Par R. Saillens
Il y a trente-cinq ans environ, deux Américains se firent entendre à Paris, plusieurs soirs de suite, dans un lieu de culte appelé l'Oratoire ; et la seule annonce de leurs noms remplit l'édifice chaque soir, longtemps avant l'heure fixée. Ces deux Américains étaient D. L. Moody, le prédicateur revivaliste, et I. D. Sankey, le chanteur chrétien.
Le petit livre dont nous offrons aujourd'hui au public une nouvelle édition, contient quelques-uns des discours prononcés par Moody, soit à 'Oratoire, soit dans d'autres occasions.
Qui était Moody ?
Le fils d'une humble paysanne de Northfield, dans l'Etat de Massachussets, en Amérique. Né en 1837, il dut de très bonne heure quitter sa mère veuve pour gagner sa vie dans les grandes villes, et habita successivement Boston et Chicago, où il fut employé dans une maison de chaussures. Mais, pendant qu'il était à Boston, à l'âge de 19 ans, son cœur s'ouvrit à la grâce de Dieu. Très ignorant de toutes choses, et particulièrement des choses religieuses — car sa mère, quoique excellente femme, ne lui avait pas enseigné la foi évangélique — Moody ne tarda pas à s'instruire, puis il commença à essayer d'instruire les autres. Son cœur brûlant de zèle et d'amour ne pouvait supporter l'idée de laisser périr tant d'âmes appelées par Dieu à la vie éternelle ; et il fonda une École du dimanche populaire qui compta bientôt des milliers d'élèves. Peu à peu, l'entreprise s'élargit et demanda le sacrifice entier de son temps et de ses forces. En 1860, Moody était arrivé à gagner 25.000 francs dans son année, par son commerce de chaussures. En 1861, ayant renoncé à ce commerce pour se livrer complètement à l'évangélisation, il ne reçut que 1.500 francs,
Dès ce moment, Moody devint un prédicateur de plus en plus populaire, au grand étonnement de ceux qui l'avaient connu jeune, et n'avaient jamais soupçonné les dons d'intelligence, de volonté et de parole que Dieu lui avait départis. Mais il est probable, et même certain, que sans la grâce de Dieu, ces dons n'auraient servi qu'à produire un commis-voyageur hors ligne, qui se serait enrichi dans les affaires. Peut-être aurait-on parlé de Moody comme on parle aujourd'hui de tel ou tel Roi de l'Acier, du Charbon ou du Pétrole. Il aurait été le « Roi de la Chaussure », et serait mort milliardaire... Ne vaut-il pas mieux qu'il ait dépensé sa vie à gagner des âmes au Sauveur, et soit mort dans la paix et la joie, laissant derrière lui des millions d'existences transformées, tout un monde pour bénir sa mémoire ?
Tout un monde, ce n'est pas trop dire. L'activité de Moody se dépensa d'abord dans la ville grandissante de Chicago, où il avait chaque dimanche et presque chaque soir de très nombreux auditoires, mais bientôt - par un concours de circonstances qu'il serait trop long de raconter — il fut appelé à évangéliser l'Angleterre et d'autres pays de langue anglaise. Accompagné de M. Sankey, son excellent et dévoué collègue, qui chantait d'une voix admirable, mais sans aucune recherche artistique, des hymnes très simples, souvent composées par lui-même, Moody se fit entendre dans les plus vastes locaux d'Édimbourg, de Glasgow, de Liverpool, de Londres ; et il arriva quelquefois que, ces locaux mêmes ne pouvant contenir la foule, la réunion dut se faire en plein air ; ainsi à Edimbourg, où Moody parla et Sankey chanta devant plus de cinquante mille personnes assemblées devant le Cristal-Palace.
La prédication de Moody, comme on le verra en lisant les pages qui suivent, était la simplicité même. Il n'abordait pas la question religieuse par le côté intellectuel, mais par celui de la conscience et du cœur. Il savait — par l'instinct mystérieux que le Saint-Esprit donne à ses véritables serviteurs — que l'âme humaine est séparée de Dieu bien moins par les mystères impénétrables à l'esprit humain, que par le péché. Amener ses auditeurs à être convaincus de leurs péchés, à en avoir honte, à en désirer le pardon ; puis leur montrer, leur offrir la grâce de Dieu en Jésus-Christ, comme on offre du pain à des affamés — telle était toute la sagesse, toute la philosophie de Moody. Si l'expérience est la meilleure démonstration de l'efficacité d'un remède, l'expérience certes, a bien prouvé que le remède présenté par Moody à tous les malades spirituels qui accouraient à ses réunions, est seul vraiment efficace.
Ce remède, où le puisait-il ? Dans le Livre inspiré qui était à peu près sa seule nourriture intellectuelle et spirituelle : la Bible. Personne ne connaissait mieux la Bible que lui, n'était plus capable d'extraire de toutes ses parties la mœlle divine qui y est contenue. Voilà confirmée une fois de plus l'assertion d'un grand penseur chrétien, Alexandre Vinet, que tous les vrais réveils religieux ont leur source dans l'orthodoxie biblique.
Mais la fidélité doctrinale, si essentielle qu'elle soit, n'aurait pas suffi à faire de Moody le prédicateur puissant, le conquérant d'âmes qu'il a été. Ce qui le caractérisait particulièrement, au moins pour l'auteur de ces lignes, qui a eu le grand privilège de l'entendre souvent et de le voir de près pendant sa mémorable campagne de 1875 à Londres — c'était son extraordinaire sensibilité, sa tendresse de cœur si évidente, qu'il était impossible de ne pas en être touché. Il y avait une telle émotion, un amour si simple et si naïf dans ses discours, que, malgré leur forme peu classique, on était saisi, gagné ; on sentait qu'un tel amour devait venir de plus haut que de celui qui en était le canal. Ce petit Américain parlant avec son accent yankee, on l'oubliait bientôt, pour ne voir que son Maître, le divin Sauveur jadis cloué au Calvaire, où il a expié tous nos péchés par amour pour nous.
Mais ce don royal, ce don divin, l'amour, comment Moody l'avait-il reçu ? Dieu l'avait versé dans son cœur par le Saint-Esprit.
Le Saint-Esprit est le don de Dieu, sans lequel toute philanthropie est vaine ; sans lequel toute œuvre sociale est vouée à n'être que superficielle et ne saurait saisir et transformer le cœur des hommes ; sans lequel l'orthodoxie la plus rigoureuse n'est qu'un squelette sans vie. Confessons-le : les Eglises ont failli presque partout à leur tâche, parce que les hommes souvent très instruits, très honorables et même très pieux, qui étaient à leur tête, n'ont pas été revêtus de cette « puissance d'en haut », sans laquelle il est impossible de faire des miracles.
En 1871, à Chicago où il avait fait construire un grand édifice qui s'emplissait chaque soir, Moody avait souvent remarqué deux dames, toujours assises sur le premier banc... La réunion terminée elles lui disaient : « Nous avons prié pour vous ».
— Et pourquoi ne priez-vous pas pour les auditeurs ! leur demanda-t-il.
— Parce que vous avez besoin de recevoir la puissance du Saint-Esprit.
Ces paroles finirent par frapper Moody ; elles éveillèrent dans son âme une intense faim et soif spirituelles...
« J'avais besoin de puissance ? Mais je croyais la posséder, cette puissance ! Mon auditoire était le plus nombreux de Chicago, il s'y produisait beaucoup de conversions... Sans se lasser ces deux femmes continuèrent à prier pour moi ; et ce qu'elles me dirent de la nécessité d'être oint du Saint-Esprit me donna fort à réfléchir. Je finis par leur demander de venir causer avec moi. Elles vinrent, et nous nous mîmes à genoux. Elles répandirent leur cœur devant Dieu et le supplièrent de me donner la plénitude de son Esprit. Je sentis alors s'éveiller en moi comme une grande inspiration vers quelque chose que je ne connaissais pas encore. Je criai à Dieu comme je ne l'avais jamais fait auparavant. Je sentis qu'en réalité peu m'importait de vivre davantage, si je n'obtenais pas cette puissance... » Il la reçut enfin, au cours d'une visite à New-York.
« Eh bien, dit-il, un certain jour, à New-York, — oh ! comme je m'en souviens ! — je ne puis décrire la chose, et même je n'y fait fais souvent allusion, car ce fut une expérience presque trop sacrée pour en parler... Je puis seulement dire que Dieu lui-même se révéla à moi ; j'eus une telle manifestation de son amour que je dus lui demander d'arrêter sa main. Après cela, je repris mes prédications ; en apparence elles ne furent pas différentes ; je ne présentais aucune vérité nouvelle, et pourtant des centaines de personnes furent converties ».
Il nous est impossible de suivre Moody dans toute sa carrière. Disons seulement qu'après avoir prêché l'Evangile en bien des endroits divers, et avoir donné à la cause évangélique une impulsion qui n'est comparable qu'à celle que Wesley et Whitefield lui avaient imprimée au XVIIIe siècle, et grâce à laquelle d'innombrables œuvres missionnaires et charitables virent le jour, Moody se consacra surtout à former des prédicateurs fidèles et une jeunesse instruite et chrétienne. Son village natal, Northfield, devint et est resté un centre très vivant d'enseignement et d'éducation : Ecoles primaires et secondaires, pour jeunes gens et jeunes filles, cours de vacances, cours bibliques, conventions chrétiennes, tout cela fut créé par lui et continue à prospérer sous la direction intelligente de l'un de ses fils. C'est à Northfield que Moody mourut paisiblement, le 22 décembre 1899. Que Dieu donne à notre pays des hommes tels que lui ! Mais il faut, pour cela, que nous devenions des chrétiens authentiques, nés à la vie nouvelle par la repentance envers Dieu et la foi en Jésus-Christ. Jeune homme, jeune fille qui lisez ces lignes, ne voulez-vous pas recevoir la grâce de Dieu dans sa plénitude, afin d'échapper vous-même à la condamnation qui pèse sur vous, et de devenir pour la France, selon que Dieu vous y appellera, un de ces bons ouvriers de salut et de consolation, dont elle a tant besoin, hélas ! et qu'il lui faudra pendant si longtemps encore !
R. SAILLENS