Prenant pour guide la règle de foi que nous avons reçue des mains de Jésus-Christ, la Parole de Dieu, nous tâchons d’en recueillir la doctrine du salut, ramenée à ses éléments les plus essentiels, sous leur forme la plus populaire.
J’ai cru ne pouvoir mieux répondre à ce double besoin de solidité dans le fond et de simplicité dans la forme, qu’en cherchant l’unité de ces discours en Jésus-Christ lui-même, et en Jésus-Christ contemplé historiquement, à peu près comme le fait le Symbole des Apôtres. Les faits de Jésus-Christ, ce sont les vérités du salut, telles que Dieu les a proposées lui-même à la foi des peuples, assez substantiellement pour contenter les esprits les plus éclairés, assez naturellement pour s’accommoder aux plus simples. La Trinité, c’est le fait de sa naissance et de son baptême ; le péché originel, c’est le fait de cette humanité malade qui se presse autour de lui pour être guérie ; le jugement éternel, c’est le fait de la séparation que fait la parole qu’il annonce entre qui la reçoit et qui la rejette ; l’expiation du péché, c’est le fait de sa mort offerte en sacrifice ; la vie éternelle promise aux croyants, c’est le fait de sa résurrection, le déclarant « Fils de Dieu, Prince et Sauveur ; » le ciel ouvert et assuré à leur espérance, c’est le fait de son ascension et de son retour auprès du Père ; la régénération et la vie nouvelle, c’est le fait du Saint-Esprit qu’il reçoit du Père et qu’il répand dans les siens ; et la grâce toute gratuite par laquelle nous sommes élus, c’est le fait de l’envoi de l’Homme-Dieu au sein de l’humanité révoltée contre Dieu. Aussi, en rappelant les faits principaux de Jésus-Christ, je viens de nommer dans leur ordre les titres des discours dont cette série doit se composer.
Commençons donc aujourd’hui par jeter un coup d’œil sur Jésus-Christ, tel qu’il s’offre à nous durant cet intervalle qui sépare sa naissance de son baptême, avant d’entrer dans l’exercice de son ministère. Tandis qu’il se prépare pour son œuvre, faisons connaissance avec sa personne ; avant de demander à sa carrière ce qu’il vient faire, demandons à ses débuts qui il est. La réponse est partout dans le cours de ces trente années ; mais elle est plus spécialement dans ses deux termes, sa naissance qui les ouvre et son baptême qui les clôt : Jésus est le Fils de Dieu. Pénétrons : comme Fils de Dieu, il se caractérise par le rapport qu’il soutient, d’une part, avec le Père ; de l’autre, avec le Saint-Esprit. Dans sa naissance, ce Fils vient au monde, appelé du nom de Dieu son Père, parce qu’il a été conçu du Saint-Esprit (Luc 1.31-32, 35). Puis, dans son baptême, nous le voyons, du sein des cieux ouverts sur sa tête, proclamé Fils, et par le Saint-Esprit qui revêt une image visible pour descendre et se poser sur lui, et par le Père qui fait entendre sa voix, disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Cette scène mystérieuse et solennelle de mon texte, par laquelle Jésus est inauguré pour son ministère, de quoi m’appelle-t-elle à vous occuper, si ce n’est de la Trinité ?
La Trinité : à ce nom, je crois voir un nuage s’élever entre vous et moi. Je vous avais promis de la religion : ne vous donné-je pas de la théologie ? N’est-ce pas de la théologie, et de la théologie la plus abstruse, que la Trinité du symbole de Nicée : « un seul Dieu en trois personnes, coéternelles, cosubstantielles et coégales ; en qui l’on doit vénérer la trinité dans l’unité, et l’unité dans la trinité, etc. » Le nom même de cette doctrine n’est-il pas théologique, puisqu’il ne se trouve nulle part dans l’Écriture, et qu’il ne se rencontre pour la première fois que plusieurs siècles après l’ère chrétienne ?
Reconnaissons une certaine mesure de vérité dans ces deux remarques, et tenons-en compte. Je dis plus : félicitons-nous de les rencontrer dès le début sur notre chemin, pour nous contenir dans la simplicité de la prédication évangélique.
Oui, le mot Trinité est dû, non à l’Écriture, mais à de pieux docteurs des premiers temps de l’Église ; et ce n’est guère que vers le commencement du troisième siècle qu’il s’établit dans la langue religieuse, où le concile de Nicée achève de le fixer (325). Ce n’est pas un motif de défiance, s’il n’est, comme on peut l’affirmer, qu’un terme heureusement choisi pour donner une expression à la fois exacte et concise à une vérité enseignée par l’Écriture. Les mots péché originel, ou incarnation, ne sont pas non plus empruntés à l’Écriture, mais ils ne renferment ni plus ni moins que ce qu’elle dit elle-même, quand elle fait remonter le péché à l’origine du genre humain (Romains 5.12, etc.), ou quand elle nous montre « la Parole de Dieu faite chair » (Jean 1.14). Au reste, ce ne sont pas les mots qui importent, ce sont les choses. Comme je serais prêt à abandonner les mots péché originel et incarnation, tout commodes que je les trouve, s’ils blessaient quelque conscience trop scrupuleusement restreinte aux seules expressions des apôtres et des prophètes, je le suis également à faire pour une raison semblable, le sacrifice du mot Trinité, et à m’en tenir avec l’Écriture à un Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, sans chercher un nom général qui mette à la fois en saillie ce que les trois ont de commun et ce qu’ils ont de divers. Je tâcherai donc de ne pas faire usage du mot Trinité ; je n’ose pourtant promettre qu’il ne viendra pas de temps en temps sur mes lèvres : il dit tant à mon intelligence ! il est si cher à mon cœur !
Oui, encore, et ceci est plus essentiel à observer, les définitions exactes, les explications précises de la Trinité, qui ont été tentées soit par les théologiens, soit par les assemblées ecclésiastiques, ont parfois dépassé, je ne dis plus seulement le langage des Écritures, mais la portée même de leur enseignement ; par où l’on s’est exposé, soit à fausser la simplicité de la doctrine, soit du moins à la compromettre en l’engageant dans les fluctuations et les incertitudes de la philosophie, au lieu de l’accepter, comme une révélation pure et simple, sur le seul témoignage de Dieu, et avec les seuls développements que Dieu a fournis. Cette observation s’applique au langage du Symbole de Nicée, qui vient d’être rappelé ; celui de la Confession de La Rochelle et des autres confessions protestantes, plus simple et plus gardé, ne l’est pas encore assez à mon gré pour l’exposition toute religieuse que j’ai à cœur de vous présenter ici. Laissons, vous et moi, ces développements humains de la vérité divine ; et restons-en, dans l’esprit du petit enfant, à la doctrine de l’Écriture, revêtue du langage de l’Écriture. Combien de préventions contre la vérité auraient été évitées, si cette précaution eût toujours été prise, disons mieux, si cette justice eût toujours été rendue à la Parole de Dieu ! Impuissance de l’homme pour le bien, élection ou prédestination, justification par la foi sans les œuvres, etc. ; combien de doctrines que repoussent, telles qu’elles leur apparaissent dans les attaques de leurs adversaires, ou dans les apologies mêmes de leurs amis, plusieurs de ceux qui les recevraient peut-être sans difficulté telles que les présente l’Écriture, si simple, si mesurée, si sainte, si vraie !
Eh bien ! que nous dit l’Écriture sur le grand mystère qui nous occupe ? Interrogeons-la ensemble ; et pour que le résultat de cet examen nous inspire plus de confiance, recueillons-le séance tenante, passez-moi l’expression, de la Parole de vérité, prise sur le fait et vue du premier coup d’œil. Que si le résultat ainsi obtenu vous paraissait encore trop théologique, vous n’auriez à vous en prendre qu’à vous-même. Pour échapper à un christianisme trop dogmatique, il ne faut pas se jeter dans un christianisme sans doctrine ; et ce dernier mal est plus à redouter des tendances actuelles que le premier. A force de s’en tenir à la vie, au sentiment, à l’expérience en matière de foi, on s’expose à effacer la doctrine, seule base solide sur laquelle la vie, le sentiment, l’expérience puisse s’appuyer ; c’est-à-dire que pour avoir une maison mieux bâtie, on commence par en supprimer les fondements. Il y a une théologie de bon aloi, qui, sur la foi de Dieu, reçoit des doctrines très profondes, très obscures, mais très clairement révélées. C’est la théologie que l’on rencontre à chaque pas chez Jésus-Christ, chez saint Paul, chez saint Jean, à qui elle avait fait donner le nom de théologien, dans la simple et naïve antiquité. Cette théologie-là, par laquelle de petits enfants se trouveront, quand tous les voiles seront levés, être devenus les plus grands des philosophes sans le savoir, est celle que l’on recueille en puisant dans les Écritures, comme nous l’allons faire en ce moment : la doctrine du Saint-Esprit, dans le langage du Saint-Esprit, rien de plus, mais rien de moins. La Trinité, que nous allons ainsi étudier, ce ne sera pas la Trinité de la théologie : ce sera la Trinité du petit enfant.
Il faut reconnaître d’abord que l’Écriture parle d’un Père, d’un Fils et d’un Saint-Esprit, nettement distingués l’un d’avec l’autre, et pourtant étroitement unis entre eux dans l’ouvrage de notre salut. Je dis dans l’ouvrage de notre salut. Je pourrais, sans sortir du champ de l’Écriture, trouver le Père, le Fils et le Saint-Esprit déjà associés dans l’œuvre de la création (Genèse 1.1-30 ; Jean 1.1-3) ; je pourrais, remontant plus haut encore, les trouver subsistant ensemble avant la création, dès les temps éternels (Jean 1.1 ; Hébreux 13.20, etc.). Mais, fidèle à l’esprit de ces discours, je me renferme dans ce qui se rapporte directement au salut, et à ce salut pris dans le Nouveau Testament, c’est-à-dire dans le développement achevé des révélations divines. C’est là que nous trouvons partout le Père, le Fils et le Saint-Esprit, distincts, mais unis ; unis, mais distincts ; il est impossible, en lisant l’Évangile, soit de méconnaître ce fait, soit de n’y pas voir quelque chose de très considérable. Ainsi, les voici rassemblés tous trois dans la naissance de Jésus ; ainsi, dans l’institution de notre baptême, administré « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28.19) ; ainsi, dans la résurrection du Seigneur, proclamé Fils par le Père, selon le Saint-Esprit (Romains 1.4) ; ainsi, dans l’événement de la Pentecôte, le Fils répandant sur l’Église le Saint-Esprit qu’il a reçu du Père (Actes 2.33) ; ainsi, dans la salutation apostolique : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, et l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (2 Corinthiens 13.13) ; ou dans le résumé apostolique du salut : « Élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, à l’obéissance et à l’aspersion du sang de Jésus-Christ » (1 Pierre 1.2).
Mais le spectacle que mon texte met sous nos yeux tient lieu de tout le reste. Voici le Fils sortant de l’eau après son baptême ; voici le Saint-Esprit descendant et se posant sur sa tête ; voici le Père rendant témoignage de ce qu’il est, son Fils bien-aimé. Désormais, Jésus-Christ homme porte au sein de l’humanité, dans sa personne visible, la doctrine du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il ne peut faire un pas qu’elle ne marche avec lui ; elle est devenue en lui un fait historique, qui a été vu, qui a été entendu, le Père ayant pris une voix qui frappe les oreilles, et le Saint-Esprit lui-même ayant revêtu une forme qui frappe les yeux, contrairement, si je l’ose dire, au caractère propre de son action, essentiellement invisible. Quel mystère vient ici se révéler, dirai-je ? ou se cacher à nos regards ? Pénétrons-y avec respect, aussi loin que l’Écriture voudra nous conduire : nous nous hasardons sur une terre sainte ; ôtons les souliers de nos pieds.
Les trois sont distincts, nettement distincts. Distincts, de nom : puisque l’un est appelé Père, un second Fils, et le troisième Saint-Esprit ; ces noms ne sont pas donnés indifféremment ; le Père n’est pas mis pour le Fils, ni le Fils pour le Saint-Esprit. Distincts, d’office : chacun des trois a son œuvre à part, qui n’est point celle des deux autres ; ni l’élection de grâce n’est attribuée au Fils, ni la mort de la croix au Père, ni l’une ou l’autre au Saint-Esprit (Jean 16.7). Gardez-vous de croire que les mots grâce, amour, communion, dans la salutation apostolique, ou les mots prescience, aspersion de sang, sanctification, dans le résumé apostolique du salut, soient placés à l’aventure à côté des noms qu’ils accompagnent : chacun a sa place marquée, que l’on ne pourrait changer sans confusion. Mais il y a plus encore ; distincts, de personnalité : ceci demande un peu plus d’éclaircissement.
Si les trois ne différaient que de nom et d’office, on pourrait, à la rigueur, n’y voir que trois aspects, sous lesquels Dieu se présenterait successivement à nous, nous pardonnant, nous rachetant et nous sanctifiant tour à tour. Mais nulle explication de cette nature ne saurait nous satisfaire, quand nous avons constaté, je ne dis pas dans le langage poétique de l’Ancien Testament, mais dans le langage tout simple et tout uni du Nouveau, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois personnes, je ne sais quelle autre expression donner à ma pensée ; trois personnes, désignées l’une par rapport à l’autre, et se désignant entre elles, par l’emploi de ces mots qui, dans toutes les langues, marquent la vie distincte : moi, toi, lui ; trois personnes, agissant, parlant, voulant, vivant enfin, chacune individuellement et pour son propre compte. C’est ici le point capital, et qui aurait de quoi nous étonner, de quoi nous confondre, si un long usage ne nous avait tellement familiarisés avec les noms Père, Fils et Saint-Esprit, que nous les prononçons sans y attacher de notion ferme et précise. Cette existence et cette action personnelle n’a pas besoin d’être prouvée pour le Père, qui, comme son nom l’indique, est le centre et l’appui de tout le reste : le Fils est son Fils ; le Saint-Esprit est son Esprit ; donner son Fils au monde, envoyer son Esprit dans l’Eglise, comment cela se pourrait-il, comment cela se concevrait-il sans une personnalité vivante ? Pour le Fils, issu du Père dont il est la splendeur et l’image (Hébreux 1.3), les choses sont plus obscures, mais elles ne sont pas moins certaines. Si c’est un profond mystère que de savoir comment il a pu être donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (Jean 5.26), c’est un fait incontestable que le Fils a la vie en lui-même, avec son action propre et son existence distincte (Jean 8.16-18). Le Fils qui était dans le sein du Père, vient dans le monde ; il obéit au Père et le prie, il donne sa vie et il la reprend à volonté (Jean 10.18), il quitte le monde et retourne auprès du Père : quel sens tout cela présenterait-il si le Fils n’était une personne vivante aussi réellement que le Père ? Le Saint-Esprit occupant dans les révélations divines, par la nature même des choses, une place moins saillante et moins visible que ne font les deux autres, sa vie personnelle est moins aperçue du premier coup d’œil ; mais elle ne tarde pas de se révéler au lecteur attentif de l’Évangile. « Ce Consolateur qui doit prendre de ce qui est au Fils, » et achever de « conduire ses disciples dans toute la vérité, » qui est-il ? Le Saint-Esprit (Jean 16.13-14). Celui qui dit aux disciples réunis dans Antioche : « Séparez-moi Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés, » et à Pierre dans Joppe : « Ne fais point difficulté d’aller avec ces gens-là, car c’est moi qui les ai envoyés » (Actes 13.2 ; 10.20) ; qui est-il ? Le Saint-Esprit. Celui qui pousse les prophètes, qui envoie les apôtres, qui parle par eux, qui leur assigne leur champ de travail, qui nous ouvre les yeux et le cœur, que nous contristons quand nous péchons, qui distribue ses dons à qui il lui plaît, qui établit les pasteurs, qui opère les miracles, qui accomplit les guérisons ? Le Saint-Esprit. Après tout cela, si le Saint-Esprit n’a pas une existence et une action personnelles, toutes les lois du langage humain sont renversées, et le plus simple, le plus vrai de tous les livres en est le plus mystique et le plus étrange. Au reste, pourquoi chercher si loin ? Ici encore, la scène historique de mon texte suffit. Ce Fils baptisé, qui est recommandé par le Père et le Saint-Esprit à la foi des peuples, ce Père qui le proclame Fils de Dieu du haut des cieux, ce Saint-Esprit qui prend une forme visible tout exprès pour le marquer du sceau auquel le Fils de Dieu devait être reconnu, que sont-ils donc, s’ils n’ont pas, chacun, une vie distincte ? Que font-ils donc s’ils n’exercent pas, chacun, une action distincte ? Que si cela ne vous frappe pas comme moi, complétez donc le baptême de Jésus-Christ par celui que Jésus-Christ a institué pour nous et dont vous avez été baptisés vous-mêmes. Quoi ! vous avez été baptisés au nom du Père, au nom du Fils, au nom du Saint-Esprit, et le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne seraient pas des personnes vivantes ? Coupons court. La distinction, non seulement des noms, mais des œuvres ; non seulement des œuvres, mais des personnes, entre le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, est un fait scripturaire incontestable : niez l’Écriture, si vous l’osez ; mais si vous l’acceptez, prenez-la telle qu’elle est, et rendez hommage avec elle à ces trois personnes vivantes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Toutefois, après l’avoir suivie les distinguant l’une de l’autre avec une netteté croissante, et qui ne s’est arrêtée qu’à l’existence et à l’action personnelles, suivez-la encore les unissant aussi avec une clarté croissante, et qui ne s’arrête qu’à l’unité absolue, éternelle, qui fait le fond de la nature divine. Les trois sont unis, étroitement unis ; et chose remarquable, unis par les côtés mêmes qui les distinguent, de telle sorte que tout ce qui vient d’être dit pour marquer la distinction, doit être redit pour marquer l’unité.
Leurs noms, disions-nous, sont distincts : mais ces mêmes noms les rapprochent, non seulement pour être rassemblés en tant d’occasions solennelles, mais encore pour être tellement liés entre eux, qu’ils se supposent et se sous-entendent les uns les autres. Le rapport du Père au Fils et du Fils au Père, est trop manifeste pour être méconnu ; mais le rapport du Saint-Esprit à l’un et à l’autre n’est pas moins réel ; car l’Esprit n’est nommé de son nom que par une image empruntée à l’esprit de l’homme si étroitement uni avec le corps qu’il anime.
A cette unité de nom correspond une unité d’action. Les offices des trois, disions-nous, sont distincts ; mais ces mêmes offices sont unis par l’objet commun auquel ils se rapportent. L’œuvre du Saint-Esprit s’appuie sur celle du Fils, comme celle du Fils s’appuie sur celle du Père : ce sont les trois éléments essentiels d’une même œuvre. Cela est si vrai que les trois œuvres sont nommées souvent dans une seule phrase, comme associées les unes aux autres : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, et l’amour de Dieu, et la communion du Saint-ce Esprit soient avec vous tous » (2 Corinthiens 13.13), ou même comme dépendantes les unes des autres : « Élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, pour l’obéissance et l’aspersion du sang de Jésus-Christ (Voyez Jean 16.26 ; Actes 2.33, etc.). » Le Père adresse ses élus au Saint-Esprit, qui les adresse au Fils : élection, sanctification, rédemption, trois temps d’une seule action, dont aucun ne saurait manquer sans entraîner l’économie de tout l’ensemble.
Reste l’unité principale qui réside au sein de la distinction principale, celle des personnes. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont des personnes distinctes : mais au-dessous de cette personnalité individuelle, il y a une substance et une vie commune à tous les trois.
Le rang égal qui leur est assigné tant de fois, comme dans la salutation apostolique, comme dans la formule de notre baptême : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, » et que l’Écriture semble avoir voulu faire ressortir en intervertissant de temps en temps l’ordre habituel où ils sont nommés (2 Corinthiens 13.13), suffirait pour marquer cette unité fondamentalea. Mais l’Écriture s’élève au-dessus de toute contestation en prêtant au Père, au Fils et au Saint-Esprit les attributs de Dieu et jusqu’à son nom. Chacun des trois est Dieu. Le Père est Dieu : cela est dit ou supposé partout. Le Fils est Dieu : il n’est pas difficile pour une âme droite d’en trouver les preuves ; il est pour ses apôtres le Jéhovah de l’Ancien Testament, « leur Seigneur et leur Dieu, Dieu sur toutes choses, éternellement béni, » celui en qui « habite corporellement toute la plénitude de la divinité. » Le Saint-Esprit à son tour est Dieu, il commande avec l’autorité de Dieu ; le posséder, c’est être le temple de Dieu ; lui mentir, c’est mentir à Dieu (1 Corinthiens 3.16 ; Actes 5.3-4). Mais ici encore, sans aller au loin chercher des preuves, la scène de mon texte suffit. Quel autre que Dieu peut être recommandé à la foi de la terre comme l’est ici le Fils ? Quel autre que Dieu oserait joindre son témoignage à celui de Dieu, comme le fait ici le Saint-Esprit ? Non ; jamais l’Écriture, si jalouse du nom et de la gloire de Dieu, n’eût rendu au Fils et au Saint-Esprit, comme au Père, l’honneur dû à Dieu seul, si tous les trois n’étaient réellement participants à la nature divine, si tous les trois n’étaient un, comme Dieu est un.
a – Citons ces belles paroles de Bossuet, parlant au Saint-Esprit : « Vous êtes égal au Père et au Fils, puisque nous sommes également consacrés au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit ; et que vous avez avec eux un même temple qui est notre âme, notre corps, tout ce que nous sommes. Rien d’inégal, ni d’étranger au Père et au Fils ne doit être nommé avec eux en égalité ; je ne veux pas être baptisé et consacré au nom d’un serviteur, je ne veux pas être le temple d’une créature : ce serait une idolâtrie de lui bâtir un temple, et, à plus forte raison, d’être et se croire soi-même son temple. » (Bossuet, Élévations, Ve à la Trinité).
Répondons maintenant à la question que nous nous sommes posée : Que dit l’Écriture sur la doctrine qui nous occupe ? Au sein de cette unité absolue de Dieu, qu’elle proclame à chaque page, qu’elle respire dans chaque mot, l’Écriture nous fait démêler le Père, le Fils et le Saint-Esprit se partageant l’ouvrage de notre rédemption. Abrégeons : Il y a un Père, un Fils et un Saint-Esprit ; mais chacun des trois est Dieu. Il y a un seul Dieu : mais ce Dieu unique est Père, Fils et Saint-Esprit.
Complétons cette étude biblique par une observation capitale. Cette doctrine, telle quelle, va se développant du commencement à la fin des Écritures, en suivant pas à pas le cours progressif des révélations divines. A mesure que la Parole de Dieu devient plus abondante et plus lumineuse, la doctrine du Père, du Fils et du Saint-Esprit y occupe une place plus étendue et plus sensible. Marquer tous les degrés de ce développement demanderait une étude spéciale et approfondie ; bornons-nous ici à ces trois qui sautent aux yeux : l’Ancien Testament, les Évangiles, les Actes et les Épîtres. Dans l’Ancien Testament, la doctrine est obscure et à l’état latent : le Père, le Fils et le Saint-Esprit associés dans la création (Genèse 1.1-30 ; Psaumes 33.6 ; Jean 1.1-3), ou dans la prophétie (Ésaïe 48.16-17 ; Ézéchiel 36.25-27 ; 37.23-28 ; Joël 2.27-32), ne se découvrent qu’à une lecture répétée, qu’à des rapprochements attentifs. Dans les Évangiles ils commencent d’être nommés par leurs noms et tout ensemble unis et distingués, témoin la naissance du Seigneur, la célébration de son baptême et l’institution du nôtre. Enfin, dans les Actes et dans les Épîtres, le fait se complète et s’éclaircit par la théorie : en même temps que l’unité des trois se confirme par la divinité de chacun d’eux, leur distinction se dessine par ses attributs propres et par sa part de concours à notre rédemption, plus nettement marqués.
Cette loi de développement devient plus sensible encore, quand on considère que chacun des trois a son tour pour tenir la place la plus saillante dans chacune de ces trois périodes de l’histoire du règne de Dieu. Celui qui frappe le plus les regards de la foi dans l’Ancien Testament, c’est le Père, avec les plans de sa grâce et la prédiction du Fils et du Saint-Esprit ; dans les Évangiles, c’est le Fils, avec son séjour visible auprès des siens, et la promesse du Saint-Esprit pour le remplacer avec avantage au dedans d’eux (Jean 14.17) ; et dans les Actes et les Épîtres, c’est le Saint-Esprit, avec l’achèvement des révélations et l’institution de l’Église, « la plénitude de celui qui remplit tout en tous. » De là cette parole profonde d’un Père de l’Église : « Dans l’Ancien Testament, nous avons Dieu le Père, ou Dieu pour nous ; dans les Évangiles, Dieu le Fils, ou Dieu avec nous ; dans les Actes et les Épîtres, Dieu le Saint-Esprit, ou Dieu en nousb. » Ainsi, tandis que les enseignements secondaires et les institutions temporaires vont s’affaiblissant par le progrès des Écritures, jusqu’à ce qu’elles finissent par s’effacer et s’éteindre dans la lumière évangélique, comme la lueur des étoiles dans les clartés du soleil, la doctrine du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par une marche toute contraire, va se dégageant par ce même progrès et se déterminant avec une netteté croissante, jusqu’à ce qu’elle finisse par éclater sans voiles dans le plein midi de la lumière évangélique : comment cela si elle n’est elle-même le soleil, je veux dire si elle n’est la base et l’essence même de la rédemption et de la révélation tout entière ?
b – Ce n’est donc pas sans raison profonde que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont habituellement nommés par les Écritures dans l’ordre où je viens de les placer. Si cet ordre est interverti de temps à autre (1 Pierre 1.2 ; 2 Corinthiens 13.13, etc.), c’est sans doute pour nous montrer qu’il n’y a point entre eux de différence de rang ou d’âge.
Après cela, un Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, c’est plus qu’une doctrine, c’est la doctrine des Écritures, et des Écritures prises tout simplement telles qu’elles sont, dans l’esprit d’un enfant. Si pour montrer que nous l’avons prise dans cet esprit, il me fallait quelque autre preuve que votre jugement personnel, je la trouverais dans la tradition constante de l’Église universelle, qui n’a jamais varié sur ce point, et que j’invoque ici, faut-il l’expliquer, non comme autorité, mais comme témoignage. Toutes les communions chrétiennes, grecque, latine, protestante ; toutes les grandes églises protestantes, réformée, luthérienne, anglicane ; toutes les sections du réveil évangélique de notre époque, se sont accordées à recevoir la doctrine que nous venons de puiser dans l’Écriture, comme faisant partie des révélations divines, comme en formant la base éternelle : toutes se rencontrent pour placer la Trinité comme sur une terre commune qui appartient également à tout ce qu’il y a de chrétien dans le monde. Le vieux Symbole des Apôtres ouvre la marche, et l’ouvre dans un esprit de sobriété propre à la théologie primitive. A l’exemple de l’Écriture, il ne définit pas la Trinité, il ne la nomme pas même ; mais il la suppose, il est fondé sur elle, car il se compose de trois parties : la foi en Dieu le Père tout-puissant, la foi en Jésus-Christ son Fils et la foi au Saint-Espritc. Vient après lui le Symbole de Nicée, dressé tout exprès pour s’opposer au progrès de l’hérésie arienne, qui niait la doctrine qui nous occupe, plus spécialement en ce qui concerne la divinité du Fils. Ce qu’il y avait de trop précis et de trop spéculatif dans le langage de ce symbole vénérable et vénéré, doit être moins imputé à lui qu’aux subtilités où s’enveloppait Arius, et qui plaçaient les pères de Nicée dans la fâcheuse alternative, ou de dire trop, ou de ne pas dire assez. Autour de ces deux symboles se rangent avec respect l’Église d’Occident, l’Église d’Orient, tous les docteurs pieux du moyen âge. Puis, quand Dieu visite son Église pour la ramener aux sources pures et primitives de la foi, toutes les Confessions de foi provenant des réformateurs maintiennent les Symboles des Apôtres et de Nicée, dont ils reproduisent la doctrine, en prenant une position intermédiaire entre l’extrême sobriété du premier et les développements trop exacts du second ; n’en citons qu’un exemple, la Confession de notre Église : « Cette Écriture sainte nous enseigne qu’en une seule et simple essence divine, que nous avons confessée, il y a trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Es-prit. Le Père, première cause, principe et origine de toutes choses ; le Fils, sa parole et sapience éternelle ; le Saint-Esprit, sa vertu, puissance et efficace. Le Fils, éternellement engendré du Père. Le Saint-Esprit, procédant éternellement de tous deux, les trois personnes non confuses, mais distinctes, et toutefois non divisées, mais d’une même essence, éternité, puissance et égalité… »
c – L’article de la Confession Helvétique, relatif à la Trinité, se termine par ces mots : « Pour tout dire, en un mot, sur cet article important, nous recevons le Symbole, qu’on nomme des Apôtres, comme une ancienne confession de la vraie foi chrétienne. »
Il est superflu de rappeler que de nos jours, à part cette précision de langage qui n’est pas dans l’esprit de notre temps, le fond de la doctrine, tel que nous l’avons trouvé dans les Écritures, est reçu par tous les organes de la doctrine évangélique ; partout où vous rencontrez la grâce, la régénération, l’expiation des péchés, vous rencontrez à côté Jésus-Christ Dieu et la Trinité : foi commune de tous les prédicateurs du réveil, et base commune, avec des exceptions si peu nombreuses qu’elles fortifient la règle, de toutes les institutions religieuses. Ajoutons ici une remarque correspondant à celle que nous faisions tantôt sur le développement historique de notre doctrine. Cette doctrine, disions-nous, devient de plus en plus nette dans les Écritures à mesure que les révélations de Dieu deviennent plus abondantes ; on peut dire aussi qu’elle devient de plus en plus ferme dans l’Église, à mesure que, l’Église devient plus fidèle à la Parole de Dieu. Certaines déviations de la doctrine par lesquelles le Père a été confondu avec le Fils, ou le Saint-Esprit entravé dans la liberté de son action, appartiennent exclusivement à l’Église déchue que nous a léguée le moyen âge, et n’ont jamais pénétré dans la croyance des Églises de la Réformation. Disons-le donc sans hésiter : toute l’Église chrétienne, en proportion même de sa fidélité, est unie dans l’interprétation de la sainte Écriture à l’endroit du grand mystère. C’est qu’il ne s’agit pas ici d’interprétation, mais d’acceptation ; c’est que notre Trinité, je me plais à le redire, est la Trinité du petit enfant.
Mais notre doctrine, reconnue pour scripturaire, donc vraie comme objet d’étude abstraite et scientifique, est-elle d’une application pratique qui lui donne place dans la prédication de l’Évangile ? Question d’autant plus respectable qu’elle vient des simples et des petits, et dans l’examen de laquelle il me tarde d’entrer : j’ai fait appel jusqu’ici à la fidélité et à la soumission ; je vais faire appel maintenant au cœur chrétien, à la conscience chrétienne. Plus d’une doctrine des plus profondes est en même temps des plus pratiques : témoin la tentation du Seigneur, ou son sacrifice expiatoire. Qu’il en soit de même pour la doctrine du Père, du Fils et du Saint-Esprit, nous avons tout lieu de nous y attendre, soit par l’estime où se trouve cette doctrine dans la foi permanente de l’Église universelle, soit par la place prépondérante qu’elle occupe dans la sainte Écriture elle-même, et qui va gagnant avec le temps. Comment expliquer que l’Écriture, si sainte et si essentiellement pratique, ait mis notre doctrine dans un si haut rang, si elle devait être reléguée parmi les spéculations de la science théologique ? Surtout, comment expliquer alors qu’elle l’ait révélée avec une clarté croissante, et qu’elle en ait réservé le complet développement pour « les derniers jours, » pour ces jours de Jésus-Christ, enviés « de plusieurs prophètes et de plusieurs justes » (Matthieu 13.17), pour ces jours du Saint-Esprit, plus précieux encore aux disciples que ceux de Jésus-Christ lui-même ? (Jean 16.7), — à moins que l’on ne soit préparé à soutenir que la nouvelle alliance est moins salutaire que l’ancienne, et l’économie du Saint-Esprit moins spirituelle que celle des ombres et des figures ! (Hébreux 10.1 ; 2 Corinthiens 3.6-8.)
Le Père, le Fils et le Saint-Esprit répondent à un triple besoin de l’homme pécheur qui retrouve en Dieu tout ce qu’il a perdu par le péché. Coupables contre Dieu, nous avons besoin de grâce ; d’une grâce qui nous cherche, qui nous prévienne, sans exiger de nous aucun mérite, ni attendre que nous ayons fait les premiers pas : nous la trouvons dans le Père, qui « nous a élus en Christ avant la fondation du monde… selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de la gloire de sa grâce, par laquelle il nous a rendus agréables en son bien-aimé. » (Éphésiens 1.3-6.) La voilà, cette grâce toute gratuite, pleine, surabondante, qui peut seule donner la paix à un pauvre pécheur « travaillé et chargé. » Condamnés par la loi, nous avons besoin d’une expiation qui donne gloire à cette loi sainte dans le temps même que la juste vengeance nous en est épargnée, et qui frappe le péché tout en absolvant le pécheur : problème moral dont la solution, réclamée non seulement par la loi divine, mais aussi par la conscience humaine, serait demeurée à jamais impossible à découvrir si Dieu ne nous l’eût donnée toute découverte en lui-même : nous la trouvons dans le Fils, qui « a mis sa vie en rançon pour plusieurs, » qui « a souffert lui juste pour les injustes, » et qui « a fait par lui-même la purification de nos péchés. » Le voilà ce sacrifice qui répare tout, et où le vrai médiateur, Emmanuel, réconcilie la nature humaine et la nature divine sur la croix, par le mystère de sa rédemption, après les avoir rassemblées dans sa personne par celui de son incarnation. Asservis au mal, nous avons besoin d’une puissance prise en dehors de nous et au-dessus de nous, qui renouvelle notre vie morale jusque dans sa racine, et qui crée en nous un cœur nouveau, avec de nouveaux sentiments, de nouveaux principes, de nouvelles forces : nous la trouvons dans le Saint-Esprit, ce divin « Consolateur, » qui « nous affranchit de la loi du péché et de la mort, » « mortifie en nous les œuvres du corps, » « prie en nous pour nous, » et « nous revêt du nouvel homme créé selon Dieu en justice et en sainteté de vérité. » (Rom. ch. 8 ; Ephés. ch 4.) La voilà cette énergie du pouvoir de la force de Dieu, « qu’il a déployée en Christ en le ressuscitant des morts, » la voilà déployée dans notre homme intérieur pour le ressusciter de sa faiblesse et de sa mort propre, et lui communiquer la vie divine tout entière.
Non, j’en atteste toute conscience chrétienne, ce ne sont pas là des spéculations de théologie ; c’est le fond même du salut ; c’est la plénitude du Dieu trois fois saint, se répandant tout entière dans l’abîme de notre misère naturelle ; c’est la triple grâce du pardon, de la rédemption, de la sanctification, rendant avec usure à l’homme tombé le triple trésor de la sainteté, de la justice, de la force, que Satan lui a ravi dans Éden ; c’est la triple question du salut de l’homme, à jamais insoluble pour l’homme, transportée de l’homme en Dieu pour trouver une solution : la question de pardon, devenue la question de l’amour du Père ; la question de rédemption, devenue la question du crédit du Fils ; la question de la sanctification, devenue la question de la victoire de l’Esprit-Saint sur l’esprit de ténèbres.
Mais puisque tout sort de Dieu, de qui le Fils et le Saint-Esprit eux-mêmes procèdent, ne serait-il pas plus simple, et tout ensemble plus vrai, de rapporter tout d’un temps à lui toutes les parties de notre salut ? Que perdrions-nous pour la grâce du pardon, de la rédemption et de la sanctification, à dire que Dieu nous pardonne, que Dieu nous rachète, et que Dieu nous sanctifie, sans parler du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? Que serait-ce autre chose que de substituer à la coopération, quelle qu’elle puisse être, de chacun des trois, le principe caché en Dieu dont elle émane, et de remonter à la source éternelle où tout est contenu et enveloppé ? Cela serait vrai, mon cher frère, si le Père, le Fils et le Saint-Esprit, n’était qu’une expression nominale des choses diverses qui sont en Dieu ; et certaines sectes hérétiques qui n’ont su voir dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit que des modes de l’action divine, auraient mauvaise grâce de vous refuser le sacrifice de trois noms, auxquels rien ne répond dans le fond des choses, et qui, dès lors, compliquent sans fruit ce témoignage que nous rendons de notre foi. Mais pour nous qui, avec l’Église fidèle de tous les temps, reconnaissons entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit une distinction réelle, essentielle, éternelle, nous sommes consciencieusement tenus de refuser un sacrifice qui porte sur ce que j’appellerai avec respect l’homme intérieur du Dieu vivant et vrai. Supprimer les noms de Père, de Fils, et de Saint-Esprit, pour nous renfermer dans l’action générale de Dieu, ce serait reculer vers les temps de l’Ancien Testament, et à la place de la foi d’un saint Paul ou d’un saint Jean, mettre la foi d’un Abraham ou d’un Moïse. Ce serait plus encore, et nous faisons tort à l’Ancien Testament ; car les Abraham et les Moïse ont joui du moins d’une glorieuse échappée sur le saint héritage promis aux temps à venir (Jean 8.56 ; Hébreux 11.13 ; 1Pi.1.10-11, etc.) ; ils ont cru à leur manière, quoique d’une foi enveloppée, au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Quoi qu’il en soit, vous, disciples du Nouveau Testament, dont « les yeux sont bienheureux parce qu’ils voient et les oreilles parce qu’elles entendent », appréciez mieux le privilège de votre économie, regardez-y de plus près ; et appréciez d’un cœur ému ce que votre âme a gagné à passer de la connaissance générale de Dieu pardonnant, rachetant et sanctifiant, à une communion personnelle avec la grâce du Père, la rédemption du Fils et la sanctification de l’Esprit.
L’amour du Père. Dieu prenant compassion de la créature déchue, et consentant à lui pardonner ses péchés, assurément c’est le premier point d’où notre paix dépend. Mais cette paix sera grandement augmentée, et, si je l’osais dire, attendrie, quand ce Dieu miséricordieux aura reçu du Nouveau Testament son nom de Père, que l’Ancien Testament annonce comme une grâce réservée aux temps à venir (2 Corinthiens 6.18). Ce nom, bien différent, faut-il l’expliquer ? de cet autre nom de Père que Dieu porte dans toutes les religions comme auteur de toutes choses, plus spécialement comme auteur des créatures intelligentes et morales, ce nom de Père, dépendant de ceux de Fils et de Saint-Esprit, crée entre Dieu et moi un rapport personnel et vivant, qui est tout nouveau et propre à l’économie évangélique. Père éternel de Jésus-Christ, et mon Père en Jésus-Christ, source éternelle du Saint-Esprit, et par cet Esprit me communiquant sa nature et sa vie, ce Dieu n’a pas dédaigné de « m’adopter à soi », de me mettre au rang des membres « de sa famille » et au nombre de « ses héritiers », d’entrer avec moi dans une relation tout intime et toute particulière, qui ne se peut comparer qu’à celle qu’il soutient de toute éternité avec son Fils unique et avec son propre Esprit. Il ne faut pas que l’habitude émousse ce qu’il y a de pénétrant et de sensible dans ce doux nom de Père : rendez-vous compte du trésor qu’il renferme dans sa simplicité profonde. Vous n’avez qu’à suivre le chemin où il vous invite de lui-même : prenez l’amour paternel, tel que vous le trouvez sur la terre ; choisissez l’amour du Père le plus aimant pour l’enfant le plus aimable ; cet amour, purifiez-le de tout alliage, dégagez-le de toute entrave, affranchissez-le de toute limite, en un mot, idéalisez-le ; et vous commencerez d’avoir quelque faible lueur de l’amour paternel qui est dans le Dieu de Jésus-Christ. Loin de vous désormais « l’esprit de servitude, pour être encore dans la crainte » ! Votre esprit à vous, c’est « l’Esprit d’adoption, par lequel vous criez Abba, Père, » et qui arrache à un apôtre cette exclamation mêlée d’émotion, de surprise et d’admiration : « Voyez quel amour le Père nous a donné (Romains 5.5d), que nous soyons appelés les enfants de Dieu ; — héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ »… Et comment douter désormais de notre pardon ? Comment craindre encore sa colère ? ces noms de père et d’enfant ne répondent-ils pas de tout ? Lui, mon Père, dans la gloire éternelle, et moi, son enfant, son héritier, dans l’amertume éternelle : quelle contradiction dans les termes ! Je me repose sur le sein de mon Père, le Créateur du ciel et de la terre : libre à vous d’appeler cela de la théologie ; tout ce que je puis dire, c’est que ma théologie fait ma paix dans la vie et ma sûreté dans la mort. Ce n’est pas tout : l’amour du Père ne se borne pas à nous sauver du plus affreux des périls ; il nous suit encore pas à pas, il nous prodigue chaque jour les témoignages de son amour fidèle : toute sa conduite sur nous est une conduite paternelle. Paternelle, et pourtant divine ; divine, et pourtant paternelle : savez-vous bien tout ce qu’il y a de douceur dans cette épithète ? L’éducation paternelle ; la consolation paternelle ; l’accueil paternel ; le pardon paternel ; les dons paternels ; la correction paternelle ; et jusqu’aux refus paternels… Eh bien ! tout cela, mes chers frères, tout cela qui fait le fond même de notre consolation, tout cela qui est ce qu’il y a de plus simple et de plus pratique dans la foi chrétienne, à quoi se réduirait-il sans la Trinité, oui, sans la Trinité ? La révélation générale de l’amour de Dieu, de son pardon même, vous tiendrait-elle lieu de ce lien de famille, de ce rapport de parenté avec votre Père ? Ou bien, Dieu votre Père, savez-vous quelque moyen de le séparer d’avec Dieu le Père de Jésus-Christ, source du Saint-Esprit, vous adoptant, vous prévenant, vous justifiant, vous sanctifiant, vous glorifiant, en Jésus-Christ, par le Saint-Esprit ? Otez-lui, si vous l’osez, son nom de Père ; mais sachez que vous ne pouvez le lui enlever sans lui arracher du même coup les entrailles de cette paternité qui est l’appui de votre espérance éternelle !
d – Version littérale : L’amour de Dieu fait plus que de se déclarer ; il se donne, il se répand dans le cœur.
La rédemption du Fils. Dieu, nous rachetant de nos péchés, se chargeant du soin de nous réconcilier avec lui et trouvant en soi-même le secret de mettre d’accord son amour qui veut pardonner avec sa loi qui veut être obéie : voilà sans contredit le premier principe de notre rédemption ; aussi Jésus-Christ n’aurait-il pu l’accomplir s’il n’était Dieu lui-même. Mais est-ce à dire pour cela qu’il soit indifférent pour nous dans la pratique et pour la vie de nos âmes, de savoir que ces dispositions et ces ressources se trouvent en Dieu, ou de les voir manifestées et déployées dans la personne du Fils ? Ce serait une étrange erreur ; pensez-y. Je parle ici pour ceux qui ne sont étrangers ni à la plaie de leur coeur ni aux droits de la loi de Dieu. Pour des ennemis de Dieu réservés dans le cours naturel des choses à une punition éternelle, avoir été mis en possession de la vie éternelle : c’est l’objet de l’étonnement, de l’admiration des apôtres, des prophètes, des anges, du Saint-Esprit lui-même ; c’est un prodige que l’amour ineffable de Dieu uni à sa sagesse infinie a seul pu concevoir et exécuter. Ce prodige, nous y devrions croire sans contredit, sur le seul témoignage de Dieu ; mais qu’il nous apparaît plus lumineux et plus rassurant, quand nous sommes admis à le contempler dans le mystérieux rapport d’unité et de diversité que le Fils soutient avec le Père ! Au sein de cette unité qui nous garantit son harmonie immuable avec le Père, le voici, ce Fils qui est lui et qui n’est pas lui, se détachant du Père, prenant entre lui et nous la position de médiateur, intercédant pour notre salut devant sa sainteté offensée, et en faisant tellement, comme Fils, son affaire personnelle, qu’il ne resterait plus au Père d’autre moyen de nous condamner que de rejeter l’intercession de ce Fils unique et bien-aimé. Eh ! comment nous inquiéter pour notre salut, déposé désormais entre les mains du Fils, ce Dieu manifesté en chair, qui accepte notre rédemption éternelle comme une commission que confie à sa fidélité, d’un côté le pécheur qui l’invoque, de l’autre l’amour du Père qui l’a envoyé !
Mais il y a plus encore. Le Fils ne sollicite pas seulement notre salut (Jean 17.9-24), il l’opère ; il ne prie pas seulement pour nous, il nous rachète ; et la rançon qu’il offre pour nous au Père, c’est son propre sang, le sang du Fils de Dieu. Par ce sacrifice, il met la sainteté de Dieu hors de cause, en faisant de notre grâce imméritée une justice qu’il doit à notre Sauveur, de telle sorte qu’il n’y a pas jusqu’à sa sainteté même qui ne l’oblige à nous donner au Fils pour prix de ses douleurs (Romains 3.25 ; Jean 17.24) ; et tout ensemble il associe pour nous, par une alliance qui semblait impossible, l’idée de renoncement et de souffrance avec la nature divine, et nous présente notre Seigneur et notre Dieu sous des traits qui lui gagnent tout aussitôt notre cœur pour son cœur, et notre vie pour sa vie.
Chrétiens, me suivez-vous bien ? La médiation et le sacrifice de Jésus-Christ, n’est-il pas vrai ? ce n’est pas de la spéculation, c’est de la pratique ; ce n’est pas de la haute théologie, c’est l’ABC de l’Évangile. Eh bien ! cette médiation, ce sacrifice, encore une fois, essayez de les concevoir sans l’office du Fils auprès du Père, c’est-à-dire sans la Trinité : vous allez reconnaître que cela revient à essayer de les concevoir en les rejetant.
La médiation du Fils sans la Trinité ? mais c’est la médiation du Fils, s’il n’y a point de Fils ! Ce qui rend la médiation possible, c’est précisément que le Fils est un avec le Père, pour ne vouloir que ce que veut le Père, et pourtant distinct du Père, pour intervenir en notre faveur auprès du Père. Parce qu’il n’est pas Lui, il peut plaider notre cause ; parce qu’il est lui, il ne peut pas la perdre… O abîme, ô amour ! Ce partage sans partage, cette unité distincte, cette opposition harmonique, je cherche vainement un terme qui la puisse rendre… N’en soyez pas surpris : l’Écriture n’y est guère moins embarrassée que moi, et ne trouve enfin pour la peindre qu’un langage qui brise toutes les lois du langage : « O Dieu, ton Dieu t’a oint » (Psaumes 45.7 ; Hébreux 1.9) ; « Seigneur, pour l’amour du Seigneur, fais reluire ta face sur ton sanctuaire ! » (Daniel 9.16-17.) « Le Seigneur lui fasse trouver miséricorde (à Onésiphore) auprès du Seigneur ! » (2 Timothée 1.18.)… Quelle application, quel sens, quelle existence tout cela peut-il avoir que dans la doctrine du Père, du Fils et du Saint-Esprit ?
Et que dirai-je du sacrifice ? de ce point culminant de la médiation où l’unité est à la fois le plus nécessaire et la distinction le plus palpable ? Le sacrifice du Fils sans la Trinité, quelle étrange contradiction dans les termes ! Le Fils de Dieu, « établi de Dieu pour propitiation par la foi en son sang, » quelle confusion inextricable sans le rapport d’unité et de diversité du Père au Fils, c’est-à-dire sans la Trinité ; et, en dehors de cette Trinité, que restera-t-il pour qui a appris à adorer Jésus-Christ comme son Dieu Sauveur, que de traiter sa passion et sa mort de pures apparences sans réalités correspondantes, comme le faisaient dans la primitive antiquité ces sectes étranges qui commençaient à poindre aux jours de saint Jean et qu’il rejette avec une sévérité si significative : « Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chair, est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse point que Jésus-Christ est venu en chair, n’est point de Dieu (1 Jean 4.2-3) ? Il n’y a rien au monde de plus personnel que le sacrifice, ni de plus distinct que celui à qui et celui par qui il est offert. Le sacrifice de soi-même offert par le Fils au Père, et accepté par le Père en expiation de nos péchés, est inséparable de la doctrine du Père et du Fils, disons mieux, c’est cette doctrine même prise dans son centre vivant et salutaire. Aussi la doctrine du sacrifice suit-elle pas à pas celle de la Trinité. L’ancienne alliance, n’ayant la Trinité qu’en germe, n’a le sacrifice aussi qu’en figure ; et le jour où le Père, le Fils et le Saint-Esprit reçoivent leurs noms dans la nouvelle alliance, est aussi celui où le sacrifice unique et véritable est consommé. Quand saint Jean écrivait : « En ceci est manifesté l’amour de Dieu envers nous, que Dieu a envoyé son Fils unique au monde, afin que nous vivions par lui » (1 Jean 4.9) ; quand Jésus-Christ disait : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16), ils confessaient la substance même de la Trinité.
Après cela, ôtez la Trinité, si vous l’osez ; mais sachez bien qu’en l’ôtant, vous laissez l’édifice évangélique sans appui ; vous sapez la rédemption par la base ; vous la rendez non seulement incompréhensible, mais chimérique ; et troublés d’un salutaire effroi, revenez au Fils pour revenir au Père, et donnez gloire avec l’Écriture au mystère fondamental de notre très sainte foi !
La sanctification de l’Esprit. Dieu sanctifiant de tout temps les croyants, et par sa grâce salutaire les affranchissant du péché, c’est le fond de la doctrine du Saint-Esprit ; et celui qui n’en sait que cela sait déjà beaucoup. Mais il sait beaucoup plus, et surtout il sait beaucoup mieux, le disciple du Nouveau Testament, portant en lui-même ce « Consolateur » que le Fils demande au Père pour les siens, que le Père leur envoie au nom du Fils, et par lequel ceux qui l’ont reçu deviennent les temples du Dieu vivant.
L’Esprit de la Trinité est un esprit vivant. Ce n’est pas quelque chose (passez-moi cette expression familière), c’est quelqu’un ; c’est un ami intérieur qui nous parle, qui rend témoignage à notre esprit, qui nous éclaire et nous guide, qui nous approuve ou qui, au besoin, nous reprend et que Jésus appelle le Consolateur ; ceci est capital. Nulle action, même divine, ne saurait tenir lieu de cet hôte invisible, mais vivant. Il est dans l’esprit de l’Écriture, parce qu’il est dans la vérité, de nous placer pour toutes choses en présence de la vie et de personnes vivantes. Cet ennemi spirituel, qui livre à notre âme de si redoutables assauts, nous est dépeint par l’Écriture sous les traits d’un tentateur vivant, plus subtil à la fois et plus puissant que nous : qui osera nier, pour peu qu’il ait appris à lire dans son propre cœur, que cette révélation effrayante ne lui ait été salutaire ? Qui ne se tiendra mieux sur ses gardes, qui ne veillera avec plus de persévérance, qui ne priera avec plus d’ardeur, ayant devant les yeux un ennemi extérieur d’intelligence avec ceux du dedans ? Eh bien ! ce qui est vrai pour le mal n’est pas moins vrai pour le bien. Il n’y a ni bonnes pensées, ni bons exemples, ni bonnes influences, d’où qu’elles viennent, qui vaillent pour nous un ami céleste venant non pas seulement secourir la place attaquée, mais s’y établir pour la mieux défendre ; je veux dire, s’unissant à notre homme intérieur d’une union à jamais impossible pour le tentateur, parce qu’elle est propre à la nature divine. Au dehors, la personne vivante du tentateur, et non pas seulement la tentation ; au dedans, la personne vivante du Consolateur, et non pas seulement la consolation ; voilà le combat de la sanctification telle que nous le fait l’Écriture et le Saint-Esprit ; et voilà notre âme devenue un théâtre où se livre une lutte acharnée entre les puissances redoutables de l’enfer et la puissance invincible du ciel, le Saint-Esprit. Un Consolateur, que nous appelons par la prière, et que nous devons nous garder, soit de contrister (Éphésiens 4.30), soit d’éteindre (1 Thessaloniciens 5.19) ; eh ! que pourrait-on imaginer de plus propre à mettre en jeu tout à la fois tous les ressorts de l’âme, toutes les facultés de l’esprit, tous les sentiments mêmes de la conscience et du cœur !
Mais que sera-ce si, demandant le nom de ce consolateur invisible, nous apprenons de l’Écriture que celui qui vient « en nous » n’est autre que celui qui était « avec nous » (Jean 14.17), que son nom est « le Seigneur » (2 Corinthiens 3.17), et qu’il fait de quiconque le reçoit « le temple de Dieu » (1 Corinthiens 3.16), réalisant dans sa plénitude cette prière du Seigneur, où respire une si mystérieuse unité, pour ne pas dire une si sainte confusion : « Que tous soient un, comme toi, Père, es en moi, et moi en toi !… Qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en eux, pour qu’ils soient consommés en un !… » (Jean 17.21,23). L’Esprit de Dieu descendant dans nos cœurs pour nous sanctifier, sur les pas du Fils de Dieu descendu en terre pour nous sauver ! Dieu lui-même se donnant à nous, comme si ce n’était pas assez de s’être donné pour nous, et nous assurant de sa présence par une voix qui sort du cœur, plus pénétrante que si elle sortait du ciel… ô comble mis à l’édifice évangélique ! ô merveille ! ô amour ! Y ayez-vous jamais songé sérieusement ? Dieu en moi, faisant alliance avec moi contre le tentateur, et contre ce monde dont le tentateur est le prince de Dieu ! Dieu prenant pour son compte personnel l’œuvre de ma sanctification ! Dieu mettant à ma disposition toute sa sainteté, avec toute sa puissance : toute la sainteté qui a resplendi en Jésus-Christ homme, avec toute la puissance qui s’est révélée en Jésus-Christ se relevant d’entre les morts ! que me faut-il de plus ? Ah ! que je reconnais bien celui qui a dit : « Soyez saints, comme je suis saint, » et que « de telles promesses » vont bien avec une telle vocation ! (2 Corinthiens 7.1.) A la différence profonde qui est entre la sanctification de l’Ancien Testament et celle du Nouveau Testament, correspond la différence proportionnelle qui est entre les secours du premier, et la grande promesse du second (Actes 2.39), le Saint-Esprit. C’est maintenant que « je puis tout par Christ qui me fortifie ; » car enfin, si je succombe encore à la tentation, c’est que je n’ai pas laissé faire à l’hôte invisible, c’est que j’ai follement repris dans mes mains le combat pour lequel Dieu m’offrait le secours des siennes.
Mais, que devient encore tout cela sans la Trinité ? Au lieu de la toute-puissance divine, c’est la piété humaine ; disons tout, au lieu de Dieu en moi, c’est moi, moi aidé de Dieu, je le veux, mais pourtant moi, avec mes langueurs, mes fluctuations, mes faiblesses, et mes empêchements sans nombre. La différence est du tout au tout : il y va de « l’Esprit de vie en Jésus-Christ m’affranchissant de la loi du péché et de la mort ; » il y va de la parole de Jésus-Christ : « Il vous est avantageux que je m’en aille ; car, si je ne m’en vais, le Consolateur ne viendra point à vous ; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai » (Jean 16.7). Ne nous flattons pas d’aller là-dessus au fond de notre propre pensée, encore moins d’aller au fond de celle du Seigneur ; mais une chose est certaine : c’est que si la victoire complète de l’esprit contre la chair, si la communion constante avec Jésus-Christ, si Satan écrasé sous nos pieds, ne sont pas des spéculations théologiques, ce n’en est pas une non plus que le Saint-Esprit en nous. Otez la Trinité, si vous l’osez ; mais rendez-vous compte de tout ce que vous ôtez avec elle, et craignez de nous rejeter dans l’impuissance naturelle de la chair, et de nous livrer au combat terrible de la vie, « sans Dieu », sans force, sans victoire !
Je tâche de résumer, pour l’éclaircir, la pensée commune qui préside à tout ce que je viens de dire sur l’application pratique de la doctrine qui nous occupe ; et voici ce que je trouve. Entre la foi générale en Dieu pardonnant, rachetant, sanctifiant, et la foi spéciale du Père notre Père ; du Fils notre Rédempteur, du Saint-Esprit notre Consolateur, la différence est celle de la vérité connue à la vérité expérimentée, du principe à l’action, de la notion à la vie. Nous avons, d’un côté, l’œuvre de notre rédemption recueillie dans les germes secrets qui lui ont donné naissance ; de l’autre, cette rédemption personnifiée en des êtres vivants, par où elle trouve un tout autre accès dans les esprits et dans les cœurs. Oserai-je comparer cette différence à celle d’un traité à un drame, nous présentant l’un et l’autre les mêmes pensées, mais l’un, exposées dans l’ordre de leur génération logique, l’autre, réalisées et comme incarnées dans des personnages vivants ? Oserai-je appeler la Trinité le drame vivant de la rédemption dans le sein de Dieu ? Mais pardonne, ô Dieu trois fois saint, pardonne à ma langue bégayante une image qui rend si mal justice à tes « perfections invisibles ! » Le drame, mêlé de fiction, n’est qu’une représentation des idées ; tandis qu’ici c’est « la vivante image des choses, » c’est la substance même de la vérité qui vient à nous revêtue de cette forme saillante, qu’elle n’a point eu à chercher, la trouvant toute donnée en elle-même. Le drame, c’est l’image de la Trinité de ces sectes hérétiques, pour lesquelles le Père, le Fils, le Saint-Esprit, ne sont que des noms, des apparences, des modes de l’action divine ; mais la Trinité de l’Évangile, pour lequel le Père, le Fils, le Saint-Esprit sont le fond même des choses et la substance de la vie divine, ce n’est pas du drame, c’est de l’histoire ; disons mieux, c’est l’histoire ; l’histoire invisible du sein de laquelle découle toute l’histoire visible, l’histoire véritablement sainte, l’histoire, non de l’homme, mais de Dieu ; l’histoire, non du temps, mais de l’éternité ! La Trinité, c’est le mouvement de la vie dans le sein du Dieu éternel !… Il a deux noms dans l’Écriture, ce Dieu des dieux, il a deux noms qui le séparent de tous les autres dieux invoqués sur la terre : il s’appelle « le vrai Dieu, » et il s’appelle aussi « le Dieu vivant » (1 Thessaloniciens 1.9). Le vrai Dieu qui a créé toutes choses et qui les gouverne en Maître souverain, par contraste avec les faux dieux du polythéisme, qui n’ont d’existence que dans les imaginations des hommes, et qui peuvent être en aussi grand nombre que les imaginations mêmes : le vrai Dieu, c’est son nom d’unité ; le Dieu vivant, par contraste avec les dieux morts du déisme et du panthéisme ; le Dieu vivant, en qui quelque chose sent, aime, et se remue ; le Dieu vivant, heureux en lui-même dans l’amour éternel ; le Dieu vivant, qu’est-ce autre chose que son nom de Trinité ? Laissez-moi, vous dis-je, laissez-moi jeter un regard dans cet abîme sans fond ! si « je parle en imprudent, » c’est l’imprudence de l’adoration et de l’amour, — j’entrevois des profondeurs inouïes, — je pressens des ravissements ineffables ! c’est ici, c’est ici, vous dis-je, que l’on traite de nous, sans nous, mais pour nous ! C’est ici qu’on se partage l’œuvre de notre salut, impraticable pour nous-mêmes, praticable pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit ! Alliance sublime ! Miséricorde infinie ! Salut trois fois béni, accompli par le Dieu trois fois saint ! Dieu de la Trinité, Dieu qui es amour ! Dieu des Écritures, scandale des hérésies ! Dieu des chrétiens, Dieu de notre baptême ! Dieu nécessaire, Dieu suffisant, Dieu Créateur, Dieu Rédempteur ! Dieu révélé, Dieu caché ! Je m’arrête sur les bords de cet abîme : « Ce sont les hauteurs des cieux qu’y ferais-tu ? Ce sont des choses plus profondes que les abîmes, qu’y connaîtrais-tu ? » (Job 11.8.) Mais je sais, je vois, je sens une chose : C’est que si c’est un mystère, si c’est le mystère des mystères, c’est aussi « le mystère de la piété ; » de la piété, non de la spéculation. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit des spéculations théologiques ? Disons plutôt que la grâce, que le baptême, que la foi chrétienne, que la vie chrétienne, sont des spéculations théologiques ! Ah ! pour moi, tant que mon péché, ma condamnation, mon impuissance, avec le feu éternel où ils me conduisent tout droit, seront autre chose que des spéculations théologiques, tant qu’ils seront la réalité même la plus redoutable qui fut jamais, souffrez que je saisisse le Dieu de l’Évangile, Père, Fils et Saint-Esprit, comme la réalité bienheureuse de ma délivrance ! Souffrez que j’admire, que j’adore, dans les obscurités saintes qui vous scandalisent, le mystère d’amour au sein duquel le Dieu vivant et vrai a trouvé pour me sauver et le vouloir — et, que savons-nous ? — peut-être le pouvoir !
Si les réflexions que je viens de vous présenter laissaient encore quelque obscurité dans votre esprit, ce n’est pas à la doctrine qu’il faudrait vous en prendre, c’est à vous — ou à moi. Pour que la vérité de ces réflexions vous devînt sensible jusqu’à l’évidence, que faudrait-il chez ceux qui les entendent, ou chez celui qui les expose ? Plus de science théologique ? Non ; mais plus de piété, plus de vie spirituelle. Avec plus de piété, plus de vie spirituelle, ces aspirations de notre âme auxquelles le Père, le Fils et le Saint-Esprit répondent, seront plus senties ; et à proportion qu’elles seront plus senties, la plénitude avec laquelle ils y répondent sera mieux aperçue et mieux appréciée. Rentrez donc en vous-mêmes, vous qui avez quelque expérience des choses divines ; recueillez-vous devant Dieu, et cherchez en vous-mêmes le reste de notre démonstration. Si Jésus-Christ porte la Trinité dans sa personne visible, vous la portez, vous, dans votre homme intérieur, selon l’exacte mesure de votre conformité avec Jésus-Christ. Oui, ce Dieu de l’Évangile, ce Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, est celui que cherche votre cœur. Ce mystérieux partage au sein de la rédemption commune, cette distinction vivante dans cette unité véritable, trouve au fond de ce cœur si grand et si combattu, un je ne sais quoi qui l’accueille, et qui l’aurait presque pressentie. Pour toutes les délivrances après lesquelles votre âme soupire, c’est Dieu à qui vous vous attendez, et encore Dieu, et toujours Dieu ; mais si je l’ose dire, c’est un Dieu divers. Vous voulez un Dieu « qui pardonne tant et plus : » achevez la ligne, et vous allez droit au Père. Vous voulez un Dieu qui « fasse l’expiation de vos péchés : » achevez encore, et vous allez droit au Fils. Vous voulez un Dieu qui crée en vous une force et une vie nouvelles : achevez, achevez toujours, et vous allez droit au Saint-Esprit. Ceci vous étonne ? descendez plus avant en vous-mêmes, et nous serons bientôt d’accord. Tous les témoignages que nous avons entendu rendre tantôt à notre doctrine par l’Écriture et par la tradition, vous les lui entendez rendre également par l’expérience individuelle, pour peu que vous ayez appris à l’écouter. Un Père de l’Église disait : « Dans l’Ancien Testament, nous trouvons Dieu pour nous ; dans les Évangiles, Dieu avec nous ; dans les Actes et les Épîtres, Dieu en nous. » Eh bien ! cet ordre ne se reproduit-il pas dans l’expérience individuelle ? Le premier pas dans la foi chrétienne n’est-il pas de connaître, par la repentance, Dieu pour nous, c’est-à-dire, Dieu le Père ; le second, par la foi en Jésus-Christ, Dieu avec nous ? c’est-à-dire Dieu le Fils ; le troisième, par la vie du Saint-Esprit, Dieu en nous, c’est-à-dire Dieu le Saint-Esprit ? Je disais : à proportion que l’église chrétienne est devenue plus chrétienne, c’est-à-dire plus spirituelle, la Trinité y a été mieux comprise et mieux appréciée ? eh bien ! à mesure que l’âme chrétienne devient plus chrétienne, c’est-à-dire plus sainte ; la Trinité lui devient aussi et plus sensible et plus précieuse. Tant il est vrai que l’histoire, de l’âme sur ce-point n’est que l’histoire de l’Église en raccourci, et que tout ce que nous avons, appris de l’Écriture et de la tradition achève de se vérifier au fond de la conscience individuelle ! Pour moi, qui m’instruis ici tout en tâchant d’instruire ceux qui m’écoutent, je rends grâces au plus fidèle des Maîtres pour avoir durant quelques semaines concentré ma méditation sur cette matière à la fois si profonde et si salutaires. Cela m’a été bon, je le confesse devant toi, ô mon Dieu ! j’en avais besoin tout le premier, j’en ai recueilli un fruit que mon âme savoure avec délices — hélas ! et si je ne trouve pourtant que des développements si pauvres, si froids, que je tremble de compromettre mon redoutable sujet, je sens, sachez-le bien, que j’en suis seul responsable, que ma doctrine n’y est pour rien, et qu’il ne me manque qu’une vie chrétienne plus mûre et plus affranchie, pour répandre sur cette terre d’élection des flots de lumière, de vie et d’amour !
Allez maintenant, vous qui étiez disposés à laisser à l’écart la doctrine du Père du Fils et, du Esprit comme une spéculation théologique, allez proposer à un vrai chrétien d’essayer de s’en passer. M’en passer ! et que mettez vous à la place ? Voici devant moi, dans la Parole, de mon Dieu, le Père, le fils, et le Saint-Esprit ; vous qui voulez que je m’en passe, osez aller jusqu’au bout ; dites où je dois prendre ce qu’il faut ajouter à sa plénitude, où ce qu’il en faut retrancher ? Nommez-moi donc ou ce quatrième que je dois joindre aux trois ou celui des trois que je dois supprimer ? Lequel des deux vous paraît le plus téméraire, le plus impie ? Un quatrième à leur adjoindre ; qu’il paraisse ! terre, Église, histoire, univers, ciel, temps, éternité, nommez-le donc ce nom divin que vous tenez caché depuis les siècles ; mais commencez par nous expliquer pourquoi vous l’avez jusqu’à ce jour envié à notre foi, à notre baptême, à notre espérance, à notre amour ! Un des trois à supprimer ; malheureux ! et lequel ?
Choisissez, — Que ce ne soit pas le Père : ou qui me donnera désormais l’assurance de mon pardon ? Que ce ne soit pas le Fils ; ou qui fera désormais l’expiation de mon péché ? Que ce ne soit pas le Saint-Esprit ; ou qui me prêtera, désormais la force de Dieu pour l’œuvre de Dieu ? En m’ôtant le Père, le Fils ou le Saint-Esprit, vous m’ôtez mon pain quotidien… vous ne me l’ôterez pas ! « Notre Père qui es aux cieux,…. donne-nous chaque jour notre pain quotidien » ! Oh ! que je suis heureux de croire la Trinité ! plus heureux de l’annoncer !
Mais croyez-vous que l’Église se montre sur ce point plus traitable que moi ? Non, vous dis-je : il n’y a rien de saint et de fidèle dans l’Église à quoi votre proposition ne fît horreur. Cherchez plutôt qui l’agrée, cherchez de porte en porte, d’Église en Église, de siècle en siècle ! Ce ne sera pas un Thomas Chalmers, ni un Auguste Neander, ni un Alexandre Vinet, ni un Auguste Rochat, ni aucun de ces saints hommes de Dieu qui ont réveillé l’Église contemporaine. Ce ne sera pas un Calvin, ni un Luther, ni un Cranmer, ni un John Knox, ni aucun de ces serviteurs de Dieu qui rappelèrent, il y a trois siècles, l’Église déchue aux sources pures et primitives de la foi. Ce ne sera pas un Anselme de Cantorbéry, ni un Bernard de Clairvaux, ni un Hilaire de Poitiers, ni aucune de ces lumières qui ont percé la nuit obscure du Moyen Age. Ce ne sera pas un Augustin, ni un Chrysostôme, ni un Athanase, ni un Clément d’Alexandrie, ni aucun de ces Pères des premiers siècles révérés de l’Église universelle. Et qui sera-ce donc ? Un Socin, pour tout réformateur ; un Pélage, pour tout docteur ; un Arius, pour tout Père de l’Église ; — eh bien ! faites cause commune avec ces noms lugubres, mais rompez avec l’Église fidèle de toutes les époques, de tous les noms, de toutes les communions ! Mais renoncez à trouver une place pour vous dans ce « seul troupeau », que Dieu a promis de rassembler un jour sous « un seul pasteur » ! Oui, et pensez-y sérieusement. Un temps viendra, temps d’amour, temps de grâce, temps de gloire, où les membres fidèles de toutes ces communions entre lesquelles l’Église chrétienne est aujourd’hui partagée se rassembleront pour former une seule Église n’ayant pour tout drapeau que Jésus-Christ seul. Sur quel terrain, je vous le demande, s’assemblera cette Église privilégiée des temps à venir ? Et quel autre en pourrait-elle trouver que ce fond commun qui leur est demeuré à toutes, malgré toutes leurs divergences, malgré les funestes égarements de quelques-unes, « le Dieu vivant et vrai, » Père, Fils et Saint-Esprit ? La Trinité, voilà le point de ralliement de toutes ces Églises ; la Trinité, voilà le commun trésor de tout le peuple de Dieu dispersé ; la Trinité, voilà la pierre d’attente que la main de Dieu a posée dès le commencement, a gardée au travers des siècles, pour y élever en son temps l’Église à venir : — en la répudiant, vous répudiez l’espoir de cette Église unique à laquelle aspirent les âmes aimantes et fidèles disséminées dans toutes les communions !
Assez ou non pour vous, c’est assez pour moi ! Je ne me dissimule rien de tout ce qu’il y a d’impénétrable dans ces profondeurs ; mais je sens aussi tout ce qu’elles renferment, de lumière, de chaleur et de vie. Je laisse « les choses cachées qui sont pour l’Éternel notre Dieu », mais, je m’attache aux « choses révélées qui sont pour nous et pour nos enfants ». Un jour viendra que tous les voiles seront levés : je ne regretterai point alors, d’avoir cru, comme un enfant, la parole de mon Père céleste, unique chemin pour connaître, sinon la vérité absolue, du moins tout ce que je suis capable d’en embrasser dans ma condition présente. Je m’écrie avec un poète chrétien :
Dans un sombre nuage il veut s’envelopper ;
Mais il est un rayon qu’il en laisse échapper ;
Que me faut-il de plus ? Je marche avec courage,
Et content du rayon, j’adore le nuage.
Trinité sainte — et pourquoi rejetterais-je le nom que l’Église a donné à la foi de l’Évangile ? — Trinité sainte, je ne t’explique point, mais je t’adore ; et en t’adorant, je te bénis ! Je t’adore, comme « le mystère » des mystères ; je te bénis comme « le mystère de la piété », en même temps, que de la charité ! Père, qui m’as sauvé gratuitement, gloire, à toi ! Fils, qui m’as racheté par ton sang, gloire à toi ! Esprit, qui m’as ouvert les yeux et le cœur, gloire à toi ! Père, Fils et Saint-Esprit, gloire à vous, à toi ! Je te consacre, tout de nouveau mon âme, ma vie, mon ministère ! Baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je veux, avec le secours de ta grâce, ô mon Dieu trois fois saint, prêcher au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, vivre au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mourir au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, pour ne paraître devant le tribunal de ta justice, ainsi changé en tribunal de grâce, qu’au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! Amen.