Maintenant, Seigneur Éternel, tu es Dieu, et tes paroles sont vérité, et tu as annoncé cette grâce à ton serviteur… C’est toi, Seigneur Éternel, qui as parlé.
Marie a repris le chemin de Nazareth. Elle n’est peut-être pas encore arrivée, que la promesse s’accomplit dans la maison du prêtre. L’enfant attendu est né.
Elisabeth n’est plus la stérile, maintenant. Elle peut braver les moqueurs et répondre à ceux qui la méprisaient. Dans l’exubérance de sa joie, qui est vraiment un triomphe, aura-t-elle perdu quelque chose de son humilité et de sa foi ? Sera-t-elle étourdie par les bruyantes manifestations de joie dont sa demeure va retentir ?
Ne craignez pas. Le Saint-Esprit qui l’a gardée jusqu’ici ne l’abandonnera point en ce moment. Sans doute l’allégresse est très grande chez ses voisins et chez ses amis. Car enfin, elle était aimée. Les dédains n’étaient point le fait de tous. Au fond, tout en la plaignant, on l’estimait beaucoup ; c’était impossible autrement. On accourt donc, on félicite ; on exprime des vœux très sincères. Elisabeth reçoit ces témoignages, se joint à ces démonstrations. Mais elle demeure attentive. C’est à Dieu qu’elle ne cesse de penser, et à ce qu’elle lui doit. Or, le huitième jour étant arrivé, celui de la circoncision, la famille se réunit pour décider le nom du nouveau-né. C’est l’habitude ; et ce n’est pas moins usuel, dans des cas semblables, de donner à l’enfant le nom de son père. Donc le petit garçon s’appellera Zacharie.
Non pas ! interrompt la mère, qui n’a perdu ni un mot, ni un mouvement. Il se nommera Jean. – Quelle idée ! Il n’y a dans ta parenté personne qui porte ce nom. – Je le sais ; mais ce sera pourtant le nom de mon fils. Il le porte déjà dans le ciel. Ainsi le nomment nos pères, car ainsi l’a nommé l’Éternel. Une parenté plus vaste et plus puissante que la nôtre, celle des anges, l’appelait Jean dès avant sa naissance. Maintenant qu’il est né, on ne l’appellera point autrement.
Que les esprits sages, les fortes têtes de la famille aient alors un peu douté du bon sens d’Elisabeth, je n’en serais pas trop surpris. On fait, toutefois, la seule chose qui fût à faire ; on s’adresse à Zacharie. C’est son autorité qui décidera ; on l’invite par signes à s’expliquer. Il n’était pas sourd, sans doute, et nous pouvons admettre qu’il a fort bien entendu toute cette discussion. Mais on prend aisément l’habitude de s’entretenir par signes avec celui qui ne peut pas s’exprimer autrement. On cesse peu à peu de lui parler, comme s’il ne pouvait pas même entendre. Zacharie demande ses tablettes, c’est-à-dire ces minces planchettes recouvertes de cire, qui remplaçaient volontiers le papyrus devenu fort cher. On écrivait en grattant la cire avec un poinçon. Le père se borne à deux mots araméens qui signifient : Jean est son nom. Mais ces mots renferment toute une profession de foi. En les traçant, le prêtre a franchi soudain les neuf mois qui se sont écoulés depuis la visite de l’ange. Il s’est transporté dans le temple. Il a entendu Gabriel, et il n’oppose plus à ses ordres comme à ses promesses que l’humble obéissance de la foi. Jean est son nom ! – Ce n’est pas d’aujourd’hui que c’est décidé. Ainsi me l’a commandé mon Dieu, avant que mon enfant fût né. Je ne résiste plus ; je crois. « Jean, » car l’Éternel a eu pitié. « Jean, » car le Seigneur a visité non seulement mon foyer, mais mon peuple, et il nous a fait grâce.
Ces deux mots constituent le premier écrit à nous connu de tout le Nouveau Testament. Ils ont été gravés par un croyant. Et les lettres qui les formaient n’ont pas plutôt été achevées, que la parole est rendue à l’écrivain, jusqu’ici muet. Il n’y a pas lieu de poursuivre le châtiment. La cause qui le justifiait est supprimée ; le but qu’il se proposait est atteint. Or, mes amis, vous constaterez d’année en année plus visiblement que c’est la façon d’agir de notre Dieu. Comme il n’aime pas à punir, il n’aime pas non plus à prolonger l’épreuve. Il ne la fait pas durer un instant de plus qu’il n’est strictement nécessaire. Il avait annoncé à Nébucadnetsar qu’il resterait au milieu des bêtes et vivrait de leur vie, jusqu’à ce que sept ans aient passé sur lui. A l’instant précis où la septième année arrive à son terme, l’intelligence et l’empire sont rendus au roi des Chaldéens. – Gabriel avait fait savoir à Zacharie qu’il serait muet jusqu’au jour où la prophétie se réaliserait. La prophétie est réalisée ; la foi est rentrée dans ce cœur momentanément incrédule. Au même moment « sa bouche s’ouvre et sa langue se délie. »
Il me souvient d’avoir vu, dans une exposition industrielle, une machine à faire des vis qui m’a donné une précieuse leçon. Le petit cylindre d’acier destiné à devenir une vis était saisi par une pince inflexible, et amené devant le burin. Aussitôt la pointe pénétrait en fumant dans le métal, enlevait un léger ruban, marquait les pas successivement, puis, arrivée au dernier, ne touchait plus le cylindre, ne pouvait plus même y toucher. La vis était finie ; il n’y avait plus un coup de burin à donner… Quand Dieu veut former un de ses instruments, monarque ou prêtre, artisan ou missionnaire, il faut quelquefois aussi qu’il emploie le poinçon et qu’il l’enfonce dans le cœur. Cela fait mal ; souvent très mal. Mais cet instrument est tenu par la main du Père ; il ne fera pas une blessure, il ne donnera pas un coup de plus qu’il ne faut. - Pour Zacharie, la preuve que ce travail a réussi est immédiatement donnée. Quel usage fait-il de la parole, à la minute même où elle lui est rendue ? Il bénit Dieu. Plus de question de doute ; plus de demande audacieuse pour obtenir un signe. Non ; des louanges. Dans cette voie-là, vous pouvez en être certains, il recevra beaucoup plus qu’il ne donnera. Bientôt vous le verrez, rempli du Saint-Esprit, s’en servir pour louer plus haut encore le Dieu qui le comble de ses biens.
Pour le moment, une crainte générale se répand dans tout le voisinage. Non pas la peur, assurément. Mais cette même crainte que nous avons rencontrée soit dans le sanctuaire, à Jérusalem, soit dans la chambre de Marie, à Nazareth, en face d’une manifestation inopinée de la vie divine au sein de la vie terrestre. Elle se comprenait d’autant mieux, cette crainte, que, depuis Malachie, les révélations de Dieu étaient devenues très rares. On en avait perdu l’habitude. Quand on les revoyait tout à coup, on était d’abord porté à se demander si c’était un bon signe ou un mauvais. On tremblait un peu en entendant une prophétie. On tremblait aussi en en voyant l’accomplissement… Je ne sais pas s’il ne nous serait pas bon de trembler, à l’occasion, dans notre siècle d’esprits forts et de cœurs blasés.
Dans les montagnes de Juda, le mouvement qui se fit alors ne produisit que du bien. On parla des événements extraordinaires dont la maison de Zacharie venait d’être le théâtre. On parla beaucoup ; mais on ne bavarda pas. La crainte salutaire qu’on éprouvait empêcha ce flux de paroles inutiles dont les badauds se repaissent, et dont les oisifs alimentent leurs très ennuyeuses conversations. En vérité on avait mieux à dire ; et mieux à retenir aussi. A mesure qu’on apprenait quelque détail nouveau, on le « serrait dans son cœur. » C’est le bon endroit. C’est la mémoire la plus sûre. Le petit précurseur, avant de pouvoir s’en douter, était de la sorte employé à préparer les voies du Seigneur. Car il faut être attentif, pour le voir quand il passe et pour l’entendre lorsqu’il parle.
Autour de ce berceau, l’on se posait des questions. Une surtout, que se posent tous les parents sérieux : Que sera cet enfant ? Qu’attendre de celui qui a vu le jour d’une façon si extraordinaire ? Des signes merveilleux ont préparé et accompagné sa naissance. On affirme qu’un autre enfant va naître dans une famille parente de celle-ci, et que tous les deux sont réservés aux plus hautes destinées. Est-ce certain ? L’aurore attendue depuis si longtemps par ceux qui gémissent dans les ténèbres, et qui prient chaque jour pour la délivrance, cette aurore est-elle enfin venue ?… Qu’en sera-t-il de ce petit Jean ?… Heureuse dès longtemps, Elisabeth connaît la réponse. Heureux dès ce jour, Zacharie la sait aussi, et bientôt il va la chanter dans un admirable cantique.
Pères et mères qui lisez ces lignes, vous ne pouvez savoir encore la réponse en ce qui concerne votre enfant. Laissez-moi du moins vous demander comment vous vous posez la question. Ce qui vous préoccupe est-ce l’avenir mondain de votre nouveau-né ? Est-ce son développement physique, intellectuel, moral ? Ou bien, montez-vous encore plus haut, et voulez-vous savoir ce qu’il adviendra de lui au point de vue spirituel ? Vers quelle vie il s’avancera, quand celle d’ici-bas sera parvenue à son terme ? Un trait de notre récit vous fournira, si vous le voulez, une solution de ce problème. Luc résume toute l’enfance de Jean-Baptiste en une seule ligne, très courte, mais extraordinairement riche : « La main du Seigneur était avec lui. »
Votre main, n’est-ce pas ? accompagne et soutient votre bien-aimé dès ses tout premiers pas. Vous êtes fiers de sentir la sienne dans la vôtre. Il vous est doux, quand la petite main tremble, de la rassurer par une pression où vous faites passer tout votre amour, en même temps que toute votre force. Vous écartez les obstacles de la route, et vous y accumulez les ressources, les plaisirs aussi, dans la mesure où vous les permettez. Vous luttez avec l’enfant ; vous luttez pour lui ; vous repoussez ses ennemis, et je ne doute pas un instant de votre courage ni de votre persévérance. Je doute pourtant de la puissance de votre main : elle ne peut pas tout. Je doute plus encore de sa durée. Voyez : elle va manquer ; elle tremble déjà. Avez-vous songé quelquefois à celle qui la remplacera ? Beaucoup se présentent. Il y en a de fort gracieuses et de très finement gantées. Ce sont quelquefois les plus perfides. Y avez-vous pris garde ? Comment les éloignerez-vous, quand vous ne serez plus là ? Comment chasserez-vous les fleurs dont elles sont parées, pour découvrir les épines et les poisons qu’elles cachaient ?… Vous ne savez pas ! Vous ne pouvez pas ?… Non ! Vous ne pouvez pas ! Mais le Seigneur peut. Sa main est forte et tendre tout ensemble. C’est celle qu’il faut à votre enfant, car elle ne mourra jamais. Oh ! placez-le tout de suite, placez-le aujourd’hui, votre nouveau-né, dans la main du Seigneur. Adressez-le, dès ses plus jeunes années, à cet invincible protecteur. C’est ce qu’ont fait Elisabeth et Zacharie ; ils ne s’en sont jamais repentis.
Nous n’avons pas d’autres détails à raconter ; le texte n’en donne aucun autre. Mais, après tout, celui-là suffit. Gardé par la main du Seigneur, Jean ne fut pas seulement préservé des accidents et des maladies auxquels l’enfance est si particulièrement exposée. Il fut surtout défendu, et victorieusement, contre les tentations de son âge. Les pièges furent probablement plus nombreux pour lui que pour tous ses contemporains. On avait eu les yeux ouverts sur ce jeune garçon. On avait beaucoup parlé de lui. Cela ne vaut rien, d’ordinaire, pour un enfant. Cela fait aisément de lui un insupportable petit-maître. La main du Seigneur garda Jean. Cela ne veut point dire qu’il devint un prodige, une sorte de perfection aux joues rosés, telle qu’on en fabrique dans des romans absurdes prétendument écrits pour la jeunesse. Non ; rien de tout cela. Il eut très certainement ses péchés et il connut les chutes. Il eut ses combats ; mais il eut aussi ses victoires. Et plus la question se propageait parmi les amis de ses parents : Que sera-ce de cet enfant ? plus on se sentait pressé d’y répondre : « La main du Seigneur est avec lui ! »
Mais nous anticipons un peu sur les événements, et nous quittons le berceau. Revenons-y pour un moment encore.
Nous avons à écouter le père. Il a fallu le blâmer, même sévèrement, ainsi que le faisait l’Ecriture. L’heure n’est-elle pas venue de l’admirer, de le proposer en exemple ? Certes, il n’est pas de ceux que les châtiments et les bienfaits endurcissent à peu près également. Il est transformé, bien au contraire. Son service, autrefois, était peut-être très correct ; aujourd’hui, quel qu’il fût jadis, il est infiniment meilleur, car Zacharie est pénétré de gratitude et d’humilité. Il est même rempli du Saint-Esprit. Quel père excellent Jean aura désormais ! Avec quelle autorité, racontant discrètement ses propres expériences, le prêtre parlera à l’enfant et des misères du doute et des gloires de la foi ! Avec des guides aussi sûrs que Zacharie et son épouse, le Précurseur pourra marcher ferme lui-même dans les voies qu’il doit préparer.
En attendant, le vieux père chante auprès du berceau. Ce n’est pas le texte, il est vrai, c’est l’habitude et la tradition qui ont désigné sous le nom de cantique, les paroles que Zacharie prononça. Luc dit simplement qu’il prophétisa. Il ne précise pas non plus la date de cette prophétie. Mais, d’une part, il semble très naturel de la placer dans les premiers jours du nouveau-né, peut-être après la cérémonie de la circoncision. De l’autre, l’inspiration très élevée qui l’anime, l’accent profondément poétique qui la traverse, nous paraissent justifier le titre de cantique, sous lequel on la connaît partout dans l’Église. La poésie y circule si bien, que les imitations ou traductions en vers qu’on en a essayées sont, en général, plus prosaïques que cette prose. Ajoutons que c’est la dernière prophétie relative à Jésus-Christ qui soit antérieure à sa naissance. Il vaut la peine de l’étudier avec soin.
Une remarque frappe à première vue. Zacharie, dans son cantique, parle plus encore comme serviteur et prophète de l’Éternel qu’en tant qu’heureux père, enfin arrivé au comble de ses vœux. Prenez, mes amis, le texte sous vos yeux, et lisez bien. Des douze versets qui le composent, combien sont consacrés au petit Jean, à l’entant qui vient de naître ? Quatre seulement ; deux, si l’on veut être très rigoureusement exact. Tous les autres concernent un enfant qui n’est pas encore né, et que le prophète célèbre comme beaucoup plus illustre que le sien. La foi théocratique, disons même la foi tout court, s’est réveillée chez ce père avec une telle intensité, que le sentiment paternel passe au second rang. Cette considération seule nous fait mesurer le chemin parcouru par l’âme de Zacharie, dans les neuf mois de silence et de solitude relative qu’il avait traversés.
Il parle, vous l’aurez observé, au « passé prophétique, » absolument comme Ésaïe. C’est-à-dire qu’il raconte comme arrivés déjà des événements à venir. Au moment où il parle, c’est trop tôt pour affirmer que Dieu a racheté son peuple et lui a suscité un puissant libérateura. Cela est vrai, pourtant ; c’est réalisé dans les conseils du Très-Haut. Les yeux de l’homme ne voient pas et ses oreilles n’entendent pas. Mais cela est. Il peut donc le saluer comme s’il le tenait entre ses bras, l’enfant royal qui sera déposé, trois mois plus tard, dans une crèche, à Béthléhem. Il contemple en sa personne le rétablissement complet, et bien dépassé, du pouvoir de David. Il s’incline devant cette majesté qui avait été solennellement garantie pour toujours à la maison du fils d’Isaï, et qui, malgré la promesse, semblait morte à jamais. Elle est ressuscitée. Les serments antiques ne sont point oubliés. Une double rédemption va relever Israël. Rédemption politique : un Juif tel que Zacharie ne pouvait renoncer à l’espérer. Rédemption religieuse : un prêtre fidèle ne consentait point à s’en passer. Est-il donc interdit de mêler aux espérances du croyant celles du patriote ? Les vrais enfants de Dieu ne sont point tenus de séparer ces deux amours. Jésus les a connus l’un et autre. Il a aimé Jérusalem au point de pleurer sur elle. Une fierté légitime fait palpiter le cœur du prêtre. Il a vu se dérouler tout d’un coup devant lui l’histoire de son peuple, depuis Abraham qui en est le père, jusqu’à Jésus qui en sera le Sauveur. Il découvre dans ces pages fécondes un trait qui les relie toutes entre elles : la merveilleuse fidélité de son Dieu. L’Éternel a voulu faire miséricorde. L’Éternel s’est souvenu de son alliance. L’Éternel, malgré nos péchés, n’a pas cessé d’avoir pitié. Tout est bien. Plus que jamais toutes les nations de la terre voudront être bénies « en la postérité du patriacheb ; » car cette postérité c’est le Libérateur. La patrie est sauvée. L’humanité le sera.
a – Verset 69. Le texte grec dit « une corne de salut. » On sait le sens symbolique attaché par les Hébreux à la corne, marque tout ensemble de dignité et de puissance. Ainsi Anne a chanté : « L’Éternel relèvera la corne de son oint. » 1 Samuel 2.10 ; et le Psaume 112 (verset 9). « La corne du juste s’élève avec gloire. » (Texte hébreu.)
b – Genèse 22.18.
Comme Ézéchiel, dans sa dernière vision, avait contemplé sous l’image d’un temple restauré la théocratie devenue parfaite, Zacharie la contemple aujourd’hui sous la figure d’un culte sans tache. – Nous pratiquerons, s’écrie-t-il, la sainteté et la justice tous les jours. Nous servirons Dieu sans crainte. – Ne surprenez-vous pas, dans ce cri de joie, le soupir longtemps contenu dans des poitrines où la terreur s’était installée ? On craignait, on tremblait tout en servant Dieu, aux jours d’Antiochus et de Pompée, alors que les adorateurs de Jahveh étaient exposés journellement aux plus sanglants outrages. La paix va remplacer ces troubles. Le temple ne sera plus souillé ni les sacrificateurs égorgés… Nous servirons sans crainte, le Dieu de nos pères.
L’événement a-t-il justifié ces hardies prévisions ? Oui, en un certain sens, et pas dans celui que Zacharie, très probablement, leur donnait. Des persécutions plus atroces que celle d’Épiphane ont décimé les fidèles. L’Église a été plus ravagée que la synagogue ne l’avait été. Pourtant, le service de Dieu a pu s’établir sans crainte, dans la sainteté et dans la justice, le jour où Jésus-Christ l’a fondé en esprit et en vérité. Chose étrange. Celui qui est venu apporter l’épée sur la terre, qui s’est donné pour tâche d’y allumer un feu, n’en est pas moins le seul qui lui ait procuré la paix. Cet apparent paradoxe, qui n’est pas autre chose qu’une réalité, avait été préparé par le Précurseur. Son austère prédication du désert devait faire pénétrer dans les consciences les déchirements du repentir. C’était le seul moyen de les amener à Celui qui a dit : Je vous laisse la paix – et qui l’a laissée en effet. Un instant, au terme de son cantique, le père abaisse son regard sur son fils. Même alors, il ne dit pas : « Mon enfant. » Il dit seulement : « Petit enfant ! » Mais il ajoute aussitôt le titre sous lequel il était déjà connu au ciel : « Tu seras appelé prophète du Très-Haut. » Il n’y a pas de plus beau quartier de noblesse. Tu marcheras devant la face du Seigneur. Tu prépareras ses voies. C’est donc toi qui répondras à la voix jadis entendue par le prophète : « Préparez le chemin de l’Éternel, aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieuc. » Alors seulement, quand ces travaux seront achevés, la connaissance du salut et le pardon des péchés seront donnés à Israël, pour autant au moins qu’il voudra se laisser instruire. C’est ainsi que Jean-Baptiste sera prophète. Nous ne possédons de lui aucun écrit. Ses discours, tels que les Évangiles nous les ont conservés, sont réduits à un minimum. Mais il a prêché par ses actes, par sa vie, par son long silence au désert. Absolument comme Élie, dans l’esprit et dans la vertu duquel il n’a pas cessé de marcher.
c – Ésaïe 40.3. Il paraît difficile de ne pas reconnaître ici un témoignage indirect rendu à la divinité de Jésus-Christ. En fait, ce n’était pas à l’Éternel, mais au Messie que Jean allait servir de prophète et de précurseur. Et pourtant, ces fonctions remplies pour le Sauveur se trouvent l’être pour le Très-Haut.
Le ministère qu’il a rempli a été parmi les plus indispensables qui se puissent figurer. Là où les routes ne sont pas préparées, en Orient surtout, nul ne peut passer. Là où la repentance n’a pas fait son travail, le salut ne saurait être accepté. Or, dans le peuple juif, la notion de la délivrance était à peu près complètement faussée. Elle se bornait à l’affranchissement du joug des Romains. Rétablir le sceptre de David importait plus à la majorité des Israélites que relever les droits de Dieu. Or, cette restauration politique, nationale, ce n’est pas celle que Jésus opère. Ce n’est pas non plus celle que Jean devait préparer, quelles qu’aient pu être au début ses illusions sur ce point. Il n’a travaillé qu’à un relèvement moral et spirituel. Un autre joug, plus redoutable, devait recevoir les coups de sa massue : celui du péché. Éveiller les consciences endormies ; enfoncer dans les cœurs l’aiguillon du remords ; rétablir sur son piédestal de granit la loi que la tradition s’occupait à démolir ; obliger les indifférents à trembler devant les jugements de Dieu, à se sentir non pas seulement mauvais, mais perdus, bien qu’enfants d’Abraham ; les forcer à s’écrier, comme Saul de Tarse devait le faire un jour :
Hélas ! En guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix ?
voilà, dans ses lignes principales, quelle devait être la tâche du Baptiste.
Tâche écrasante pour des forces humaines. Je ne sais pas si Zacharie en a pressenti les énormes difficultés. Sa propre histoire, déjà, pouvait le renseigner à cet égard. Ce qui me frappe, c’est qu’il laisse bien vite ses pensées quitter le petit enfant – symbole de faiblesse – pour remonter jusqu’au Très-Haut, duquel jaillit la source éternelle du secours.
Reprenez, mes amis, les deux derniers versets du cantique. Nous ne sommes plus auprès d’un berceau. Nous voilà transportés dans les régions célestes. Le père est complètement prophète. Il s’élève, comme d’un glorieux coup d’aile, jusqu’aux régions sublimes d’où le salut va descendre, après y avoir été décrété dès les jours anciens. « Notre Dieu, dans ses tendres compassions, a fait lever sur nous un soleil qui doit éclairer ceux qui sont dans les ténèbres… afin de diriger nos pas dans le chemin de la paix. » Les plus belles scènes de l’Orient sont concentrées dans cette poétique image. Une caravane, après une marche longue et pénible, s’est égarée. Tous ses efforts pour retrouver sa route ont été vains. Le soir est venu ; pas de crépuscule ; c’est la nuit immédiate. Les ténèbres ont tout envahi. Oh ! comme elles sont épaisses et comme elles durent longtemps ! Les voyageurs sont étendus sur le sable, désespérés, attendant la mort. Tout à coup, l’aurore éclaire l’horizon. L’astre radieux se lève, embrase le firmament, montre le sentier perdu. D’un bond, les malheureux se dressent sur leurs pieds. Ils reprennent en chantant leur voyage. Là-bas, voici le terme ; voici le salut… L’humanité aussi, avait perdu son chemin. Sa lumière s’était éteinte ; la nuit l’enveloppait ; la mort approchait dans l’ombre. Mais soudain, un astre divin resplendit. Descendant du sein du Père, « la lumière du monde » brille sur la caravane égarée… Lève-toi, voyageur ; marche ; affermis tes pas dans le chemin de la paixd ! Qu’ajouter après de tels accents ? Rien. Zacharie se tait. Or, les derniers échos de son cantique sont en même temps les derniers traits que nous sachions de sa vie. Son nom ni celui d’Elisabeth ne reparaîtront plus désormais sous la plume de l’historien. Tout l’intérêt va se concentrer sur leur fils.
d – Ces pensées ont été exprimées dans une belle page du Commentaire de M. Godet sur Luc (1.84-86).
Est-ce à dire que leur action, dès lors, ait cessé de s’exercer ? A moins qu’ils ne soient morts peu après (ce que nous ignorons), nous affirmons le contraire.
Ils n’ont pas songé un instant à se débarrasser de leur tâche d’éducateurs. Plus leur enfant était doué, plus ils auront compris que leur devoir était de cultiver ses dons, et de lui enseigner à les mettre au service du Seigneur. Nous regrettons de ne rien savoir de l’histoire intime de cette maison ; il y aurait eu là, pour les familles d’aujourd’hui, d’excellentes leçons à recueillir. Enregistrons seulement, ne pouvant faire plus, ce qu’il est permis de conclure des faits notés par Luc jusqu’à maintenant. Une mère pieuse, dont la foi ne paraît pas avoir subi d’assauts et qui, plus vite mûrie que son mari, n’en est pas moins demeurée à sa place, toute parée d’humilité. Un père qui a passé par le doute, et qui, d’une position très en vue, est momentanément retombé dans un silence forcé, jusqu’à ce qu’il se soit donné comme tout à nouveau au Dieu dont il était le prêtre. Voilà les deux guides qui ont veillé sur l’enfance de Jean, les deux flambeaux vivants qui ont lui autour de son âme, et dont les reflets, sans doute, l’ont éclairé jusque dans le cachot de Machéronte. Elisabeth et Zacharie ont élevé Jean-Baptiste. Son histoire nous prouve qu’ils l’ont bien élevé.