Anwoth, 23 avril 1629
Mon affection chrétienne ne vous perd pas de vue, Madame ; j’ai regretté de me séparer de vous en vous laissant sous le poids de la perte de votre fille. Cependant je suis assuré que vous avez remis sur votre puissant Sauveur la partie la plus lourde de la croix qui repose sur vous. Esaïe a dit : « Dans toutes nos afflictions le Seigneur est affligé avec nous » (Ésaïe 53.9). Béni soit-Il de vouloir bien souffrir avec nous ! Heureuse est votre âme de marcher dans la fournaise ardente, avec Celui qui est tout à la fois le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. Courage donc, relevez-vous et tenez-vous pour certaine qu’il vous soutiendra avec votre fardeau ! Encore un peu de temps, et vous verrez le salut de Dieu (Psaumes 55.22). Rappelez-vous l’âge de votre fille. Quelle qu’en ait été la durée, c’est un prêt qui lui a été confié. Etait-ce dix-huit, dix-neuf, vingt années ?… Le terme était échu, et vous ne devez pas murmurer de ce que votre Maître a pris ce qui Lui appartenait, pas plus que ne doit le faire le fermier dont le bail est arrivé à terme, lorsque son seigneur reprend sous sa propre direction, soit une partie, soit toutes ses terres.
Chère Madame, vous vous désoleriez si Christ vous enlevait l’héritage céleste qu’Il vous a acquis par sa mort ; de son côté Christ ne serait-Il pas affligé si vous Lui refusiez le don volontaire de votre fille ? Ne fait-elle pas partie de l’héritage qu’Il a conquis avec son propre sang ? Je prie le Seigneur de vous donner tout ce qu’Il possède, et de vous faire la grâce que, de votre côté, vous Lui abandonniez tout ce qui Lui revient. Mauvais est le débiteur qui paie sa dette en murmurant. En vérité, le long prêt d’une fille si bonne et, autant que j’en puis juger, héritière de la grâce de Christ, méritait plus de reconnaissance de votre part, et plus de soumission lorsque cette jeune âme vous est redemandée. Hé quoi ! vous murmurez lorsque le Seigneur vous redemande ce qui Lui appartient ? Que penseriez-vous d’un homme qui vous rendrait ainsi l’argent que vous lui auriez prêté ? La croyez-vous donc perdue, parce qu’elle dort en paix dans les bras du Tout-Puissant ? Celle qui est reçue dans la main d’un semblable Ami, celle que Christ a recueillie, serait-elle perdue pour vous ? Si, vous ayant quittée pour aller rejoindre une amie bien chère, lors même que nous ne la dussions plus voir, vous n’auriez point d’inquiétude à son sujet, eh bien ! n’est-elle pas avec un Ami bien-aimé ? la place qu’elle occupe n’est-elle pas plus élevée ? n’avez-vous pas une espérance certaine de la revoir au jour de la résurrection, revêtue d’un corps qui ne sera ni souffrant ni altéré ? — Vous ne supporteriez pas d’être ou seulement de passer pour athée, et saint Paul dit aux Thessaloniciens : « Que ceux-là le sont qui s’affligent excessivement pour les morts » (1 Thessaloniciens 4.13). Si je parle ainsi, c’est que je crains votre faiblesse ; votre fille était une partie de vous-même, et votre cœur se sent comme brisé de cette perte. Vous ne pouvez pas, sans doute, ne pas être affligée, mais vous avez aussi de quoi vous réjouir de ce que cette partie de vous-même est déjà glorifiée dans les cieux, tandis que l’autre végète encore ici-bas.
C’est notre égoïsme qui nous fait pleurer ceux qui meurent au Seigneur, car ce n’est pas leur sort que nous déplorons, puisqu’ils n’ont connu le vrai bonheur qu’après leur mort ; c’est donc sur nous uniquement que nous versons des larmes. — Prenez garde qu’en menant deuil sur la mort de votre fille, ce ne soit votre égoïsme particulier qui vous y entraîne.
Examinez ce qu’a fait le Seigneur. Votre fille est un tison arraché du feu, elle jouit du repos dont elle était privée, et vous, vous voilà délaissée au sein de l’épreuve dans la fournaise, et ce n’est qu’au travers des flammes que vous atteindrez le lieu du repos. N’oubliez pas que l’œil de Dieu est sur le buisson ardent et il ne se consume point. Il se réjouit de voir une faible femme, telle que vous, repousser les attaques de Satan. Quand vous vous sentez faible, demandez à Dieu la force de résister au lion rugissant. Faibliriez-vous à l’heure de l’adversité ? Souvenez-vous des jours d’autrefois, le Seigneur est vivant ; ne craignez pas alors même qu’Il vous tuerait. La foi, pleine de charité, ne suppose jamais de mal dans la volonté divine. Le Seigneur s’est mis dans un des côtés de la balance avec votre conscience, et de l’autre se trouve votre amour maternel. De quel côté voulez-vous qu’elle baisse ? Soyez donc sage. Si, comme je le crois, vous aimez Christ plus qu’une créature pécheresse, bénissez la main du Seigneur qui vous a séparée de votre fille. Les jardiniers taillent les arbres pour qu’ils lancent des jets plus radieux ; le Seigneur a fait de même à votre égard, Il a émondé l’arbre de votre famille en vous retranchant plusieurs enfants, et vous finirez par vous élever comme un des cèdres du Seigneur ; votre cœur sera mis au large auprès de Christ à la droite du Père. Que reste-t-il à faire quand les branches ont été coupées ? Le tronc doit l’être aussi en son temps.
Préparez-vous, vous êtes plus près de votre fille que vous ne l’étiez hier. Tandis que vous passez votre temps à la pleurer, vous êtes rapidement entraînée après elle. Suivez votre route avec patience. Laissez à Dieu ce qui Lui appartient, et à la place de la fille qu’Il a prise, recevez ce don de la foi qui est la patience. Que votre âme en soit donc remplie ; que votre cœur se relève, car vous ne savez pas si vous êtes près de l’heure de la Rédemption. En vous recommandant ainsi au Seigneur, qui seul peut vous calmer, je demeure votre ami bien affectionné en Jésus.
S. R.