Pour obtenir la vraie notion du miracle, il est important d’examiner les diverses désignations que l’Écriture en donne. En effet, le nom d’une chose est une déclaration de son essence, un témoignage de ce que les hommes ont toujours ressenti à son contact ; aussi lorsque nous voulons connaître cette chose, il nous faut commencer par étudier les mots qui la désignent. La Bible parle de « miracles » de « prodiges », de « signes », de « puissances », d’œuvres ».
Le mot « prodige » (τέραςb) ne désigne que le côté extérieur du miracle ; son sens moral serait entièrement perdu, s’il ne produisait qu’un simple étonnement ou qu’une simple admiration ; le même effet pourrait être produit par une cause infiniment moindre. Aussi, les miracles du Nouveau Testament ne sont jamais appelés des « prodiges » sans qu’un autre mot plus caractéristique accompagne ce dernier : « signes et prodiges, » ou « signes, » ou « puissances ». Le miracle considéré comme « prodige, » comme fait extraordinaire qui ne s’explique par aucune loi connue, doit appeler l’attention sur un monde supérieur, engager l’homme à prendre garde à l’appel qui lui est adressé par ce moyen (Actes 14.8-18).
b – Τέρας donne en français tératologie étude des monstres. Le mot θαῦμα (français thaumaturge) qui lui est cousin est employé par les Pères grecs, mais jamais tel quel dans l’Écriture. On trouve θαυμάσιον Matthieu 21.15, et le verbe θαυμάζειν qui traduit l’étonnement éprouvé face au prodige.
Mais il est aussi un « signe, » (σημεῖον) une indication de la présence et de l’œuvre de Dieu. Ce mot fait bien comprendre son but moral ; les miracles sont des signes et des gages de réalités supérieures (Ésaïe 7.11 ; 38.7) ; ils ont de la valeur, non pas tant en soi que comme manifestations de l’amour et de la puissance de Celui qui les opère, de sa divinité. Ils sont souvent comme des lettres de crédit données à celui qui les accomplit (le Seigneur confirmant le témoignage par des signes ; Marc 16.20 ; Actes 14.3 ; Hébreux 2.4) ; ce sont des actes qui doivent légitimer l’Envoyé de Dieu. Nous lisons, par exemple : « Quel signe nous montres-tu ? » (Jean 2.18) « nous voudrions te voir faire un signe ; » (Matthieu 12.38) « montre-nous un signe venant du ciel » (Matthieu 16.1). Saint Paul dit qu’il a « les signes de l’apostolat » (2 Corinthiens 12.12), les preuves qu’il est bien réellement apôtre. Dans l’Ancien Testament, Dieu accorde deux « signes » à Moïse, quand il l’envoie délivrer Israël. Il avertit que Pharaon lui demandera de légitimer sa mission, de produire les lettres qui l’accréditent comme ambassadeur de Dieu (Exode 7.9-10). Dieu donna « un signe » au prophète qu’il envoya auprès de Jéroboam (1 Rois 13.3). Tout signe n’est pas nécessairement un miracle ; une simple coïncidence, un événement quelconque peuvent être des signes pour le croyant, qui l’assurent de la vérité d’une prédiction. Les anges donnent pour « signe » aux bergers qu’ils trouveront le petit enfant emmailloté et couché dans une crèche » (Luc 2.12). Samuel donne à Saül trois « signes » pour prouver que Dieu l’a établi roi sur Israël ; le dernier seul a quelque chose de surnaturel (1 Samuel 10.1-9). Le prophète donne a Héli, comme « signe » de la vérité de ses menaces, la mort de ses deux fils (1 Samuel 2.34). Dieu donna à Gédéon un « signe » de la victoire qu’il remporteraitc (Juges 7.9-15). Lorsqu’un homme est convaincu que Dieu lui-même le dirige, il peut voir « un signe » de cette direction dans tel ou tel événement (Genèse 24.14-21 ; Juges 6.36-40).
c – Les mots τέρας et σημεῖον sont souvent unis dans le Nouveau et dans l’Ancien Testament.
Les miracles sont souvent aussi appelés les « puissances » ou les « œuvres puissantes » de Dieu (δυνάμεις). L’effet donne son nom à la cause, quand il s’agit de « prodiges » ; ici, la cause donne son nom à l’effetd. La « puissance » réside dans le messager divin (Actes 6.8 ; 10.38) ; Christ est seul « la grande puissance de Dieu » (Actes 8.10). Le mot « puissance » signifie aussi les effets, les diverses manifestations de cette puissance ; ce sont alors des « puissances, » des « œuvres merveilleuses » (Matthieu 7.22), des « œuvres puissantes » des « œuvres merveilleuses » (Matthieu 11.20 ; Marc 6.14), des « miracles » (Actes 2.22 ; 19.11).
d – Le mot ἐξουσία (autorité) se rattache à cette idée quoiqu’il ne soit employé qu’une fois dans le sens de miracle. Ils sont appelés ἔδοξα (Luc 13.17) en tant que manifestant la gloire de Dieu (δόξα), et Μεγαλεῖα parce que produits par la grande puissance de Dieu
Ces trois termes qui servent à désigner les miracles et que nous venons d’examiner, se trouvent réunis trois fois (Actes 2.22 ; 2 Corinthiens 12.12 ; 2 Thessaloniciens 2.9), quoique dans un ordre différent. Ils servent à décrire les différentes faces d’une même œuvre, que des œuvres diverses. La guérison du paralytique (Marc 2.1-12) était un « prodige, » car tous ceux qui en furent témoins étaient « dans l’étonnement ; » c’était une puissance, car le paralytique se leva, sur l’ordre de Christ, « prit son lit et sortit en présence de tout le monde ; » c’était également « un signe, » car cette guérison témoignait de la présence d’un homme supérieur aux autres, venu pour pardonner les péchés.
Les miracles sont souvent appelés aussi « œuvres (ἔργα), » dans l’Évangile de Jean (Jean 5.36 ; 7.21 ; 10.25, 32, 38 ; 14.11-12). Le merveilleux, pour saint Jean, n’est que la manifestation naturelle de Celui qui possède la plénitude de Dieu ; en raison de son origine supérieure, il doit faire des œuvres plus grandes que celles de l’homme. Ces miracles sont la circonférence du cercle dont il est le centre. Le grand miracle, c’est l’incarnation ; tous les autres en procèdent il n’est pas étonnant que Celui dont le nom est « l’Admirable » accomplisse des œuvres merveilleuses ; ce qui serait surprenant, c’est qu’il ne le fit pas. Ces prodiges sont le fruit, selon son espèce, que porte l’arbre divin ; ce sont des œuvres de Christ.