On entend par littérature chrétienne l’ensemble des écrits composés par des chrétiens sur des sujets chrétiens. Par cette définition se trouvent exclus les ouvrages profanes composés par des chrétiens, comme le sont de nos jours une foule de livres de science positive ou d’histoire, aussi bien que les ouvrages des non-chrétiens portant sur des sujets chrétiens : le Discours véritable de Celse par exemple.
La littérature chrétienne ancienne est celle des premiers siècles chrétiens, de l’antiquité chrétienne. On s’accorde généralement à fixer la fin de cette antiquité, pour l’Église grecque, à la mort de saint Jean Damascène (vers 749) et, pour l’Église latine, à celle de saint Grégoire le Grand (604) ou mieux de saint Isidore de Séville (636), moment où des éléments nouveaux, empruntés au monde barbare, viennent modifier sensiblement la pureté du génie latin.
Ainsi entendue, l’ancienne littérature chrétienne embrasse et les écrits du Nouveau Testament — écrits essentiellement chrétiens, œuvres de chrétiens, — et les écrits des hérétiques que l’on peut encore appeler chrétiens. C’est ainsi que l’ont comprise et qu’en ont traité M. Harnack dans son Histoire de l’ancienne littérature chrétienne jusqu’à Eusèbe, et Mgr Batiffol dans sa Littérature grecque.
D’autres auteurs — et c’est le plus grand nombre jusqu’ici parmi les catholiques — ont exclu de leurs histoires non seulement les livres du Nouveau Testament, objets d’études indépendantes, mais aussi les écrits des hérétiques notoires, condamnés par l’Église. Ils ont eu tendance ainsi à réduire l’histoire de l’ancienne littérature chrétienne à l’histoire des écrits des Pères de l’Église, à une Patrologie.
Le nom de Père de l’Église, qui a son origine dans le nom de Père, donné dès le deuxième siècle aux évêquesa, est devenu courant au ve siècle pour désigner les anciens écrivains ecclésiastiques — ordinairement des évêques — morts dans la foi et la communion de l’Église. Il ne convient toutefois strictement, d’après les théologiens modernes, qu’aux écrivains qui réunissent les quatre conditions suivantes : orthodoxie doctrinale, sainteté de la vie, approbation de l’Église, ancienneté. Mais pratiquement, on l’étend à bien des auteurs qui ne réalisent pas, intégralement du moins, les trois premières conditions. Personne, par exemple, ne songe à éliminer de la liste des Pères Tertullien, Origène, Eusèbe de Césarée, Fauste de Riez et beaucoup d’autres. Les erreurs qu’on leur reproche n’ont pas tellement contaminé leurs ouvrages qu’ils soient plus dangereux qu’utiles, et que le bien ne s’y montre supérieur au mal. C’est à eux, en tout cas, que convient éminemment le titre d’écrivains ecclésiastiques.
a – Cf. Martyrium Polycarpi, xii, 2 : (Πολύκαρπος) ὁ πατὴρ τῶν χριστιανῶν, Polycarpe le père des chrétiens.
[Pour être Docteur de l’Église l’antiquité n’est pas requise, mais, outre les trois autres qualités demandées pour les Pères, il faut une science éminente et une déclaration spéciale de l’autorité ecclésiastique. L’Église latine reconnaît particulièrement quatre grands docteurs : saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin et saint Grégoire ; l’Église grecque admet trois grands docteurs œcuméniques : saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome.]
Quelle que soit l’étendue que l’on donne au nom de Père de l’Église, la Patrologie est l’exposé de la vie et des œuvres de ceux que l’on désigne par ce nom. Elle reste donc, en définitive, une partie de l’Histoire de l’ancienne littérature chrétienne, puisqu’elle laisse en dehors de ses recherches et les écrits canoniques du Nouveau Testament, et les écrits formellement et foncièrement hétérodoxes. On comprend cependant que, sur ce dernier point, il existe pour les auteurs de patrologie une certaine tolérance. Comme la connaissance des œuvres des hérétiques est souvent nécessaire pour comprendre les réfutations qu’y ont opposées les Pères, la plupart de ces auteurs n’hésitent pas à en mentionner et à en faire connaître les principales. C’est ce que nous ferons ici nous-même. Nous ne dirons rien des écrits du Nouveau Testament ; mais nous signalerons, en partie du moins et brièvement, les livres hétérodoxes qui ont eu cours dans l’antiquité.
Une question seulement se pose ici : la Patrologie, outre l’histoire de la vie et des œuvres des Pères, doit-elle comprendre un exposé de leur doctrine ; doit-elle fournir les éléments d’une théologie patristique ?
Théoriquement, on l’affirme ; en fait, la chose est difficile à réaliser. Une patrologie qui voudrait exposer, même succinctement, l’enseignement de chaque Père sur toute la doctrine chrétienne devrait être très étendue et se répéter sans cesse. Que si elle négligeait ce que cet enseignement a de commun avec celui des autres Pères, et se bornait à signaler ce qu’il offre d’original et de singulier, elle risquerait fort de donner de l’auteur une impression fausse et de n’en présenter que des vues incomplètes. Aussi pensons-nous qu’il vaut mieux résolument séparer la Patrologie de la Patristique et traiter de la doctrine des Pères dans l’Histoire des dogmes. Les deux sciences ne peuvent que gagner à être ainsi étudiées chacune pour soi. Tout au plus la Patrologie peut-elle indiquer, pour certains Pères, les doctrines qu’ils ont le plus mises en relief.
[Ce défaut de laisser une impression fausse est arrivé à Nirschl, Fessler, Rauschen et même à Bardenhewer. L’idée de Nirschl de citer, à la suite de la notice sur chaque Père, quelques-uns de ses textes les plus importants, a été reprise et scientifiquement réalisée par J. Rouet de Journel, Enchiridion patristicum, 3e édit., Friburgi Brisgoviae. 1920. Cet ouvrage suppléera abondamment à ce que nous ne disons pas ici.]