Les disciples de notre Seigneur lui demandèrent un jour de leur enseigner à prier, et il leur répondit : « Quand vous priez, n’usez point de vaines redites, comme font les païens ; car ils s’imaginent être exaucés en parlant beaucoup. Ne leur ressemblez donc point ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. Vous donc, priez ainsi :
Notre Père qui es aux cieux, Ton nom soit sanctifié ; Ton règne vienne ; Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Et acquitte-nous nos dettes, comme nous acquittons aussi les dettes à nos débiteurs. Et ne nous induis point en tentation ; mais délivre-nous du mal. Amen. (Luc 11.1-4 ; Matthieu 6.7-13). »
Nous apprenons par ces paroles de Jésus-Christ 1° comment il faut que nous priions, et 2° ce que nous devons demander à Dieu ; deux points qu’il est également essentiel de connaître.
De quelle manière faut-il qu’on prie ?
Faire peu de paroles, mais être pénétré profondément de ce que l’on dit, voilà la bonne méthode qui nous est recommandée par Jésus-Christ. Les prières qui se répandent le moins en paroles, sont les meilleures ; les prières verbeuses sont les plus mauvaises. Peu de mots, beaucoup d’âme, voilà la prière du chrétien. Abondance de discours et sécheresse de cœur, voilà celle du païen. C’est pourquoi Jésus-Christ dit : Quand vous priez, n’usez point de vaines redites, comme font les païens ; et à la femme samaritaine : Il faut que ceux qui adorent Dieu, l’adorent en esprit et en vérité, car le Père en demande de tels qui l’adorent (Jean 4.23-24).
La prière spirituelle est opposée, dans ce passage, à la prière corporelle ; la prière véritable, à celle qui n’est qu’apparente. Lorsqu’on se borne à murmurer des oraisons que la bouche profère sans qu’on les accompagne de ses pensées, c’est le corps qui prie et non pas l’âme, on adore Dieu en apparence, et non en vérité. La prière spirituelle et véritable, au contraire, est celle qui part du fond du cœur, élan, soupir, aspirations d’une âme qui cherche l’Éternel, et qui a soif du Dieu vivant. Celle-ci nous sanctifie et nous maintient dans une craintive humilité, tout en nous pénétrant d’une filiale confiance. L’autre rend hypocrite et donne lieu à une fausse et orgueilleuse sécurité.
Toutefois, il y a ici une distinction à établir, car on peut prier de trois manières différentes.
Et d’abord, par pure obéissance. C’est ainsi que les prêtres et les ecclésiastiques chantent et lisent les prières du culte public. Telles encore les prières que votre confesseur vous impose, ou celles que vous avez fait vœu de dire. Dans cette sorte de prières, ce qu’il y a à peu près de mieux, c’est l’obéissance, et elles doivent être mises au même rang que toute autre œuvre d’obéissance, pourvu qu’on les fasse avec simplicité, et non dans l’intention de gagner de l’argent, des honneurs, des éloges. Car telles sont les grâces ineffables attachées à la parole de Dieu, qu’encore qu’on ne la réciterait qu’avec la bouche et sans dévotion, elle ne laisserait d’être efficace et de faire mal au diable, à supposer toujours qu’on fût guidé en cela par un principe d’obéissanceb.
b – Nous trouvons dans ce paragraphe une des idées caractéristiques du luthéranisme, celle de la puissance mystérieuse que conserve la parole de Dieu dans les cas même où la foi est très petite et très faible. (F. R.)
On peut prier, en second lieu, sans obéissance, soit à contre-cœur et avec répugnance, soit pour obtenir des richesses, des honneurs et des louanges humaines. Mieux vaudrait point de prières que de pareilles prières. Elles reçoivent sans doute ici-bas leur salaire en biens ou honneurs temporels. Mais ce sont précisément ses domestiques que Dieu paie, et non ses enfants.
Enfin, on peut prier par dévotion du cœur. Ici l’apparence se change en vérité, l’acte extérieur en un mouvement de l’esprit, ou, pour mieux dire, c’est la vérité cachée au fond de l’âme, qui rompt les digues du corps et qui fait éclater au dehors sa lumière. Or, il est impossible à celui qui prie avec ferveur et recueillement d’user de beaucoup de paroles. L’âme qui cherche à comprendre et à approfondir le sens des oraisons qu’elle récite, s’interrompt et s’arrête pour en méditer en elle-même les pensées et le contenu. Celui qui ne fait qu’entasser parole sur parole n’a pas le temps de réfléchir. C’est pourquoi les formulaires dont on se sert ne doivent être considérés que comme une impulsion, un choc donné à l’âme pour la faire entrer dans le cercle d’idées, de sentiments et de désirs qu’expriment les paroles de la prière. C’est ainsi que plusieurs psaumes portent en titre : « Louez l’Éternel, » c’est-à-dire que le peu de paroles qu’ils contiennent doivent exciter notre cœur à de pieuses pensées et à de saints désirs. D’autres psaumes sont coupés par le mot sélah (c’est-à-dire pause), qui ne doit être ni lu, ni chanté, mais qui se trouve placé là comme un banc de repos, qui nous invite à nous arrêter pour nous livrer à la contemplation des idées qui nous ont été présentées.
En quels termes nous devons prier, et ce qui doit être l’objet de nos prières.
Quant aux paroles dont nous devons nous servir lorsque nous invoquons Dieu, les voici : Notre Père, qui es aux cieux, etc. Car cette prière nous venant du Seigneur Jésus-Christ, nous ne pouvons douter qu’elle ne soit la prière la plus excellente, la plus sublime et la mieux appropriée à nos besoins. Si notre Seigneur en avait connu une meilleure, ce pieux et fidèle docteur n’aurait pas manqué de nous l’enseigner. Ce qui ne veut pas dire que toute autre oraison soit mauvaise, par là même qu’elle est conçue en des termes différents. Bien des saints personnages ont vécu avant la naissance du Seigneur, lesquels ne connaissaient pas ce formulaire. Mais ce que j’affirme, c’est qu’on doit tenir pour suspecte toute prière qui ne renfermerait pas le même sens et les mêmes pensées. Car les psaumes, par exemple, ne sont si propres à nous guider dans nos exercices de dévotions, que parce que l’Oraison dominicale s’y retrouve tout entière, quoique sans doute sous une forme moins précise et moins nette.
Aussi ceux-là sont-ils dans l’erreur qui présument de comparer, ou de préférer même quelque prière que ce soit à celle du Seigneurc, surtout lorsque c’est une prière qui a pour principal objet de demander la santé et une longue vie, des biens et des honneurs, ou encore la délivrance des maux temporels, toutes choses dans lesquelles l’homme cherche sa propre volonté et gloire, plutôt que la volonté et la gloire de Dieu.
c – Luther indique dans le texte les prières qu’il a en vue : les quinze prières de sainte Brigitte, les rosaires, les couronnes, etc. Saint Cyprien avait dit avant lui : « Peut-il y avoir une prière plus spirituelle que celle qui nous a été donnée par Celui-là même qui nous a donné le Saint Esprit ? et peut-on adresser au Père une prière qui lui soit plus agréable que celle qui est sortie de la propre bouche du Fils, qui est la vérité même ? Ce n’est donc pas seulement une ignorance, mais une faute de prier autrement qu’il nous l’a enseigné, puisqu’il reproche aux juifs, Marc 7.8, de rejeter le commandement de Dieu pour établir leur tradition. » (Cyprien, de l’Oraison dominicale, au commencement). (F. R.)
L’Oraison dominicale se divise en deux parties. Il y a d’abord l’Invocation, ou introduction ; ensuite viennent les sept demandes.