(Temps anciens)
Trois mouvements dans Genève – Importance de l’élément politique – Raisons de cette importance – Libertés des nations protestantes – Influence de Calvin – Pays-Bas, Ecosse, France, Angleterre, États-Unis – Liberté et libertinage – Le seizième siècle, Servet et Calvin – Étudier les grandes choses dans les petites – Trois sources de libertés – La romaine – La germanique – La chrétienne – Les trois couches du sol
Les faits ne sont pas toute l’histoire, comme les membres d’un corps ne sont pas tout l’homme. Il y a dans l’histoire comme dans le corps une âme, et c’est elle qui produit, qui anime, qui enchaîne les faits, en sorte que leur ensemble concourt à un seul et même but.
Au moment où nous allons nous occuper de Genève, qui doit devenir au seizième siècle, par le ministère de Calvin, le centre le plus puissant de réforme, une question se présente donc à nous.
Quelle a été l’âme de la Réformation de Genève ? Sans doute, le salut par la foi en Christ mort pour sauver ; sans doute le renouvellement du cœur par la Parole et l’Esprit de Dieu. Mais à côté de ces éléments suprêmes, qui se sont trouvés dans toutes les Réformations, on en rencontre de secondaires qui ont existé dans tel pays et non dans tel autre. Celui que nous découvrons à Genève mérite peut-être de fixer l’attention des hommes de notre temps ; l’élément caractéristique de la Réforme genevoise, c’est la liberté.
Trois grands mouvements s’accomplirent dans cette ville durant la première moitié du seizième siècle. Le premier fut la conquête de l’indépendance ; le second fut la conquête de la foi ; le troisième fut la conquête de la rénovation et de l’organisation de l’Église. Berthelier, Farel, Calvin sont les trois héros de ces trois épopées.
Ces divers mouvements étaient tous nécessaires. L’évêque de Genève était aussi prince temporel, comme à Rome ; il était difficile d’enlever à l’évêque sa houlette, si on ne lui enlevait pas d’abord son épée. La nécessité de la liberté pour l’Évangile et de l’Évangile pour la liberté est reconnue maintenant de tous les hommes sérieux ; or il y a déjà trois cents ans que l’histoire de Genève l’a proclamée.
Mais, dira-t-on, une histoire de la Réformation n’a point à s’occuper de l’élément séculier, politique, social. On m’a reproché de n’avoir pas mis suffisamment en vue cet élément dans l’histoire de la Réformation de l’Allemagne, où il eut relativement peu d’importance. On me reprochera peut-être de m’en occuper trop dans la Réformation de Genève, où il tient une place éminente. Il est difficile de satisfaire tous les goûts ; le plus sûr est de se diriger d’après la vérité des principes et non d’après les exigences des personnes. Est-ce notre faute si la vie d’une époque a des traits qui la caractérisent ? si l’on ne peut y supprimer l’élément séculier, sans faire tort à l’élément spirituel ? si couper l’histoire en deux c’est la dénaturer ? Dans la Réforme de Genève, et en particulier dans la constitution de son Église, l’élément de liberté prédomine plus que dans celles d’autres contrées. Or on ne peut en connaître la raison que si l’on étudie le mouvement qui a produit cette réforme. L’histoire de l’émancipation politique de Genève est intéressante en elle-même ; la liberté, comme on l’a ditb, n’a jamais été commune dans le monde ; elle n’a prospéré ni sur toutes les terres, ni sous tous les cieux, et les époques où un peuple lutte justement pour la liberté sont les privilégiées de l’histoire. Or, une telle époque se rencontra au commencement des temps modernes ; mais, chose étrange, c’est presque uniquement dans Genève que les luttes de la liberté font des premiers temps du seizième siècle, des temps privilégiés.
b – M. de Rémusat.
Il y a plus, nous trouvons dans ce petit peuple des hommes étonnants par leur dévouement à la liberté, par leur attachement à la légalité, par la hardiesse de leurs pensées, la fermeté de leur caractère, la surabondance de leur énergie. Après un repos qui avait duré plusieurs centaines d’années, la nature humaine ayant retrouvé ses forces, comme le fait une terre en friche, étala presque partout au seizième siècle les merveilles de la plus puissante végétation. Genève est sans doute alors le plus petit théâtre de cette fermentation extraordinaire ; mais il n’est pas celui où il y a le moins d’héroïsme et de grandeur ; et à cause de cela seul, il vaudrait la peine de l’étudier.
Toutefois ce sont d’autres raisons qui nous y engagent. J’ai dit la première : la lutte de la liberté dans Genève fut l’un des agents de sa transformation religieuse ; pour connaître celle-ci, il faut connaître celle-là. Voici la seconde : Calvin est la grande figure de cette époque ; il est donc nécessaire d’étudier le sol sur lequel cette figure s’élève ; la connaissance de l’histoire de Genève avant Calvin peut seule faire comprendre la vie de ce grand réformateur. Mais voici la troisième raison, en même temps la plus importante. C’est l’histoire de la Réformation du seizième siècle, au temps de Calvin, que nous entreprenons de décrire. Or ce qui distingue principalement la Réformation de Calvin de celle de Luther, c’est que partout où elle s’est établie, elle a apporté non seulement la vérité mais aussi la liberté, et tous les grands développements que ces deux, principes féconds amènent avec eux. La liberté politique s’assied alors, nous allons le voir, sur ces collines qui portent à l’extrémité méridionale du Léman la cité de Calvin, et dès lors elle ne les a point quittées. Mais il y eut plus. Cette liberté terrestre, fidèle compagne de la vérité divine, arriva en même temps qu’elle dans les provinces unies des Pays-Bas, en Angleterre, en Écosse, puis aux États-Unis, ailleurs encore, et elle créa partout de grands peuples. La Réformation de Calvin est celle des temps modernes ; c’est la religion destinée au monde universel. Profondément spirituelle, elle sert en même temps d’une manière admirable tous les intérêts temporels de l’homme. Elle a les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir.
Les institutions libérales des nations protestantes ne sont pas dues uniquement à la Réformation de Calvin ; elles ont des sources très variées, et ne sont pas d’importation étrangère. Il y avait dans le sang de ces peuples des éléments de liberté, et des hommes rares ont exercé au milieu d’eux une influence civilisatrice ; la grande charte est plus ancienne que la Réforme de Genève ; mais nous croyons (nous pouvons nous tromper) que cette Réformation a eu quelque petite part à l’introduction de ces principes constitutionnels, sans lesquels les peuples ne peuvent parvenir à l’âge de majorité. D’où vient cette influence ?
Le peuple de Genève et son grand docteur ont chacun laissé leur empreinte sur la Réformation qui sortit de ses murs. L’empreinte de Calvin fut la vérité ; l’empreinte du peuple fut la liberté. Cette dernière circonstance nous oblige à raconter les luttes dont Genève fut le théâtre, et qui, presque inconnues jusqu’à cette heure, sont venues pourtant, comme un filet d’eau, accroître le grand fleuve de la civilisation moderne. Mais il y a une seconde et plus puissante cause. Parmi les grands principes que Calvin a mis en lumière, le premier est la souveraineté de Dieu. Il a prescrit de rendre à César ce qui appartient à César, mais il a ajouté : « Il faut que Dieu retienne toujours le souverain empire et que tout ce qui peut être dû aux hommes demeure subalterne. L’obéissance envers les princes s’accorde avec le service de Dieu ; mais si les princes usurpent quelque chose de l’autorité de Dieu, il ne faut leur obéir qu’autant qu’il se pourra faire sans offenser Dieuc. » Si ma conscience est pleinement soumise à Dieu, je suis libre quant aux hommes ; mais si je tiens à autre chose qu’au ciel, les hommes peuvent facilement m’asservir. La vraie liberté n’est que dans les régions élevées. L’oiseau qui rase la terre peut la perdre à chaque instant ; mais on ne peut la ravir à l’aigle qui plane dans la nue.
c – Calvin, Harmonie évangélique, Matthieu 20.21.
Les grands mouvements accomplis par les peuples au seizième et au dix-septième siècle, dans le sens des lois et de la liberté, ont avec la Réformation de Calvin certains rapports qu’il est impossible de méconnaître.
Guy de Brès revient, avec beaucoup d’autres, de Genève dans les Pays-Bas, et bientôt le grand combat entre les droits du peuple et le despotisme révolutionnaire et sanglant de Philippe II commence ; des luttes héroïques s’accomplissent, et la création des Provinces-Unies en est le glorieux couronnement.
Jean Knox retourne aussi, de Genève où il a passé quelques années, dans l’Écosse sa patrie ; et le papisme, l’amour de l’arbitraire, l’immoralité de la nièce des Guises, font place, dans ces nobles contrées à l’enthousiasme pour l’Évangile, la liberté, la sainteté, qui n’a cessé d’embraser dès lors les âmes ardentes de ce peuple énergique.
Les disciples et les amis innombrables de Calvin apportent chaque année en France les principes de la liberté religieuse et politiqued ; un terrible combat s’engage avec le papisme et le despotisme des Valois, puis des Bourbons. Et si ces princes cherchent à détruire les libertés pour lesquelles les huguenots donnent leur sang, il en demeurera pourtant des restes impérissables dans cette illustre nation.
d – Parmi les écrits politiques des disciples de Calvin, voir la Gaule franke. — Le Réveille-matin des Français et de leurs voisins, etc.
Les Anglais réfugiés à Genève pendant les sanglantes persécutions de Marie s’y pénètrent d’amour pour l’Évangile et la liberté. Ils retournent en Angleterre ; une source y jaillit sous leurs pas. Ces eaux contenues sous Elisabeth, dans un canal étroit, s’élèvent sous ses successeurs. Elles sont bientôt un torrent rapide et bruyant qui déborde, et dont les flots trop hardis emportent le trône même dans leur cours impétueux. Mais ramené dans son lit par la main sage de Guillaume d’Orange, le torrent intrépide devient un fleuve bienfaisant qui porte au loin la prospérité et la vie.
Enfin Calvin fui le fondateur de la plus grande des républiques. Les pèlerins, qui sous Jacques Ier abandonnant leur patrie, abordèrent sur les rives stériles de la Nouvelle-Angleterre, et y établirent des colonies bientôt populeuses et puissantes, sont ses fils, ses fils directs et légitimes ; et cette nation américaine, que l’on a vu en peu d’années croître en lumière, en puissance, en liberté, salue comme son père l’humble réformateur des bords du Léman.
Il est, il est vrai, des esprits distingués qui accusent de despotisme cet homme de Dieu ; et cela s’explique. Parce qu’il a été ennemi du libertinage, on en a fait l’ennemi de la liberté. Nul n’a été plus opposé que Calvin à l’anarchie morale et sociale qui menaçait le seizième siècle, et qui désole toutes les époques incapables de la réprimer. Cette lutte courageuse de Calvin est l’un des plus grands services qu’il ait rendus à la liberté, car elle n’a pas de plus dangereux ennemis que l’immoralité et le désordre.
Sans doute, s’il est question des moyens destinés à réprimer le mal, Calvin n’a pas été au-dessus de son siècle, qui était unanime, dans toutes les communions, pour l’application des châtiments les plus graves. Si un homme est dans l’erreur quant à la connaissance de Dieu, c’est à Dieu seul qu’il a un compte à rendre. Quand les hommes, souvent les meilleurs, s’établissent vengeurs de Dieu, la conscience se révolte et la religion se voile. On n’en était pas là il y a trois siècles, et les esprits les plus éminents payent toujours de quelque manière leur tribut à la faiblesse humaine. Et pourtant, dans une circonstance célèbre, quand un malheureux, dont les doctrines menaçaient la société, se trouvait devant les tribunaux civils de Genève, il y eut, dans toute l’Europe, une seule voix qui s’éleva dans un sens favorable à l’accusé ; une seule voix qui demanda un adoucissement à la peine de Servet ; et cette voix fut celle de Calvine.
e – « Pœnæ vero atrocitatem remitti cupio. » « Je désire que l’atrocité de la peine lui soit remise. » (Calvin à Farel, 26 août 1553). Calvin parait avoir ensuite engagé ses collègues à se joindre à lui. « Genus mortis conati sumus mutare, sed frustra. » « Nous nous sommes efforcés de changer le mode de sa mort, mais en vain ; pourquoi n’avons-nous pas réussi ? je renvoye de vous le dire jusqu’au moment où je vous verrai. » (le même au même, 26 octobre 1553.) Farel répond à Calvin : En désirant adoucir la sévérité de la peine, vous avez agi comme un ami, envers un homme qui est votre grand ennemi. »
Quels que soient les préjugés invétérés que l’on rencontre dans le monde, l’histoire, témoin irrécusable, place Calvin parmi les pères des libertés modernes. Peut-être que peu à peu on verra les hommes impartiaux prêter l’oreille aux justes et graves accents de cette voix des siècles ; et plus on reconnaîtra l’importance et l’universalité de la Réformation issue de Genève, plus aussi on nous excusera d’oser attirer quelques moments l’attention sur les temps héroïques de cette obscure cité.
Le seizième siècle est le plus grand de tous ; c’est l’époque où tout finit et où tout commence ; rien n’y est futile, pas même le plaisir ; rien n’y est petit, pas même une ville posée inaperçue au pied des Alpes.
Or, dans ce siècle rénovateur, tout plein de directions contraires, de luttes énergiques, le mouvement religieux n’eut pas un foyer unique, il en eut deux comme l’ellipse ; un vers fameux les a nommésf :
f – Henriade.
Je ne décide pas entre Genève et Rome.
Le foyer catholique était en Italie dans la métropole de l’ancien monde ; le foyer évangélique, allumé à Wittemberg, fut transporté au centre des peuples européens, dans la plus petite des cités, celle même dont nous avons à raconter l’histoire.
On a pu en parlant de certaines époques, du règne de Charles-Quint par exemple, voir un désavantage dans la grandeur du théâtre où l’action se passait ; on a pu se plaindre de ce que l’acteur principal, quelle que fût sa taille, s’y trouvait nécessairement rapetissé. Cet inconvénient ne se rencontre pas dans le récit que j’entreprends de faire. Si l’empire de Charles-Quint a été le plus grand théâtre de l’histoire, Genève en a été le moindre. D’un côté un grand empire ; de l’autre, une république microscopique. Mais cette petitesse fait ressortir davantage la grandeur de l’action. Des esprits superficiels seuls se détournent avec dédain d’un drame sublime, parce que la scène où il se joue est étroite, et la représentation sans éclat. Étudier les grandes choses dans les petites est l’un des travaux les plus utiles pour l’homme. Ce que je me propose (et c’est ma justification) ce n’est pas de décrire une minime cité des Alpes, cela n’en vaudrait pas la peine ; mais d’étudier dans cette cité une histoire qui est au fond une image de l’histoire de l’Europe, de ses maux, de ses luttes, de ses aspirations vers quelque chose de meilleur, de ses libertés politiques et de ses transformations religieuses. Peut-être, je l’avoue, l’attachement aux lieux qui m’ont vu naître m’a fait examiner de plus près et raconter plus au long nos annales. Cette pensée de la patrie, que je reconnais n’avoir pas été étrangère à mon travail, m’exposerait-elle à de sévères reproches ? Elle sera plutôt, je l’espère, une raison qui me disculpera. « Ce livre, disait Tacite en commençant l’un de ses immortels ouvrages, m’a été dicté par l’affection ; ce sera sa louange, ou du moins son excuseg. » Nous serait-il défendu de nous abriter modestement derrière la haute stature du prince de l’histoire ?
g – « Hic enim liber professione pietatis, aut laudatus erit, aut excusatus. » (Tacitus, Agricola, III.)
Les libertés modernes proviennent de trois sources très différentes, de l’union de trois caractères, de trois lois, de trois mondes, de trois conquêtes, — la romaine, la germanique et la chrétienne. La combinaison de ces trois influences, qui a fait l’Europe moderne, se retrouve d’une manière assez frappante dans la vallée lémanique. Les trois torrents venus du midi, du nord, de l’orient, dont la réunion forme le grand fleuve de la civilisation, déposèrent dans ce petit creux, que la main du Créateur a fait entre les Alpes et le Jura, de précieuses alluvions dont, après plusieurs siècles, il est facile de distinguer encore les parties diverses.
On trouve d’abord dans Genève l’élément romain. En effet, cette cité fit longtemps partie de l’empire ; « c’était, dit César, la dernière ville des Allobrogesh ; » elle devint l’un des chefs-lieux de la province viennoise. A une lieue de Genève s’élevait jadis un marbre antique à l’honneur de Fabius Maximus l’Allobrogique, qui, cent vingt-deux ans avant Jésus-Christ, avait triomphé des peuples de ces contréesi ; et Jules-César lui-même, qui fit autour de cette ville d’immenses travaux, y laissa son nom à un grand nombre de colons romains ou du moins de clients. Des vestiges plus notables se retrouvent dans la plupart des villes que les Romains occupèrent, ce sont les institutions municipales ; il est permis de croire que Genève ne leur demeura pas étranger.
h – « Extremum oppidum Allobrogum. » (De Bello Gallico, I, 6.)
i – Spon, Hist. de Genève, livre I.
Au cinquième siècle le second élément des libertés modernes parut avec les Germains. Les Burgondes, ces Teutons de l’Oder, de la Vistule, de la Warta, déjà convertis au christianisme, jetèrent leurs bandes dans le vaste bassin du Rhône, et un esprit d’indépendance, sortant des lointaines forêts du Nord, souffla sur les rives du lac Léman. Toutefois la race burgonde, à la vigueur des autres Germains, unissait un esprit plus doux, plus civilisateur. Le roi Gondebaud se bâtit un palais dans Genève ; une inscription placée au-dessus de la porte du château, à quinze pieds de hauteur, portait : Gundebadus rex clementissimus, etc., et elle a subsisté jusqu’à nos joursj. C’est de ce château que partit la nièce du roi, la fameuse Clothilde qui, en épousant Clovis, amena au christianisme ce fondateur de la royauté française. Si ce fut de Genève que les Francs reçurent alors la profession chrétienne, plusieurs de leurs descendants devaient, au jour de Calvin, en recevoir la Réformation.
j – Voir dans les Mémoires d’Archéologie l’Inscription de Gondebaud à Genève, par M. Ed. Mallet, t. IV, p. 305. M. le professeur A. De la Rive ayant, en 1840, construit une maison sur l’emplacement de l’ancien château, la porte ou arcade fut démolie ; la pierre et l’inscription sont au Musée académique.
L’oncle de Clothilde répara les brèches de la cité, et ayant assemblé ses plus habiles conseillers, fit ces lois bourguignonnes qui protégeaient également le petit et le grand et défendaient l’honneur et la vie de l’homme contre toutes les atteintesk.
k – « Ordinum Consilium Genevæe habitum est in quo novæ leges ab illo rege (Gondebaud) latæ… » (Fragment cité par Godefroy).
Au reste ce premier royaume de Bourgogne, fondé par les Burgondes, ne dura pas longtemps. En 534, il tomba dans les mains des rois mérovingiens, et l’histoire de Genève fut absorbée dans celle de la France, jusqu’en 888, époque où le second royaume de Bourgogne sortit des ruines de l’empire majestueux mais éphémère de Charlemagne.
Mais déjà, avant l’invasion des Burgondes, au cinquième siècle, une partie de l’Europe, et Genève en particulier, avaient subi une autre conquête. Dès le second siècle, le christianisme avait des représentants dans presque toutes les parties du monde romain. Au temps de l’empereur Marc-Aurèle et de l’évêque Irénée (177), des chrétiens persécutés à Lyon et à Vienne, en Dauphiné, voulant se soustraire aux flammes et aux bêtes farouches auxquelles Rome jetait les enfants de Dieu, désireux d’essayer si leur pieuse activité ne pourrait pas porter des fruits en quelque autre endroit, avaient remonté les eaux redoutables du Rhône, étaient venus au pied des Alpes (le refuge et les réfugiés sont anciens dans cette contrée), et y avaient apporté l’Évangile, comme d’autres réfugiés venant aussi des Gaules, et fuyant aussi des persécuteurs, devaient y apporter, quatorze siècles plus tard, la Réformation. Il semble que ce furent seulement des disciples, d’humbles anciens et évangélistes qui, au second et au troisième siècle, répandirent les premiers la Parole divine sur les bords du Léman ; on peut donc croire que l’Église s’y constitua sous sa forme la plus simple. Ce ne fut du moins que deux siècles plus tard, en 381, que Genève eut un évêque, Diogènesl, et ce premier évêque est même contestém. Quoi qu’il en soit, l’Évangile que les réfugiés apportèrent dans la vallée qui s’abaisse entre les Alpes et le Jura proclama, comme partout, l’égalité de tous les hommes devant Dieu, et y devint l’un des principes d’une sage liberté.
l – Liste des Evêques de Genève, d’après Bonivard. (Gaberel, Histoire de l'Église de Genève, Pièces justificatives, p. 4.)
m – M. Baulacre (Œuvres, I, p. 37) pense que ce Diogènes était un évêque genois.
Ainsi se trouvèrent mélangés dans ces lieux les grands éléments générateurs de la société actuelle. César, Gondebaud, et un nom chrétien inconnu, représentent, si l’on peut ainsi dire, les trois couches qui forment le sol genevois.
Retraçons ici rapidement quelques points saillants de l’histoire ancienne de Genève. Les fondements sur lesquels un édifice repose n’en sont pas sans doute la partie la plus intéressante ; mais ils en sont peut-être la plus utile.