilité le jeu de tous les ressorts d’un corps ! Quelle gêne, pour détourner les images flatteuses et les séduisantes sollicitations d’une cupidité accoutumée à se satisfaire ! Quelle gêne, lorsqu’arrivé à l’âge où l’on a moins de force, on est obligé à faire de plus grands efforts, et à dompter un ennemi qui nous avait paru indomptable, et que nous n’avions pas osé attaquer, lorsqu’il n’avait pas encore les armes que nous lui avons nous-mêmes fournies, et qu’il ne jouissait pas encore des avantages que nous lui avons nous-mêmes donnés !

Voilà la peine, le travail, la contrainte, qu’il faut éprouver pour être maître de son cœur. Il est question maintenant, après avoir tracé l’idée de cette disposition d’esprit, de lui assigner le rang dont elle est digne. Après avoir donné l’idée du véritable héroïsme, il faut en relever la grandeur, et prouver cette proposition de mon texte : Celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes.

II

Pour cela, il n’est pas besoin de vous avertir que par celui qui prend des villes Salomon n’entend pas un homme qui, par des principes de vertu pour défendre sa patrie et la religion, immole dans une guerre légitime sa vie et sa liberté : à cet égard, celui qui prend des villes, et celui qui est maître de son cœur, ne sont qu’un même homme. Salomon porte sa pensée sur ces conquérants qui vivent, s’il faut ainsi dire, de victoires et de conquêtes : il a en vue les héros, tels qu’on les conçoit dans le monde.

Il n’est pas besoin non plus de restreindre à un certain point de précision cette expression générale, valoir mieux. Celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes. Chacun peut la restreindre sans peine : en général, elle signifie que celui qui est maître de son cœur témoigne plus de fermeté, plus de magnanimité et plus de courage ; qu’il a de plus saines idées de la gloire, et qu’il est plus digne d’estime et de louanges que ceux qu’on appelle dans le monde des héros et des conquérants. Prouvons cette proposition. Comparons le faux héros avec le vrai héros : rapportons notre comparaison à quatre chefs : 1° aux motifs qui les animent ; 2° aux exploits qu’ils opèrent ; 3° aux ennemis qu’ils attaquent, et 4° aux couronnes qu’ils remportent. Celui qui prend des villes est animé par des motifs bas, rampants, qui ravalent une âme intelligente, lors même qu’ils semblent la porter au comble de la grandeur et de la gloire : celui qui est maître de son cœur est animé de motifs grands, nobles, sublimes, sortables à l’excellence de notre être. Celui qui est maître de son cœur est capable des exploits de celui qui prend des villes : mais celui qui prend des villes n’est pas capable des exploits de celui qui est le maître de son cœur. Celui qui prend des villes attaque un ennemi extérieur, et auquel aucun lien ne l’attache : celui qui est maître de son cœur attaque un ennemi qui lui est cher, et a la magnanimité de tourner ses armes contre lui-même. Enfin celui qui prend des villes n’est couronné que par des insensés qui ont de fausses idées de la grandeur et de l’héroïsme : celui qui est maître de son cœur sera couronné des propres mains du vrai distributeur de la gloire. Quatre titres de supériorité du vrai héros sur le faux héros : quatre sources de preuves pour la proposition de notre texte : Celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes.

Premier chef de comparaison : les motifs qui animent un conquérant qui prend des villes, et les motifs qui animent un homme qui se rend maître de son cœur. Les motifs du vrai héros avec les motifs du faux héros. Quels sont les motifs du faux héros ? Quel est l’esprit qui l’anime, lorsqu’il cherche à prendre des villes ? C’est une des questions que les passions ont le plus enveloppées. La vérité est déguisée dans les épîtres dédicatoires, dans les éloges profanes, quelquefois même dans les discours de religion. Cette majesté d’un triomphateur, cet éclat d’un conquérant, ces noms pompeux de vainqueur, d’arbitre de la paix, d’arbitre de la guerre, nous ont éblouis, et en quelque sorte lié les puissances de l’âme, et nous ne pouvons plus nous former de saines idées sur ce sujet. Ecoutez la nature toute pure, parlant autrefois par la bouche de certains peuples qui étaient d’autant plus sages qu’ils n’avaient pas été civilisés par l’injustice de nos lois et de nos coutumes. Je veux parler des anciens Scythes. Le plus fameux preneur de villes était arrivé dans leurs cabanes et dans leurs tanières. Déjà il avait réduit ses concitoyens et ses voisins. Déjà Thèbes et Athènes, la Thrace et la Thessalie, avaient plié sous ses coups. Déjà, trop borné dans la Grèce, il avait pénétré jusque dans la Perse, passé le Granique, réduit la Carie et la Judée, combattu et vaincu Darius, fait des actions au dessus de l’homme, et comme forcé la nature dans le siège le plus fameux dont l’antiquité nous ait conservé la mémoire, je veux dire celui de la ville de Tyr ; subjugué les Marses, les Bactriens ; atteint le mont Caucase et le mont Oxe ; conquis plus de pays et assujetti plus de peuples que nous ne pourrions en nommer ni en décrire dans les limites de ces exercices. Il vient aux Scythes : Si les Dieux, lui dirent-ils par leurs députés, si les Dieux t’avaient donné un corps proportionné à ton ambition, tout l’univers serait trop petit pour toi : d’une main, tu toucherais l’Orient, et de l’autre l’Occident ; et, non content de cela, tu voudrais suivre le soleil, et savoir où il se cache. Tout tel que tu es, tu ne laisses pas d’aspirer où tu ne saurais atteindre. De l’Europe, tu passes dans l’Asie ; et de l’Asie, tu repasses dans l’Europe : et, quand tu auras subjugué tout le genre humain, tu attaqueras les rivières, les forêts et les bêtes sauvages. Qu’avons-nous à démêler avec toi ? Jamais nous n’avons mis le pied dans ton pays. N’est-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois, d’ignorer et qui tu es et d’où tu viens ? Tu te vantes d’exterminer les brigands ; et tu es toi-même le plus grand brigand de la terre. Tu as pillé et saccagé toutes les nations, et tu viens encore ravir nos troupeaux. Tes mains ont beau être pleines, elles cherchent toujours de nouvelles proies. A quoi te servent tant de richesses, si ce n’est à irriter la soif qui te ronge ? Tu es le premier qui as trouvé la nécessité dans l’abondance. Tout ce que tu as déjà ne sert qu’à te faire désirer avec plus de fureur ce que tu n’as pas encore. Si tu es un dieu, fais du bien aux mortels : mais, si tu n’es qu’un petit mortel, pense à ce que tu es ; et souviens-toi qu’il y a de la folie à s’occuper des choses qui nous font nous oublier nous-mêmesa. Voilà les motifs qui animent les héros du siècle, voilà les sentiments que l’on déguise sous les beaux noms de gloire, de valeur, de grandeur d’âme, d’héroïsme. Une avidité insatiable, un orgueil indomptable, une ambition démesurée, un oubli de ce qu’on est, et de ce qu’on va devenir.

a – Quinte Curce, L. VII, ch, 8.

Les motifs de celui qui veut se rendre maître de son cœur sont l’amour de l’ordre, le désir de s’arracher à l’esclavage des passions, cette noble fermeté qui fait que l’on n’admet que ce qui a paru vrai, et qu’on n’aime que ce qui a paru aimable après de mûres discussions. A ce premier égard donc, l’avantage est tout entier du côté de celui qui est maître de son cœur. Celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes.

Comparez, en second lieu, les exploits de celui qui est maître de son cœur avec les exploits de celui qui prend des villes. Celui qui est capable de se rendre maître de son cœur est capable de tout ce qu’il y a de grand et de magnanime dans celui qui prend des villes : mais celui qui prend des villes n’est pas capable de ce qu’il y a de grand et de magnanime dans celui qui est maître de son cœur. Je m’explique.

Qu’y a-t-il de grand et de magnanime dans un héros qui prend des villes ? La patience à supporter le travail, à surmonter les difficultés, à essuyer les contradictions. L’intrépidité au milieu des périls les plus effrayants. La force d’esprit dans les douleurs les plus violentes. Le sang-froid, à la vue d’une mort prochaine et affreuse. Ce sont là des dispositions d’esprit, je l’avoue, qui semblent élever l’homme au dessus de l’homme. Mais un héros chrétien est capable de tout cela, je dis, à la lettre et sans figure. Un homme qui est parvenu à conserver toujours la liberté de son esprit, à peser toujours les biens et les maux, à ne croire que ce qui est vrai, à ne faire que ce qui est droit, à avoir toujours ses devoirs devant les yeux, ou, comme s’exprime un prophète, à se proposer toujours l’Éternel devant soi Psaumes 16.8 ; un tel homme est capable, à la lettre, de tout ce que vous admirez dans les héros du siècle. Il n’y a ni difficulté qui l’arrête, ni contradiction qui l’ébranle, ni travail qui le rebute, ni péril qui l’effraie, ni douleur qui le surmonte, ni image si affreuse et si prochaine de la mort qui le fasse pâlir et qui l’épouvante. A la lettre, nos femmes et nos enfants, nos confesseurs et nos martyrs, ont fait de plus grands exploits de fermeté, de patience, d’intrépidité, de constance, dans les couvents, dans les prisons, dans les cachots, sur les bûchers et sur les échafauds, que les Alexandre et les César dans toute leur vie. Et où est le héros du siècle qui ait fait autant d’actes de courage et de grandeur d’âme, dans les sièges et dans les batailles, que nos confesseurs dans trente années de galères ? Encore ces premiers étaient-ils soutenus par les regards de mille et mille témoins, au lieu que les autres ne l’étaient que de Dieu et de leur conscience. Le héros chrétien est donc capable de tout ce qu’il y a de grand dans le héros du siècle.

Mais le héros du siècle est incapable de ce qu’il y a de grand dans le héros chrétien : et il s’en faut infiniment que son héroïsme le conduise aussi loin dans la carrière de la gloire. Essayez les forces du héros du siècle. Mettez-le aux prises avec une passion. Vous verrez alors cet homme jadis invincible, vous le verrez honteusement vaincu ; vous verrez cet homme qui était ferme, intrépide à la vue du fer et du feu, au son des instruments belliqueux, vous le verrez faible, lâche, surmonté par un objet qui le séduit et qui l’enchante. Samson défait les Philistins ; mais il se laisse entraîner par Dalila. Samson se charge des portes de Gaza ; mais il plie sous le poids de la cupidité. Hercule ne cherche que brigands à combattre, que monstres à dompter ; mais il ne peut résister aux accès de l’impureté. Nous le trouvons dans les monuments de l’antiquité, portant un enfant sur les épaules, emblème de la volupté, succombant sous cet indigne fardeau, laissant sa massue par terre. Il n’y a donc ni déclamation ni hyperbole dans notre proposition : le héros chrétien est capable de tout ce qu’il y a de grand dans le héros du siècle ; mais le héros du siècle est incapable de ce qu’il y a de grand dans le héros chrétien : et, à cet égard encore, celui qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes.

III

Comparez celui qui prend des villes avec celui qui est maître de son cœur, par rapport aux ennemis qu’ils attaquent. Vous trouverez dans ce dernier un troisième titre de supériorité sur l’autre. Celui qui prend des villes attaque un ennemi extérieur, qui lui est étranger, et souvent odieux. L’ambition qui remplit son âme n’y laisse aucune place à la compassion et à la pitié : pourvu qu’il arrive au but qu’il se propose, peu lui importe que ce soit par un chemin jonché de corps morts, et à travers des monceaux de cadavres. Le tumulte des passions qui le dominent étouffe en lui la voix de la nature, et il est sourd aux cris de tant de malheureux qu’il a immolés à sa gloire.

L’ennemi que le chrétien doit combattre, c’est son propre cœur : il est appelé à tourner ses armes contre lui-même. Il faut qu’il suspende tous les sentiments de l’amour-propre. Il faut qu’il devienne son propre bourreau ; et, pour me servir des idées et des expressions de Jésus-Christ, il faut qu’il renonce à lui-même.

Jésus-Christ a bien connu l’homme. Il n’a pas prêché comme ces prédicateurs novices, qui, pour porter des auditeurs à vaincre leurs passions, proposent cet ouvrage comme exempt de difficultés. Jésus-Christ n’a point déguisé les combats qu’il faut se livrer à soi-même pour revêtir l’esprit du christianisme. Et je ne sais si nous trouverions dans aucun des écrits des poètes ou des philosophes du paganisme une expression plus naïve et en même temps plus énergique que celle-ci : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même Matthieu 16.24.

Non que cela soit praticable à la lettre, non que l’homme puisse se dépouiller de lui-même, non que la religion demande que nous lui immolions ce qui fait l’essence et le bonheur de notre être. Au contraire, à le bien prendre, c’est le péché qui nous fait renoncer à ce qu’il y a de grand et de noble dans notre essence ; c’est le péché qui demande que nous lui immolions notre véritable bonheur. Si Jésus-Christ s’exprime de cette manière, c’est que, pendant qu’un homme est possédé d’une passion, elle est comme incorporée avec lui-même ; elle lui semble essentielle à sa félicité. Tout l’importune, tout le gêne, lorsqu’il manque à la satisfaire ; sans elle les aliments n’ont plus de goût, les fleurs n’ont plus d’odeurs, les plaisirs n’ont plus de pointe, le soleil n’a plus de lumière, la société n’a plus d’attraits, la vie n’a plus de charmes. Combattre une passion dominante, c’est renoncer à soi-même. Et c’est ici la patience des Saints Apocalypse 14.12, c’est cet ennemi que le chrétien attaque, ce sont ces combats qu’il se livre. Qu’une main est faible et tremblante quand elle porte un poignard qu’elle doit enfoncer dans ses propres entrailles ! L’amour de l’ordre, la vérité et la vertu, soutiennent un héros chrétien dans cet effrayant ouvrage.

Comparez enfin celui qui est maître de son cœur avec celui qui prend des villes, par rapport aux acclamations dont on les accompagne et aux couronnes qu’on leur prépare. Qui sont les auteurs des acclamations dont on fait résonner les airs à la louange des héros du siècle ? Ce sont des courtisans, des poètes, des panégyristes. Mais quoi ! les gens de cet ordre ont-ils seulement des idées de la gloire, et, s’ils en avaient véritablement, seraient-ils assez généreux pour le faire paraître ? Est-ce à une âme livrée aux volontés et aux caprices d’un conquérant ; est ce à une âme vénale qui tient marché d’éloges et de louanges qu’elle vend au plus offrant ; est-ce à une soldatesque brutale à décider de ce qui est digne de blâme ou de louanges, à distribuer le prix de la gloire et à assigner leur rang aux héros ? Être exalté par des gens de cet ordre, c’est une honte ; être couronné de leurs mains, c’est une infamie.

Porte, porte ta méditation, âme chrétienne, jusqu’aux grandeurs de l’Être suprême. Pense à cette sublime intelligence qui réunit dans son essence tout ce qu’il y a de noble et de sublime. Contemple par la pensée la Divinité entourée d’anges et d’archanges, de chrétiens et de séraphins. Écoute les concerts que ces bienheureux esprits entonnent à sa gloire. Entends-les, pénétrés, ravis, charmés des beautés divines, criant jour et nuit : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées, tout ce qui est dans toute la terre est sa gloire. Amen. Louanges, gloire, actions de grâces, honneur, puissance, soient à notre Dieu aux siècles des siècles. Amen. Que tes œuvres sont grandes et admirables, ô Seigneur Dieu tout-puissant ; tes voies sont justes et véritables, ô roi des saints. Qui ne te craindrait ? qui ne glorifierait ton nom ?b Cet Être si parfait, cet Être loué si dignement, cet Être si digne de louanges, c’est celui qui prononcera sur la véritable gloire, c’est celui qui fera l’éloge de ceux qui y ont aspiré, c’est celui qui louera un jour, à la face du ciel et de la terre, ceux qui auront remporté ces beaux triomphes dont nous avons tracé l’idée.

bÉsaïe 6.3 ; Apocalypse 7.12 ; 15.3-4

L’imagination plie sous le poids de ce sujet, et cet objet est trop éblouissant pour des yeux comme les nôtres. Mais la nature des choses ne dépend pas de la faculté que nous avons de les envisager. Et puisque Dieu nous appelle à des combats au dessus de l’homme, il faut bien que nous nous élevions à des récompenses au dessus de l’homme. Oui, c’est l’Être suprême, c’est lui, qui distribuera un jour les louanges qui sont dues à ceux qui auront triomphé d’eux-mêmes. Quel spectacle ! Quelle espérance ! Oui, athlète chrétien, après que tu auras résisté à la chair et au sang, après que tu auras été traité d’insensé par les hommes, après que tu te seras ouvert une carrière de tribulations, après avoir fait de ta vie un martyre perpétuel, tu seras appelé en présence des hommes et des anges : le maître du monde te démêlera dans la foule ; là, il t’adressera cette voix : Cela va bien, bon et fidèle serviteur Matthieu 25.21 ; là, il accomplira cette promesse qu’il fait aujourd’hui à tous ceux qui triomphent sous ses étendards : Celui qui vaincra, je le ferai asseoir sur mon trône Apocalypse 3.21. Ah ! gloire des héros du siècle, éloges profanes, inscriptions fastueuses, trophées superbes, diadèmes brillants, mais corruptibles, qu’avez-vous de comparable aux acclamations qui attendent le héros chrétien et aux couronnes qu’un Dieu rédempteur lui prépare ?

Et vous, âmes lâches et rampantes, qui admirez peut-être ces triomphes, mais qui n’avez pas l’ambition de les remporter ; vous, esprits mous et indolents, qui cédez sans répugnance toutes sortes de prétentions aux couronnes immortelles que Dieu prépare à l’héroïsme, pourvu qu’il ne vous demande aucun compte de votre indolence et de votre mollesse, et que vous puissiez, comme les bêtes brutes, vous laisser conduire aux premiers instincts de votre nature ; détrompez-vous. Je le disais en commençant, vous êtes tous appelés à l’héroïsme ; il n’y a point de milieu dans la religion ; il faut être couvert de honte et d’infamie avec les lâches et les timides, ou être couronné de gloire avec les héros. Le devoir d’une âme intelligente, c’est d’adhérer à la vérité et de suivre la vertu : nous portons en venant au monde des oppositions à la vertu et à la vérité, notre devoir est de les vaincre, sans cela nous trahissons notre devoir, nous ne répondons pas au but auquel notre âme est destinée, nous sommes coupables, et nous serons punis pour avoir manqué de répondre à notre destination.

Que ce soit là le grand principe de notre théologie et de notre morale : retenons-le sans varier, ne nous perdons pas en discussions et en recherches sur l’origine du mal et sur la permission de l’entrée du péché dans le monde : ne nous enfonçons pas avec les esprits spéculatifs dans des labyrinthes et dans des abîmes d’où nous aurions peine à nous démêler. Soyons épouvantés de la seule vue de cette mer fertile en écueils : que l’idée des naufrages que tant de téméraires y ont faits nous retienne sur le rivage, et envisageons moins ces questions dans la vue de démêler les perfections du créateur au milieu des ténèbres où il se cache, que dans celle d’apprendre les devoirs de sa créature. Je ne viens point décrier ces grands génies qui ont traité cet effrayant sujet. Leurs ouvrages font honneur à l’esprit humain. Ce sont des monuments éternels à la gloire d’une raison qui sait se recueillir et se concentrer sur un objet. Mais toujours est-il certain qu’on ne peut arriver à l’éclaircissement de la vérité à cet égard qu’à travers mille et mille routes de distinctions et d’abstractions que la plupart de nous ne sauraient suivre ; elle est si déliée et si subtile que les yeux du plus grand nombre manquent de facultés pour l’apercevoir : elle est placée à un degré si éminent et si escarpé que la plupart des esprits ne sauraient l’atteindre.

Mais tenons-nous religieusement à notre principe. Le devoir d’une âme intelligente, c’est d’adhérer à la vérité et de suivre la vertu. Nous portons, en venant au monde, des oppositions à la vertu et à la vérité ; notre devoir, c’est de les vaincre, sans cela nous trahissons le devoir d’une âme intelligente, sans cela nous ne répondons pas au but pour lequel elle est destinée ; nous sommes coupables et nous serons punis pour n’avoir pas répondu à notre destination.

Regardons-nous comme des soldats placés autour d’une place assiégée, et qui ont tel ou tel ennemi à combattre, tel ou tel poste à forcer. Vous, vous êtes actuellement sujet à l’emportement et à la colère. Il est triste de trouver dans sa propre constitution une résistance à des vertus aussi belles que celles du support, de la charité, de la douceur et de la patience. Gémissez de ce malheur, mais qu’il ne vous abatte pas ; vous serez bien moins jugé par vos obstacles naturels à ces vertus que par les efforts que vous aurez faits pour les dompter. Tournez de ce côté-là toute votre attention, toutes vos forces, tout votre courage. Dites-vous à vous-même : Voilà le poste que mon général veut que je force, voilà l’ennemi qu’il faut que je combatte ; et soyez bien convaincu que, tandis que Dieu vous conserve la vie, une de ses vues principales, c’est que vous vous rendiez maître de cette passion. Vous, vous êtes naturellement porté à l’orgueil. Dès que vous laissez aller votre esprit à son penchant naturel, il vous ramène tout ce qui est capable de vous donner une grande idée de vous-même ; il vous occupe de votre pénétration, de votre mémoire, de votre imagination et de ces avantages extérieurs que la vanité incorpore pour l’ordinaire avec celui qui les possède. Il est triste de trouver au dedans de soi des semences d’une inclination qui convient si mal à des créatures aussi viles et aussi misérables que les hommes. Gémissez de ce malheur, mais qu’il ne vous abatte pas. Tournez de ce côté-là toute votre attention, tout votre courage, toutes vos forces ; dites-vous sur cet article : Voilà le poste que mon général veut que je force, voilà l’ennemi qu’il me donne à combattre ; et soyez bien convaincu que, tandis que Dieu vous laisse au monde, une de ses principales vues est que vous résistiez à cette passion et que vous vous en rendiez le maître.

Tous ensemble, mes frères, travaillons à nous rendre maîtres de notre propre cœur ; ne soyons point effrayés de la grandeur de l’ouvrage : Celui qui est en nous est plus puissant que celui qui est dans le monde 1 Jean 4.4. La. grâce vient au secours de la nature ; la prière donne des forces dans le travail, les passions deviennent esclaves à leur tour après avoir été maîtresses, et les peines du combat s’évanouissent quand on a l’âme remplie des beautés du triomphe et de la victoire. Dieu veuille nous donner de les remporter ! Amen ! A lui soit honneur et gloire à jamais. Amen !

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