L’esprit de Dieu a révélé la vérité aux grands chrétiens des temps apostoliques, afin qu’ils l’annonçassent pour le salut des hommes. Cette révélation qui avait pour organe leur vie, leur parole, leurs écrits, en un mot leur personnalité entière pénétrée de ce divin esprit, n’est pas un fait appartenant complètement au passé. Nous sommes les membres du corps de Christ, participant à son esprit, qui rattache le moment actuel à ce développement continu, permanent, de la vie de l’Eglise dont le point de départ a été la Pentecôte. Aussi la révélation ne peut-elle demeurer, pour nous quelque chose d’extérieur et d’étranger ; le passé de l’Eglise doit redevenir son présent. Nous n’avons pas besoin d’aucune nouvelle révélation, mais nous devons si bien nous approprier l’ancienne, qu’il nous semble que le Seigneur nous parle dans cet instant même. Il nous a donné toutes les directions nécessaires pour satisfaire les besoins légitimes de notre époque ; il nous a dit tout ce qu’il nous faut pour trouver la consolation dans nos épreuves actuelles, pour remporter la victoire dans la lutte, et pour découvrir la route qui, au sein des incertitudes d’un temps si agité, nous conduira sûrement au but. Mais si nous voulons ainsi vivifier pour nous la révélation évangélique, nous devons nous faire une idée exacte du milieu dans lequel se trouvaient les apôtres, nous devons vivre avec eux dans ces temps reculés et nous placer en quelque sorte dans les mêmes circonstances dans lesquelles ils ont parlé et agi.
Dieu nous a donné une preuve admirable de la sagesse avec laquelle il conduit l’Eglise, en ne nous révélant pas la vérité divine dans la lettre morte d’une loi, dans un formulaire dogmatique, mais en la rendant palpable, saisissante, dans une vivante histoire. Cette vérité, dans le Nouveau Testament, est appliquée à des faits particuliers ; elle surgit au sein de circonstances spéciales, dans un milieu historique bien déterminé ; elle a pour organes des hommes dont l’individualité est prononcée, qui dans une vie largement humaine lui rendent témoignage et la révèlent, en lui donnant l’empreinte de leur personnalité sanctifiée par l’esprit de Dieu. C’est ainsi que la vérité divine se rapproche de nous et devient humaine.
Notre intelligence éclairée de l’esprit de Dieu sans lequel on ne peut rien percevoir, rien comprendre des choses divines, doit rechercher avec soin le rapport entre l’humain et le divin dans la révélation ; elle doit tirer la vérité générale renfermée dans le fait particulier, et en appliquant cette vérité générale aux circonstances diverses de notre vie et de notre époque, la rendre de nouveau spéciale et individuelle. Sans doute, pour bien comprendre la Parole de Dieu dans son enveloppe humaine, il est nécessaire avant tout de se soumettre humblement à l’esprit divin qui seul nous conduit dans toute la vérité et nous révèle les profondeurs de la parole éternelle, mais il n’en faut pas moins un soin attentif pour bien connaître cette enveloppe humaine. La Parole de Dieu ne veut pas des auditeurs paresseux ; elle réclame toutes les forces du sentiment et de l’esprit. Ainsi seulement on s’en approprie les trésors ; et quand ces trésors nous échappent, quand nous nous plaignons de manquer de lumière dans les obscurités du temps actuel, nous ne devons en accuser que notre étude superficielle de l’Evangile. C’est bien ici que peut s’appliquer cette parole du Sauveur difficile à comprendre, mais propre à nous exciter, à nous encourager à faire des recherches approfondies : A celui qui a, il sera donné davantage. Il y a là à la fois, pour nous, exhortation et réprimande.
Nous avons eu surtout en vue dans ces considérations les épîtres des apôtres. Nous y trouverions bien plus d’instruction, d’édification et de salutaires directions pour les rapports divers de notre vie, si nous mettions tout le soin, tout le sérieux convenable à une telle étude, si nous pesions diligemment chaque mot. Puisse l’esprit du Seigneur, en nous accordant son assistance et sa lumière, nous donner une intelligence claire et pratique de l’une des plus admirables, des plus inimitables épîtres de Paul, dans laquelle l’image du grand apôtre se peint à nous en traits vivants : nous voulons parler de l’épître aux Philippiens.
Nous devons tout d’abord nous rendre présentes les circonstances où se trouvait Paul, quand il écrivit cette épître. Son zèle pour le salut du monde païen lui avait attiré les violentes persécutions des Juifs qui ne voulaient pas reconnaître aux païens le droit d’avoir part comme eux au royaume de Dieu. Ces persécutions avaient amené son emprisonnement à Jérusalem, sa longue captivité à Césarée, et enfin sa captivité à Rome, motivée par son appel à l’empereur romain. Il était tout à fait incertain sur son sort, et il se préoccupait beaucoup plus dans sa prison du bien des Eglises fondées par lui en divers pays que du soin de sa propre vie. Le danger que courait l’apôtre, qui était le premier pasteur de ces Eglises, les atteignait plus ou moins ; elles couraient le risque de devenir hésitantes dans leur foi, en étant privées de sa direction immédiate dans un temps de troubles et de fermentation. Il devait suppléer à cette direction par ses disciples et ses compagnons dans la proclamation de l’Evangile, qui formaient un lien vivant entre lui et ses enfants dans la foi, comme aussi par ses lettres. L’Eglise de Philippe, en Macédoine, était du nombre de ces Eglises. C’était la première Eglise fondée par Paul en Macédoine. Les chrétiens qui en étaient membres avaient été témoins des souffrances, des opprobres endurés par Paul pour la cause de l’Evangile (Actes, ch. 16). Ils avaient pu admirer sa foi héroïque, sa confiance en Dieu, l’ardeur irrésistible de son dévouement à la vérité, sa joie dans toutes les douleurs, et aussi les voies merveilleuses du Seigneur dans sa délivrance. Rien n’était plus propre à confirmer leur foi, et à rendre leur affection, pour celui qui était prêt à tout sacrifier afin de leur apporter l’Evangile, plus vive et plus profonde. Ils marchaient sur les traces de leur maître aimé.
A cette époque le christianisme n’avait pas encore éveillé l’attention des gouverneurs romains, et les lois de l’état ne l’avaient pas encore voué à la persécution comme cela allait bientôt arriver, au nom de la législation romaine qui, basée sur l’ancienne religion de l’Etat, devait interdire tout ce qui lui était contraire. Mais bien qu’aucune persécution générale n’eût alors éclaté contre l’Eglise, et que les chrétiens fussent presque partout laissés en repos, la Macédoine faisait sous ce rapport exception. Les Juifs qui se trouvaient en grand nombre dans les villes commerçantes de ce pays, avaient de suite montré leur haine contre les prédicateurs de l’Evangile et contre tous les chrétiens. Ils avaient su exciter des divisions entre les croyants et leurs concitoyens païens.
Quoiqu’il n’y eût aucune loi promulguée contre le christianisme, les païens, dont les chrétiens se séparaient si profondément par leur vie nouvelle, avaient à leur disposition tous les moyens suffisants pour les inquiéter et leur nuire. Cela s’est vu dans tous les temps, comme le montre l’histoire des missions modernes, dans les rapports des néophytes avec leurs compatriotes. L’Eglise de Philippes demeura ferme au milieu de semblables persécutions. Sa foi et sa charité furent éprouvées par là. Aussi les persécutions qui avaient frappé l’apôtre Paul ne purent ébranler les chrétiens de Philippes. Ils se sentaient en communion, avec lui, dans tous ses combats et toutes ses épreuves. Seulement ses souffrances et le danger qui planait sur sa tête, rendaient plus ardentes leur affection, leur sympathie pour l’apôtre. Pour lui en donner une preuve, ils lui envoyèrent Epaphrodite, un des leurs, qui devait en même temps leur faire connaître exactement la position de Paul. On sait que Paul n’avait pas voulu user du droit dont le Seigneur avait investi ses apôtres, de pourvoir à leurs besoins temporels par les dons de ceux au salut desquels ils travaillaient. La grâce miséricordieuse de Dieu s’était révélée à lui d’une manière extraordinaire, en faisant du persécuteur fanatique de l’Evangile un apôtre de ce même Evangile : aussi se sentait-il pressé de faire plus pour Christ que les disciples qui avaient été appelés à lui d’une manière moins exceptionnelle, et avaient été peu à peu formés à son école. Paul renonçait donc au droit dont il eût pu user comme les autres. En endurant plus de travaux, de fatigues et de privations qu’eux tous, il voulait montrer que, s’il avait été pris comme par violence par le Seigneur, son ministère était devenu pour lui un ministère librement accepté et aimé pour lui-même (1 Corinthiens 9.17-19). Il était de ceux que le Seigneur a déclarés heureux, de ceux qui par une vocation naturelle, confirmée par l’esprit divin, s’abstiennent du mariage pour le règne de Dieu, Si Christ les a déclarés heureux, ce n’est pas que le célibat ait en soi quelque privilège, comme si Paul avait un avantage sur Pierre qui travaillait à la même œuvre dans les liens d’un mariage béni du Seigneura ; non, il avait en vue seulement le sentiment qui pousse à ce célibat : l’amour dévoué sacrifiant tout au règne de Dieu. C’était ce sentiment qui animait Paul, et qui lui faisait accepter avec joie comme son devoir tout ce qui pouvait servir son ministère dans sa position spéciale. Il avait été amené ainsi à gagner son pain par le travail de ses mains, en faisant des tentes, tout en prêchant l’Evangile. Il expérimentait la vérité de cette parole du Seigneur que donner est plus doux que recevoirb. Par une telle conduite il ôtait tout prétexte à ses ennemis, qu’ils fussent juifs ou chrétiens judaïsants, de l’accuser de chercher ses propres intérêts. Cependant l’Eglise de Philippes, au nom de sa tendre affection pour Paul, lui vint en aide à plusieurs reprises, sachant combien il lui était difficile de se procurer tout ce qui lui était nécessaire. Paul, qui ne demandait rien, ne se sentait pas libre de refuser les dons provoqués par un attachement si sincère. L’Eglise de Philippes avait, par les mains d’Epaphrodite, montré à Paul sa sympathie généreuse. Ce don, et les communications faites à l’apôtre sur l’état de l’Eglise furent l’occasion de cette lettre. Le but de l’apôtre était d’exprimer aux Philippiens sa reconnaissance et son amour, de les rassurer sur sa situation, de mettre devant leurs yeux les dispositions de son âme, au sein des luttes et des dangers qu’il traversait, et de leur adresser sur leur état spirituel des exhortations et des encouragements.
a – Le mariage de Pierre est prouvé par Luc 4.38 (guérison de sa belle-mère), comme aussi par 1 Corinthiens 9.5. Les Pères de l’Eglise confirment le fait. Nous lisons dans Eusèbe (H. E., liv. III, 30 ), citant Clément d’Alexandrie : « Ceux qui condamnent le mariage condamneront-ils les apôtres qui ont été mariés ? Pierre et Philippe ont eu des enfants de leur mariage (Πέτρος μὲν γάρ καί Πιλιππος ἑπαιδοποιήσαντο). » Clément d’Alexandrie raconte même la mort de la femme de Pierre (Stromata, livre VII, ch. 11).
b – Cette parole du Sauveur ne se trouve que dans les Actes des Apôtres (Actes 20.35), dans le discours d’adieu de Paul aux pasteurs des Ephésiens. Elle n’est pas dans les Evangiles ; Paul l’a recueillie de la tradition orale, qui existait seule alors, et lui a donné la sanction de son témoignage apostolique. Elle nous est aussi garantie que si elle se trouvait dans nos Evangiles. Eux-mêmes reconnaissent qu’ils ont laissé beaucoup de choses en dehors de leur cadre (Jean 21.25). Seulement il faut, pour donner valeur historique à l’une de ces traditions, l’autorité d’un Paul ou d’un témoin immédiat, et cela n’étend pas, au fond, nos connaissances sur l’histoire du Sauveur. Tout l’essentiel est dans les Evangiles. (N. du T.)
Nous aurons donc à porter notre attention d’abord sur Paul prisonnier à Rome, nous demandant ce qu’il faisait dans sa captivité, quelle était sa situation morale d’après cette lettre ; et ensuite sur l’Eglise de Philippes, telle que Paul la dépeint. Nous trouverons dans un tel sujet bien des applications au temps présent.