Quelles médecines pour quelle santé ?

Chapitre I

La médecine classique

On applique volontiers ce titre à la science intéressée au maintien de la santé et à la découverte des lois qui la régissent.

Aux temps anciens, l’art de guérir était avant tout l’apanage des prêtres, serviteurs des dieux que l’on supposait auteurs, pour le moins ordonnateurs, de la vie. K’i chez les Chinois, Esculape chez les Grecs étaient les plus souvent cités.

Si Galien et Hippocrate, les deux médecins célèbres dont la science fit autorité jusqu’à la fin du XVIIe siècle, n’associaient pas nécessairement leur art de guérir à un sacerdoce, leur enseignement, fruit de leurs études et de leurs intelligentes observations cliniques, n’était pas un déni de l’existence et de l’œuvre d’un Créateur. Il fallut la venue du siècle dit « des lumières » pour que, progressivement, une partie de la médecine s’installe dans une sorte de camp retranché, étranger à toute considération « religieuse » en rapport avec la médecine, et limité aux strictes observations de la connaissance naturelle interprétée selon les règles de la raison.

Encore ne faut-il pas généraliser. Si tel chirurgien a pu se gausser de la foi judéo-chrétienne en disant qu’il n’avait jamais trouvé d’âme à la pointe de son scalpel, Ambroise Paré, le père de la chirurgie, se gardait bien d’une telle faconde. Parlant de son art et de son malade momentanément arraché à la mort, il disait : « Je le pansay, Dieu le guarist. » Et de nombreux médecins contemporains le disent aussi.

Cependant, sous beaucoup de ses aspects, la science médicale du début du XXe siècle se réclamant du savoir de Paré n’avait pas nécessairement sa modestie. Ses études et recherches – naturelles, biologiques, expérimentales, rationnelles, aidées par de nombreuses techniques ouvertes à de constantes remises en question – ont connu des succès inégalés. Ils le sont en effet. Mais pour autant n’effacent-ils pas des échecs tout aussi réels, parfois même inquiétants, laissant entendre que cette science ne maîtrise pas le phénomène maladie et guérison. Elle en est consciente. En cette fin de siècle, elle a abandonné beaucoup de ses prétentions et retrouvé cette modestie qui fait dire aux vrais savants : « Plus je connais, plus j’apprends que je suis loin de connaître. »

Autre constatation :

La médecine des temps anciens, ses observations, son savoir, ses remèdes souvent empiriques, ses pratiques hygiéniques affinées par l’expérience et le bon sens ont eu cours des siècles durant. L’examen, le diagnostic, la prescription des remèdes participaient de son enseignement. La médecine classique a hérité de cette connaissance. Cependant, si ses moyens d’investigation, riches en découvertes, ont supplanté et souvent révolutionné les connaissances de la médecine antique, elle a parfois commis l’erreur de soigner l’homme tel un être strictement physiologique. Elle a reconnu cette méprise. Elle y a remédié en tenant compte du principe constitutif de l’homme : son âme. D’où l’intérêt qu’elle a porté à la médecine de la personne. Dans les hôpitaux, mais aussi dans les traitements à domicile, une juste attention est prêtée à la participation du malade à sa propre guérison, aux réponses loyales à donner à ses questions, au soulagement des douleurs, des troubles, des angoisses qu’il peut éprouver. Auprès des patients, elle favorise, et même recommande, l’accueil d’un accompagnant à même de répondre à leur quête du sens à donner à ce qu’ils éprouvent du fait de leur maladie. Elle s’occupe aussi de la valorisation du temps de leur convalescence, ou alors du soutien qu’ils souhaiteraient ou demanderaient à l’ultime étape de leur existence.

Cependant, et semblablement à d’autres instances de notre monde, cette médecine classique est parfois loin de répondre à nos attentes et à nos interrogations. On lui doit certes de nombreuses et heureuses guérisons. En un siècle, la mortalité infantile a considérablement régressé et la longévité connaît la progression que l’on sait, avec tous les problèmes que pose une population vieillissante. Or, sur cette lancée, elle paraît concéder facilement aux exigences de ceux qui réclament d’elle, en plus de ses interventions ponctuelles, des stimulants. Ils devaient être occasionnels ; elle accepte qu’ils deviennent quotidiens et participent à ce leurre d’une existence où l’on reste toujours jeune, toujours ingambe, toujours fécond et performant. Et ceux-là même qui réclament d’elle des excitants, des remontants, ou alors des apaisants et des calmants, font volontiers chorus avec ceux qui reprochent à cette médecine de remplacer une thérapie lucide et responsable par une médication massive et chimique qui infecte l’organisme.

De plus, cette médecine « classique » ne laisse pas de nous interroger par l’une ou l’autre de ses contradictions. Un enfant viendrait-il à naître avec une infirmité affectant gravement et son identité et sa survie, le médecin n’hésite pas à tout mettre en œuvre – et à quel prix – pour que vive l’’enfant, fût-ce artificiellement. Certes, il répond ainsi à sa vocation première ; il honore l’attente confiante de ceux et celles qui l’appellent à leur secours. Mais cette lutte acharnée au service de la vie est parfois parallèlement et résolument menée au profit de la mort. Ce même médecin use de sa science pour que l’enfant conçu meure par avortement !

Autre exemple : en certaines circonstances, comme si la mort était un échec à sa science, le médecin prolonge artificiellement une existence qu’un accident ou le naturel vieillissement ont rendue végétative et strictement organique. Il accrédite ainsi l’accusation faite à cette médecine d’être par trop matérialiste, de marginaliser la qualité de la vie, d’être plus attentive à la réussite de ses traitements qu’aux véritables attentes et besoins du malade.

Ces quelques observations amèneront le lecteur à s’interroger. Pour quelles raisons, au nom de l’Evangile de Jésus-Christ, prenons-nous la liberté d’intervenir dans un domaine et un débat qui n’ont rien de spécifiquement chrétien ? Outre le fait qu’aucune formation médicale ne nous donne, en l’occurrence, une voix autorisée.

A cette juste question, une double réponse doit être donnée.

La première est une simple explication. La guérison de l’homme tient une grande place dans la Parole biblique et le ministère de Jésus-Christ en particulier. Cette guérison concerne toute la personne, esprit, âme et corps. Elle inclut sa vie physique, sa vie intérieure, mais aussi sa vie communautaire et sociale.

S’il appartient à l’homme de choisir entre les moyens de guérison qui lui sont proposés, il lui appartient aussi de discerner s’ils correspondent au dessein de Dieu de secourir et guérir l’humanité de tout le mal mortel qui l’affecte.

Assortie de cette clarification, la seconde réponse, elle aussi, est importante et s’accompagne d’une nouvelle question : médecine alternative1 et médecine scientifique sont-elles les deux rameaux d’un seul tronc, ce qui les ferait recommander l’une et l’autre ?

1 Nous englobons sous ce terme les médecines appelées aussi « douces », « parallèles » et, sous le terme « médecine scientifique », celle appelée également classique, officielle.

L’abondante littérature en rapport avec la médecine scientifique reste accessible à une minorité privilégiée. Les médias ne se préoccupent guère d’en disserter. Sauf exception.

Par contre, les thérapies alternatives, auréolées de la qualification alléchante de « médecines naturelles », sont au goût du jour et s’emploient à étoffer leurs lettres de crédit.

L’intérêt que leur porte le commun des mortels a retenu l’attention des médias devenus les coryphées, les enseignants, les propagateurs, les illustrateurs de ces médecines assurées efficaces, économiques, équilibrantes, dynamisantes.

Dans sa majorité, le peuple retient ce que prônent et recommandent les médias. D’autant plus qu’à la clé de ces thérapies concurrentielles et assurées nouvelles s’inscrivent deux mots percutants : santé et bonheur.

Il est vrai que nous sommes une génération menacée de bien des manières, mal préparée à la résistance nerveuse et psychique, alors que nous devrions disposer de cette résistance. Le mythe du progrès laisse voir ses graves fêlures. On ne sait plus à qui ou à quoi attribuer le mal-être qui atteint l’individu autant que la famille, l’économie autant que la santé. L’athéisme lui aussi est en crise. Les idéologies qu’il inspirait se sont effondrées l’une après l’autre. On est à la recherche d’un nouvel homme, de nouveaux modes d’existence, d’un nouveau monde. Hier, Dieu était mort. Aujourd’hui, on pressent son existence, on s’intéresse à toute possibilité de le rencontrer, de partir à sa découverte. La métaphysique, la parapsychologie, l’irrationnel sont à l’ordre du jour et retiennent l’attention.

A l’évidence, la majorité déclarée incrédule ne l’est pas toujours réellement. Elle n’est même pas dupe de ses propres dénégations religieuses, souvent affichées pour se protéger des intrus. Mais au-dedans, rien n’est résolu. Et la santé ne l’est pas non plus, en dépit de toute l’attention et de tout l’argent qu’on y consacre. Et l’on écrit : « Non à une médecine déshumanisée, oui aux médecines sages. » Avec cette autre précision : « Nous plaidons pour une médecine plus humaine, une médecine de bon sens et de dialogue qui ne considère plus l’homme comme un objet mesurable, « médicable » et « charcutable » à merci... une médecine pratiquée par des hommes compétents qui n’ont pas oublié les préceptes essentiels d’une sagesse éternelle » C’est pourquoi, devant les offres des diverses et nombreuses thérapies actuelles, rares sont les indifférents.

Les chrétiens, eux aussi, sont intrigués. Ils ont raison de l’être. Avec cette remarque obligée : ils ont peut-être trop tardé à s’interroger. Car leur ignorance en ce domaine est allée de pair avec un acquiescement naïf à ce qu’on leur propose, ou avec un refus non moins simpliste d’y prêter la main.

Chrétiens ou non, tous cherchent des certitudes. Où les trouver dans un monde où l’incertitude domine les événements et les idées ? La science elle-même en est marquée et connaît un certain désarroi. Le dieu Progrès se veut facteur de sécurité. En réalité, d’étape en étape, le colosse garde ses pieds d’argile. A tout considérer, comme l’a dit quelqu’un, une seule chose est certaine, la mort.

Dieu dit sa claire volonté de nous guérir de nos maladies et de nous libérer de la mort. Dans ce dessein, il se déclare médecin et il a ses thérapies.

Confinée dans son espace limité, la science médicale, longtemps, n’a pas tenu compte de ce possible « secours divin ». Elle le disait ouvertement :

Aujourd’hui, elle ne souscrit plus à de tels propos. En effet, au cours de ces dernières décennies, la médecine dans son ensemble a connu et connaît encore de profondes remises en question. Elle va jusqu’à se défaire de son titre de « science » au bénéfice d’un titre mieux en rapport avec les mutations de son savoir. Elle pratique « l’art médical ».

Cela ne signifie pas que l’exercice de cet art inclut d’emblée le recours possible à des données d’ordre métaphysique. Sans nier que l’homme, objet de ses soins, dépend d’une origine et d’une existence transcendant les limites de sa connaissance, simplement elle laisse de côté cet aspect de la réalité. Ce que ne font pas les médecines alternatives, intéressées par les composantes aussi bien physiques et psychiques du malade, et tout autant, même prioritairement, par les facteurs extérieurs qui le régissent au niveau existentiel ou spirituel. Il faut le souligner : c’est la caractéristique première des médecines alternatives.

Si l’une ou l’autre d’entre elles, semblablement à la médecine classique, s’en prend aux modes de vie destructeurs de la santé, vise à rétablir la responsabilité des patients envers eux-mêmes, souligne à juste titre la part des émotions, de la conscience, de la volonté et de l’intelligence dans le processus de guérison ou le maintien de la santé, nombre de médecines alternatives, dans leurs thérapies, se distancent résolument d’une approche strictement objective et rationnelle des patients. Elles en déplorent l’aspect par trop matérialiste et lui substituent une connaissance de l’homme où la métaphysique joue parallèlement un rôle de premier plan. D’où le terme de médecine holistique (du grec holos qui signifie « entier », « total »). Ces thérapies se réclament d’un savoir puisé à la source créatrice et constitutive de l’Univers. Sous l’appellation d’Energie cosmique, cette force existentielle est transférée à l’homme et en l’homme par la médiation du thérapeute initié. Ses thérapies chargées d’un dynamisme cosmique transmettent au patient vie et santé en harmonie avec l’ensemble du monde créé.

Récemment encore, en Suisse en particulier, seule la médecine classique avait le sceau de l’officialité, avec les exigences légales qui en garantissaient l’exercice. Les médecines alternatives n’étaient pas ignorées des médecins, ni des patients. Les uns et les autres pouvaient y recourir, même si, officiellement et en vérité, elles étaient déconsidérées. Ceux ou celles qui y recouraient étaient seuls à devoir en assumer les échecs. Au pire, les praticiens pouvaient être dénoncés pour incompétence et, s’ils n’avaient pas de diplôme, punis pour exercice illégal de la médecine.

Durant ces deux dernières décennies, les statuts de la Santé publique ont connu de profondes modifications. Certes, la profession médicale reste liée à des exigences de formation dans des écoles reconnues. Mais ces dernières ont largement ouvert leurs portes aux thérapies alternatives jusqu’ici refusées. Si la médecine classique occupe la large voie centrale d’une formation de thérapeute, les médecines alternatives y ont acquis le droit à des pistes parallèles officialisées.

En conséquence, après consultation de la Chambre médicale suisse, le Département fédéral de l’Intérieur, par le biais de l’OFAS2, a agréé les médecines alternatives. Leurs prestations indemnisent les soins et remèdes des deux types de médecine. Il est connu que Jésus-Christ a aussi chargé ses disciples de guérir les malades. Avec un brin d’humour, on pourrait remarquer que cette médication est bientôt la seule à ne pas être reconnue par les Caisses-maladie !

2 Office fédéral des assurances sociales.

Devant la possibilité de recourir à l’une ou à l’autre de ces médecines, des raisons subjectives ou contingentes peuvent conduire au choix de l’une des deux. C’est ainsi que procède la majorité des gens. Par ailleurs, il est de plus en plus fréquent que le médecin lui-même propose et administre à ses patients la médication que subjectivement ils auraient écartée.

Enfin, il est généralement reconnu que la médecine classique se tient sur le terrain sécurisant des thérapies dès longtemps pratiquées, éprouvées, vérifiées, confirmées. La sécurité est donc souvent le mobile premier d’un recours à cette médecine. Et à cette fin, comme l’écrit le Dr Jacques-Antoine Pfister3 : « La médecine « orthodoxe » (classique) se doit d’être naturaliste, expérimentale, affranchie de tout système philosophique. Elle s’est développée dans le sillage d’une volonté raisonnée, raisonnable, rationnelle, de s’affranchir d’une subordination aveugle à des forces incompréhensibles, étranges, dangereuses, occultes, qui maintiennent l’homme dans un esclavage angoissé. Cette démarche a pris naissance dans l’Antiquité; elle se poursuit encore actuellement et ne prétend pas avoir achevé son exploration. Les lacunes sont encore multiples, tant au niveau du savoir que de la pratique. »

3 Dossier « Semailles et Moisson » n° 11 : Le choc des médecines, p.23 et 29. Editions Je sème, Genève.

Le crédit accordé aujourd’hui à ces médecines « étranges », ajouté au témoignage positif de nombreux patients et de nombreux médecins, oblige à une remise en question des préjugés que l’on pouvait avoir à leur égard. Cependant, devant les alléchantes promesses et la publicité qui leur est faite, une mise en garde s’impose, quitte à déplaire et à passer pour mal informé, voire borné et sectaire. Il est donc nécessaire qu’une observation et une étude objectives de ces divers types de médecines viennent justifier la prudence recommandée ainsi qu’un refus occasionnel et motivé devant leurs prestations trompeuses.

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