Dans la période que nous étudions, l’Écriture conserve, parmi les lieux théologiques, la place que l’antiquité lui a donnée. On la regarde toujours comme inspirée, comme l’œuvre du Saint-Esprit qui s’est servi des auteurs sacrés comme d’organes pour dicter ses enseignements. Dès lors elle ne saurait errer, et nous sommes assurés de trouver en elle la source du salut et de la vraie doctrine, l’oracle infaillible dont l’autorité l’emporte infiniment sur les raisonnements humains. La façon de l’interpréter, nous le savons déjà, est différente dans l’école d’Alexandrie et dans celle d’Antioche. Saint Cyrille, bien qu’il ne sacrifie pas le sens historique et littéral, surtout dans ses ouvrages dogmatiques, s’abandonne volontiers, dès qu’il est libre, à la ϑεωρία πνευματική, à une interprétation allégorique et mystique qui laisse subsister la lettre, mais en tire des enseignements plus élevés. Théodoret, sans nier l’utilité de cette exégèse, serre de plus près le sens historique et tient compte davantage de l’élément humain qui entre dans la composition des Saints Livres. Au reste, l’usage continue de ces dossiers scripturaires que l’on compilait en vue des controverses régnantes, et qui défrayaient toutes les discussions. On en trouve un exemple remarquable dans le De recta fide ad reginas, i, de saint Cyrille qui n’accumule pas, contre les nestoriens, moins de cinquante-sept colonnes de textes ; et un second, moins considérable de beaucoup, dans la Dispute de saint Maxime avec Pyrrhus.
Là n’est pas la nouveauté introduite par le ve siècle relativement aux sources de la théologie. La nouveauté consiste surtout dans une idée plus claire qu’il se fait de l’argument de tradition proprement dit et de sa valeur. Le ive siècle invoquait volontiers, en dehors de l’Écriture, des traditions orales transmises à l’Église par les apôtres et parvenues jusqu’à nous : ces traditions tiraient leur force de la source d’où elles émanaient. Puis, nous voyons quelques auteurs, saint Athanase, saint Basile, saint Augustin, faire appel, en faveur de leur sentiment, à l’autorité de docteurs antérieurs, Origène, Denys, saint Ambroise, saint Grégoire de Nazianze. Subitement, à partir de saint Cyrille, cette dernière forme d’argument prend un développement énorme. On ne se contente pas d’invoquer en général la pensée des Pères (ἡ τῶν ἁγίων πατέρων σύνεσις) : on fait la théorie de cette preuve. Le Saint-Esprit parle par les Pèresa ; les Pères nous enseignent ὀρϑῶς τε καὶ ἀπλανῶς et ils forment, dans l’Église, une succession ininterrompue dans laquelle saint Cyrille n’hésite pas, comme évêque, à se mettre lui-même. C’est l’argument de l’autorité de l’Église dispersée s’exprimant par ses pasteurs.
a – Cyrill., Adv. Nestor., IV, 2 (col. 176) : λαλοῦντος ἐν αὐτοῖς τοῦ ἁγίου πνεύματος.
Aussi, de même que l’on a constitué des dossiers scripturaires, on constitue, en vue des controverses à soutenir ou des conciles à célébrer, des dossiers patristiques, recueils où chacun va puiser, qui passent d’un auteur à l’autre et qu’on s’efforce toujours d’enrichir. Saint Cyrille en avait préparé un qui fut lu à la première session du concile d’Éphèse. Les évêques orientaux, de leur côté, en compilèrent un autre qu’ils ne purent utiliser immédiatement, mais qui a passé en partie dans l’Eranistes de Théodoret. Ce dernier ouvrage lui-même en contient trois contre les monophysites. Nous en trouvons un semblable dans l’ouvrage attribué à Léonce de Byzance contre les mêmes hérétiques. La controverse monothélite en suscita de nouveaux. La lettre du patriarche Mennas à Vigile, au dire de Sergius, aurait déjà réuni des textes en faveur d’une unique volonté en Jésus-Christ. Ce qui est certain, c’est que le patriarche Macaire présenta au sixième concile œcuménique — sessions cinquième et sixième — trois recueils de ce genree. Les orthodoxes, de leur côté, ne restèrent pas en retard, et saint Maxime d’abord, puis les légats présents au concile de 680 produisirent à leur tour des dossiers patristiques en faveur du dyothélisme. Tous ces faits montrent surabondamment l’importance qu’avait prise, depuis le ve siècle, la preuve tirée des Pères considérés comme docteurs et comme organes de la tradition ecclésiastique.
Quant à la philosophie, on peut dire que, dans cette même période du ve au viie siècle, son influence alla grandissant, et que l’usage que l’on en fit dans la théologie devint plus fréquent à mesure que les questions controversées exigèrent des analyses plus subtiles et des raisonnements plus serrés. Théodoret parle assez légèrement des philosophes anciens en général : il ne croit guère à leur vertu ni même à leur originalité intellectuelle. Saint Cyrille en fait plus de cas et, dans sa réfutation de Julien, s’autorise volontiers de Platon, de Pythagore et de Plotin. Mais dans l’œuvre de Léonce de Byzance, la philosophie tient une place énorme : elle en forme la partie la plus neuve. Et la même disposition se retrouve dans les écrits de saint Maxime. Cette philosophie, toutefois, n’est plus, d’une façon aussi marquée, celle de Platon ou de Pythagore. Depuis la fin du ve siècle une évolution se produit qui tend à allier d’abord, puis à substituer chez les théologiens l’influence d’Aristote à celle de Platon. Cette évolution est due, je l’ai dit, au besoin ressenti d’une dialectique plus sévère. Le platonisme ainsi combattu, ou plutôt le néoplatonisme règne cependant en maître dans les œuvres du Pseudo-Aréopagite, et par lui pénètre dans les commentaires de saint Maxime. Il restera la philosophie de la théologie mystique et contemplative, de cette théologie qui, comme l’écrit le faux Denys, ne démontre pas la vérité, mais la fait voir à nu sous les symboles, et y fait pénétrer sans raisonnement l’âme altérée de sainteté et de lumière.