Comparaison de la piété de Constantin et de l’impiété des persécuteurs.
Voilà de quelle manière l’Envie, ennemie de tous les biens, attristée par la prospérité de l’Église, l’a remplie de trouble à une époque où elle semblait devoir jouir du plus profond calme. Cependant l’empereur ami de Dieu s’appliqua avec une vigilance incroyable à tous ses devoirs, affecta de tenir une conduite toute contraire à la cruauté des tyrans qui l’avaient précédé et vainquit ses ennemis et adversaires. Ces tyrans étant éloignés du culte de Dieu, ils usèrent de violences pour porter tout le monde à celui des idoles. Constantin ayant fait voir très clairement par ses actions et par ses paroles que les idoles ne sont pas des dieux, il exhorta tous les hommes à reconnaître le Dieu véritable. Les tyrans eurent l’insolence de faire des railleries pleines de blasphèmes contre le Christ de Dieu ; Constantin protesta que c’était son Défenseur et se glorifia de suivre l’étendard de sa croix. Les tyrans persécutèrent les serviteurs du Sauveur et les chassèrent de leurs pays et de leurs maisons ; Constantin les rappela de l’exil et les rétablit en possession de leur état. Les tyrans les notèrent d’infamie ; Constantin les combla d’honneurs. Les tyrans les dépouillèrent de leurs biens ; Constantin ne se contenta pas de les leur rendre, mais il y ajouta des bienfaits. Les tyrans publièrent des édits remplis de calomnies contre les pasteurs de l’Église ; Constantin fit leur éloge. Les tyrans démolirent et rasèrent les lieux où les chrétiens faisaient leurs prières ; Constantin augmenta ceux qu’il trouva intacts et en éleva d’autres tout neufs. Les tyrans brulèrent les livres dictés par l’Esprit de Dieu ; Constantin employa des sommes considérables pour en faire faire un grand nombre de copies. Les tyrans défendirent aux évêques de s’assembler ; Constantin les fit venir de diverses provinces, les reçut jusque dans sa chambre et les plaça à sa table. Les tyrans firent des présents aux démons ; Constantin en découvrit l’inutilité et employa à l’usage des hommes ce qui était perdu quand il était offert à ces esprits impurs. Les tyrans ornèrent les temples des démons ; Constantin les démolit. Les tyrans firent souffrir d’infâmes supplices aux serviteurs de Dieu ; Constantin les vengea en châtiant leurs persécuteurs et en honorant leur mémoire. Les tyrans chassèrent de leur palais les hommes consacrés au culte de Dieu ; Constantin se fia à eux plus qu’aux autres parce qu’il était bien persuadé de leur probité. Les tyrans brûlèrent d’une soif insatiable de l’argent et en amassèrent par de mauvais moyens sans en jouir plus que Tantale ; Constantin ouvrit ses trésors et les communiqua généreusement à tous les hommes. Les tyrans tuèrent des personnes innocentes afin de s’emparer de leurs biens ; Constantin ne souffrit jamais que les juges se servent pendant son règne de l’épée qu’ils avaient entre leurs mains. Il gouverna les décurions et les peuples des provinces avec une douceur de père plutôt qu’avec une autorité de prince. Quiconque considèrera avec attention son règne croira voir un siècle nouveau et une éclatante lumière qui sort du sein des ténèbres. Il reconnaîtra les traces du doigt de Dieu, qui avait suscité ce religieux empereur pour exterminer une multitude d’impies.
Piété de Constantin.
Les tyrans n’ayant jamais eu de équivalents et leur insolence ayant commis contre l’Église des excès, dont l’antiquité n’avait jamais produit d’exemple, Dieu a suscité Constantin comme un homme tout à fait rare et a opéré par son ministère des merveilles qui jusqu’alors avaient été inouïes et inconnues. Quelle merveille plus surprenante que la vertu de ce prince dont la sagesse de Dieu a fait cadeau aux hommes ? Il a prêché hardiment le Christ de Dieu et bien loin de rougir du nom de chrétien, il en a fait le signe sur son front et a porté l’étendard de la croix à la tête de ses armées.
Portrait de Constantin.
Constantin fit voir dans un tableau exposé devant son palais le signe salutaire de la croix peint au-dessus de sa tête et au-dessous l’ennemi du genre humain, qui avait combattu l’Église par la tyrannie des athées qui se jetaient dans l’abîme sous la forme d’un dragon. L’Écriture l’appelle le dragon et serpent qui se roule sur soi-même. L’empereur fit représenter en cire un dragon percé de traits sous ses pieds et sous les pieds des princes ses enfants et précipité ensuite au fond de la mer pour désigner sous cette figure l’ennemi du genre humain, qui, par la force de la croix, dont notre prince portait la figure sur la tête, avait précipité au fond de l’enfer. Voilà ce que signifiait ce tableau. Pour moi, j’admire la pénétration de l’empereur qui, étant inspiré de l’Esprit de Dieu, a exprimé par cette peinture ce qui avait été prédit par les prophètes : que « Dieu viendrait avec sa grande épée, son épée pénétrante et invincible, pour punir ce serpent immense, ce serpent à divers plis et replis, et pour faire mourir le serpent qui est dans la mer. »
Disputes émues en Égypte par Arius.
Les troubles que l’Envie continuait d’exciter terriblement dans Alexandrie et le schisme pernicieux qui divisait les habitants de Thèbes et d’Égypte lui causaient une cuisante inquiétude. Il n’y avait pas de ville où les évêques ne s’élèvent contre les évêques et où les peuples ne s’arment contre les peuples. Leur fureur allant si loin qu’ils attaquèrent les statues du prince. Mais au lieu de se mettre en colère, il en eut seulement de la douleur et, bien loin de vouloir châtier l’insolence de ceux qui avaient commis ce crime, il se contenta de déplorer leur aveuglement.
Différend touchant la célébration de la fête de Pâques.
L’Église était tourmentée auparavant par une autre maladie. C’est ainsi que je nomme le différend qui s’était ému au sujet du jour où on doit célébrer la fête de Pâques. Les uns soutenaient qu’il fallait suivre la coutume des Juifs. Les autres prétendaient au contraire qu’il fallait examiner très exactement le temps et ne pas s’accorder avec des peuples qui sur ce point même étaient éloignés de la grâce de l’Évangile. Il y avait longtemps que les peuples étaient divisés sur ce sujet et que la discipline de l’Église en était troublée parce que pendant que les uns se mortifiaient par des jeûnes et par les austérités de la pénitence, les autres célébraient la fête avec tous les témoignages possibles de joie. Personne ne pouvait apporter de remède à ce mal. Chaque parti était d’un poids presque égal, la question demeurait indécise. Il n’y avait que Dieu qui put la régler, et il semble qu’il n’y avait sur la Terre que Constantin dont Dieu choisit de se servir pour cela. Quand il vit que la lettre qu’il avait écrite à Alexandrie n’avait pas eu le succès qu’il en avait attendu, il chercha dans son esprit une autre manière de combattre cet ennemi invisible qui troublait la paix de l’Église.
Convocation du Concile de Nicée.
Il leva contre lui une armée de Dieu en écrivant de tous côtés aux évêques pour les assembler dans un concile. Il ne se contenta pas de leur marquer le temps et le lieu de leur assemblée : il eut soin de pourvoir à la commodité de leur voyage, en fournissant aux uns des voitures publiques et aux autres des bêtes pour porter leur équipage. Il choisit une ville de Bythinie, qui semblait d’autant plus propre à les recevoir qu’elle portait le nom de la victoire. Les évêques n’eurent pas plutôt reçu ses lettres qu’ils partirent avec une ardeur et une joie sans pareil dans l’espérance de voir la bonne intelligence rétablie entre eux et de voir de leurs yeux un si grand empereur. Quand tant de prêtres si éloignés par la distance des lieux et encore plus par la diversité de leurs âmes, de leurs corps, de leurs pays et régions et de leurs comportements furent dans la même cité, il parut très clairement que leur convocation était un ouvrage de la main de Dieu.
Description de l’assemblée.
Ceux qui tenaient le premier rang parmi les ministres des églises de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie se trouvèrent à cette assemblée. Le lieu où les fidèles avaient coutume de faire leurs prières fut alors augmenté comme un ordre de Dieu pour recevoir des prêtres et des évêques de Syrie, de Cilicie, de Phénicie, d’Arabie, de Palestine, d’Égypte, de Thèbes, de Libye et de Mésopotamie. On y en vit un de Perse et un de Scythie. Le Pont, la Galatie, la Pamphylie, la Cappadoce, l’Asie, la Phrygie fournirent la fleur de leurs pasteurs. La Thrace, la Macédoine, l’Achaïe, l’Épire et d’autres provinces plus éloignées y envoyèrent les plus célèbres de leur clergé. Un fameux évêque d’Espagne s’y trouva parmi les autres. L’évêque de la ville impériale y manqua à cause de son grand âge, mais ses légats y remplirent sa place. Constantin fut le premier des empereurs qui fit une assemblée d’évêques semblable à celle des apôtres et qui en forma comme une couronne qu’il offrit au Sauveur en reconnaissance des victoires qu’il avait remportées avec son assistance.
Suite de la même description.
On dit qu’au temps des apôtres, il y eut dans Jérusalem des personnes religieuses de toutes les nations qui étaient sous le ciel : Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte et la Lybie, qui est proche de Cyrène, et ceux qui étaient venus de Rome, Juifs ou prosélytes, Crétois et Arabes. Mais parmi ces personnes-là, il y en avait qui n’étaient pas consacrées au service de Dieu, ni élevées à l’honneur du sacerdoce, au lieu que dans ce concile, il y avait plus de deux cent cinquante évêques et un nombre presque innombrable de prêtres, de diacres, d’acolytes et d’autres qui étaient venus avec eux.
Rares qualités des deux cents évêques du Concile de Nicée.
Parmi ces sacrés ministres de Dieu, il y en avait qui excellaient par le don d’une éloquence céleste, les autres par la gravité de leurs mœurs, les autres par leur modestie et leur douceur. Quelques-uns attiraient le respect par leur grand âge, et quelques autres excitaient l’admiration par la vigueur de leur jeunesse et la vivacité de leur esprit. Il y en avait qui avaient été admis depuis fort peu de temps dans le sacré ministère. L’empereur leur faisait fournir chaque jour des vivres en abondance.
Séance du Concile. Entrée de l’empereur.
Tous ceux qui composaient le concile s’étant trouvés au jour qui avait été choisi pour décider les questions, ils entrèrent dans la grande salle du palais et s’assirent selon leur rang sur des sièges qui leur avaient été préparés. Ils demeurèrent dans un grave et modeste silence en attendant l’arrivée de l’empereur. Tout de suite après, trois de ses parents entrèrent l’un après l’autre. On vit paraître ensuite non pas ses gardes, selon la coutume, mais ceux seulement de la cour, qui faisaient profession de notre religion. Dès que l’on entendit le signal qui avertit de son arrivée, tous les évêques se levèrent, et tout de suite il entra au milieu d’une troupe de personnes de qualité et parut comme un ange de Dieu. Il éblouissait les yeux par l’éclat de sa pourpre et par la splendeur de l’or et des pierreries dont elle était relevée. Voilà quels étaient ses ornements extérieurs. Pour ce qui est des ornements intérieurs, il paraissait très clairement par la modestie avec laquelle il tenait les yeux baissés, par l’honnête pudeur qui se faisait remarquer sur son visage, par son mouvement et sa démarche, par l’avantage de sa taille, par sa bonne mine, par sa constitution forte et robuste, que son âme avait des vertus dont l’excellence ne peut être assez relevée par tous les éloges qu’on pourrait en faire. Lorsqu’il fut arrivé au haut des sièges, il s’arrêta. Quand on lui eut apporté un siège bas, qui était d’or, et que les évêques lui eurent fait signe de s’asseoir, il s’assit, et ils s’assirent après.
Silence du Concile.
L’évêque qui remplissait la première place du côté droit s’étant levé fit un petit discours pour remercier Dieu des grâces qu’il avait accordées à l’empereur. Quand il eut achevé de parler et qu’il se fut assis, toute l’assemblée demeura dans le silence, tenant la vue fixement attachée sur ce prince. Alors il les regarda tous d’un air gai et agréable et s’étant un peu recueilli, il prononça d’un ton doux et modéré la harangue qui suit.
Harangue de Constantin sur la paix de l’Église.
« Je n’ai jamais rien souhaité avec autant de passion que de vous voir assemblés dans un même lieu. Je remercie Dieu de m’avoir accordé cette grâce après tant d’autres, non seulement de vous voir réunis dans un même lieu, mais aussi de vous voir réunis en un même avis. Que l’heureux état de nos affaires ne soit donc plus troublé par la malignité de l’ennemi et depuis que l’injuste domination de ceux qui avaient eu l’insolence de déclarer la guerre à Dieu a été détruite par le secours du Sauveur. Que la malignité du démon ne trouve pas d’autre moyen de noircir l’innocence de notre religion par de fausses accusations. Les contestations qui se sont élevées dans l’Église m’ont paru plus dangereuses que les guerres qui ont été excitées dans l’État et m’ont touché plus sensiblement qu’aucune affaire temporelle. Lorsque, par l’aide de Dieu, j’eus remporté la victoire sur mes ennemis, je croyais qu’il ne me restait plus rien à faire que de L’en remercier et de me réjouir avec ceux qu’Il avait délivré par mon moyen de la servitude. Mais dès que j’appris les différends qui vous aviez les uns avec les autres, bien loin de les négliger, je jugeai que j’étais obligé d’y apporter le remède et donnai les ordres nécessaires pour la convocation du concile. Votre présence me cause une satisfaction incroyable. Mais ma joie ne sera pas complète avant que vous ne soyez unis d’âme et que la commune entente que votre condition vous oblige de prêcher aux autres soit solidement établie parmi vous. Faites donc en sorte, chers ministres de Dieu, fidèles serviteurs du Maître et du Sauveur commun de tous les hommes, que vos contestations cessent absolument. Vous ne sauriez rien faire de si agréable à Dieu ni que je tienne à si grand avantage. »
Constantin met les évêques d’accord.
Constantin ayant parlé ainsi en latin et un interprète ayant traduit, il permit aux présidents du concile de dire ce qu’il leur plaisait. Alors les uns commencèrent à former des accusations, les autres à y répondre et à faire aussi des plaintes. Ces contestations-là ayant produit un grand bruit, l’empereur écouta avec une extrême patience tout ce qui fut avancé par les partis différents, expliqua quelques fois leurs raisons et enfin les mit d’accord. Il leur parla en grec dont il avait une certaine connaissance, loua les uns, convainquit les autres par la force de ses raisons et fléchit les autres par la douceur de ses remontrances jusqu’à ce qu’il eut mis un terme à leurs remontrances et apaisé leurs querelles.
Conclusion du Concile.
Ainsi il y eut une foi unanime et tous se mirent d’accord sur la date de la fête du salut. Les décisions de l’assemblée furent rédigées par écrit et signées par tout le monde. L’empereur regarda l’heureuse conclusion de ce concile comme une seconde victoire qu’il avait remportée sur l’ennemi de l’Église et en rendit à Dieu des actions de grâces publiques.
L’empereur fait un festin aux évêques.
La vingtième année du règne de Constantin étant presque écoulée à cette époque, on fit des réjouissances dans les provinces, et ce prince fit aux évêques qu’il avait réconciliés un magnifique festin, qui fut comme un agréable sacrifice qu’il offrit à Dieu par leur ministère. Aucun évêque ne manqua de s’y trouver. L’ordre en fut plus admirable qu’on ne saurait le dire. Les hommes de Dieu passèrent sans crainte au milieu des compagnies de gardes, qui étaient debout l’épée nue à la main à l’entrée du palais. Les uns se virent à la table de l’empereur et les autres à des tables séparées. C’est sans doute une image du royaume de Jésus-Christ, et ça semblait être « un rêve non d’une réalité ».
Présents faits aux évêques.
Lorsque le festin fut achevé, Constantin parla aux évêques avec beaucoup de civilité et leur fit à tous des présents selon leur dignité et leur mérite. Il écrivit ce qui s’était passé dans le concile à ceux qui n’avaient pu y assister. Je crois devoir ajouter ici sa lettre. En voici la tournure.
Lettre de Constantin aux églises touchant le Concile de Nicée.
« Constantin, Auguste, aux églises. La prospérité dont nous jouissons m’ayant fait reconnaître très clairement la grandeur de la bonté de Dieu envers nous, j’ai cru que le principal soin que je devais prendre était de faire en sorte que les enfants bienheureux de l’Église catholique fussent unis par le lien d’une même foi, d’une charité sincère et d’une piété uniforme envers Dieu. Mais parce qu’il n’y avait pas de moyen aussi convenable pour s’assurer de la possession d’un aussi grand bien que de faire examiner les matières de la religion par tous les évêques, ou au moins par le plus grand nombre, j’en ai assemblé le plus grand qu’il m’a été possible et j’ai assisté à leur assemblée comme un d’entre vous. Car je n’ai garde de dissimuler le sujet de ma joie qui est que je suis comme vous, et avec vous, serviteur de Jésus-Christ. Tous les points contestés ont été examinés très exactement jusqu’à ce que la doctrine qui plaît à Dieu, qui tend à la réunion des esprits et qui ne laisse pas le moindre sujet de division ait été très clairement reconnue.
De la célébration de la fête de Pâques.
« La question qui regarde la célébration de la fête de Pâques ayant été ensuite agitée, on a jugé tout d’une voix qu’il était fort à propos qu’elle fût célébrée au même jour dans toute l’étendue de l’Église. Que pouvons-nous faire de plus conforme à la bienséance et à l’honnêteté que d’observer tous de la même façon cette fête où nous avons tous reçu l’espérance de l’immortalité ? On a jugé que ç’aurait été une pratique indigne de la sainteté de l’Église de la solenniser selon la coutume des Juifs, qui ont les mains souillées et l’esprit aveuglé par leurs crimes. Nous pouvons rejeter leur usage et en faire passer aux siècles à venir un plus raisonnable que nous avons suivi depuis le premier jour de la passion jusqu’à aujourd’hui. N’ayons donc rien de commun avec la nation des Juifs, qui est une nation ennemie. Nous avons appris du Sauveur une autre voie, et on tient une autre route de notre sainte religion. Demeurons-y tous, mes très chers frères, et éloignons-nous d’une société aussi infâme qu’est celle de ce peuple. Il n’y a rien de si ridicule que la vanité avec laquelle ils se vantent que nous ne saurions célébrer cette fête comme il faut si nous n’en apprenons la méthode à leur école. Que peuvent savoir des hommes qui, depuis qu’ils se sont rendus coupables de la mort du Seigneur, ne se conduisent plus par la lumière de la raison, mais sont emportés par la fureur de leurs passions ? Ils sont si éloignés, en ce point-là, de la vérité qu’il arrive souvent qu’ils célèbrent deux fois dans la même année la fête de Pâques. Pourquoi devrions-nous suivre leur égarement ? Car jamais nous ne consentirons à célébrer deux fois la fête dans la même année. Mais quand nous n’aurions pas toutes les raisons que je viens de dire, la prudence ne laisserait pas de vous obliger de souhaiter que la pureté de votre conscience ne fût salie par l’observation d’aucune coutume qui ait rapport avec celles d’une aussi méchante nation que celle des Juifs. Il faut de plus considérer qu’il n’est nullement permis qu’il y ait des usages et des pratiques différentes dans un point de discipline aussi important qu’est celui-là. Le Sauveur ne nous a laissé qu’un jour de sa délivrance, qui est le jour de sa passion. Il a voulu qu’il n’y eût qu’une Église catholique dont les membres, bien que répandus en divers lieux, ne laissent pas d’être mus par le même esprit et conduits par la même volonté de Dieu. Que votre sainteté considère avec sa sagesse ordinaire combien ce serait une chose fâcheuse et contraire à la bienséance qu’au même jour les uns gardent le jeûne et les autres fassent des festins. Le dessein de la Providence est que cette diversité de discipline soit abolie et que l’uniformité soit introduite, comme je me persuade que vous le reconnaissez de vous-mêmes.
Exhortation à l’uniformité de la discipline.
« Cet abus devant être corrigé afin que nous n’eussions plus rien de commun avec les parricides qui ont fait mourir notre maître, et la coutume observée par toutes les églises du Sud, du Nord, de l’Ouest et même de l’Est étant très raisonnable, tous ont jugé qu’elle devait être généralement reçue, et j’ai promis que vous vous y soumettriez. Embrassez donc volontairement l’usage qui est établi à Rome, en Italie, en Afrique, en Égypte, en Espagne, en Gaule, en Angleterre, en Achaïe, dans le diocèse d’Asie et du Pont et en Cilicie. Considérez non seulement que le nombre de ces églises est plus grand que celui des autres, mais encore que leur usage est appuyé sur de solides raisons et que nous ne devons avoir rien de commun avec le parjure des Juifs. Je vous dirai pour employer moins de paroles que tous les évêques ont été d’avis de célébrer la fête de Pâques au même jour. Il ne doit pas y avoir différentes pratiques dans une grande solennité, et le plus sûr est de suivre l’usage qui est le plus éloigné de la société, de l’erreur et du crime.
Exhortation à la soumission au Concile.
« Obéissez avec joie à cet ordre. Car ce qui est ordonné par les saints évêques dans les conciles n’est ordonné que par la volonté de Dieu. Lorsque vous aurez fait savoir à nos très chers frères ce que je vous écris, vous résoudrez ensemble d’observer la très sainte fête de Pâques le même jour, afin que quand j’irai vous trouver, comme je le souhaite avec passion depuis longtemps, je puisse la célébrer avec vous et me réjouir de ce que la cruauté du diable a été surmontée par la puissance de Dieu et de ce que la paix et la vérité règnent par tout avec les fidèles. Que Dieu vous protège, mes chers frères. » L’empereur envoya dans les provinces plusieurs copies de cette lettre pour y faire voir comme un miroir sa piété envers Dieu et son zèle pour l’Église.
Constantin renvoie les évêques à leurs églises et leur donne de très bons avis.
Les évêques étaient sur le point de se séparer ; l’empereur les invita tous le même jour pour prendre congé d’eux, les exhorta à entretenir la paix, à éviter les disputes où il y avait de l’aigreur et à ne pas avoir de jalousie contre ceux qui s’élevaient au-dessus des autres ou par l’éminence de leur doctrine ou par la grandeur de leur éloquence, mais à considérer ces bonnes qualités comme le bien commun d’un seul. Il exhorta aussi ceux qui surpassaient les autres à ne pas les mépriser, en leur représentant qu’il n’appartient proprement qu’à Dieu de juger du mérite et de la vertu de chacun ; qu’il faut avoir d’autant plus de compassion pour les imparfaits que la perfection est plus rare ; qu’ils devaient se pardonner réciproquement leurs fautes légères et prendre tout le soin possible pour conserver la paix entre eux, de peur que la chaleur de leurs contestations ne fût un sujet de raillerie pour ceux qui ne cherchaient que l’occasion de discréditer la loi de Dieu ; que cependant il serait facile de sauver ces personnes-là en leur donnant de l’estime et de l’admiration pour les pratiques qui sont observées parmi nous ; qu’ils ne doutaient pas qu’il n’y eût beaucoup de personnes à qui l’éloquence ne sert de rien, que plusieurs souhaitent seulement recevoir ce qui leur est nécessaire pour leur subsistance, d’autres sont satisfaits d’être reçus et traités civilement, d’autres n’aiment que ceux qui leur font des cadeaux ; enfin qu’il y en a fort peu qui écoutent volontiers les avis les plus salutaires et qui cherchent sincèrement la vérité ; que ces raisons obligent de condescendre à la faiblesse de ceux avec lesquels on est obligé de vivre, de leur fournir comme un sage médecin ce qui leur est propre afin que la doctrine du salut soit respectée en général. L’empereur leur ayant représenté d’abord toutes ces choses, il les conjura de prier Dieu pour lui et leur accorda la permission de s’en retourner, ce qu’ils firent avec beaucoup de joie. La doctrine qui avait été arrêtée en présence de ce prince et de le reconnaissance commune de tous les évêques fut approuvée en général et ceux qui autrefois s’étaient divisés se rejoignirent pour ne plus faire qu’un seul corps.
Libéralité de Constantin.
L’empereur étant tout rempli de la joie que lui donnait l’heureux succès de l’assemblée des évêques, il écrivit comme je l’ai dit à ceux qui n’avaient pas pu s’y trouver afin de leur faire part des mêmes sentiments. Il commanda de distribuer de grandes sommes aux habitants des villes et de la campagne et célébra les jeux habituels pour la vingtième année de son règne.
Constantin écrit aux Égyptiens.
Pendant que les églises du reste du monde jouissaient d’un profond calme, celles d’Égypte étaient battues par la tempête. La violence avec laquelle elles s’agitaient apportait de la tristesse à l’empereur, sans toutefois exciter son indignation. Il envoya chercher les évêques de ce pays et, les ayant reçus avec respect comme ses pères et comme les prophètes de Dieu, il s’entremit pour les mettre d’accord et leur fit des cadeaux. Il leur écrivit ensuite dans le même sens où il leur avait parlé, leur recommanda l’observation de ce qui avait été ordonné dans le concile et les exhorta à garder entre eux la concorde en vue des jugements de Dieu.
Du soin que Constantin eut d’écrire d’autres lettres aux évêques et aux peuples.
Constantin écrivit un grand nombre de lettres semblables soit aux évêques pour leur représenter les besoins de l’Église, soit aux peuples fidèles qu’il appelait ses frères et ses conserviteurs pour les exciter à leur devoir. Je n’en dirai rien davantage ici de peur d’interrompre le cours de mon histoire.
Constantin ordonne de bâtir une église à Jérusalem.
L’ami de Dieu entrepris en Palestine une grande action digne de mémoire. Il jugea qu’il était de son devoir de rendre le lieu où le Sauveur ressuscita dans Jérusalem le lieu le plus célèbre et le plus vénérable qu’il y eut au reste du monde, et pour cet effet il ordonna qu’on y élevât une église, non pas par un raisonnement sans Dieu, mais par le mouvement de l’Esprit du Sauveur.
Tombeau du Sauveur couvert de pierres et profané par la statue d’Aphrodite.
Il y avait longtemps que les impies, ou plutôt les démons qui se servaient de leurs mains, avaient tâché d’abolir le monument d’où un ange, descendu du Ciel et tout éclatant de lumière, avait roulé une pierre et avait en même temps levé la pierre de l’incrédulité de dessus les cœurs durs et insensibles de ceux qui croient que le Sauveur était encore couché parmi les morts, quand il apprit aux femmes l’heureuse nouvelle de sa résurrection. Ces impies et ces profanes s’étaient follement imaginé qu’ils enseveliraient la vérité de ce mystère sous le même amas de terres et de matières dont ils combleraient ce sacré tombeau. Y ayant apporté une prodigieuse quantité, ils pavèrent la surface et élevèrent au-dessus un tombeau propre à recevoir, non les corps, mais les âmes. C’est ainsi que je parle d’une obscure caverne qu’ils bâtirent en l’honneur du démon de l’impureté sous le nom d’Aphrodite. Ils y offrirent depuis d’exécrables sacrifices. Ces misérables n’avaient pas assez de sens pour juger qu’il n’était pas possible que celui qui avait triomphé de la mort ne découvrît pas leur dessein, non plus qu’il n’est possible que le Soleil tourne dans le Ciel et qu’on ne voit pas ses rayons sur la Terre. La puissance du Sauveur avait déjà rempli la Terre de son éclat, bien qu’elle éclairât les esprits, alors que le Soleil n’éclaire que les corps. Cependant les desseins que les profanes et les impies ont faits contre la vérité ont réussi pendant un certain temps, et il ne s’est trouvé ni gouverneur de province, ni général d’armée, ni empereur, en somme, il ne s’est trouvé que le seul Constantin qui ait été capable de lever ce scandale et d’abolir cette abomination. Ce prince si agréable à Dieu et si rempli de Son esprit ne pouvant souffrir sans une extrême indignation qu’un lieu si saint eût été couvert d’ordures et comme enseveli dans l’oubli par un effet de l’artifice des ennemis de la foi, commanda de le nettoyer afin de le rendre le plus éclatant et le plus magnifique qu’il y eût sous le Soleil. Il n’eut pas plus tôt donné cet ordre que les édifices que la tromperie avait élevés et que la superstition avait consacrés au culte des démons furent rasés et que ce culte fut aboli.
L’empereur fait emporter les démolitions du temple de Vénus.
L’empereur ne se contenta pas d’avoir abattu le temple de l’idole de l’impureté. Il en fit jeter fort loin les démolitions et commanda même de creuser la terre qui avait été souillée par l’impiété des sacrifices et de la porter ailleurs.
Découverte du tombeau du Sauveur.
Ces ordres n’eurent pas plus tôt exécutés et on n’eut pas plus tôt creusé jusqu’à l’ancienne hauteur de la terre qu’on vit, contre toute attente, le très saint et très auguste tombeau d’où le Sauveur était autrefois ressuscité ; on admira dans la découverte de ce sanctuaire la plus fidèle et la plus vive image que l’on eût jamais pu désirer du mystère de sa glorieuse résurrection.
Ordres donnés pour bâtir une église.
Constantin donna à l’heure même les ordres nécessaires pour bâtir une magnifique église proche du lieu où était le Saint Sépulcre et ordonna aux gouverneurs des provinces de fournir les sommes dont on aurait besoin pour cet effet. Il écrivit sur la même question à l’évêque de Jérusalem et appuya fortement par sa lettre la foi en la Parole salvatrice.
Lettre de l’empereur Constantin à Macaire pour la construction d’une église en l’honneur de la mort du Sauveur.
« Constantin, Vainqueur, très grand Auguste, à Macaire. La grâce que le Sauveur nous fait est si extraordinaire et si admirable qu’il n’y a pas de paroles qui puissent l’exprimer dignement. En effet, qu’y a-t-il d’aussi admirable que l’ordre de sa Providence par lequel il a caché sous terre durant un si long espace de temps le monument de Sa passion jusqu’à ce que l’ennemi de la piété ait été vaincu et que ses serviteurs aient été mis en liberté ? Il me semble que quand on assemblerait tout ce qu’il y a de savants et d’orateurs dans le monde, ils ne pourraient jamais rien dire qui approche de la grandeur de ce miracle, parce qu’il est autant au-dessus de toute croyance que sa sagesse éternelle est au-dessus du raisonnement humain. C’est pourquoi je me propose d’exciter tous les peuples à embrasser la religion avec une ardeur égale à l’éclat des événements merveilleux par lesquels la vérité de la foi est confirmée de jour en jour. Je ne doute pas que comme ce dessein que j’ai est connu de tout le monde, vous ne soyez très persuadé que je n’ai pas de plus forte passion que d’embellir par de magnifiques bâtiments ce lieu qui, étant déjà saint, a été encore sanctifié par les marques de la passion du Sauveur et qui a été déchargé par la volonté de Dieu et par mes soins du poids d’une idole dont il avait été chargé.
Dessin magnifique de cette église.
« Je remets à votre prudence de prendre les soins nécessaires pour faire en sorte que les édifices surpassent en grandeur et en beauté tout ce qu’il y a de beau et de grand au reste du monde. J’ai donné charge à notre très cher Drakillios, vicaire des préfets du prétoire et gouverneur de la province, d’employer suivant vos ordres les plus excellents ouvriers à élever les murailles. Mandez-moi quels marbres et quelles colonnes vous désirez afin que je les fasse conduire. Car il est juste que le lieu le plus étonnant de l’Univers brille selon sa dignité.
Beauté du lambris.
« Je serais bien satisfait de savoir si vous jugez que l’église devrait être lambrissée ou non. Car si elle doit être lambrissée, on y pourra mettre de l’or. Faites savoir au plus tôt aux officiers que je vous ai nommés le nombre d’ouvriers et les sommes d’argent qui seront nécessaires, ainsi que les marbres, les colonnes et les ornements qui seront les plus beaux et les plus riches afin que j’en sois promptement informé. Que Dieu vous protège, mon cher frère. »
Construction de l’église.
Le projet contenu dans cette lettre fut suivi d’une prompte exécution, et on éleva tout de suite après à côté du sépulcre du Sauveur une nouvelle Jérusalem, vis-à-vis du lieu où avait été autrefois l’ancienne, dont Dieu avait permis la ruine en haine de l’impiété de ses habitants. L’empereur éleva contre elle un trophée pour conserver la mémoire de la victoire du Sauveur sur la mort que cette ville sacrilège lui avait fait souffrir. Cette église bâtie par Constantin est peut-être la nouvelle Jérusalem prédite par les prophètes et honorée du témoignage des livres saints. Le tombeau proche duquel l’ange avait autrefois annoncé le mystère de la résurrection fut avant toutes choses enrichi de divers ornements.
Description du Saint Sépulcre.
La magnificence de l’empereur parut d’abord dans la beauté des colonnes et des autres ornements dont il fit embellir la grotte sacrée.
Description des galeries.
Il s’occupa ensuite d’une place de vaste étendue, pavée de belles pierres et embellie de trois galeries élevées des trois côtés.
Description des murailles et de la couverture de l’église.
L’église fut bâtie du côté opposé à la grotte et exposé à l’orient. C’est un ouvrage admirable pour la hauteur, la longueur et la largeur. Le dedans était revêtu de marbre de diverses couleurs, et le dehors paré de pierres si polies et si bien jointes qu’elles ne cédaient guère au marbre en beauté. Le comble fut couvert de plomb, afin qu’il résiste plus aisément aux pluies de l’hiver. Le dedans fut lambrissé de menuiserie, et le lambris couvert d’un or qui jetait un merveilleux éclat dans toute l’église.
Description de deux galeries et de trois portes.
Il y avait aux deux côtés de l’église deux galeries, une basse et un haute, de même longueur que l’église elle-même, dont le dedans de la couverture était lambrissé et doré comme le reflet. À l’endroit du portail et au dehors, elles étaient soutenues de hautes colonnes, et au-dedans, elles n’étaient appuyées que sur des bases carrées, embellies de quantité d’ornements. Il y avait trois portes du côté de l’orient.
Description du demi-cylindre au-dessous duquel était l’autel.
Vis-à-vis de ces trois portes était comme un hémisphère qui est la partie principale de tout l’édifice. Il était entouré d’autant de colonnes qu’il y a d’apôtres. Au haut de chaque colonne, il y avait de grandes corbeilles d’argent que l’empereur avait données en l’honneur de ces douze saints et qu’il avait consacrées à Dieu.
Description de l’entrée et du vestibule.
En sortant de l’église, on trouvait une grande place à ciel ouvert, aux deux côtés de laquelle il y avait deux galeries, et une première cour entourée de portiques. Puis il y avait des portes, puis une place et une autre place beaucoup plus grande où se tenait le marché et d’où on découvrait avec admiration la beauté de tous ces bâtiments.
Multitude de présents faits à cette église par l’empereur.
Cette église si magnifique ayant été élevée pour servir de monument glorieux de la résurrection du Sauveur, elle fut embellie de présents d’or, d’argent et de pierres précieuses, dont je n’ai pas le loisir de décrire ici la multitude et la beauté.
Construction de deux autres églises.
L’empereur entreprit d’embellir deux autres lieux, qui avaient été consacrés par l’accomplissement de deux grands mystères. Le premier était la grotte où le divin Sauveur eut la bonté de se revêtir d’une chair mortelle et de se rendre visible aux hommes. Le second était la montagne d’où il s’éleva au Ciel. Constantin rendit fort célèbre le nom d’Hélène sa mère, par la magnificence des bâtiments, dont il consentit qu’elle ornât, du fond du trésor impérial, les deux lieux dont je parle.
Voyage d’Hélène à Bethléem.
Cette impératrice, dont la prudence était tout à fait singulière, avait résolu de rendre à Dieu, comme au souverain de tous les princes, l’humble hommage de ses prières et de Lui donner des marques de la reconnaissance qu’elle avait de tant de faveurs dont Il avait comblé l’empereur Constantin, et les Césars ses petits-fils. Elle alla avec une merveilleuse ardeur dans un âge fort avancé visiter les saints lieux, et elle pourvut en passant aux besoins des provinces et des villes d’Orient. Elle rendit à Dieu ses respects au lieu qui avait été consacré par la présence de Son Fils, selon ce que le Prophète l’avait prédit par ces paroles : « Nous entrerons dans son temple ; nous nous prosternerons au lieu qui lui sert de marchepied. » Aussi elle reçut bientôt après la récompense de sa piété.
Description de deux églises de Bethléem.
Elle ne se contenta pas d’avoir présenté à Dieu dans les saints lieux le tribut de son adoration et de son culte. Elle éleva deux églises en Son honneur, l’une proche de la grotte au lieu où le Sauveur était né et l’autre sur la montagne d’où Il était monté au Ciel. Car Dieu qui est avec nous a bien voulu naître pour nous sur la terre, et le lieu où Il est né a été appelé Bethléem par les Juifs. La très pieuse impératrice n’oublia rien de ce qu’elle put fait pour honorer l’enfantement de la Vierge, et Constantin, son fils, désirant féconder sa piété et sa magnificence, il envoya quantité de cadeaux d’or, d’argent et d’étoffes précieuses au lieu où ce mystère avait été accompli. La même princesse fit élever un superbe édifice sur le mont des Oliviers en l’honneur de la triomphante ascension de notre Sauveur. L’histoire assure que ce fut dans une grotte de cette montagne qu’il révéla les saints mystères à ses apôtres. L’empereur embellit aussi ce lieu-là d’un grand nombre de présents. Après qu’Hélène, cette mère aimée de Dieu de l’empereur aimé de Dieu, eut avec le secours et la libéralité de ce prince, son fils, laissé ces deux monuments de sa dévotion envers le Sauveur, près de ces deux grottes qu’il avait autrefois consacrées par Sa présence et par l’accomplissement des plus saints mystères de notre salut, elle reçut bientôt la récompense de ses bonnes œuvres. Elle fut heureuse dans toute sa vie et jusqu’à une extrême vieillesse. Elle fit paraître dans sa bouche et dans ses mains de dignes fruits de la vertu ; elle conserva une parfaite vigueur de corps et d’esprit, eut une fin dont le bonheur répondait parfaitement à la pureté de ses mœurs et reçut dès cette vie le commencement de sa récompense.
Grandeur de courage et libéralité d’Hélène.
En traversant l’Orient, elle fit des largesses extraordinaires aux communautés et aux particuliers, aux officiers de l’armée et aux soldats. Elle subvint généreusement aux besoins de toute sorte de personnes, donnant de l’argent aux uns, des habits aux autres, délivrant ceux-là de prison et tirant ceux-ci du travail des mines, rappelant quelques-uns des lieux où ils avaient été exilés et protégeant les faibles contre les puissants qui voulaient les opprimer.
Éloge de la piété d’Hélène.
L’application avec laquelle elle exerçait ces œuvres de charité ne l’empêcha pas de s’acquitter très exactement des devoirs de piété envers Dieu. Elle allait très assidument aux églises, les parait de divers ornements et ne négligeait pas la moindre chapelle des petites villes. C’était une chose merveilleuse de la voir au milieu du peuple avec un habit simple et modeste dans tous les exercices de la religion chrétienne.
Testament d’Hélène, et sa mort.
Lorsqu’après une longue suite d’années, Dieu trouva bon de l’appeler à un état plus heureux, elle fit à l’âge de quatre-vingts ans son testament et laissa comme héritiers Constantin, son fils l’empereur de l’Univers, et les Césars ses petits-fils, auxquels elle partagea les biens qu’elle possédait en diverses parties du monde. Elle mourut bientôt après en présence de l’empereur qui lui rendit toute sorte de devoirs en cette dernière occasion, en l’embrassant et en lui tenant les mains. Ceux qui jugeaient sainement en cette occasion regardaient sa mort comme un passage d’une vie mortelle et misérable à une vie immortelle et bienheureuse. Son âme étant donc parvenue à un état incorruptible et spirituel comme celui des anges, elle fut élevée à son Sauveur.
Funérailles d’Hélène. Respect que Constantin avait eu pour elle pendant toute sa vie.
On lui rendit de grands honneurs après la mort. Son corps fut porté au milieu des gardes à la ville impériale et mis dans le tombeau impérial. Ainsi mourut cette princesse, qui pour avoir fait tant d’actes de piété et avoir donnée au monde un aussi grand empereur que Constantin, mérite de vivre éternellement dans la mémoire des hommes. Il n’y a presque pas de circonstance dans sa vie qui ne donne sujet de publier qu’il était heureux, mais il n’y a rien qui fournisse un fondement si raisonnable de le faire que la tendresse et la déférence qu’il a toujours eues pour l’impératrice Hélène sa mère. Il l’instruisit si bien des maximes de notre religion, dont elle n’avait auparavant nulle connaissance, qu’il semblait qu’elle les eut apprises de la bouche du Sauveur même. Il lui fit rendre de si grands honneurs qu’il n’y avait personne dans les provinces, non pas même les gens de guerre, qui ne la saluaient en qualité d’impératrice et que son effigie était gravée sur la monnaie d’or. Il lui donna une liberté absolue de disposer, comme il lui plairait, des fonds du trésor public, ce qui fit qu’elle fut extrêmement considérée par tout l’empire et que tout le monde l’estima fort heureuse. Comme le soin que Constantin a pris de s’acquitter exactement des devoirs auxquels Dieu a obligé les enfants envers leurs père et mère contribue notablement à l’honneur de sa mémoire, je n’ai eu garde d’omettre d’en parler en cet endroit. Il fit bâtir en Palestine tous les beaux ouvrages que nous avons vus. Il éleva aussi quantité d’églises fort magnifiques dans les autres provinces et les embellit de plus riches ornements que n’étaient celles qui avaient été faites auparavant.
Églises bâties dans Constantinople pour honorer la mémoire des martyrs.
Constantin ayant résolu de rendre aussi célèbre qu’il serait possible la ville, à laquelle il avait donné son nom, il fit bâtir aux faubourgs et dans l’enceinte des murailles, un grand nombre de chapelle et d’oratoires tant pour honorer la mémoire des martyrs que pour mettre la ville même sous la protection du Dieu des martyrs. Le zèle de la sagesse, duquel il brûlait, lui inspira le destin d’abolir l’idolâtrie dans Constantinople de sorte que l’on n’y adorât plus les statues des dieux, que l’on n’y répandit plus de sang, que l’on n’y consumât plus la chair des victimes, que l’on n’y célébrât plus de fête en l’honneur des démons et que l’on n’y observât plus aucune cérémonie superstitieuse.
Images du Bon Pasteur. Portrait de Daniel. Peintures de la croix.
On voyait aux fontaines qui sont au milieu du marché des images du Bon Pasteur, qui sont des images fort connues de ceux qui ont lu l’Écriture. On y voyait aussi l’effigie de Daniel avec les lions auxquels il fut exposé. Elle était de cuivre doré. L’amour de Dieu était si ardent dans le cœur de l’empereur qu’il fit mettre dans le lambris de la plus belle chambre de son palais un grand tableau de la croix, enrichi d’or et de pierreries. Et je me persuade que l’empereur aimé de Dieu le regardait comme un puissant rempart contre les entreprises des ennemis de l’Empire.
Églises bâties à Nicomédie et à Antioche.
L’empereur ne se contenta pas d’élever tous les superbes édifices que je viens de décrire dans la ville à laquelle il avait donné son nom, il fit bâtir une église très belle et très magnifique dans la capitale de Bithynie, et il y érigea le trophée de la victoire qu’il avait remporté sur les ennemis de Dieu. Il embellit de plusieurs églises les principales villes de chaque province. Il en fit bâtir une très considérable par sa grandeur, par la hauteur et par la beauté dans la célèbre ville d’Antioche, métropole de l’Orient. Elle avait huit côtés, et était accompagnée de quantité de bâtiments tant hauts que bas. Il serait difficile de décrire la variété des ornements en or, en cuivre, et en autres matières précieuses dont elle éclatait de toutes parts.
Église bâtie à Mambré.
Voilà les édifices les plus remarquables de l’empereur. Ayant appris que le Sauveur en l’honneur duquel il avait élevé un si grand nombre d’églises dans toute l’étendue de l’Empire était autrefois apparu en Palestine à des hommes d’une singulière piété, proche du chêne de Mambré, il ordonna d’en élever une dans ce même lieu. Il écrivit pour cela aux gouverneurs des provinces et leur ordonna d’apporter toute la diligence possible pour achever l’ouvrage en peu de temps. Il m’écrivit sur le même sujet une belle lettre ou plutôt une grave remontrance, par laquelle il me reprocha les abus qui se commettaient en ce lieu-là. J’insèrerai ici la pièce entière, pour faire connaître l’ardeur du zèle, dont il brûlait pour la religion.
Lettre de Constantin à Eusèbe.
« Constantin, Vainqueur, très grand Auguste, à Macaire et aux autres évêques de Palestine. Parmi les faveurs que vous avez reçues de notre très sainte belle-mère, une des plus considérables est de loin qu’elle a pris de nous avertir d’un abus qui se commettait parmi vous, afin que nous y apportions un remède, d’autant plus prompt qu’il est nécessaire. C’est une horrible impiété de souiller les saints lieux par de profanes cérémonies. Il est certainement étrange, mes très chers frères, que j’aie appris par les lettres de ma belle-mère un désordre qui était échappé à votre vigilance.
Le Sauveur est apparu à Abraham près du chêne de Mambré.
« On dit que certaines personnes profanent par leurs superstitions un lieu qui est proche du chêne de Mambré et que nous savons avoir été autrefois sanctifié par la demeure d’Abraham. Ils y ont élevé un autel et une statue, et ils y offrent sans cesse d’abominables sacrifices. Cette superstition étant contraire à la piété de mon règne et indigne de la sainteté du lieu, je suis satisfait que vous sachiez que j’ai ordonné au comte Akakios, mon ami, de prendre soin que les statues qui se trouveront en ce lieu-là soient brûlées immédiatement, que l’autel soit renversé et que ceux qui feront assez audacieux pour y commettre quelque impiété au préjudice de cette défense soient punis selon l’atrocité de leur crime. J’ai aussi commandé que l’on élevât au même lieu une église où les saints puissent s’assembler. S’il se passe quelque chose de contraire à cet ordre, ne manquez pas d’en avertir ma clémence à l’heure même afin que les coupables soient punis du dernier supplice. Vous savez que le Dieu et le Seigneur de tous les hommes fit l’honneur à Abraham de lui apparaître en ce lieu-là et de l’entretenir ; que ce fut là où le Sauveur se montra à lui avec deux anges où il Lui promit qu’il serait père d’une nombreuse postérité et où Il accomplit sa prophétie ; que ce fut là où la loi de Dieu commença à être observée. C’est pourquoi je me tiens obligé non seulement de conserver ce lieu-là exempt de toute sorte de corruption, mais de le rétablir dans sa première sainteté, de sorte qu’il soit consacré au seul culte de Dieu. Je ne doute pas que vous ne secondiez en cela mes intentions, puisqu’en les secondant vous vous acquitterez d’un devoir indispensable de votre profession. Que Dieu vous protège, mes chers frères. »
Démolition des temples.
Constantin travaillait ainsi avec une application infatigable à l’avancement de la gloire de Dieu, à l’établissement de son culte, à la destruction de l’erreur et à l’extinction de l’idolâtrie. Il y eut des temples dont il fit ôter les portes. Il y en eut d’autres qu’il fit découvrir afin qu’étant exposés aux pluies et aux autres injures des saisons, ils tombent en ruine. Il y en eut d’où il fit tirer des statues de bronze, que l’erreur de l’antiquité avait consacrées et dont elle avait parlé avec des termes qui marquaient beaucoup d’estime et de respect, et les laissa exposées aux yeux du public dans les places de Constantinople. Le peuple regardait d’un côté Apollon Pythien, de l’autre Apollon Sminthien ; les trépieds de Delphes étaient dans le cirque ; les Muses avaient été transférées de l’Hélicon au palais. Enfin, toute la ville impériale était remplie de statues de bronze, qui avaient été faites par les plus excellents ouvriers et consacrées dans les provinces par la superstition des peuples. Mais après que ces peuples leur ont immolé un nombre innombrable de victimes comme à des divinités, pendant qu’ils étaient comme accablés de la maladie de l’erreur qui était alors la maladie générale du genre humain, ils ont enfin reconnu, quoique fort tard, combien ils s’étaient trompés, quand l’empereur a exposé ces mêmes statues aux railleries et au mépris des spectateurs. Pour ce qui est des statues d’or, voici de quelle manière il en ôta l’usage. Sachant que ces ouvrages, faits avec beaucoup d’art à partir de plus riches matières que la nature a proposées à la cupidité, étaient comme des pierres qui faisaient tomber les faibles et les aveugles, il se résolut de les ôter et de rendre le chemin libre et sûr. Il ne se servit pour cet effet de la valeur ni de la force des gens de guerre ; il n’employa que la prudence et l’adresse de quelques-uns de ses amis qu’il envoya secrètement dans les provinces. Ils passèrent à travers la foule des idolâtres, sans être couverts d’autres armes que de la piété de l’empereur et de leur propre zèle pour la foi, et abolirent entièrement les plus anciennes erreurs. Ils obligèrent d’abord les prêtres païens à présenter leurs idoles et à les tirer des lieux les plus secrets où ils les avaient cachées. Il dépouillèrent ensuite ces idoles de leurs ornements et découvrirent leur laideur à tout le monde. Enfin, ils mirent à part ce qu’elles avaient de plus précieux, fondirent l’or et l’argent pour le garder et laissèrent aux païens ce qui n’était d’aucune valeur. L’empereur fit transporter au même temps les statues qui n’étaient que de cuivre ou de bronze. Ainsi ces dieux, autrefois célébrés si fortement par les fables de la Grèce, furent liés et traînés comme esclaves.
Démolition d’un temple de Phénicie.
L’empereur recherchait avec un soin merveilleux jusqu’aux moindres restes de l’erreur. Il découvrit de son palais un piège dressé au salut des âmes dans un coin de la Phénicie, de la même façon que l’aigle découvre du haut du Ciel ce qui se passe sur la terre. C’était un bois et un temple consacré à l’honneur d’un infâme démon, sous le nom d’Aphrodite, non dans une place publique, pour servir d’ornement à une grande ville, mais à Aphaka dans un endroit fort désert du mont Liban. On y tenait une école ouverte d’impudicité. Il y avait des hommes qui, renonçant à la dignité de leur sexe, s’y prostituaient comme des femmes et qui croyaient se rendre la divinité propice par l’infamie de cette monstrueuse corruption. C’était un lieu privilégié pour commettre impunément l’adultère et d’autres abominations. Personne n’en pouvait arrêter le cours, puisque personne ne pouvait entrer en ce lieu-là pour peu qu’il eut d’honnêteté et de retenue. L’empereur en ayant eu connaissance, il jugea que ce temple ne méritait pas d’être éclairé des rayons du Soleil et commanda qu’il fut démoli, que les statues fusses brisées et les ornements enlevés. Cet ordre fut exécuté à l’heure même par des soldats et ceux qui avaient été autrefois les plus adonnés à la débauche changèrent de mœurs de peur d’être châtiés avec la rigueur dont l’empereur les menaçaient. Les païens même reconnurent l’extravagance de leur superstition et s’abstinrent des excès les plus blâmables.
Démolition du temple d’Asklépios.
Grande était l’erreur dont un nombre de personnes étaient prévenues, soit qu’un démon de Cilicie avait la vertu de guérir les maladies les plus dangereuses, bien que ce ne fût qu’un imposteur qui se jouait de la simplicité des peuples. L’empereur qui s’était proposé d’autoriser le culte de Dieu et de n’en souffrir aucun autre commanda d’abattre le temple. À l’heure même, cet édifice, qui avait été regardé avec admiration par les nobles philosophes, fut abattu par les mains des moindres soldats. Celui qui avait si longtemps trompé les hommes en promettant de les guérir ne trouva pas de remède pour lui-même en cette rencontre, pas plus qu’il n’en trouva lorsqu’il fut frappé de la foudre, comme les poètes l’ont feint. Le coup que Constantin lui donna n’eut rien de feint, ni de fabuleux. Il renversa le temple de telle façon qu’il ne resta aucun vestige de la folie d’autrefois.
Conversion des païens.
Tous ceux qui avaient été les plus superstitieux virent leur erreur découverte, les temples démolis et les statues renversées ; les uns embrassèrent la doctrine du Sauveur, et ceux qui ne voulurent pas l’embrasser condamnèrent la vanité des croyances de leurs pères et se moquèrent de ceux qu’ils avaient autrefois adoré comme des dieux. Comment pouvaient-ils ne pas penser de s’en moquer puisqu’ils voyaient les ordures qui avaient été longtemps cachées sous la beauté extérieure de ces figures ? Ils ne voyaient au-dedans que des os pourris, que des lambeaux d’étoffes, que de la paille et du foin. Quand ils virent qu’au-dedans de ces statues, il n’y avait ni aucun démon qui rendit des oracles, ni aucun dieu qui prédit l’avenir, ni aucun fantôme noir et ténébreux qui put être vu, ils condamnèrent leur folie et celle de leurs ancêtres. Voilà pourquoi il n’y eut pas de caverne si obscure ni si profonde où n’entrèrent ceux que l’Empereur avait envoyés, et il n’y eut pas de lieux inaccessibles et interdits des temples où les soldats n’entrèrent pas : devint claire et manifeste pour tous la faiblesse de la pensée qui avait dominé longtemps sur les nations.
Démolition d’un temple d’Aphrodite. Construction d’une église.
Cette action est sans doute une des plus belles de Constantin, bien qu’il en ait fait un grand nombre de semblables dans les provinces. J’en raconterai ici une qu’il fit à Héliopolis, ville de Phénicie. Les païens de cette ville révérant publiquement la débauche, sous le nom d’Aphrodite, ils permettaient à leurs femmes et à leurs filles de se prostituer impunément. L’empereur ayant été choisi par Dieu pour enseigner la retenue et la continence à toute la terre, il défendit à ces peuples de continuer dans ce prodigieux dérèglement et, faisant envers eux par ses lettres la fonction de prédicateur, il les exhorta à recevoir la lumière de la foi et à reconnaître le Dieu véritable. Il ne se contenta pas de leur annoncer de la sorte la doctrine de l’Évangile ; il fit élever au milieu de leur ville un superbe édifice et le consacra aux exercices de notre religion. Ainsi on vit un miracle nouveau et qui jusqu’alors avait été inouï. Une multitude de personnes attachées à la superstition païenne fut changée, en un moment, en une assemblée de fidèles gouvernée par des diacres, des prêtres et un évêque. L’empereur fit distribuer de grandes sommes dans la même ville pour le soulagement des misérables, à dessein de les attirer par cette libéralité à l’Évangile, selon cette pensée de celui qui a déclaré : « Pourvu que Jésus Christ soit annoncé, que ce soit sous un prétexte ou en se réclamant de la vérité *. »
Tumulte excité dans la ville d’Antioche.
Pendant que la religion chrétienne s’établissait de la sorte parmi tous les peuples et que l’Église goûtait les fruits de la paix, l’Envie qui fait son mal du bien des autres ne manqua pas de troubler notre prospérité. Elle espéra que l’aigreur de nos disputes et l’excès de nos désordres exciteraient contre nous l’indignation de l’empereur. Dans cette espérance, elle alluma dans Antioche le feu d’un furieuse consternation et remplit l’église de cette ville de troubles aussi tragiques que ceux que les poètes profanes font paraître sur les théâtres. Les fidèles se divisèrent en deux partis, et le reste des habitants, les magistrats et les gens de guerre prirent les armes les uns contre les autres et en seraient venus aux mains, s’ils n’avaient été retenus par un ordre secret de la Providence et par l’appréhension d’exciter la colère de l’empereur. Ce prince arrêta, comme un sage médecin, le cours de ce mal par sa douceur naturelle. Il envoya à cette ville un homme d’une fidélité éprouvée, qui apaisa l’émotion par la prudence et écrivit lui-même plusieurs lettres pour exhorter les habitants à la paix, et à la modestie chrétienne ; il les excusa en quelque sorte et rejeta la faute de ce qui était arrivé sur celui qui en avait été le principal auteur. Je rapporterais ici ses lettres entières à cause des enseignements salutaires qu’elles contiennent, si je n’appréhendais de laisser quelque tache à la réputation de ceux qui avaient excité le désordre, dont je ne veux pas rappeler la mémoire. Je ne rapporterai que celle où il témoigne sa joie du rétablissement de la bonne intelligence et où il exhorte les habitants à ne pas souhaiter pour pasteur l’évêque d’une autre ville par l’entremise duquel ils s’étaient réconciliés, mais de choisir plutôt, selon la coutume, celui que le Sauveur leur destinerait. Voici les termes de sa lettre.
Lettre de Constantin aux habitants d’Antioche par laquelle il leur ordonne de laisser Eusèbe à Césarée et d’élire un autre évêque que lui.
« Constantin, Vainqueur, très grand Auguste, au peuple d’Antioche. Comme l’union qui est établie parmi vous a été agréable aux personnes les plus intelligentes et les plus éclairées à l’Intelligence et la Sagesse de l’Univers, votre manière de vivre, votre zèle pour la religion et votre affection à mon service me donnent pour vous une affection indissoluble et inviolable. La prudence de la conduite est la source de tous les biens, dont on jouit dans le cours de cette vie. Qu’y a-t-il qui vous convienne si fort que cette prudence ? Ne vous étonnez donc pas que je dise que l’amour de la vérité a plus servi à procurer votre conservation qu’à attirer sur vous la haine. Qu’y a-t-il de si souhaitable et de si estimable parmi des frères qui marchent ensemble dans le même chemin de la justice et qui tendent au même lieu du repos que Dieu leur a promis qu’être dans une parfaite union d’esprits et de volonté ? La perfection que Dieu exige de ceux qui font profession de la loi et le désir que j’ai de voir le choix que vous avez fait confirmé par de saintes œuvres, vous oblige à entretenir cette union. Si vous vous étonnez de cet exorde et que vous n’en découvriez pas le dessein, je vous l’expliquerai très volontiers. Les témoignages avantageux, que les actes que j’ai lus, rendent à Eusèbe évêque de Césarée, dont il y a longtemps que je connais la profonde doctrine, jointe à une singulière modestie, et les éloges extraordinaires qu’ils font de son mérite m’ont découvert le désir que vous avez de l’élire pour votre évêque. Quelles pensées croyez-vous que j’ai eu sur ce sujet, quand j’ai examiné les règles de la vérité et de la justice ? Quelle inquiétude vous figurez-vous que ce dessein que vous avez m’ait apportée ? Ô sainte foi, qui nous as prescrit par la bouche du Sauveur la forme de notre conduite, que tu serais dure et fâcheuse pour les pécheurs, si tu ne refusais d’agir par le motif de tes intérêts ! Il me semble que celui qui préfère la paix à toute chose se met au-dessus de la victoire même. Il n’y a personne qui ne soit bien aisé de la remporter. Mais il est encore plus honnête de s’en priver, de peur de blesser la justice. Je vous prie, mes très chers frères, de me dire pourquoi vous prenez une résolution qui est injurieuse à d’autres ? Pourquoi formez-vous des desseins qui sont contraires à la piété dont vous faites profession ? J’estime extrêmement cet évêque, pour qui vous témoignez tant d’amour et tant de respect. Mais il ne faut pas mépriser à cause de lui des lois qui ont été généralement reçues, troubler les autres dans la possession de leur biens et faire un choix odieux, comme si l’on ne pouvait trouver, non un, ou deux ecclésiastiques, mais plusieurs aussi dignes qu’Eusèbe pour être placés sur la chaise épiscopale d’Antioche. Quand on procède sans violence à l’élection des dignités ecclésiastiques, on trouve tous les sujets égaux. L’examen que l’on fait des qualités de quelqu’un ne doit pas être injurieux aux autres. Bien que tous les esprits n’aient pas la même élévation, ils ont tous la même connaissance des commandements de Dieu et la même inclination à les observer. Si nous voulons avouer franchement la vérité, ce que vous avez fait n’est pas retenir un évêque, c’est l’enlever ; ce n’est pas une action de justice, c’est une violence et un attentat. De quelque sentiment dont le peuple soit prévenu sur ce sujet, je dirai hardiment que cette entreprise a donné lieu à de mauvais bruits et qu’elle a excité d’horribles tempêtes. Les brebis oublient leur douceur naturelle et donnent des marques de colère, lorsqu’elles se voient abandonnées par leurs pasteurs. Que si je ne me trompe pas en ceci, je vous prie de considérer les avantages que vous acquerrez en renonçant au dessein d’enlever Eusèbe. Vous conserverez l’amitié des habitants de Césarée. Eusèbe, qui a fait un voyage à votre ville par une intention très louable, aura eu l’avantage que sa vertu ait été honorée par le choix que vous avez voulu faire de sa personne et que vous aurez la gloire de vous maintenir en possession de votre ancienne coutume, si vous apportez tous les soins, dont vous êtes capables, pour chercher sans bruit, sans tumulte, sans sédition, un évêque tel qu’il vous est nécessaire. Ces clameurs sont toujours injustes. Ce sont des étincelles qui excitent des incendies. Que je puisse être aussi avant dans la grâce de Dieu ; que je puisse être aussi bien dans vos esprits et dans vos cœurs ; que je puisse être aussi heureux dans tout le cours de ma vie ; que je vous aime, et que je vous souhaite un parfait repos. Renoncez aux contestations. Rétablissez parmi vous la bonne intelligence avec la pureté des mœurs, élevez l’étendard de la paix, et conduisez votre vaisseau avec un gouvernail aussi ferme que le fer vers la lumière céleste. Chargez-le de marchandises incorruptibles. Tout ce qui pouvait le corrompre en a été ôté. Conservez avec soin les biens que vous possédez, n’entreprenez rien légèrement. Mes frères aimés, que Dieu vous garde. »
Lettre de Constantin à Eusèbe par laquelle il le loue d’avoir refusé l’évêché d’Antioche.
« Constantin, Vainqueur, très grand Auguste, à Eusèbe. J’ai lu plusieurs fois votre lettre, et j’ai reconnu que vous avez très exactement observé la discipline de l’Église. C’est l’effet d’une singulière piété de demeurer ferme dans le sentiment qui est le plus conforme à la volonté de Dieu et à la tradition des Apôtres. Vous devez vous tenir heureux d’avoir été estimé, par le jugement de presque tout l’univers, digne du gouvernement de toute l’Église. Le désir que tous les peuples témoignent d’être sous votre conduite fait le comble de ce bonheur. Vous avez agi sans doute avec beaucoup de prudence quand, suivant les commandements de Dieu et la discipline des Apôtres, vous avez refusé l’évêché d’Antioche et avez mieux aimé demeurer dans celui où vous avez été établi dès le commencement par l’ordre de Dieu. J’ai envoyé une réponse au peuple et aux évêques, vos collègues, qui m’avaient écrit sur ce sujet. Quand votre pureté verra mes lettres, elle reconnaitra aisément que je les ai écrites par le mouvement de l’Esprit de Dieu et que le dessein de ces peuples était contraire à la justice. Il faudra que votre conscience assiste à leurs assemblées, afin que la résolution que vous avez prise, y soit confirmée. Que Dieu te garde, frère aimé. »
Lettre de Constantin au Concile par laquelle il défend de transférer Eusèbe de Césarée à Antioche.
« Constantin, Vainqueur, très grand Auguste, à Théodote, Théodore, Narcisse, Aétios, Alphéios et autres évêques qui sont à Antioche. J’ai lu la lettre que votre prudence m’a écrite, et j’ai reconnu la sage résolution d’Eusèbe, votre collègue. Après avoir été instruit très exactement, tant par vos lettres que par celles des très illustres Akakios et Stratégios, de ce qui s’est passé dans l’assemblée et y avoir fait une très sérieuse réflexion, j’ai recommandé au peuple d’Antioche ce qui m’a paru plus conforme à la volonté de Dieu et à l’ordre de l’Église. J’ai fait ajouter à la fin de cette lettre, la copie de celle que je leur ai adressée, afin que vous puissiez connaître ce que l’équité m’a obligé de leur écrire parce que vous demandiez avec eux que le très saint Eusèbe fut transféré du siège de Césarée à celui d’Antioche. La lettre d’Eusèbe semble fort conforme aux saints canons. Mais il est à propos que vous sachiez aussi quel est mon sentiment. J’ai appris qu’Euphronius, prêtre et citoyen de Césarée en Cappadoce et Georges, prêtre et citoyen d’Aréthuse, ordonné par Alexandre, évêque d’Alexandrie, sont deux hommes qui tiennent une saine doctrine. Proposez-les avec les autres qui seront jugés dignes d’être élevés à la dignité épiscopale, et faites une élection conforme à la tradition apostolique. Mes frères aimés, que Dieu vous garde. »
Soins pris par Constantin pour l’extirpation des hérésies.
Voilà ce que l’incomparable empereur écrivit aux saints pasteurs pour les exhorter à procurer la paix à l’Église. Quand il eut assoupi les disputes et établi l’uniformité de la doctrine, il entreprit d’exterminer un autre genre d’athéisme. Il envoya ordre au gouverneurs des provinces de poursuivre et de chasser des hommes qui ravageaient la bergerie sous une fausse apparence de modestie et de gravité de faux prophètes, que le Sauveur appelle « des loups ravissants couverts de peaux de brebis, et dont la cruauté ne paraît que par leurs actions, qui font les fruits de leur cœur. » Il ne se contenta pas de faire expédier ces ordres contre eux ; il leur envoya un discours, par lequel il les exhortait à changer de sentiment, et à revenir à l’Église, comme au port de leur salut. Écoute comment il leur parle dans la lettre qu’il leur a adressée.
Constitution de Constantin contre les hérétiques.
« Constantin, Vainqueur, très grand Auguste, aux hérétiques. Novatiens, Valentiniens, Marcionites, Pauliens, Cataphrygiens et tous les autres, qui enseignez des doctrines nouvelles dans des assemblées particulières, apprenez par cette loi la vanité et la fausseté de vos opinions et la malignité du poison, par lequel vous infectez les âmes et leur donnez la mort. Vous êtes les ennemis de la vérité et de la vie. Vos conseils sont pernicieux et ne tendent qu’au vice et à la corruption, à l’oppression de l’innocence et à la ruine de la foi. Vous commettez continuellement des péchés, sous prétexte de rendre service à Dieu, vous faites des blessures mortelles à des consciences innocentes, et vous ôtez la lumière aux yeux qui la cherchent. La multitude et l’importance de mes occupations ne me permettent pas de faire une plus longue, ni une plus exacte énumération de vos crimes. Ils sont si énormes, atroces, si infâmes qu’il me faudrait plus d’un jour pour les décrire. Je suis même bien aise d’en détourner ma pensée, de peur de corrompre la pureté de ma foi. Comment souffrirais-je plus longtemps ce désordre, puisque ma patience est cause que ceux qui se portent bien sont attaqués de ce mal contagieux ? Pourquoi n’en arracherais-je pas la racine ?
Constantin défend aux hérétiques de s’assembler.
« Votre impiété ne peut plus être supportée. Nous vous défendons par cette loi de faire à l’avenir des assemblées, que ce soit en public ou en particulier, et nous ordonnons que tous les lieux où vous les faisiez par le passé vous soient ôtés. Que ceux d’entre vous qui recherchent de bonne foi la pureté de la religion reviennent au sein de l’Église et qu’ils rentrent dans la saine communion où ils trouveront la vérité. On ne doit pas souffrir dans un siècle aussi heureux que le nôtre les impostures dont le schisme et l’hérésie usent pour tromper les âmes simples. Il est bien plus juste de faire en sorte que ceux qui vivent dans l’espérance des biens célestes reviennent de leur égarement, qu’ils retournent des sentiers écartés au droit chemin, des ténèbres à la lumière, de la vanité à la vérité, de la mort à la vie. Pour cet effet, nous avons ordonné, comme nous l’avons déjà dit, que les oratoires des hérétiques, si toutefois on les peut appeler oratoires, soient donnés à l’Église catholique, et que les autres lieux où vous vous assembliez, soient confisqués, sans que vous puissiez vous assembler en aucun à l’avenir, soit en particulier, ou en public. Que cette loi soit publiée. »
Livres trouvés entre les mains des hérétiques. Conversion de plusieurs d’entre eux.
Les assemblées des hétérodoxes ayant été dissipées par l’autorité de cette loi et ces bêtes cruelles mises en fuite, une partie de ceux qu’ils avaient trompés, ayant été épouvantés par les menaces de l’empereur, dissimulèrent lâchement leurs sentiments et rentrèrent de mauvaise foi dans l’Église. Comme il avait été ordonné que les livres des hérétiques seraient recherchés, on arrêta quantité de personnes qui s’adonnaient à des arts défendus. Et ces gens-là usaient de toute sorte de déguisements pour éviter la punition de leurs crimes. Il y en eut d’autres qui se convertirent très sincèrement. Les évêques examinèrent les uns et les autres avec tous les soins possibles. Ils chassèrent ceux qui avaient usé de l’artifice de se couvrir de peaux de brebis, pour se faire recevoir, et à l’égard de ceux qui s’étaient présentés de bonne foi, ils les admirent à la communion, après les avoir éprouvés pendant quelque temps. Voilà la conduite qui fut tenue envers les hétérodoxes. Ceux qui ne tenaient aucune doctrine contraire à celle de l’Église et qui n’en avaient été séparés que par la faute des schismatiques y furent réunis à l’heure même. Ils retournèrent à leur patrie céleste, après un long exil, et reconnurent leur divine Mère, après une longue absence. Voilà comment les membres se rejoignirent pour ne faire plus qu’un même corps. Voilà comment l’Église catholique demeura seule, sans aucune assemblée d’hérétiques ou des schismatiques, et ce merveilleux changement fut l’ouvrage de ce seul empereur chéri de Dieu.