(15) N'est-il donc point absurde que les Grecs s'aveuglent ainsi en croyant être seuls à connaître l'antiquité et à en rapporter exactement l'histoire ? Et ne peut-on point facilement apprendre de leurs historiens mêmes que, loin d'écrire de science certaine, chacun d'eux n'a fait qu'émettre des conjectures sur le passé ? Le plus souvent, en tout cas, leurs ouvrages se réfutent les uns les autres et ils n'hésitent pas à raconter les mêmes faits de la façon la plus contradictoire. (16) Il serait superflu d'apprendre aux lecteurs, qui le savent mieux que moi, combien Hellanicos diffère d'Acousilaos sur les généalogies, quelles corrections Acousilaos apporte à Hésiode, comment sur presque tous les points les erreurs d'Hellanicos sont relevées par Éphore, celles d'Éphore par Timée, celles de Timée par ses successeurs, celles d'Hérodote par tout le monde[1]. (17) Même sur l'histoire de Sicile Timée n'a pu s'entendre avec Antiochos, Philistos ou Callias ; pareil désaccord sur les choses attiques entre les atthidographes, sur les choses argiennes entre les historiens d'Argos. (18) Et pourquoi parler de l'histoire des cités et de faits moins considérables, quand sur l'expédition des Perses et sur les événements qui l'accompagnèrent les auteurs les plus estimés se contredisent ? Sur bien des points, Thucydide même est accusé d'erreurs par certains auteurs, lui qui pourtant passe pour raconter avec la plus grande exactitude l'histoire de son temps.
[1] A l'appui de ces assertions on peut citer les fr. 7 et 12 d'Acousilaos, 19 d'Éphoro, 55, 125 et 143 de Timée ; Polémon, Istros et Polybo ont attaqué Timée, et Thucydide, Ctésias, Manéthôs, Strabon ont critiqué Hérodote.