Soyez toujours joyeux !(1 Thessaloniciens 5.16)
Ces trois mots sont de nature à produire des impressions très diverses. Ils sont trop remarquables en eux-mêmes pour être lus avec une complète indifférence ; car c’est une chose frappante que cette exhortation, je dirais volontiers cette sommation à la joie, sortant de la bouche d’un apôtre, mêlée aux préceptes les plus positifs de la morale, et prononcée au nom de la religion la plus austère et la plus sainte. Mais ces mots doivent surtout faire une vive impression sur les âmes heureuses et sur les âmes blessées. Qu’ils doivent délicieusement toucher les premières et faire douloureusement tressaillir les secondes ! Qu’ils réveillent soudainement de joies chez les unes, et chez les autres de douleurs ! Ne sont-ils peut-être écrits que pour les unes, et faut-il les supprimer pour les autres ? Il faut les adresser à tous. Cette Eglise de Thessalonique à qui saint Paul écrivait, renfermait sans doute et des âmes heureuses et des cœurs en deuil. Saint Paul ne les distingue pas dans son exhortation. Sous les couleurs opposées du bonheur et de l’infortune, l’apôtre ne voit que des chrétiens. Il sait que la joie est essentielle à la profession sincère du chrétien ; il sait que la qualité de chrétien domine toutes les autres, domine toutes les formes de la vie, tous les accidents de la fortune ; que si elle n’efface et n’absorbe toutes choses, la moindre chose est faite pour l’effacer et pour l’absorber. C’est pourquoi, ne voulant rien voir en des chrétiens que leur qualité de chrétiens, il ne convient pas que rien au monde puisse la restreindre, bien moins encore l’annuler ; il dit hardiment à tous les membres de ce troupeau nécessairement divers : Soyez toujours joyeux !
Nous entrons dans son esprit, et sans faire aucune distinction entre des lecteurs que la profession du christianisme met, à l’égard des paroles de l’apôtre, dans une même position, à notre tour nous leur disons à tous : Soyez toujours joyeux ! I l serait bien étrange que saint Paul adressât cette exhortation à des hommes du monde ; car, en supposant même qu’ils pussent être constamment joyeux, serait-il permis de leur recommander une joie telle que leur joie ? Le christianisme est la religion de la joie ; mais pourrait-il recommander, sanctionner une joie toute contraire aux vérités qu’il enseigne et à la morale qu’il prêche ? Comment une joie prise hors de Dieu pourrait-elle être agréable à Dieu et recommandée en son nom ? Toute joie est une offense envers Dieu si elle ne présente pas les caractères suivants : elle doit être pure, c’est-à-dire ne rien devoir à la chair, n’avoir rien de commun avec le péché, ne point nous disposer au mal, mais au contraire nous inspirer pour le mal de l’aversion et du dégoût, en un mot nous sanctifier à mesure qu’elle nous réjouit. Il faut encore qu’elle soit calme, c’est-à-dire que, bien loin de porter aucun désordre dans notre âme et dans notre vie, elle apaise nos agitations, elle tempère tous nos sentiments, et imprime à toute notre conduite un caractère de tranquillité, d’uniformité et de mesure. Son troisième caractère est le sérieux ; elle ne dissipe point notre esprit, elle le recueille ; elle n’a point pour condition l’oubli de nous-mêmes, au contraire elle se fortifie par la réflexion : elle gagne à s’examiner, à se rendre raison d’elle-même, à retourner incessamment vers son principe. La joie terrestre se laisse facilement infecter d’orgueil ; le bonheur du monde est accompagné d’une sorte d’insolence ; la prospérité enfle le cœur ; tout paraît mérité, tout semble possible et facile au favori de la fortune : la vraie joie est humble ; elle n’excite pas les bouillonnements de la vanité et ne fait pas déborder le cœur comme un vase trop plein ; elle retient, elle remet l’homme à sa place ; elle ne le fait pas Dieu à la place de Dieu. En le ramenant sans cesse à la source de son bonheur, elle lui fait sentir et savourer sa dépendance ; il ne se réjouit même qu’avec tremblement, sachant bien que sa félicité n’est pas à lui, qu’elle eût pu fort bien ne lui appartenir jamais, et que l’humilité et la reconnaissance donnent à la joie sa véritable saveur et toute sa pureté. Enfin la joie n’est selon Dieu, c’est-à-dire selon la vérité, qu’autant qu’elle ne ferme pas, mais qu’elle ouvre au contraire le cœur à l’amour. La joie est un mensonge, une suggestion de l’ennemi, une usurpation, un larcin, quand elle nous inspire d’aimer moins, quand elle ne nous porte pas à aimer davantage. Il est bien difficile à la raison de se représenter la charité sans joie, mais il est bien plus difficile à la conscience d’admettre comme légitime ou seulement comme possible, à la longue, une joie sans charité.
Puisque ce sont là les principaux caractères de la joie, qu’on juge si saint Paul a pu la recommander, a pu la permettre à d’autres que des chrétiens. C’eût été de sa part une méchante ironie, une dérision cruelle. Il savait bien que la joie n’a tous ces caractères que dans un cœur chrétien. Il savait bien encore, et c’est par ce trait que nous voulons finir, que des moments de joie sont possibles dans le monde, mais qu’une joie habituelle, constante, suivant la vie dans tout son cours, et en composant pour ainsi dire le fond et la substance, est tellement hors de la portée de l’homme naturel, que personne ne se fait l’illusion de la croire possible. Il n’a donc pu recommander la joie, une joie permanente, qu’à des chrétiens et dans le point de vue chrétien, mais il a dû le faire ; et nous, de notre part, nous devons considérer l’exhortation de saint Paul comme un précepte formel, et la joie comme une de nos obligations positives.
Mais ici j’entends une objection. « Assurément, dit-on, saint Paul n’a pu adresser cette exhortation qu’à des chrétiens ; mais à quoi bon l’adresser même à des chrétiens ? S’il est déraisonnable de recommander la joie à ceux qui n’en possèdent pas l’unique condition, il est superflu d’en faire une loi à ceux qui ont en eux les sujets de la vraie joie, et que tout y porte irrésistiblement. La joie n’est-elle pas la première conséquence, et une partie même de la foi ? n’est-elle pas comprise dans l’idée même de la foi, en sorte que refuser son cœur à la joie, c’est renier sa foi et se démentir soi-même ? Est-il possible que vous vouliez nous recommander comme un devoir évangélique de raisonner juste et de bien conclure ? Donnez-nous, si nous ne croyons pas, des raisons de croire : mais quand vous nous aurez persuadé que Dieu nous a aimés en son Fils ; quand vous aurez fait retentir à nos oreilles les paroles de la vie éternelle ; quand vous aurez mis entre nos mains les arrhes de la réconciliation, laissez-nous le soin du reste, ou plutôt laissez la vérité faire son œuvre dans nos cœurs et y produire, entre autres fruits bénis, celui d’une sainte joie. »
Cette objection s’adresse à saint Paul comme à nous ; mais quand cette réponse suffirait, nous ne voudrions pas nous en contenter. Nous en avons d’autres. La première nous est fournie par l’Evangile tout entier. Les mêmes choses que vous appelez et qu’il appelle les fruits, les conséquences de la foi, il les appelle encore des devoirs, et les recommande en même temps qu’il les inspire.
Etudiez l’homme, étudiez-vous vous-mêmes, et admirez la sagesse de l’Evangile. Sans doute que la foi n’a pas été destinée en vain à produire la joie : sans doute qu’elle y est propre, qu’elle en est l’unique moyen, et que toute vraie joie naît de la foi ; mais l’homme n’est pas tel que la vérité puisse faire en lui tout son chemin et le remplir dans tous les sens aussi aisément qu’un liquide prend la forme du vase où on l’a renfermé. La vérité est conséquente, l’homme l’est beaucoup moins ; sans doute on n’obtiendra de lui rien de réel en morale, à moins de le lui inspirer ; mais en même temps il faut tout lui commander, même le bonheur ; il faut, non pas une fois pour toutes, mais à chaque instant, créer en lui l’homme nouveau ; il faut, non pas seulement lui indiquer la route, mais l’y suivre des yeux, et de pas en pas l’avertir qu’il ne prenne pas les chemins de traverse pour son vrai chemin ; il faut, en un mot, lui indiquer les principales conséquences de la vérité qu’il a embrassée, l’aider à les pressentir, à les pratiquer, à les accomplir. Conseils inutiles, sans doute, si d’abord il n’avait été entouré pour jamais de la grande lumière qui illumine toute la route et qui permet d’avancer ; secours inutiles s’il n’était que poussé, porté, et s’il ne marchait pas de lui-même en vertu de la force divine que la foi a mise dans son cœur ; mais pourtant conseils et secours nécessaires qu’il n’est permis à personne de dédaigner, et dont ceux-là surtout rendent grâces à Dieu qui sembleraient le mieux pouvoir s’en passer, parce qu’ils semblent approvisionnés au delà du nécessaire pour toute la durée et toutes les chances de leur vie morale.
Humilions-nous donc avec reconnaissance devant la sagesse infiniment diverse de notre Dieu, et consentons qu’après nous avoir donné tant de motifs à la joie, il nous la recommande encore. Reconnaissons que, même avec une foi sincère, bien des circonstances du dehors et du dedans peuvent tenter une âme à la tristesse ; que sa joie est sans cesse menacée ; qu’elle peut à notre insu défaillir progressivement et s’éteindre tout à fait ; et que nous pouvons avec notre lampe encore entière, c’est-à-dire avec une foi intacte, nous trouver dans les ténèbres avant de nous être aperçus que la lumière s’affaiblissait.
Tenez donc votre lampe allumée, entretenez votre joie, telle est l’exhortation de l’apôtre ; en voici les principaux motifs :
Le premier est tiré de notre obligation envers Dieu. Une foi sans joie est un autel sans parfums. La joie est le signe et l’ornement de la reconnaissance. La joie doit couronner tous nos sentiments envers Dieu et tous nos actes de religion ; même quand nous jeûnons, nous devons oindre notre tête et laver notre visage. Comment prétendrions-nous que parmi la foule des hommes Dieu reconnaisse ses rachetés à la pâleur de leur visage et à l’expression morne de leur regard ? Et comment ne cesserait pas dans les cieux l’hymne d’allégresse des anges sur le pécheur dont le salut les a plus réjouis que la fidélité de quatre-vingt-dix-neuf justes, lorsque lui-même ne se réjouit pas de son salut ? C’est notre joie et non notre tristesse qui peut honorer Dieu. Assurément, notre Dieu est un Dieu bienheureux dont rien de notre part ne saurait altérer l’inaltérable paix. Mais toutes choses pourtant ne sont pas égales à ses yeux ; et si nous croyons qu’il a les yeux trop purs pour voir le mal, nous devons croire aussi qu’il les a trop miséricordieux pour voir la douleur. La douleur offense sa charité, de même que le péché offense sa pureté. Il n’est qu’une douleur agréable à ses yeux, c’est celle qui prépare la joie, et il est très vrai dans ce sens qu’un cœur froissé et brisé est le sacrifice qu’il aime ; mais toute douleur qui n’aboutit pas à la joie est un désordre aux yeux de Celui qui n’a pas créé la douleur, et qui, alors même qu’il l’inflige à ses créatures comme un châtiment, ne la tire point de son propre fonds, mais de ce même fonds d’où est sorti, avec toutes ses conséquences, le vrai mal, c’est-à-dire le péché. Mais où sa grâce est intervenue, où sa grâce a abondé, il veut, et cela est bien juste, que la joie abonde aussi ; et de même que la douleur était le tribut forcé de l’âme pénitente, la joie devient le libre hommage de l’âme réconciliée.
Ce motif en fait naître un second. La joie n’est pas seulement le signe ou le parfum de notre reconnaissance, elle est encore un moyen de la déployer. Sans la joie, notre foi demeure stérile et inefficace, ou ne produit que des fruits rares et sans saveur. Les bonnes œuvres, pour lesquelles nous avons été créés en Jésus-Christ, sont représentées par l’Evangile comme des fruits de la foi ; mais de même que ce n’est point immédiatement sur le tronc de l’arbre, mais sur ses rameaux que croissent les fruits, ce n’est pas immédiatement de la foi, mais de son rameau, c’est-à-dire de la joie, que sortent les bonnes œuvres. Une foi absolument sans joie ne produirait que des œuvres sans grâce ; et partout où s’accomplit au nom de Christ quelque œuvre véritablement chrétienne, il y a eu, n’en doutez pas, quelque mouvement de joie chrétienne. L’auteur de cette œuvre s’est peut-être à peine aperçu de ce qui se passait en lui, parce que ce mouvement peut-être a été faible et timide ; néanmoins s’il cherche à se rendre compte de ce moment de vie, il le verra sûrement correspondre à un moment de joie. Il y a eu un moment, du moins, où il a senti la douce étreinte de l’amour du Père, un moment où la chaleur de cet amour a pénétré son âme engourdie, un moment d’aise sinon d’allégresse, un moment de bonheur intérieur qui a quelque peu attendri et dilaté son cœur, qui, sans le faire déborder, au moins l’a répandu, et lui a fait chercher avec intérêt ou saisir avec empressement l’occasion de communiquer son bonheur et de témoigner sa reconnaissance. Car c’est là le propre d’une joie sainte : elle dispose, elle ouvre le cœur à tout bien ; une âme heureuse en Dieu est dans la même disposition (mais combien plus vive et plus excellente) qu’une âme heureuse de quelque bonheur de ce monde ; celle-ci puise dans son bonheur un principe d’action, une impulsion qui double sa force et sa vie : l’autre, l’âme heureuse en Dieu, éprouve le même besoin de se développer et d’agir ; mais sa direction est déterminée par le principe même de son bonheur ; et si la joie mondaine porte l’âme avec vivacité vers des buts mondains, la joie chrétienne l’entraîne vers son vrai centre, vers Dieu et vers tout ce que Dieu aime : nouvelle raison d’entretenir la joie en nous, comme la source d’un perfectionnement indéfini, comme un trésor d’œuvres chrétiennes. Enfin, si vous n’avez point de joie, comment en montrerez-vous ? ou si vous en avez peu, comment en montrerez-vous beaucoup ? et si le monde voit peu joyeux, peu contents ceux qui professent avoir le plus grand sujet de l’être ; s’il les voit, et cela n’est arrivé que trop souvent, plus sombres et plus mornes qu’avant leur conversion ; s’il est conduit à joindre inséparablement l’idée de christianisme et celle d’austérité chagrine, que voulez-vous qu’il en conclue au sujet du christianisme ? La joie est une partie de cette lumière que vous êtes appelés à faire luire devant les hommes, et dont la vue doit les porter à glorifier votre Père qui est dans les cieux. Les meilleures œuvres accomplies exactement, mais tristement, ne les édifieraient pas suffisamment. Ils y pourraient voir et peut-être admirer les effets de l’obéissance, et n’être pas pour cela tentés à l’imitation. La vertu chrétienne n’a toute sa vérité et n’exerce tout son attrait que lorsque, sortant de l’âme sans effort, elle semble en faire partie, ou du moins être devenue la plus intime et la plus douce de nos affections. Je dis la vertu ; je ne parle pas de tel ou tel acte vertueux qui peut coûter un sacrifice ; mais à travers la douleur du sacrifice, une joie sévère peut luire et n’en brille que davantage ; elle brille par-dessus toute la vie qu’elle éclaire de sa lumière uniforme et douce ; elle donne aux plus mauvais jours une sérénité qui étonne les témoins les moins attentifs ; elle embellit les jours les plus beaux ; joie céleste, elle s’associe aux joies terrestres sans rien perdre de sa pureté, sans leur ôter rien de leur naïveté. Le chrétien, parce qu’il est plus près du ciel, sait mieux jouir de la terre : les jouissances de la nature, de l’art, de la société, semblent lui avoir confié leur plus intime secret ; et plus sa joie est sérieuse et calme, plus on est certain qu’elle est vraie ; plus on l’envie, plus on voudrait en connaître la source. Ainsi le bonheur du chrétien fait des prosélytes au christianisme. Mais comment montrer ce bonheur s’il ne le ressent pas ? Il faut donc qu’il soit joyeux ; non toutefois par accès, par élans rares et courts, mais d’une joie habituelle et constante. Saint Paul n’a pas dit seulement : Soyez joyeux ; il a dit : Soyez toujours joyeux.
Ce caractère essentiel de la vraie joie est un de ceux qu’on peut le moins imiter. La joie constante, ou, pour mieux dire, la gaieté constante n’est, dans le monde, qu’un effet du tempérament et nullement de la réflexion. On a mille fois signalé la réflexion comme l’ennemie de la joie ; et combien d’hommes qui ne se maintiennent, je ne dirai pas joyeux, mais à moitié contents, qu’à condition de ne point penser ! Une joie qui subsiste avec la pensée, une joie que la réflexion entretient et augmente, et qui se retrempe incessamment où la joie des autres hommes s’abîme et se perd, une telle joie à la fois sérieuse et permanente suppose un état que la foi chrétienne a pu seule créer. Elle suppose la connaissance certaine d’un fait capable de surmonter d’avance toutes les impressions qui peuvent se rattacher aux souvenirs du passé, aux circonstances du présent, aux perspectives de l’avenir. Elle suppose un bonheur qui suffit à toute la vie, qui la pénètre tout entière, qui n’y laisse aucune place pour le malheur. Elle suppose que l’aspect de notre destinée est entièrement, irrévocablement changé. Elle suppose un secret principe dont la puissance toujours active ramène toute la vie à un même caractère, et convertit en une même substance, je veux dire en félicité, tous ses éléments, et jusqu’à ceux de la plus amère infortune.
Voilà l’unique joie ! voilà le vrai bonheur ! voilà celui dont il faut mettre les gages entre les mains des hommes pour oser ensuite leur dire : Soyez toujours joyeux ! Mais aussi c’est à des chrétiens que saint Paul adressait cette parole ; et s’il eût cru devoir la justifier dans leurs esprits, que n’aurait-il pas pu leur dire ! Essayons de le dire à sa place, ou plutôt disons-le d’après lui ; car nous n’avons guère ici qu’à rapprocher ses paroles éparses. Pourquoi ne seriez-vous pas toujours joyeux, semble dire l’apôtre à ses disciples ; n’avez-vous pas toujours sujet de l’être ? Ce qui vous réjouit comme chrétiens, sont-ce quelques éclairs dans une longue nuit, quelques moments sans liaison, des heures de relâche et de répit sans conséquence ni gage pour votre avenir ? Est-ce un bonheur sans racines, qu’il n’est pas en votre pouvoir de faire recroître par la pensée et d’enfermer pour jamais dans votre cœur ? Est-ce un élément de bonheur qui, par sa nature, appartienne au temps, et que le temps emporte comme tout ce qu’il produit ? Est-ce un bonheur, en un mot, qui se consomme à mesure qu’on le goûte, ou au contraire un bonheur qui s’accroît à mesure qu’on y puise ? Vous le savez vous-mêmes et vous pouvez répondre. Il n’y a pas un moment où ce bonheur ne soit réel et présent ; pas un moment où il ait moins de valeur que dans un autre moment ; pas une profondeur de l’âme où il ne puisse atteindre ; pas une âme qui soit trop haute ou trop basse pour le connaître. C’est le bonheur de tous vos bonheurs ; c’est la vérité de toutes les joies. On l’a ou on ne l’a pas, mais si on l’a, on l’a tout entier, de même que s’il nous possède, il nous possède tout entiers ; ce bonheur ne s’empare pas d’une partie de l’âme, ni l’âme d’une partie de ce bonheur ; il s’unit à nous comme notre âme est unie à notre corps, il nous est identifié ; il fait partie de nous-mêmes ; et si on pouvait nous l’enlever, ce serait tout entier ; il n’en resterait rien d’attaché à aucun moment de notre vie.
Gracié, réconcilié, sauvé, uni à Dieu de qui les dons sont sans repentance et la bonté irrévocable, tel est le nom de ce bonheur. A-t-il une date ? peut-il avoir des moments ? N’a-t-il pas d’avance et d’un coup marqué toute notre vie de son sceau ? N’est-il pas comme un chemin de lumière dans lequel il n’y a pas un recoin pour nos ténèbres ? Et ne serait-ce pas méconnaître sa nature, effacer sa notion, nier sa réalité, que de prétendre qu’il y ait un moment, un seul moment où il pourrait ne pas être ? Mais ne restons pas dans ces généralités, descendons à des détails plus propres à nous familiariser avec un fait si merveilleux, et cherchons à montrer par des applications, qu’il a sa place partout, ou plutôt que toute place dans la vie est à lui.
Il est des joies qui ne se passent point du secours de la société, que la société réveille et attise, dont elle est au moins l’unique occasion. L’âme s’épanouit, l’esprit étincelle, la pensée s’anime ; puis la solitude vient, comme une nuit, où cette joie replie ses ailes et s’endort. La joie chrétienne ne fuit pas le commerce des hommes, mais elle a moins peur encore de la solitude ; elle s’y fortifie au contraire, car elle y trouve mieux qu’ailleurs sa source incessamment coulante, la prière et la contemplation ; elle refleurit où d’autres joies se flétrissent, elle redouble où d’autres expirent.
Elle se plaît sans doute aux lieux où son divin auteur est célébré ; elle aime à psalmodier du cœur au Seigneur dans l’assemblée des fidèles ; là tout lui rappelle son origine, là tout l’excite, l’anime et l’exalte ; elle fait des sabbats ses délices, et de la maison de Dieu sa propre demeure. Mais, ailleurs, elle trouve encore des cantiques ; son cœur lui est un temple ; dans les tumultes de la vie, elle retrouve la solennité, la pieuse tranquillité du sanctuaire ; et les détails arides, les soins matériels d’une profession, d’une industrie, n’interrompent pas l’alléluia secret mais profond que, du milieu d’un monde profane, elle envoie au prince de son salut.
La joie humaine n’a guère de manifestation que la gaieté ; elle affecte, sans y songer, les apparences de la légèreté ; la plus sérieuse a besoin de se déguiser ; il semble que le sérieux et la joie ne peuvent, dans notre condition naturelle, se toucher un moment que pour se fuir ; le voisinage de toute idée grave paraît dangereux pour cette joie ; aussi recherche-t-elle dans sa manifestation un aspect familier et badin, comme si elle voulait se moquer d’elle-même ; elle a besoin d’un appareil frivole, de circonstances familières ; hors de là elle est comme suspendue, elle s’interrompt, elle s’ajourne. La joie chrétienne ne se retire point devant des soins et des occupations graves ; sérieuse elle-même, elle s’allie à tout ce qui est sérieux ; il y a plus, elle s’y complaît ; elle ne redoute pas même le voisinage du deuil ; et tout en pleurant avec ceux qui pleurent, elle puise dans la vue de ces objets funèbres une nouvelle occasion de bénir Dieu ; la mort l’entretient de l’immortalité ; le sépulcre lui rappelle celui qui a vaincu le sépulcre ; et l’heure des funérailles, cette heure amère de dépouillement, lui parle du moment glorieux où l’enfant de Dieu verra tout ce qu’il y eut de mortel en lui à jamais absorbé par la vie.
Mais la joie ne devra-t-elle pas se retirer devant des épreuves personnelles ? Peut-elle subsister au milieu de tout ce qui déchire le cœur ? Subsister ? dites-vous. Mais c’est pour ces moments-là qu’elle est faite ; elle les attend pour prouver sa réalité ; si elle ne les surmonte, elle n’est pas, je ne dis point trop faible, elle n’est pas vraie ; si elle ne grandit pas alors, c’est qu’elle manquait de racines. Il est aisé d’être joyeux, et même de se croire saintement joyeux, tant que la vie est heureuse et tranquille. L’aise qu’on éprouve, et dont le principe est essentiellement mondain, est mise fort aisément sur le compte du christianisme. Sous la lueur douce de la prospérité, la religion paraît belle ; on est heureux auprès d’elle ; il est facile de se croire heureux par elle. On croit lui devoir toutes les impressions agréables qu’on n’a fait qu’associer à son idée. Et comme il est naturel que son idée embellisse tout ce qu’elle accompagne, et que la prospérité reçoive un plus beau reflet des perspectives sereines de la foi, quelque chose de vrai se mêle à notre erreur et la rend plus inévitable. Aussi ne sommes-nous sûrs du principe et de la nature de notre joie que lorsque les éléments de la joie mondaine s’évanouissent et nous laissent face à face de cette religion que nous avions regardée jusqu’alors comme la vraie cause de notre contentement.
La faiblesse de la nature, je le sais bien, recule devant une vérité si douce et qui paraît dure dans des moments douloureux. Le cœur en deuil se révolte contre la joie, il en hait jusqu’au nom ; et dans l’offre de cette joie, il voit presque une insulte. Il prétend qu’alors au moins il soit permis à la joie de se suspendre ; il la retrouvera plus tard, mais qu’on lui en fasse grâce jusque-là. Nous faire grâce de la joie ! Où sommes-nous donc ? Quel fait étrange a pu créer cette étrange situation, cet étrange débat, où l’on voit d’un côté la joie imposée à l’âme, et l’âme de son côté se défendant contre la joie ? Encore une fois où sommes-nous ? Nous sommes sur le terrain du christianisme, sur le terrain du grand conflit entre l’Evangile et la nature. Nous touchons à l’un de ces scandales dont le christianisme abonde ; car si chacun des éléments qui le caractérisent, qui le font être ce qu’il est, devient un scandale ou une pierre d’achoppement pour l’homme naturel, la joie chrétienne, qui est un des éléments du christianisme, doit scandaliser aussi. Laissons cet effet se produire, et disons à ceux qui l’éprouvent, que leur reproche serait fondé si c’était à eux que nous eussions parlé ; que, dans cette supposition, bien loin d’en trop dire, ils n’en ont pas dit assez ; qu’ils ne doivent point parler de suspendre leur joie pour la reprendre plus tard ; que ni l’un ni l’autre ne les regarde, puisqu’ils n’ont pas même le principe de cette joie ; que c’est à la connaître et à l’acquérir qu’ils doivent songer, et non à s’en dispenser ; qu’ils se font illusion s’ils prennent pour la vraie joie cette vague satisfaction qu’ils ont pu trouver, en des temps paisibles, à se sentir et à se dire chrétiens ; que, si ce contentement eût été la joie chrétienne, il ne serait pas suspendu ; que le deuil lui donnerait une nouvelle vivacité, qu’ils n’en sentiraient que mieux la réalité et la profondeur de leur joie, et qu’un cantique nouveau éclaterait du milieu de leurs sanglots. Suspendre leur joie ! et pourquoi ? Est-ce que le principe en est suspendu ? Est-ce que la bonté de Dieu est suspendue ? N’est-il pas encore le même qui a promis que toutes choses concourront au bien de celui qui l’aime ? n’est-il pas le même qui a déclaré qu’il châtie ceux qu’il aime ? N’est-ce pas lui qui balance incessamment pour eux la légère affliction du temps présent par le poids éternel d’une joie infiniment excellente ? lui dont les bontés nous apprennent à proclamer que ni la mort, ni la vie, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses visibles, ni les invisibles, ne peuvent nous séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ ?
Telle fut la joie d’un saint Paul, à qui ne fut refusée aucune affliction ni aucune joie, et à qui chaque affliction servait pour ainsi dire de signal et d’éveil à une nouvelle joie. Si quelque chose à travers cette longue vie, ces nombreux écrits, cet ensemble de vertus, ressort de toutes parts et se fait jour par toutes les issues, on peut dire que c’est la joie. Joie sérieuse comme lui-même, comme ses convictions, comme son ministère, mais aussi vraie, aussi naïve dans son caractère, que peut l’être dans le sien celle d’un enfant heureux. Otez de la vie de Paul une seule chose, la divinité de sa mission, la sainteté de son but ; laissez-y tout le reste, fatigue, dévouement, persécution, le danger toujours présent, la mort toujours prochaine ; ajoutez-y les mépris du monde, l’ingratitude des siens, son autorité tout à tour servie et niée, d’autres entrant dans son travail et recueillant sa moisson,… puis, au milieu de tout cela, cherchez une place pour la joie. Elle éclate partout, elle déborde l’enseignement, les reproches, les plaintes ; partout, dis-je, elle abonde avec la charité dont elle est inséparable et sans laquelle on ne la concevrait pas.
La charité ? dira-t-on ; mais la charité n’est-elle pas une source de douleurs ? Oui, mais les douleurs de la charité valent mille fois les joies de l’égoïsme ; aimer est la récompense d’aimer, aimer est la consolation d’aimer ; toujours souffrir, mais toujours aimer, ce serait le paradis en comparaison de toujours prospérer et de haïr toujours. La joie tarit avec l’amour, mais tant que l’amour jaillit, la joie coule avec l’amour. Au reste, ne nous faisons point de la vie humaine et de la joie chrétienne, une image fantastique. Quiconque, sous ce mot de joie que nous avons tant répété, n’aurait vu chaque fois qu’un état d’extase et de ravissement, se serait mépris. Nous marchons par la foi dans une vallée de larmes, et la joie incessante nous a été donnée comme arme contre d’incessantes douleurs. N’eussions-nous que les douleurs de la charité, nous aurions déjà une vie mélancolique ; car, dans un monde tel que celui-ci, la douleur se multiplie avec l’amour. Nous ne pourrions, comme saint Paul, voir près de nous aucun affligé sans nous affliger avec lui ; ministres ou simples fidèles, nous dirions avec lui : Rachetons le temps, car les jours sont mauvais ; nous sentirions avec lui les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que Christ fût formé en ceux que nous aimons ; enfin, nous serions souvent abattus comme lui, et comme lui nous aurions besoin d’être consolés. La joie chrétienne n’est pas, il s’en faut bien, un gage d’insensibilité ; elle ne change pas les conditions de la vie ; elle ne détruit pas la mort. Cette joie, aussi, ne passe point le niveau sur les diversités de tempérament ; elle est, suivant les caractères, austère ou enjouée, tranquille ou ravie, riante ou mélancolique ; mais à travers ces différences elle est toujours la joie, et toujours elle se montre. On la voit, on la sent, on la respire chez ceux à qui Dieu l’a donnée ; elle rayonne doucement autour d’eux ; elle les rend lumineux ; elle peut ne pas frapper d’abord, mais elle attire et peu à peu attache les regards, et c’est peut-être sous sa forme la moins éclatante, sous l’aspect uniforme de la paix, qu’elle exerce le plus sûrement son heureux empire.
Elle est donc permanente, et les douleurs de la vie l’exercent et ne la suspendent pas. Il n’y a qu’une douleur qui la puisse interrompre, et dans laquelle pour un temps plus ou moins long, elle s’abîme et disparaît : c’est la douleur du péché. Comment peut-on pécher encore après avoir reçu les gages de cette joie, et dans cette joie l’avant-goût du ciel ? Et, d’un autre côté, cette joie, toute pure et toute sainte, comment la conserver dans le péché, après le péché ? Ici le précepte de la joie semble rigoureux à force de miséricorde, inexorable à force de compassion. Il y a plus : il semble contradictoire avec la sainteté de Dieu. La joie dans le péché ! La joie succédant immédiatement au péché, sans difficulté, sans combat ! Convenons-en, le peu que nous avons en nous de sainteté se révolte à cette pensée ; mais aussi n’est-ce pas la pensée de saint Paul et l’esprit de Dieu. Sans aucun doute, la joie de la foi s’interrompt dans le péché, et le retour à la joie après le péché, est une épreuve, une difficile épreuve de la foi ; néanmoins la joie est un devoir encore. Quel devoir ! en est-il un plus difficile ? Certes, il vous fut malaisé, lorsque, tout chargés du fardeau du vieil homme, vous vous approchâtes pour la première fois de l’Evangile de grâce, il vous fut malaisé d’accepter, d’accueillir dans votre cœur la joie de votre salut. Votre justice en quelque sorte se soulevait contre sa miséricorde, et vous étiez incrédules à force de remords. Dieu, qui vous offrait la grâce, vous donna la foi par-dessus ; il vainquit vos scrupules ; il vous donna le courage d’accepter tout son amour ; il sut peu à peu familiariser vos yeux avec ce miracle de charité ; il humilia votre esprit devant le mystère d’un Dieu homme et d’un Dieu mourant ; vous pûtes croire à cette œuvre, vous approcher, quoique pécheurs, de Celui dont les yeux sont trop purs pour voir le mal, l’appeler votre père et l’ami de vos âmes, vous asseoir à sa table, et goûter, comme ses enfants, les délices de sa maison. Mais quand cette épreuve recommence ; quand il faut, après avoir manqué de fidélité, croire encore à la fidélité du père, croire à la constance de son amour dans l’inconstance du nôtre ; quand il faut se ressaisir, comme de son bien, d’une grâce qu’on a mille fois déméritée ; quand la même céleste voix semble nous commander à la fois la douleur et la joie, une douleur plus profonde, une joie plus vive que jamais… quelle épreuve ! quelle tâche ! et qui suffirait à ces choses ? Et combien d’hommes dans cette situation, enchaînés par le regret, séduits par le remords même, languissent auprès de leurs péchés, ajournent l’acceptation de la grâce qui leur est offerte, vivent à demi des restes de leur foi, vivent ce qu’il faut pour ne pas mourir, ou plutôt meurent tous les jours un peu plus dans une tristesse qui les abat et qui les affaiblit, dans la privation de cette joie selon le Saint-Esprit qui est une partie essentielle du royaume de Dieu[a], c’est-à-dire de la vie et de la réalité chrétiennes ! Il faut donc qu’ils aient une seconde fois le courage qui leur fut donné une première, celui d’espérer contre toute espérance et d’être joyeux hors de tout sujet de joie ! Il faut que, d’un œil humble, mais confiant, ils regardent à ce même Dieu à qui, dans le principe, ils n’offrirent rien parce qu’ils n’avaient rien, et qu’aujourd’hui ils ne peuvent, pas mieux qu’alors, satisfaire ni apaiser. Il faut qu’aujourd’hui comme alors ils croient à Celui qui justifie le pécheur, qui ne trouve d’agréable en nous que ce qu’il y met lui-même, à qui nous ne pouvons rien apporter que notre foi, et à qui nous devons apporter tout ce que nous avons, notre foi, notre confiance, notre abandon total aux volontés de sa grâce. Or, qu’est-ce qu’une foi sans joie ? Que présentons-nous à Dieu, quand nous lui présentons une foi sans joie ? Quelle obéissance, quel service lui promet une foi sans joie ? Comment peuvent orner son sanctuaire et concourir à la gloire de son nom des âmes sans joie ? En quoi l’honore, en quoi peut avancer ses desseins, réjouir son cœur, répandre ici-bas sa lumière, l’homme que la tristesse appesantit et endort ? Il faut donc, ô chrétiens abattus, il faut reconquérir la joie de votre salut, pour reconquérir avec elle le mouvement, l’activité, le zèle, la vie, l’amour enfin qui est toutes ces choses à la fois, qui est l’accomplissement de votre destinée, le bonheur dans le bonheur même, le paradis sur la terre, le ciel dans le ciel. Redemandez donc à Dieu votre couronne tombée ; priez qu’un rayon de sa bonté pénètre dans votre nouvelle nuit et l’éclairé de sa splendeur ; réclamez, du fond de votre misère, la gloire et l’allégresse du premier amour ; réclamez hardiment ; votre prière est attendue ; on n’attend que votre prière pour vous redonner votre ancien privilège, et pour vous conduire par un chemin de lumière à de nouveaux progrès, à des œuvres plus grandes et plus pures que toutes celles de vos meilleurs jours !
[a] Romains 15.17
Si donc il en est parmi vous qui aient reçu du Dieu de l’Evangile, avec la vie de la foi, la semence et le principe de la joie, qu’ils invoquent leur souverain bienfaiteur dans l’esprit de la recommandation de saint Paul, et que chacun d’eux se prosterne et lui dise :
« O Dieu de notre salut ! exerce-moi donc à la joie ; fais-moi, tous les jours de nouveau, recommencer le compte de tes bienfaits, et que mon âme n’en oublie aucun. Que ma mémoire cherche tes traces dans ce passé où tu veillas sur mon cœur qui ne veillait point sur lui-même ; qu’elle repasse avec émotion par toutes ces voies mystérieuses où je marchai, les yeux bandés, vers le but à jamais béni que toi seul connaissais ; que je me rappelle tout ce que tu fis pour m’éclairer, pour m’encourager à travers les tentations et les doutes ; que je me représente quelle paix, au terme de l’épreuve, je trouvai au fond de mon cœur, et quelle harmonie entre toutes les parties de mon être ! Que je t’adore dans la continuité de tes grâces, dans la multitude des moyens que tu m’as fournis pour demeurer en toi, dans ces rencontres inespérées, dans ces saintes amitiés, dans ces commerces salutaires, dans cet Evangile toujours ouvert, dans l’accès toujours libre de ta maison, dans ces dispensations diverses dont le but seul était toujours le même, dans ces succès et dans ces revers, dans ces deuils et dans ces jouissances, qui m’enlacèrent de toutes parts comme des cordages de miséricorde ! Que j’aille sur les pas du genre humain, sur les traces profondes de tant de siècles, de tant de rois et de nations, au pied de ce mont sanglant, au pied de ce trône d’ignominie où ton bien-aimé voulut être élevé pour attirer de là tous les hommes à lui ! Que je contemple nuit et jour, que j’approfondisse avec le nouveau cœur que tu m’auras donné, l’abîme de cette bonté ; que mon âme s’égaye en mon Sauveur ; qu’elle prenne sa part de cet amour qui, en se partageant à toute l’humanité, demeure entier et immense pour chaque âme ; que tes perfections, ô Dieu, que les vertus divines de ton Fils, soient le sujet où mon âme se complaise ; qu’elle ne sorte pas de cet horizon de gloire, qu’elle vive dans cette lumière, que tout ce qui est en elle, autour d’elle, se teigne de cette gloire, s’illumine de ses clartés ; qu’elle ne voie plus rien, ni la vie, ni la mort, ni le bonheur, ni l’infortune, rien, pas même le péché, qu’à travers toi-même, ô sainte et réjouissante Lumière, vrai jour de l’âme, vérité de toutes nos pensées, vérité de toute vie ! et qu’elle devienne ainsi lumière elle-même, lumière dans la joie, dans l’amour et dans la sainteté qui sont un dans l’âme heureuse, comme elles sont un en toi, Dieu saint et bienheureux, source de son bonheur ! »