Il n’existe peut-être pas de texte qui ait été plus remanié, plus torturé, que celui des épîtres de S. Ignace : il se présente à nous dans trois collections et sous trois formes différentes :
1° La petite collection, comprenant seulement, et sous une forme très abrégée, les trois épîtres à Polycarpe, aux Éphésiens, aux Romains. Sous cette forme courte, nous ne possédons les trois lettres susdites que dans une version syriaque découverte par H. Tattam en 1839 et 1842 et publiée pour la première fois par Cureton en 1815 (The ancient Syriac version of the Epistles of S. Ignatius, London, 1845).
2° La collection moyenne, comprenant, sous une forme déjà plus longue, les trois lettres précédentes et quatre autres, en tout sept : aux Éphésiens, Magnésiens, Tralliens, Romains, Philadelphiens, Smyrniotes et à Polycarpe.
3° La grande collection, comprenant, sous une forme encore plus allongée, les sept lettres précédentes, avec six autres : lettre de Marie de Cassobola à Ignace, et lettres d’Ignace à Marie de Cassobola, aux Tarsiens, aux Antiochéens, à Héron et aux Philippiens.
Ainsi trois épîtres se présentent à la fois sous les trois formes courte, moyenne et longue : ce sont celles aux Éphésiens, aux Romains et à Polycarpe.
Quatre nous sont parvenues sous les deux formes moyenne et longue : ce sont les épîtres aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Philadelphiens et aux Smyrniotes.
Les six autres n’existent que sous la forme longue.
Ces six dernières lettres, de l’aveu de tous les critiques, sont l’œuvre d’un faussaire, semi-arien d’après les uns, apollinariste selon les autres, qui, vers la fin du ive siècle, les a composées dans un intérêt théologique, en les attribuant à S. Ignace pour donner à ses propres doctrines l’appui d’un grand nom. En même temps qu’il fabriquait de toutes pièces les cinq lettres pseudo-ignatiennes et la lettre de Marie de Cassobola, il interpolait largement les sept autres : il est donc à la fois l’auteur de la grande collection des treize lettres et de la longue [orme sous laquelle se présentent les sept premières.
Après la publication par Cureton, en 1845, de la petite collection, d’assez nombreux critiques crurent être en possession de la traduction syriaque ou texte primitif, qui aurait ainsi été la forme courte. Ce texte aurait subi deux allongements successifs représentant la forme moyenne et la forme longue. Mais cette idée est complètement abandonnée de nos jours : la forme courte n’est qu’une abréviation de la forme moyenne.
Si l’œuvre authentique d’Ignace se trouve quelque part, ce n’est certainement ni sous la longue forme ni sous la forme courte ou il faut la chercher, mais sous la forme moyenne ; tout le monde aujourd’hui est d’accord sur ce point.
C’est donc de cette dernière forme exclusivement que nous nous occuperons désormais.
On trouvera une étude détaillée des trois recensions de leurs manuscrits et de leurs versions, dans Lightfoot, The apostolic Fathers, vol. I. Le texte syriaque de la recension courte et le texte grec de la longue recension ont été reproduits dans le vol. III du même ouvrage.
Le texte grec des sept épîtres ne nous a été transmis que par deux manuscrits : l’un, le fameux Mediceus ou Laurentianus de Florence, contient les six lettres de l’Asie Mineure, c’est-à-dire aux Éphésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Philadelphiens, aux Smyrniotes et à Polycarpe ; l’autre (Paris, Bibliothèque nat., Grec 1451, auparavant Colbert. 460), contient l’épître aux Romains insérée dans les Actes du martyre de S. Ignace. Ces deux manuscrits sont du xie siècle.
Sans doute il y a encore le Casanatensis, à la bibliothèque de la Minerve, à Rome ; le Barberinus 7 et le Barberinus 301 à la Bibliothèque Barberini, à Rome ; mais ce ne sont que des copies relativement récentes (xve siècle) du Mediceus, qui n’ont aucune valeur indépendante et dont il n’y a pas à tenir compte. Pas une des sept épîtres ne se lit dans les deux manuscrits à la fois : nous n’avons donc à notre disposition, pour chaque lettre, qu’un seul manuscrit grec.
Outre la version syriaque, de forme abrégée, publiée par Cureton, il existe quelques courts fragments d’une traduction syriaque (ive siècle) de notre forme moyenne. De plus, nous trouvons l’épître aux Romains insérée dans la traduction syriaque des Actes d’Antioche.
Il y a aussi une version arménienne, peut-être du ve siècle, faite, non sur l’original grec, mais sur une version syriaque. Cette version arménienne fut imprimée pour la première fois en 1783, à Constantinople. Elle a été reproduite par Petermann dans son édition d’Ignace, Leipzig, 1849.
Nous possédons aussi une version latine, composée en Angleterre vers le milieu du xiiie siècle, découverte par Ussher, et publiée par lui à Oxford en 1644. Cette traduction, très littérale et par là même très précieuse pour la critique, a été faite sur un texte grec parfois assez différent de celui de nos deux manuscrits actuels.
Signalons enfin une version copte de l’épître aux Smyrniotes.
On trouve ces différentes versions, syriaques, latine et copte dans la grande édition de Lightfoot, The apostolic Fathers, part II, vol. III. Le texte grec que nous avons adopté et qui sert de base à notre traduction est celui de Funk, édition de 1901.