Il existe une politique de Dieu. C'est bien pourquoi il n'en est jamais question. Il existe une Histoire que Dieu dirige malgré les tyrans, les politiciens, et parfois les médiocres qui, de temps en temps, s'efforcent par leurs sombres calculs, de mener l'humanité à la ruine et au chaos.
Il existe une terre particulièrement aimée, particulièrement souffrante, une terre élue à la souffrance. Et sans doute est-il inévitable que cette mystérieuse élection devienne aux yeux de beaucoup “cet étroit nationalisme de ce peuple au Dieu de colère et de vengeance de l'Ancien Testament”.
Il existe un peuple particulièrement aimé, élu, et par conséquent habitué au mépris et à la souffrance, et qui fut lancé dans l'Histoire afin d'apprendre aux hommes la valeur de la justice et le respect du prochain.
Cette terre et ce peuple, à jamais inséparables, se trouvent au cœur même de cette politique de Dieu ; non pas pour en retirer de l'orgueil, mais afin d'incarner pour le salut de toutes les nations, le nord magnétique, messianique, de l'Histoire. Cela est dur à reconnaître : ce n'est ni de Memphis, ni de Babylone, ni d'Athènes, ni de Rome, que la volonté du Dieu unique s'est exprimée au sein d'un monde livré à la violence et au profit – mais de Jérusalem. Ces autres capitales ont certes légué au monde des trésors culturels et spirituels ; non pas l'espérance. Cette “petite fille” de Péguy est fille de Jérusalem ; ne nous étonnons pas si cette cité biblique fut tant de fois détruite, les forces qui mènent le monde veulent que les hommes désespèrent. Il a été donné à cette capitale et à son peuple de clamer au travers des siècles la venue d'un autre royaume, de justice et de paix, sur la terre comme au ciel ; la fin de tout exil, le terme de toute souffrance, de toute exploitation.
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Tout au long des temps que recouvrent les récits bibliques Israël est l'objet des menaces de ses voisins et de ses maîtres, tous incapables de discerner la valeur charismatique de son histoire. Sans cesse les ligues se nouent pour effacer ce peuple irritant de la carte des nations, plus ou moins encouragées par la plupart des beaux esprits de l'Antiquité, pour lesquels la révélation transcendentale accordée au peuple juif se ramène à une stupide superstition. Tous s'accordent pour placer Israël au ban de l'Histoire.
Géographiquement la terre palestinienne revêt une immense importance stratégique, par sa position de plaque tournante entre trois continents, trois civilisations. Appelée ainsi, dès ses premiers pas, à devenir l'enjeu des rivalités impérialistes des colosses qui l'entourent. Le littoral appartiendra pratiquement sans interruption aux phéniciens et à l'Égypte ; Israël ne possédera jamais de port digne de ce nom. En fait ce qu'il va appeler la terre promise se ramène à une province déchirée entre des blocs ennemis, et Jérusalem sera cette capitale ignorée à l'écart de toute voie importante de trafic. Vraiment de quoi remplir de mépris les glorieux maîtres du Nil, de l'Euphrate, de Tyr, de Damas, d'Athènes et de Rome.
Aussi pouvons-nous facilement imaginer l'émoi que soulèvent les tribus menées par Moïse, puis par Josué, et leur prétention à s'emparer de la perle du Croissant fertile. Pour les stratèges, les diplomates et les politiciens de ce monde, quel étonnant scandale. Passe encore qu'un empire qui a fait ses preuves annexe de temps à autre une peuplade voisine, par le droit du plus fort. Mais ce ramassis d'esclaves révoltés, sans passé et sans culture, la main d'œuvre par excellence de ce bon Pharaon…
La chute des murailles de Jéricho marque l'entrée d'Israël dans l'Histoire, certes point par l'entrée de service et sur la pointe des pieds ! Quelle est donc cette peuplade à laquelle les séismes mêmes semblent favorables ? Un doute désagréable se glisse dans l'esprit des Grands de l'époque.
En effet si politiquement, juridiquement, les Bné-Israël ne peuvent revendiquer Canaan, quelle va être leur défense devant le tribunal de l'Histoire ? Vont-il habilement discourir sur les exigences d'espace vital ou sur les pressantes prérogatives d'une natalité excessive. Vont-ils produire quelque traité oublié. Non, car dans le domaine des relations diplomatiques, Israël n'est pas non plus une nation comme les autres… Pour justifier cette scandaleuse irruption dans les affaires d'autrui, Israël utilise la langue du théologien. La conquête de Canaan est un acte de fidélité au Dieu des Pères, dont certains se souviennent peut-être : Abraham, Isaac et Jacob. Pour les théologiens de l'époque, la surprise est plaisante. En effet parlons-en de ce Dieu d'Israël ! Et faisons écho à Pharaon se moquant de Moïse : “Qui est ce Yahvé pour que j'écoute sa voix ? Jamais je n'ai entendu son nom !” Que des esclaves se révoltent, c'est un phénomène suffisamment choquant en soi, mais qu'ils osent se réclamer d'une divinité quelconque, dépasse les bornes et menace en fait les bases mêmes de la société antique.
Mais là ne s'arrêtent pas les scandaleuses prétentions des Bné-Israël. Qui sait ? à la longue, Memphis et Babylone auraient-elles toléré cette divinité nouvelle, à condition qu'elle se fut contentée d'une place tout à fait effacée (on lui aurait permis de lancer ses foudres de temps en temps dans le désert) – une place obscure, celle du dieu des esclaves juifs en rupture de ban – Mais ses adeptes ne déclarent-ils pas vouloir l'ériger en divinité souveraine ? Que les puissants et les maîtres, la race des seigneurs, s'inclinent devant la divinité des esclaves sémites, dont les exigences (on va l'apprendre bien vite) représentent autant de dangers mortels pour les institutions d'Empire ! Étonnons-nous si d'emblée, une "sainte Ligue" se constitue pour écraser Israël…
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Dès les origines et à jamais, voici l'énigme posée. Ce Dieu qu'Israël présente aux nations ne s'affirme pas seulement en tant que Créateur, mais comme maître de toute histoire, pour le bonheur et le salut de tous les hommes, et singulièrement des esclaves. Les grands de ce monde acceptent volontiers la notion d'un Dieu-créateur, à condition qu'il se contente de sa position de maître-d'œuvre retiré des affaires. Mais se soumettre à ses lois révolutionnaires dans la conduite du monde ? Les princes et les tyrans, tous persuadés de leurs droits divins, comment pourraient-ils l'admettre, comment pourraient-ils prendre au sérieux les exigences bibliques ? Que Dieu – manifestement un bon vieillard qui ne sait plus très bien où il en est dans son art d'être grand-père – leur laisse les mains libres et se contente de bénir leurs entreprises et leurs guerres ; que les prêtres et les aumôniers fassent leur devoir, que diable ! En bénissant les armes, en faisant prier le peuple pour la victoire.
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Israël est venu dire au monde que l'Histoire avait un sens, et que les Puissants seraient jugés selon leurs œuvres. Israël est venu dire au monde que Dieu, malgré les politiques des hommes, mène à bien Sa politique vers l'avènement d'un autre royaume. Afin d'annoncer ce règne Dieu choisit un ambassadeur qui ne brille ni par la puissance ni par la noblesse, mais dès ses origines habitué à la souffrance et au mépris. Quoi de plus naturel que politiciens et historiens se gaussent de ce choix et traitent l'ambassadeur comme ils traitent le Roi : par le silence et le mépris. “Seigneur, contentez-vous de vos prêtres, de vos temples et de vos bondieuseries, et laissez-nous faire l'Histoire au gré de nos envies et de nos haines. Seigneur, ne nous faites pas d'histoires, surtout pas d'histoire juive… !”
Remarquons que d'une certaine manière, dans Son étonnant recueil d'Histoire, le Seigneur a tout fait pour s'attirer les remontrances des historiens. En effet, dans cette Bible, n'y en a-t-il pas que pour la seule Jérusalem et la seule terre promise comme si Israël était le nombril du monde ! Comme si toute histoire se jugeait sur la pierre de touche juive. Comment les maîtres de Memphis ou de Babel, de Rome ou d'Athènes, comment les Grands à New-York ou à Moscou, pourraient-ils accepter d'aussi rebutantes données ? Comme il éclate, et se répercute sans fin dans la voie des siècles, le rire moqueur de Goliath voyant s'avancer vers lui ce David sans armure, cet autre juif aux psaumes !
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Face aux destinées d'Israël, et par conséquent face à l'Israël actuellement rassemblant pour la première fois les siens des quatre coins de l'horizon, il faut choisir entre le rire de Goliath, les quolibets de Pharaon, et les prophéties de Moïse et de quelques autres. La vision “béate” de l'Histoire est celle du politicien de bonne volonté elle parvient à coup sûr à installer Hitler au pouvoir ; la vision cynique de l'Histoire est celle d'Hitler lui-même. La vision biblique de l'Histoire estime les hommes à leur juste valeur, elle s'affirme résolument apocalyptique et eschatologique, précisément afin que le chemin se révèle à jamais barré devant Hitler.
On peut appeler cette manière d'envisager l'Histoire, la vision sioniste, au sens biblique du terme ; c'est-à-dire au sens qui lui est imposé pour la première fois par Abraham ; vers une Jérusalem appelée à rassembler un jour autour d'elle toutes les nations. Puisque de cette cité sainte (c'est-à-dire mise à part) doit surgir un jour le Serviteur sacrifié pour le salut de tous ; et nous attendons tous, enfants d'Abraham des synagogues, des églises et des mosquées, plus ou moins confusément, sa venue, son retour, sa Parousie glorieuse. C'est dans cette seule perspective que le sionisme, à l'insu même des sionistes, c'est là le miracle de la grâce de Dieu, est la manifestation la plus politique du Créateur forçant les nations à salut. L'éclosion de cette longue préhistoire toujours subtilement barbare en une authentique harmonie des relations humaines, dépend de la réunion, et dans un sens prophétique, des épousailles, d'Israël et de sa terre biblique. La fin de l'exil juif annonce la fin de tous les exils de l'homme et de toutes ses douleurs. La résurrection du Neguev d'Israël annonce la victoire à venir sur tous les autres déserts de la terre, sur toute famine et sur toute soif des nations. L'Église du Christ, lorsqu'elle est fidèle, annonce ce Royaume à tout être ; mais il appartient au peuple juif de l'annoncer à sa manière, dans un contexte certes politique. Mais depuis quand le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et du Christ, à jamais lié aux destinées charnelles et spirituelles d'Israël – craint-il de se salir les mains en se mélant aux hommes ?
Si Dieu élit à jamais Israël ce n'est pas tant pour l'amour des yeux d'Israël (et je les connais ces yeux-là, ils sont très beaux…), ce n'est pas non plus afin qu'Israël en retire orgueil et gloire, mais c'est afin que sur la terre comme au ciel, s'inaugure un règne de paix et de justice pour toutes les nations, et dont Jérusalem s'affirmera à nouveau le pivot et le cœur.
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Jérusalem ? On ne l'a jamais tout à fait oubliée. On ne l'a jamais détruite à toujours. Elle relève de ses ruines et son peuple sort régulièrement des mains de ses bourreaux, dans un pèlerinage inexorable vers la Sion messianique – l'inexorable aventure sioniste. Or Jérusalem demeure de la sorte une pierre d'achoppement sous les pas des historiens, des politiciens et des théologiens. Ne nous étonnons pas à l'image de ce spectacle qui n'est pas nouveau : les Nations (unies) se refusent à saluer la Jérusalem israélienne, le monde chrétien (et pas seulement Rome) ne veut pas l'admettre à ce jour, et ce ne sont pas les Toynbee qui manquent pour encourager ces aveuglements respectifs…
Les colosses du Nord et de l'Orient – ceux que la Bible a baptisés Gog et Magog – sont prêts pour cet ultime rendez-vous fixé par le seul Maître de l'Histoire. Comme le sont les serviteurs de l'Impérialisme aux multiples visages que le visionnaire de Patmos a nommé Babylone. Rome, une autre Rome, les a rejoints, secrètement irritée…
Face à tant de Goliath, le jeune David est revenu, avec sa fronde dérisoire. Malgré les fours crématoires de l'Europe, malgré le confort de certains exils lointains. Il n'a jamais pu oublier tout à fait sa Jérusalem sainte (c'est-à-dire, comme lui-même, mise à part).
L'Église, elle non plus, n'a pas pu oublier tout à fait la cité de sa naissance, de sa jeunesse, et de la Parousie à venir. Malgré ses flirts avec tant de Césars, malgré sa théologie hellénisée, paganisée – malgré ses dépeceurs d'Écritures saintes. Nous allons bien nous en rendre compte.