« N’impose les mains à personne avec précipitation. »
Peu après son baptême Jésus fut tenté dans le désert (Matthieu 4.1-11) ; placé sur le sommet du Temple à Jérusalem, le diable lui suggéra de se jeter en bas, le Père ayant promis d’envoyer des anges pour le porter « de peur que son pied ne heurte contre une pierre » (Matthieu 4.6). Avec la dernière vigueur, Jésus refusa d’obtempérer. Pourquoi provoquerait-Il l’intervention du Père alors qu’Il pouvait fort bien regagner la chaussée en empruntant l’escalier ? C’est en effet tenter Dieu que de réclamer son action puissante quand il nous est loisible de nous “délivrer” nous-mêmes. Dieu ne secourt pas les passifs en mesure de se tirer d’affaire tout seuls. Pasteurs et anciens devraient s’en souvenir et réclamer le don de discernement pour tenir tête à telle catégorie de chrétiens qui, se fondant sur des promesses qui ne les concernent pas, sollicitent l’intervention de l’Église pour obtenir un miracle du ciel alors qu’il leur suffit tout simplement “d’emprunter l’escalier” pour mettre un terme à leur épreuve.
Avant la guerre, un cher ami chrétien souffrait d’emphysème et en était fort éprouvé. Fallait-il lui imposer les mains pour qu’il recouvre la santé ? La guerre, et avec elle son cortège de restrictions, amenèrent d’une façon inespérée la guérison. Cet ami perdit une vingtaine de kilos – il était obèse et avait un solide appétit – et du même coup vit disparaître ses malaises comme par enchantement. Cette cure d’amaigrissement forcée opéra plus efficacement que les médicaments prescrits. Ce n’était pas d’une onction d’huile dont ce frère avait besoin mais d’un peu plus de sobriété et d’un brin de volonté pour y parvenir.
Sans doute, n’est-ce pas facile de résister à l’attrait d’un bon fumet ou d’une pâtisserie alléchante lorsqu’on a “un bon coup de fourchette”.
« Moi, sauter un repas, ou le consommer sans vin ? Impossible ! » C’est le cri de la plupart des gens appelés à suivre un régime pas nécessairement draconien. Impossible ? Sûrement pas ! … C’est toujours possible pourvu qu’on le veuille et s’y prépare. Sans en faire une loi pour autant, il serait bon de temps à autre de se priver de nourriture ou de vin simplement pour se prouver que l’on est un homme libre en ce qui concerne le manger et le boire. La devise de l’apôtre devrait être la nôtre : « Je ne me laisserai asservir par rien » (1 Corinthiens 6.12). La pratique du jeûne, qu’il soit occasionnel ou non, a une valeur hygiénique incontestable ; elle développe la maîtrise de soi, pousse à la sobriété et favorise la bonne santé. Les parents seraient bien avisés d’apprendre à leurs enfants la modération en supprimant (ou en allégeant) un repas de famille de loin en loin. Pourquoi pas ?
Un frère très actif dans le ministère me parla d’une époque de sa vie où il souffrait de douleurs violentes à l’estomac ainsi que de digestions difficiles ; les médecins le soignaient pour un ulcère, mais sans succès. Les traitements les plus divers s’avéraient tous inefficaces. Fort éprouvé, il eut l’idée d’aller consulter un spécialiste de renom. Cet homme le reçut et s’entretint longuement avec lui tout en l’observant avec intérêt. Soudain, il parut comprendre d’où venait le mal.
– Installez-vous ici et allongez-vous ! dit-il à son patient en lui montrant un divan.
Mon ami obtempéra, sans comprendre. Une fois étendu, le médecin qui ne cessait de l’observer, reprit :
– Pensez à vos mains ! Savez-vous qu’elles sont fermées, que vous faites le poing. Donc, vous êtes crispé, tendu même quand vous vous relaxez. Votre mal vient de là. Maintenant ouvrez-les ! Tout grand ! Détendez-vous consciemment. Laissez aller vos membres… Et restez ainsi un moment.
Une fois revenu à son bureau, il ajouta :
– Je n’ai aucun médicament à vous prescrire. Tous les jours, après chaque repas ou à la suite d’un effort, allongez-vous sur votre canapé en gardant les mains ouvertes, puis relaxez-vous vingt minutes à une demi-heure environ. Soyez chaque fois conscient d’être bien détendu.
Très rapidement cet exercice peu coûteux fit merveille. En quelques semaines, cet ami fut totalement délivré de ses maux. Là encore, prières et onction d’huile n’auraient pu apporter la délivrance espérée.
Laisser agir le temps. Un certain mois d’août, au cours d’une retraite qui se tenait dans un camping, nous avions abordé le thème de la guérison en consultant les Écritures. Or, durant ces journées bénies, une dame fut piquée par un insecte et sa cheville enfla tant que l’inquiétude s’empara de cette personne et gagna l’entourage. Plusieurs responsables décidèrent alors de lui imposer les mains en demandant à Dieu de la soulager de son mal. Un frère qui avait, par sa profession, quelque connaissance en la matière, me dit avec ironie : « Oh ! Il suffisait d’attendre trois jours. L’enflure ne disparaîtra qu’après-demain. » Et de fait, trois jours après, tout rentra dans l’ordre. Certainement, il eût été plus sage d’encourager cette dame à “descendre l’escalier”, c’est-à-dire à montrer un peu de patience et à attendre que “ça passe”.
Il y a les malades imaginaires qu’il n’est pas facile de détecter.
Lors d’un camp de la Ligue pour la lecture de la Bible à Sumène dans le Gard, les jeunes partirent en promenade dans la montagne durant un après-midi. Peu avant le sommet, une jeune fille de dix-sept ans environ fut prise d’un malaise et parut tituber. Aussitôt on l’allongea sur le sol, on s’affaira autour d’elle en prodiguant moult conseils plus ou moins contradictoires. Elle restait immobile, les yeux clos, les jambes raidies. Que faire ? Le plus sage était de la ramener au “Mas” à travers genêts et buissons, par des sentiers à peine tracés. Des jeunes gens s’employèrent à la transporter avec mille précautions, non sans difficultés.
Arrivé à la maison on fit appel à l’infirmière, une femme énergique, directrice de clinique qui ne s’en laissait pas conter. Sans s’émouvoir, elle observa la malade toujours immobile puis, sur un ton qui n’autorisait pas de réplique, elle ordonna :
– Tu as fini de te moquer de nous ! Lève-toi et va courir dans le pré.
La jeune fille se leva d’un bond et prit la fuite, à la surprise générale. Elle nous avait dupés. Simulait-elle la crise pour se rendre intéressante ? Etait-elle une enfant trop couvée par sa famille ? En tout cas, nous aurions eu tort de nous mettre à genoux autour d’elle pour réclamer au Seigneur la délivrance d’un mal qui n’existait pas.
Le directeur d’une maison de retraite me racontait qu’il avait parmi ses pensionnaires une dame âgée à la santé délicate ; elle suivait un régime très strict, ce qui compliquait le service. Cette personne sombra dans la sénilité et dès ce moment – chose étrange – elle dévora littéralement tout ce qui se présentait sur la table, sans jamais ressentir le moindre malaise. Il n’était plus question d’estomac ou de foie, tout allait bien. Autrement dit, le mal était dans sa tête et non dans ses viscères.
Je fus invité par des amis chrétiens à visiter un homme qu’on ne voyait plus à l’Église. Je le trouvai dans sa cuisine, prostré, les coudes sur la table et la tête dans les mains. Autrefois dynamique, entreprenant, plein d’énergie, il ne sortait plus guère de sa maison depuis plusieurs années. Sans doute les psychiatres désespéraient-ils de le voir un jour retrouver sa vigueur d’antan.
Je m’efforçai d’abord d’établir le contact avec ce frère, puis je l’interrogeai :
– Êtes-vous vraiment décidé à sortir de votre brouillard ? À guérir ?
La réponse se fit attendre. J’insistai. Enfin, il prononça le “oui, bien sûr !” que j’attendais, puis il m’avoua avec quelque hésitation qu’il avait craqué lors d’une affaire d’héritage. Un parent malhonnête l’avait spolié d’une somme très importante qui lui revenait. Depuis, la haine habitait son cœur.
– Voudriez-vous pardonner à cet homme ? lui demandai-je.
– C’est bien difficile !
– Dites plutôt que c’est impossible car la perte est énorme… Mais le Seigneur vous en rendra capable si vous y consentez ; même, Il vous donnera la force d’aimer celui qui vous a fait du tort. Il vous libérera de ce poids et vous retrouverez la joie de vivre…
D’abord réticent, ce chrétien finit par accepter de pardonner en s’humiliant d’avoir tant tardé à le faire.
La guérison ne se fit pas attendre. Le jour même, il prit part avec les siens à diverses réunions de l’Église. Surpris et tout heureux de le voir revenir, ses amis se disaient l’un à l’autre : « Qu’est-ce donc qui lui est arrivé ? Il a l’air en forme maintenant ! »
Le repentir de ce malheureux avait fait plus que les kilos de médicaments qu’il avait absorbé en vain.
On connaît la vie mouvementée du roi David qui, après avoir commis adultère avec Bath Schéba, fit périr son mari puis épousa la femme devenue enceinte (2 Samuel 11). Apparemment, tout était rentré dans l’ordre. Ni vu, ni connu !
Pas du tout ! Dieu avait tout vu, car “Sa main pesait sur lui”. Rongé de remords, David connut alors un temps de déprime des plus éprouvant, qui eut une incidence sur son état physique, comme il le mentionne dans le psaume 32 : « Mes os se consumaient, je gémissais toute la journée… ma vigueur n’était plus que sécheresse comme celle de l’été… » (v. 3-4).
Comment en sortir ? Là encore, la meilleure des thérapies, les prières ferventes de ses amis, l’onction d’huile ou une imposition des mains se seraient révélées inefficaces. Il fallait autre chose pour retrouver la pleine santé, et David ne l’ignorait pas. Dieu attendait de lui une démarche que son orgueil de monarque réputé pieux empêchait d’accomplir : « Tant que je me suis tu, mes os se consumaient… » (v. 3). Le roi ne pouvait sortir de son épreuve aussi longtemps qu’il refusait de confesser sa faute à Dieu et d’en faire l’aveu au peuple (par le moyen de cantiques que tout Israël allait apprendre et chanter — Psaumes 32 et 51). Et c’est ce qu’il fit enfin dans les larmes devant le prophète Nathan :
Je t’ai fait connaître mon péché, je n’ai pas caché mon iniquité ;
J’ai dit : J’avouerai mes transgressions à l’Éternel !
Et tu as effacé la peine de mon péché.
Heureux celui à qui la transgression est remise et le péché pardonné ! (Psaumes 32.1-5).
Qui me donnera tort si je dis que pasteurs et anciens devraient demander à Dieu sagesse et discernement avant d’intervenir auprès des malades ? Le conseil de Paul “de ne pas imposer les mains avec précipitation”, adressé à ceux qui sont appelés à confier des charges importantes dans l’Église, est aussi valable pour tout chrétien exerçant un ministère de guérison. Cette élémentaire prudence apparaît sous la plume de Jacques lorsqu’il recommande la confession mutuelle des péchés entre malades et anciens, certainement avant de pratiquer l’onction d’huile (Jacques 5.16). Un tel partage est combien nécessaire pour discerner si l'intervention de Dieu se justifie ou si rien ne fait obstacle à la guérison. Nous reviendrons sur ce point important.
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