Je mets en lumière des Sonnets Chrétiens, que j’ai composés dans les heures de quelques mauvaises nuits. Je ne cherchais en cela qu’à charmer mon inquiétude, et je trouvais quelque douceur à fixer ma triste imagination sur ces innocentes pensées.
Je prenais les sujets selon qu’ils s’offraient d’eux-mêmes, sans songer ni à la liaison, ni au choix. Mais comme ces petits ouvrages se sont insensiblement multipliés, j’ai été obligé de les mettre dans quelque ordre, et de les diviser même en quatre livres, pour en ôter la confusion.
Ce corps de sonnets ainsi disposés, n’est pas semblable au corps humain, dont toutes les parties dépendent tellement l’une de l’autre, qu’elles ne peuvent subsister détachées de leur tout. C’est ici comme un bouquet de diverses fleurs, dont l’arrangement n’empêche pas que chaque fleur, séparée des autres, ne puisse avoir son odeur et sa beauté particulière. Ainsi, quelque ordre que j’aie mis dans ce recueil, on peut considérer chaque sonnet comme une pièce détachée et indépendante, qui, sans rapport aux autres, a en elle-même tout ce qu’elle est capable d’avoir ou d’agrément, ou d’utilité.
Je n’ai pas dessein de rabaisser le prix des plus magnifiques ouvrages de poésie, pour faire valoir mes faibles productions. Je dirai seulement ici, qu’il en est à peu près de la poésie, comme de la musique. L’une et l’autre deviennent ennuyeuses, si elles durent trop longtemps. Et quand même on regarderait la lecture des vers comme une promenade libre et sans contrainte, qui ne sait que la plus délicieuse promenade, quand elle est trop longue, ne laisse pas de fatiguer ?
J’applique cela aux Poèmes Héroïques. C’est-là sans doute que la poésie fait éclater ce qu elle a de plus harmonieux, et qu’elle paraît avec tous ses charmes. Mais comme toutes les parties de ces grandes pièces sont tellement liées ensemble, que pour en bien juger, et en faire son profit, il faut écouter tout le concert depuis le commencement jusqu’à la fin, et faire toute la promenade d’un bout à l’autre sans prendre haleine, il est comme impossible que l’on ne soit fatigué par cette longue application.
On peut dire, au contraire, que les sonnets, par leur brièveté, sont commodes aux lecteurs, parce qu’ils ne leur donnent pas le temps de se lasser. Ce sont comme autant de petits airs séparés, dont la musique n’est pas ennuyeuse, parce qu’elle est courte ; et ce sont comme autant de petites promenades, au bout desquelles on peut prendre le frais, et se reposer.
Au reste, je sais qu’il y a des gens qui regardent les termes et les fictions des poètes grecs et latins de l’antiquité païenne, comme l’âme et la forme essentielle de la poésie. Ainsi ils ne font nulle estime des vers qui, bien que formés par des chrétiens, ne sont pas animés de cet air du paganisme ; et qui, bien que français, ne sont pas vêtus à la Grecque ou à la Romaine. Chose étrange qu’il faille être païen pour être poète, et que sous le christianisme on encense encore aux idoles !
Mais, aille qui voudra dresser ses autels sur le Parnasse, et boire a la Fontaine Castaline : c’est un lieu où je n’eus jamais envie d’aller ; jamais, grâce au vrai Dieu, je n’invoquai ni le faux dieu Apollon, ni les Muses profanes, que l’on dit qui lui tiennent compagnie. J’ai toujours porté mes vœux en la Montagne de Sion, et au Ruisseau de Siloé. Aussi qu’est-ce, je vous prie, du violon de cette idole de la Phocide, et de la lyre de ces neuf filles fabuleuses, au prix de la harpe de David, et de la musette du Sanctuaire ? Et que sont tous les lauriers de l’Achaïe, en comparaison des palmes de la Terre-Sainte ?
Quoi qu’il en soit, je ne prétends pas que l’on trouve dans mes vers la délicatesse, ni la pompe que l’on trouve aujourd’hui dans des ouvrages même de dévotion et de piété, où les grâces, pour être chrétiennes, n’en sont que plus belles et plus aimables, puisqu’elles en sont plus pures et plus chastes.
Il sera pourtant aisé de reconnaître, que mes sonnets sont plus ou moins poétiques, plus ou moins heureux, selon la diversité des sujets ; ou, si vous voulez, selon la diverse disposition de mon esprit lorsque je m’y suis appliqué. Il faut même avouer qu’il y a ici quelques sonnets tendres et affectueux, qui n’y sont demeurés que parce qu’ils ont été l’occasion de tous les autres, et qu’ayant été faits sur des rencontres particulières où j’étais fort intéressé, je n’ai pu me défaire de ma tendresse pour eux, et j’ai accoutumé mes amis à les voir et à les souffrir. Les génies sont merveilleusement différents. Il y en a qui n’aiment dans les vers que les descriptions historiques, et les peintures naturelles. On en voit qui ne se plaisent qu’aux sujets de morale et de piété. Quelques-uns veulent des idées délicates, et qui flattent l’imagination. Mais d’autres souhaitent des pensées solides, et des expressions qui touchent le cœur. Enfin, les uns recherchent les fleurs et la magnificence du style, et les autres ne demandent que des fruits sans ornement et sans façon ; c’est-à-dire, qu’ils se déclarent pour le style simple et naturel, où sans art et sans figures les vers coulent doucement, comme si c’était de la prose.
Ainsi je ne doute pas, que comme il y a ici des sonnets de divers genres, la diversité du génie et de l’inclination ne fasse recevoir plus agréablement aux uns, ce qui plaira moins aux autres. Si le public reçoit quelque satisfaction de ce que je lui présente, il en aura plus d’obligation à mes amis qu’à moi-même. Ce sont eux, qui ayant vu quelques-uns de ces petits tableaux de la nature et de la Grâce, que j’avais tracés seulement pour ma consolation particulière, m’ont poussé, de temps en temps, à en entreprendre de nouveaux. Souvent même, par leurs instances, ils m’ont remis à la main le pinceau que j’en avais laisser tomber, sans intention de le reprendre.
C’est pour répondre à leur désir, et sur le jugement qu’ils ont fait de mon ouvrage, que j’en hasarde aujourd’hui la publication. Aussi je prétends qu’en quelque sorte ils en doivent être les garants ; et que ce n’est pas proprement à moi, mais à eux qu’il s’en faut prendre, si l’on n’en est pas satisfait.