Le sang du Christ qui, par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera notre conscience des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant.
e – Sermon lu au Grand-Temple, le 24 septembre 1916.
J’ai récemment rappelé que le sacrifice de Jésus-Christ est le centre de la foi et de la vie chrétiennes, et que l’Ecriture sainte nous conduit à l’envisager sous deux aspects : sacrifice de Dieu à l’homme, sacrifice de l’homme à Dieu.
Me plaçant d’abord au premier point de vue, j’ai pris pour texte ce résumé si populaire de l’Evangile : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique au monde, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. »
Ces paroles contiennent visiblement l’idée d’un don sans bornes, d’une offrande d’un prix immense, que Dieu a fait à l’homme, spontanément et par amour.
Pour ce qui concerne le sacrifice de l’homme à Dieu, je vous apporte un texte beaucoup moins connu, que j’emprunte à l’épître aux Hébreux. Après avoir rappelé comment certains sacrifices et certains rites, prescrits par la loi de Moïse, procuraient à ceux qui étaient atteints par la souillure du péché une purification extérieure et charnelle, l’apôtre ajoute : « Combien plus le sang de Jésus-Christ, qui s’est offert lui-même à Dieu, sans tache, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant ! » Ici, le sacrifice de Jésus-Christ est considéré comme présenté à Dieu par l’homme et comme possédant cette merveilleuse vertu de nous procurer le plus précieux des biens pour la purification de l’âme et de la conscience. Le sacrifice de Jésus-Christ, ai-je dit. L’expression est évangélique sans doute ; cependant elle n’est pas fréquemment usitée dans le nouveau Testament. C’est du sang de Jésus-Christ que parle notre auteur, et la plupart des écrivains sacrés font de même ; ils reviennent constamment à cette expression ; ils l’emploient avec prédilection, avec émotion, avec enthousiasme : « Mon sang, dit Jésus-Christ, est le sang de la nouvelle Alliance, répandu pour plusieurs en vue de la rémission des péchés. » Saint Paul dit à son tour : « C’est en Jésus-Christ que nous avons la rédemption par son sang, savoir la rémission des péchés. »
Et saint Pierre : « Vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous aviez apprise de vos pères, non pas par des choses périssables, comme par l’argent ou par l’or, mais par le précieux sang du Christ, comme de l’Agneau sans défaut et sans tache. »
Et saint Jean : « Le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché. »
Et les bienheureux dans le ciel : « Tu nous as rachetés à Dieu par ton sang, de toute tribu, langue et nation. »
Au passage de l’épître aux Hébreux que j’ai pris pour texte, il serait facile d’en ajouter d’autres, celui-ci par exemple : « Nous avons par le sang de Jésus-Christ la liberté d’entrer dans le Lieu très saint. »
Que pensez-vous de ces déclarations apostoliques ? Seriez-vous de ceux qu’elles gênent, qu’elles embarrassent, qui y trouvent je ne sais quelle saveur de matérialisme religieux et de fâcheuse réminiscence du judaïsme ? – Peut-être certains excès de langage de la théologie ou de l’hymnologie chrétiennes ont-ils pu provoquer de légitimes protestations. Ce n’est sans doute pas à titre de substance matérielle que le sang versé de Jésus-Christ nous sauve, mais comme étant le signe et l’effet d’un acte infiniment saint, le don qu’il a fait de lui-même. Toutefois, pourquoi écarterions-nous un symbole choisi par l’Esprit-Saint, si cher aux premiers disciples et aux croyants les plus fervents de tous les âges ? Pourquoi ou comment un pécheur qui met toute son espérance dans le sacrifice du Sauveur, aurait-il honte de son sang ?
Revenons cependant à l’expression de sacrifice et constatons que c’est bien du sacrifice de l’homme à Dieu (« Jésus-Christ s’est offert à Dieu sans tache ») qu’il est question dans notre texte. Autant l’idée du sacrifice de Dieu à l’homme est imprévue et paradoxale, autant celle du sacrifice de l’homme à Dieu est naturelle, populaire, universelle, inévitable. Elle est commune au culte monothéiste de l’ancienne Alliance et aux religions païennes. De part et d’autre, pendant des siècles, le sang des victimes a coulé sur les autels, et la fumée de leur chair consumée par le feu est montée vers le ciel en noirs tourbillons. Quand on y réfléchit, on est également frappé, et de l’imperfection inhérente à ce culte, et de l’élévation, de la vérité même de quelques-unes des idées religieuses qu’il exprimait. La première et la plus simple est celle de la dépendance de l’homme à l’égard de la divinité. C’est d’elle qu’il a tout reçu, c’est donc à elle qu’est dû l’hommage de sa reconnaissance. Caïn, l’agriculteur, offre à l’Eternel les fruits de la terre ; Abel, le berger, les premiers-nés de son troupeau. Ces actes de piété auraient leur raison d’être dans un monde que le mal n’aurait pas troublé. Mais déjà le second sacrifice relaté par la Genèse présente un caractère nouveau, celui d’une propitiation. Après que Noé a offert en holocauste des animaux purs au Dieu qui vient de le sauver du déluge, Dieu, dit l’historien sacré, flaire une odeur d’apaisement et promet de ne plus ravager la terre par une calamité semblable. C’est proprement de cette sorte de sacrifices que nous avons à vous entretenir aujourd’hui. Ils attestent avant tout de la part de l’homme le sentiment de son péché. Celui qui sacrifie à Dieu se reconnaît coupable devant Lui. Il sent plus ou moins clairement que la communion avec Dieu est le premier des biens pour la créature. Mais il confesse en même temps qu’il y a un obstacle à cette communion si désirable ; que c’est lui-même qui est l’auteur de cet obstacle par ses actes répréhensibles, par ses infractions à la loi divine ; qu’il a donc attiré sur lui-même le déplaisir et la colère de la divinité et qu’il y a là un grand mal, dont il doit souhaiter et s’efforcer avant tout d’être délivré.
En même temps que celui qui sacrifie croit à la justice divine qui hait et punit le mal, il témoigne qu’il espère en la miséricorde de la divinité. Car, si Dieu ou les dieux n’éprouvaient aucune bonne volonté à l’égard de l’homme, s’ils n’étaient pas disposés à lui pardonner, ils n’auraient pas ordonné un moyen de propitiation. Un mélange de crainte et d’espérance de la part de l’homme, un mélange de sévérité et de bonté de la part de Dieu, voilà ce qu’exprime ce culte des sacrifices, commun à toute l’antiquité. Par là, il traduit le témoignage certain et exprime les aspirations universelles de la conscience humaine.
Enfin, celui qui sacrifie atteste que la faute, qu’il a commise exige une réparation, et que cette réparation lui incombe. Renonçant à offrir sa propre vie, que la divinité n’exige pas et qui d’ailleurs n’est pas pure, il apporte devant l’autel un animal dont il est le propriétaire, en sorte qu’en l’immolant il s’impose une privation, un renoncement, au profit de la divinité qu’il a offensée. Par l’imposition des mains, il se solidarise avec cette victime innocente qui désormais le rachètera ; il espère que la divinité offensée ; se contentera de ce dédommagement.
Sévérité et bonté de la part de Dieu, crainte et espérance de la part de l’homme, telles sont les idées que contient le culte des sacrifices et tels sont les sentiments qu’il exprime. Qui pourrait dire que ces idées sont dépourvues de toute vérité, ces sentiments de toute valeur religieuse ? Qui voudrait contester qu’après avoir fait ce qu’il pouvait pour réparer ses fautes, l’adorateur juif ou païen n’ait plus d’une fois éprouvé l’impression de s’être rapproché de la divinité ? Cependant, ce culte était foncièrement imparfait, et même inefficace. Il ne produisait, dit notre apôtre, à propos des sacrifices juifs, (combien plus cela n’est-il pas vrai des sacrifices païens !) qu’une purification tout extérieure et charnelle. Il n’atteignait donc pas le but qu’il avait en vue : rétablir la communion entre Dieu et l’homme. « Car il est impossible, lisons-nous encore dans notre épître, que le sang des taureaux et des boucs ôte le péché. » Ce divin pouvoir n’appartient, d’après notre texte, qu’au sang du Christ « qui, par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu sans tache. » Mettons en lumière ce contraste ; examinons, sous ses différentes faces, l’imperfection inhérente aux sacrifices mosaïques ; ce sera peut-être le meilleur moyen de nous rendre compte de la perfection et de la beauté du sacrifice du Sauveur.
Les sacrifices de l’ancienne Alliance étaient des sacrifices d’animaux ; celui de la nouvelle Alliance est celui de l’homme, Jésus-Christ. Cet homme est en même temps le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. Mais je n’insiste pas encore sur cette qualification divine qui le met hors de pair. Je remarque seulement ceci : si l’efficacité d’un sacrifice se mesure à son prix, de quelle hauteur le sacrifice du seul être fait à l’image de Dieu ne surpasse-t-il pas celui de ces créatures privées de raison que Dieu a mises sous les pieds de l’homme ?
Une autre observation nous conduira plus avant. Dans les sacrifices d’animaux, il n’y avait entre celui qui apportait l’offrande et la victime qu’il présentait qu’une relation lâche et superficielle. L’Israélite donnait une tête de son troupeau, réparation bien faible de l’offense commise contre Dieu. Entre l’homme et l’animal, il ne pouvait y avoir, en dépit du rite de l’imposition des mains, aucune solidarité réelle au point de vue moral. Endurer volontairement la souffrance et la mort sans rien comprendre à ce qui se passait, c’était toute la part, tout le rôle de la victime.
Jésus-Christ, dit notre texte, s’est offert lui-même à Dieu. Il y a une divine profondeur dans ces paroles. Le sacrifice de soi-même est le vrai sacrifice, le seul qui soit complètement digne de ce nom. Il a offert son corps, ce corps qui était le temple de la divinité et qui a été cloué à la croix comme celui d’un criminel. Il a offert son âme, puisqu’il a porté nos péchés, puisqu’il a senti l’indignation de Dieu contre le péché, jusqu’à s’écrier : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? » N’apercevez-vous pas déjà qu’il y a dans ce sacrifice quelque chose d’infini, et qu’il ne peut absolument être comparé à aucun autre ?
Notre texte relève un admirable caractère du sacrifice de Jésus-Christ, quand il dit qu’« il s’est offert lui-même à Dieu sans tache ». Sans tache ! qui nous fera comprendre la richesse de pensée, de vérité et de grâce contenue dans ces deux mots ? Les sacrifices d’animaux prescrits par la loi de Moïse devaient aussi, à leur manière, être sans tache. La victime devait être exempte de tout défaut corporel. Mais qu’est-ce que cette pureté matérielle et symbolique, comparée à la sainteté du Sauveur ? Durant toute sa vie, Jésus n’a fait que ce qui était agréable au Père ; il n’est jamais resté en arrière ni à moitié chemin d’un seul commandement ; le regard du Dieu qui est lumière n’a rien trouvé dans les actions, dans les paroles, dans les pensées même du Christ qui ne fût parfaitement d’accord avec sa volonté sainte ; il s’est offert à Dieu sans tache. Quand l’heure est venue, il a accepté de boire jusqu’à la lie la coupe amère ; l’étonnante sévérité de Dieu, qui ne lui en a pas épargné une seule goutte, n’a provoqué de sa part aucun murmure ; l’excès de la souffrance n’a suscité chez lui aucune faiblesse, l’excès de la méchanceté des hommes aucune colère ; il s’est offert à Dieu sans tache. Quand la face de Dieu a été voilée, quand il a éprouvé en son âme l’inexprimable détresse de l’abandon divin, il est demeuré ferme dans la foi, uni quand même à Dieu par cette foi ; il s’est offert à Dieu sans tache. Comme on comprend l’exclamation de Pascal : « Il a été humble, saint, saint, saint à Dieu, terrible au démon, sans aucun péché » ! Et comme on comprend que cette obéissance parfaite ait réhabilité le genre humain ! Par la faute d’un seul, notre race était tombée et perdue ; par la justice d’un seul, elle est relevée et sauvée. Le sacrifice de Jésus-Christ réunit et porte à leur comble les deux perfections fondamentales de l’être humain : l’obéissance à Dieu et l’amour pour les hommes. Il s’est donné lui-même à Dieu pour nous. C’est pourquoi il a ouvert le ciel à tous ceux qui, par la foi, deviennent membres de son corps et participants de son Esprit.
L’apôtre ajoute que Jésus-Christ s’est offert ainsi à Dieu sans tache par l’Esprit éternel qui était en lui. C’est une de ces expressions nombreuses et diverses par lesquelles l’Ecriture sainte affirme le caractère surnaturel ou ce que nous appelons la divinité de notre Sauveur. Ce n’est pas au hasard en quelque sorte, ni en un jour quelconque, que le Saint de Dieu a surgi parmi les pécheurs. Dieu avait tout préparé, tout ordonné pour sa venue ; il l’a donné pour second chef et pour libérateur à l’humanité. Il a fait habiter en lui son Esprit sans mesure. C’est « quant à cet Esprit de sainteté » qui constitue le fond de son être que Jésus-Christ, comme l’enseigne saint Paul, a été « déclaré Fils de Dieu avec puissance, par sa résurrection d’entre les morts » ; c’est aussi par cet Esprit éternel, par cet Esprit de sainteté, que Jésus-Christ s’est offert à Dieu sans tache. Comment Dieu n’aurait-il pas accepté un tel sacrifice ? Comment cette Rédemption, qui est en quelque sorte l’âme et le centre des voies divines, aurait-elle manqué d’efficacité ? Pécheur altéré de grâce, peux-tu douter encore que cette grâce te soit accordée, quand elle t’est gratuitement offerte, quand elle t’a été acquise à un si grand prix, quand tu vois le Père, le Fils et le Saint-Esprit travailler de concert à l’œuvre de ton salut ?
Le dernier trait du sacrifice de Jésus-Christ que fait ressortir notre texte, c’est sa vertu sanctifiante : « Combien plus le sang du Christ… ne purifiera-t-il pas notre conscience des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant ! » J’ai fait remarquer tout à l’heure que chez quelques adorateurs pieux, l’oblation des sacrifices d’animaux a pu être accompagnée de pensées et de sentiments d’un caractère vraiment religieux. Néanmoins, l’efficacité morale de telles offrandes n’a jamais pu être que très limitée. Celles-ci ne produisaient, dit notre apôtre, qu’une purification charnelle. « Il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte les péchés. » Il en est tout autrement du sang de la croix. Il « nous purifie de tout péché », dit saint Jean. Ce n’est pas là seulement un dogme, C’est un fait. Dès l’origine et dans tous les temps, le sacrifice de Jésus-Christ, reçu et approprié par la foi, a exercé et exerce encore sur l’âme humaine une puissance absolument incomparable. Il délivre l’égoïste de son égoïsme, l’impur de sa souillure, l’avare de son amour de l’argent, le menteur de ses mensonges, le mondain de sa mondanité, l’incrédule de son désespoir. Il produit, même chez ces races qu’on appelait inférieures et qu’on plaçait en quelque sorte au-dessous de l’humanité, les fruits les plus beaux et les plus sublimes de la sainteté, de la charité et du martyre. Depuis deux mille ans, tout ce qui s’est passé de plus grand et de meilleur sur la terre, conversions merveilleuses, vies transformées et purifiées, charité patiente, dévouements héroïques, morts saintes et triomphantes, procède de Jésus-Christ et de sa croix. Ce tout-puissant Rédempteur ne nous affranchit pas seulement des œuvres mauvaises, mais, comme s’exprime notre texte, des œuvres mortes, de celles que suggèrent le formalisme religieux, le légalisme moral, l’intérêt ou la crainte, et auxquelles manque la véritable vie, celle de l’amour. Jésus-Christ a fait entrer dans le monde la puissance de l’amour et de la sainteté ; par là il a ouvert une source à laquelle les âmes altérées de justice s’abreuveront jusqu’à la fin des temps sans jamais l’épuiser. Peut-on s’étonner qu’un tel sacrificateur et qu’un tel sacrifice aient réhabilité notre race et fait la paix entre Dieu et nous ?
C’est un grand salut que celui que nous apporte le sacrifice de Jésus-Christ et dont nous avons essayé de montrer quelques aspects. De là la question si émouvante et si pressante, qu’ailleurs notre apôtre adresse à ses lecteurs : « Comment échapperons-nous, si nous négligeons un si grand salut ? »
Certes, ce salut est le don de Dieu : Dieu en est l’auteur et la source par sa grâce toute-puissante ; Jésus-Christ nous l’a acquis par son amour sans bornes et par son œuvre parfaite ; mais il ne nous sauve pas malgré nous, ni sans nous. Reconnaissons donc avant tout, mes frères, l’urgent et absolu besoin que nous avons de ce salut, le poids de la condamnation que nous avons méritée, la gravité de la souillure que nous avons contractée, notre impuissance totale à réparer et à racheter nos fautes. Puisque Dieu, dans son infinie miséricorde, a trouvé bon de nous donner pour Sauveur son Fils unique, recevons-le de tout notre cœur à genoux et avec actions de grâces ; n’en cherchons pas un autre ; laissons les contestations et les doutes ; n’altérons pas, ne compromettons pas la justice parfaite du Christ en prétendant y substituer ou y associer la nôtre. Attachons-nous au témoignage de Jésus-Christ lui-même et de ses apôtres, qui nous assurent qu’il « est venu chercher et sauver ce qui était perdu » ; que son « sang a été versé pour la rémission de nos offenses » ; que par sa croix Dieu « a réconcilié le monde avec lui-même. »
Regardons à lui comme, au désert, l’Israélite blessé regardait au serpent d’airain. A mesure qu’il regardait, son mal, quelque désespéré qu’il parût être, était guéri, et la vie l’emportait sur la mort.
Pour que le sacrifice de Jésus-Christ déploie toute sa vertu, il faut qu’il nous soit approprié par la foi et qu’il se répète et se renouvelle moralement en nous. Ainsi que l’explique saint Paul, tout vrai croyant comme tel participe à la mort de Jésus-Christ en mourant au péché. « Vous avez été baptisés en la mort de Jésus-Christ », écrit-il aux chrétiens de Rome ; vous avez part aussi à sa résurrection ; « considérez-vous donc comme morts au péché et comme vivant à Dieu, en Jésus-Christ notre Seigneur. » Certes, rien n’est plus propre que la contemplation religieuse du sacrifice de Jésus-Christ à nous inspirer l’horreur du péché. Il nous montre le mal dans son chef-d’œuvre, pour ainsi dire, qui est le meurtre du Juste, et en même temps dans son odieux contraste avec la sainteté et la charité du Sauveur. Il nous fait comprendre que c’est seulement au prix des insondables souffrances et de la mort inexprimablement amère de Jésus-Christ que notre péché a pu être vaincu et expié. Comment ne le haïrions-nous pas de toutes nos forces, ce péché qui a tué notre Maître et notre Rédempteur ? Comment ne verrions-nous pas dans sa mort notre propre mort au péché ? Comment n’apprendrions-nous pas au pied de la croix le secret de la repentance véritable, définitive, victorieuse ? Cette repentance, journellement renouvelée, devient la sanctification qui, comme le dit admirablement notre apôtre, « purifie notre conscience des œuvres mortes, pour que nous servions le Dieu vivant. »
En effet, si, dans la communion du sacrifice de Jésus-Christ, nous rompons avec le péché, ce n’est pas pour faire notre volonté propre – en ce cas la rupture avec le péché ne serait qu’apparente et mensongère ; – ce n’est pas pour nous conformer à l’opinion des hommes et gagner leurs bonnes grâces ; c’est pour servir Dieu. « Jésus-Christ s’est offert à Dieu sans tache » – voilà notre modèle, et voilà, depuis que nous avons cru en lui, l’inspiration de notre vie entière. Hélas ! nous savons trop bien que nous ne sommes pas sans tache ; nous savons que, comparée à l’obéissance de Jésus-Christ, la nôtre est pleine d’imperfections et de lacunes et qu’elle réclame elle-même la grâce et le pardon de Dieu. Mais nous savons aussi que, pour l’amour de Jésus-Christ, Dieu nous accorde une absolution entière et que nous lui devenons agréables en son Bien-aimé, en ce sens nous devenons, devant lui, sans tache. « Offrez-vous à Dieu, dit saint Paul, comme étant devenus vivants, de morts que vous étiez, et présentez vos membres à Dieu comme étant des instruments de justice, car le péché ne dominera pas sur vous, parce que vous n’êtes pas sous la loi, mais sous la grâce. »
Nous pouvons encore nous offrir à Dieu sans tache, en ce sens que nous aspirons à la perfection ; que nous y voyons, non seulement notre idéal, mais notre destinée, l’état béni et saint qui nous est promis. C’est pourquoi, dès maintenant, nous ne consentons plus à aucun péché, nous ne voulons pas rester en arrière d’un seul commandement. Nous nous souvenons qu’il est déjà écrit dans le Lévitique : « Soyez saints, car je suis saint », et que, d’après l’apôtre Jean, « celui qui dit : j’ai connu Jésus-Christ, s’oblige à marcher dans le monde comme il a marché lui-même. »
O mes frères, que cela soit bien vrai ! Que cette consécration à Dieu dont nous parlons volontiers en chaire ne soit plus seulement une théorie, mais une pratique ! plus seulement un rêve du dimanche, mais une réalité quotidienne ! Si nous sommes à Lui, tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons est à Lui ; considérons donc comme Lui appartenant tous les avantages matériels, intellectuels, moraux et sociaux dont nous jouissons, tout notre bonheur de famille, toute l’estime et toute la bienveillance dont nous disposons, tous les instants de notre vie, tous les sous de notre bourse, tous les battements de notre cœur. S’il nous prend quelque chose, laissons le faire ; s’il nous donne quelque chose, n’oublions jamais qu’il en reste le propriétaire et que nous n’en avons que le dépôt et la responsabilité ; s’il nous demande quelque chose, apportons-le Lui avec empressement et avec reconnaissance pour l’honneur et la grâce qu’il nous fait. Autant que cela est possible ici-bas, offrons-nous à Dieu « sans tache. »
Celui qui seul à réalisé dans sa plénitude ce divin programme a dit, en priant pour ses disciples : « Je me sanctifie (ou je me consacre) moi-même pour eux. » Il nous rappelle par cette grande parole que l’amour de Dieu ne doit ni ne peut être séparé de l’amour des hommes, ni par conséquent le service de Dieu du service des hommes. C’est pour les hommes, pour nous, par conséquent, que Jésus-Christ s’est ainsi offert à Dieu : sa justice couvre notre injustice, son obéissance répare nos désobéissances, son sang versé efface nos transgressions ; par son exemple et par son influence, par sa vie et par sa mort, il a fait entrer l’amour saint dans le monde et il le fait régner dans le cœur de ceux qui croient en lui et qui vivent de lui. C’est dans ce même esprit que nous devons nous offrir à Dieu. Si nous devons laisser à notre divin Sauveur tout le mérite et toute la gloire de l’œuvre de la Rédemption, il n’en résulte pas que nous soyons exclus du privilège de nous sacrifier à Dieu pour nos frères. Tout vrai progrès que nous faisons dans la piété, toute victoire que nous remportons sur le mal, tout culte sincère, toute vraie prière, tout acte de fidélité à la volonté de Dieu, si obscur et si ignoré qu’il soit, toute souffrance saintement acceptée et endurée, est un gain pour le Royaume de Dieu, une force pour le bien, et par ce côté peut être associé, dans une mesure infiniment humble et petite sans doute, à l’activité et aux souffrances du Christ. Réciproquement, tout acte de renoncement et de dévouement pour nos semblables est agréable à Dieu et fait partie du culte qu’il réclame autant que les chants et les prières que nous faisons monter vers Lui dans ce temple. Il y a, mes frères, une pensée qui ressort avec tant d’éclat et tant de force de nos expériences actuelles, qu’elle ne peut guère être absente d’un seul de nos discours : c’est celle de la nécessité et de l’excellence du sacrifice. Nos chers soldats se sacrifient pour nous et pour la patrie ; se sacrifient-ils en même temps à Dieu, le sachant et le voulant ? Je le sais pour quelques-uns ; je le demande pour tous. Mais nous, mes frères, qui sommes à l’arrière ; nous, dont les devoirs sont infiniment moins difficiles et moins douloureux que les leurs ; nous qui avons tout le loisir de penser et de prier, offrons-nous à Dieu pour eux par notre patience et notre courage, par notre exemple et notre influence, par notre persévérante intercession. Suppléons à ce qui peut manquer, à ce qui manque forcément, hélas ! aux manifestations actuelles de leur piété par l’élan et la ferveur de la nôtre. Saint Paul aurait voulu sacrifier jusqu’à son propre salut, si la chose eût été possible, pour les Israélites, ses frères selon la chair ; et nous, que ne ferons-nous pas pour nos propres enfants ? Puisque, au témoignage de l’apôtre Jacques, c’est « la prière du juste qui a une grande efficacité », comment ne pas nous efforcer, pour l’amour de ces âmes qui nous sont si chères, d’être désormais sans tache, dans nos prières comme dans nos vies ?
A travers ce parfait sacrifice que nous avons eu le privilège de contempler aujourd’hui, Jésus-Christ est parvenu au plus haut point de perfection et de majesté. Lui, qui était déjà l’image et la splendeur de Dieu, il s’est surpassé lui-même, ce qui semblait impossible ; il a ajouté l’infini à l’infini en associant, à la gloire du Fils de Dieu, celle du Fils de l’homme. « Parce qu’il s’est abaissé lui-même, dit saint Paul, Dieu l’a souverainement élevé. » Notre apôtre nous le montre exerçant dans le sanctuaire céleste une sacrificature éternelle, répandant sur ses disciples tous les trésors qui découlent du trône de grâce et présentant à Dieu leurs prières qu’il transforme, purifie et ennoblit en les enveloppant de la sienne. Mais Jésus-Christ ne veut être que le premier-né entre plusieurs frères ; si nous nous associons à son sacrifice par la foi et l’imitation, c’est une destinée semblable à la sienne qui nous attend. Quel autre bien peut être comparé à celui-là ? Quelle autre espérance est digne de faire battre nos cœurs ? Vivons, donc désormais à la hauteur de notre foi et que « le sang de Jésus-Christ qui, par l’Esprit éternel, s’est offert à Dieu sans tache, purifie nos consciences des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant ! »
Amen.