Cherchons d’abord à fixer le sens du mot conscience.
Il semble, à première vue, que qui dit conscience, dit une espèce spéciale de science.
Par science, cependant, on désigne, non pas, comme par le nom de conscience, ce qui serait en nous une impression, mais plutôt ce qui résulte pour nous d’une activité réfléchie de la pensée à l’occasion de telles ou telles impressions. Un fait de science sera donc toujours ou l’ensemble, ou telle ou telle portion spéciale, des images intelligibles que notre esprit aurait formulées comme répondant chez nous soit à des impressions, soit à des réalités positives. C’est ainsi que notre science sera, à chaque fois, le résultat pour nous d’une activité volontaire, et facultative, de notre pensée réfléchie.
Ce qu’on appelle un phénomène de conscience ne présente pas ce même caractère. C’est une impression qui nous arrive pour ainsi dire toute faite, en dehors et indépendamment de notre activité. Le fait est que nous ne disposons pas de l’apparition au dedans de nous des impressions de conscience. Elles nous sont imposées directement, et souvent même malgré nous.
Et il y a plus encore. Si la science est ce qui résulte pour notre pensée d’impressions produites par des objets perçus comme subsistant au dehors de nous, l’impression de conscience sera toujours celle d’un fait subsistant au dedans de nous-même. Pour atteindre à la science, nous avons dû commencer par détourner notre vue de ce qui ne serait que nous-même. Pour discerner ce que nous appellerons un fait de conscience, nous devons au contraire fixer notre attention sur ce qui se passe au dedans de notre vie personnelle.
Il est vrai qu’il peut nous arriver de parler soit d’une science de nous-même, soit aussi de la conscience que nous aurions d’un objet situé hors de nous.
Mais ces expressions n’infirment en aucune façon ce que nous venons d’avancer. En effet, lorsque je parle d’une science de l’âme par exemple, je désigne par là, non pas le sentiment spécial que je posséderais de ma propre âme, mais la connaissance que j’ai de l’âme humaine en général, considérée, dans ce cas-là, comme un fait qui subsiste devant moi et indépendamment de moi-même. D’un autre côté, lorsqu’il serait question de la conscience d’un objet situé hors de moi, je désignerais simplement par là une impression qui aurait coïncidé, au dedans de moi-même, avec l’existence extérieure de cet objet. C’est ainsi que quand j’affirme, — sur le témoignage de mes sens, — que mon ami est devant moi, c’est là pour moi un fait de science. Je puis cependant baser la même affirmation sur ce qui ne serait qu’un pressentiment intérieur. Dans ce cas spécial, — si tant est qu’il se présente ! — je me bornerai à dire que j’ai eu conscience de la présence de mon ami.
Sans doute, aussi bien que la science, la conscience constitue en nous un fait de connaissance. Mais, tandis que dans le cas de la conscience, cette connaissance est le résultat d’une impression purement passive, et qui a sa raison d’être au dedans de nous, — lorsqu’il s’agit de science, cette connaissance est le produit direct d’une activité de perception qui porte à chaque fois sur un objet situé hors de nous. Aussi est-ce toujours là le résultat d’un acte facultatif de notre libre volonté.
On ne saurait donc vouloir confondre ces deux faits. En particulier, on ne pourra jamais voir un fait de conscience, dans ce qui n’est qu’un fait de science. Quant à la thèse inverse, — quant à donner le nom d’un fait scientifique à ce que nous devons à la seule perception de notre conscience, — tout dépendra du sens qu’on attacherait alors à ce mot de science. Si l’on s’en tient au sens propre, il est évident, qu’on ne saurait parler de la sorte. Science et conscience demeurent deux choses essentiellement distinctes.
Il se pourrait, cependant, que par ce mot de science on entendit désigner, non pas autant la nature spéciale du fait lui-même, que le caractère de vérité, de justesse, et par conséquent de certitude, qui se rattache à la perception scientifique. Dès lors, en affirmant que les faits de conscience ne sauraient être regardés comme des faits scientifiques, on aurait précisément préjugé la question qui nous occupe à cette heure.
Bornons-nous donc, pour le moment, à reconnaître que, si la conscience est bien une science, pour autant que ce mot implique l’idée de certitude et de vérité, c’est alors la science de nous-même, la science de ce qui se passe au dedans de nous. Dans le fond, c’est bien aussi ce qu’exprime ce mot de conscience, c’est-à-dire de science avec soi C’est la science qui résulte, pour l’être pensant, du fait qu’il se place exclusivement en face de lui-même, qu’il demeure seul avec lui-même.
Après avoir ainsi distingué entre le sens du mot conscience et celui du mot science, appliquons-nous à analyser le phénomène spécial que désigne le premier de ces deux termes.
Pour cela, commençons par nous demander quelle espèce de perception caractérise ce que nous appelons en nous la conscience. Cela fait, nous chercherons à définir quel est, au dedans de nous, l’objet dont cette perception nous transmet l’impression.