L’histoire d ’Israël est d’une importance extrême, puisqu’elle prépara le christianisme. Quand on en parle comme d’une « Histoire sainte », on ne prétend pas qu’elle met en scène des personnages parfaits ; assertion ridicule ! Elle est sainte en ce sens qu’elle balise en quelque sorte, le chenal suivi par le courant de l’Esprit pour atteindre l’humanité en plein centre. L’histoire des Juifs marque la voie d’accès au cœur du genre humain, la « ligne de moindre résistance où l’Esprit s’engagea, plus profondément que partout ailleurs, sur notre planète.
En d’autres directions, cet Esprit s’est heurté à des obstacles presque insurmontables ; mais, en Palestine, il a passé par une fissure dans la digue, et il a élargi cette fente, patiemment. Ce n’est donc pas en Chine ou aux Indes, c’est en « Terre Sainte » que le christianisme prit corps, dans le sein de la nation élue. Là s’est incarné « le Verbe ». On a raison d’affirmer qu’il s’est manifesté, d’une manière décisive, en Jésus de Nazareth ; or, Jésus était un Juif ; et depuis longtemps, durant les siècles qui précédèrent l’ère chrétienne, le Saint-Esprit, déjà « Parole » de Dieu, s’était incarné d’une manière imparfaite sans doute, mais réelle, dans le peuple prédestiné. Pour définir la mission historique d’Israël, il nous suffira de contempler ses deux représentants les plus caractéristiques : Moïse, Esaïe.
Vue du dehors, cette histoire des Juifs est peu de chose. Le cadre en est si étroit ! Mais cette considération ne nous empêchera point de rendre hommage â qui de droit. Notre époque a, d’ailleurs, formulé le « principe des nationalités », et préconisé le respect dû aux petits peuples. Sur les cartes du ciel astronomique, notre globe est quasiment invisible ; et sur la terrestre mappemonde, la Palestine existe à peine ; elle n’offre rien aux yeux, comparée aux vastes Empires anciens ou modernes. Mais la valeur de l’histoire d’Israël est constituée par l’âme cachée qui l’anime.
Au point de vue philosophique et religieux, on peut diviser cette histoire en diverses périodes, caractérisées par l’idéal qui dominait à chaque époque.
D’abord, l’âge des Héros, qui apparaissent grandis par la poésie ou la légende, comme les personnages de nos Chansons de geste. Moïse est l’entraîneur prodigieux qui mena son peuple vers la Palestine, après l’avoir délivré de l’esclavage égyptien. Il fut, lui, un héros dans tous les sens du terme, par l’immensité de son œuvre, et surtout par la sublimité de son caractère.
Vous me demanderez : Pourquoi ne point nous parler des patriarches, Abraham, Isaac, Jacob, qui vivaient avant Moïse ? - Ceux-ci n’appartiennent pas, dans le même sens que lui, à la véritable histoire. Par exemple, l’épopée d’Abraham remonte à environ deux mille ans avant Jésus-Christ. Sans doute, les fouilles qui ramenèrent à la lumière la ville d’Ur, en Chaldée, patrie d’Abraham, prouvent qu’une civilisation développée florissait à cette époque lointaine. Mais la civilisation gréco-romaine, au temps de Jésus, était autrement raffinée ; or, si les évangiles avaient été rédigés, pour la première fois, au XVIe siècle de notre ère, nous conserverions des doutes sérieux sur leur valeur historique. Il s’est passé quelque chose d’analogue pour les récits relatifs aux patriarches. Ces belles pages sont, pour une grande part, de l’édification religieuse, de la poésie morale comparable à celle des paraboles évangéliques.
Après l’époque des Héros, il faut étudier l’âge des Prophètes. Ici se dresse la noble figure d’Esaïe. Elle suffit, avec celle de Moïse, à résumer l’Ancien Testament. Ces deux géants se détachent, en un vigoureux relief, soit sur la période estompée des patriarches, soit sur le fond banal des deux périodes suivantes, dépourvues d’originalité créatrice ; d’abord, celle où toute l’influence passa aux prêtres, quand le peuple juif revint de l’Exil à Babylone ; puis, celle ou la vraie autorité fut celle des Scribes, rigides interprétateurs des textes sacrés, docteurs de la Loi. De ces deux périodes finales, l’une, celle du sacerdotalisme clérical, fut dominée par le rite ; l’autre, celle de la stricte orthodoxie, fut dominée par la lettre. Certes, il ne faut pas méconnaître le pouvoir, soit des institutions, soit des textes, pour lier en un solide faisceau les énergies nationales d’un groupement humain ; et le peuple juif en fournit la preuve, au IIe siècle avant notre ère, quand il persévéra dans sa foi religieuse, malgré d’atroces persécutions. Mais le ritualisme, d’une part, et le littéralisme, de l’autre, ne peuvent nourrir l’âme ; il ne suffit point de fanatiser celle-ci, pour l’inspirer ! Voilà pourquoi nous résumons la révélation religieuse de l’Ancien Testament dans ces deux « hommes de Dieu » : Moise, le héros, Esaïe, le voyant.