1.[1] La discorde s'éleva parmi les notables juifs, dans le temps où Antiochus Épiphane disputait la Coelé-Syrie à Ptolémée, sixième du nom. C'était une querelle d'ambition et de pouvoir, aucun des personnages de marque ne pouvant souffrir d'être subordonné à ses égaux. Onias, un des grands-prêtres, prit le dessus et chassa de la ville les fils de Tobie : ceux-ci se réfugièrent auprès d'Antiochus et le supplièrent de les prendre pour guides et d'envahir la Judée. Le roi, qui depuis longtemps penchait vers ce dessein, se laisse persuader et, à la tête d'une forte armée, se met en marche et prend d'assaut la ville[2] ; il y tue un grand nombre des partisans de Ptolémée, livre la ville sans restriction au pillage de ses soldats, et lui-même dépouille le Temple et interrompt durant trois ans et six mois la célébration solennelle des sacrifices quotidiens[3]. Quant au grand-prêtre Onias, réfugié auprès de Ptolémée, il reçut de ce prince un territoire dans le nome d'Héliopolis : là il bâtit une petite ville le plan de Jérusalem et un temple semblable au notre ; nous reparlerons de ces événements en temps et lieu[4].
[1] Cette section et les suivantes correspondent en gros à Ant., XII, 5 mais la manière dont sont présentés les faits diffère beaucoup dans les deux ouvrages. On notera particulièrement les points suivants : 1° Le récit de Guerre ne nomme pas les « grands-prêtres » qui se disputaient le pouvoir, et ne se prononce pas sur leur parenté ; il attribue à Onias le rôle joué dans Ant. par Jason (XII, § 239 suiv.) ; 2° Guerre ne connaît qu'une occupation de Jérusalem par Antiochus, au lieu de deux (Ant., § 246 et 248) ; 3° les sacrifices sont interrompus selon Guerre pendant trois ans et demi, selon Ant., § 320, pendant juste trois ans ; 4° d'après Ant., XII, § 237 et XIII, § 62, l'Onias qui fonde le temple en Égypte n'est pas un grand-prêtre dépossédé, mais le fils d'Onias III mort avant le commencement des discordes. En général, le récit de Guerre donne aux événements une tournure plus profane. Nous ne pouvons discuter ici la question de savoir lequel de ces deux récits est le plus rapproché de la vérité ; Josèphe lui-même, quand il a repris le tableau de ces faits dans les Ant, déclare surtout vouloir donner un récit « plus détaillé » (ἀκριβές) que dans son premier ouvrage, sans s'expliquer sur les contradictions. Quant à la source du récit de la Guerre, ici comme pour toute l'histoire des Hasmonéens, c'est incontestablement un historien grec (Nicolas de Damas, comme le prouvent les allusions répétées à Hérode ?) ; certains détails (comme le dévouement d'Éléazar, § 42 suiv., si curieusement rabaissé) peuvent provenir de la tradition juive ; il paraît certain qu'en rédigeant ce chapitre, Josèphe n'a pas connu I Macc. (Cf. la liste des divergences dressée par G. Hoelsclier Die Quellen des Josephus für die Zeit com Exil bis zum jüdischen Kriege [Leipzig, 1904], p. 4-5.) Les erreurs sur la chronologie des Séleucides peuvent être imputées à son étourderie.
[2] 170/69 av. J.-C.
[3] Comme le rétablissement des sacrifices (§ 39) eut lieu en déc. 165, il en résulte que leur interruption daterait de juin 168.
[4] Infra ; VII, 10, 2.
2. Antiochus ne se contenta pas d'avoir pris la ville contre toute espérance, pillé et massacré à plaisir ; entraîné par la violence de ses passions, par le souvenir des souffrances qu'il avait endurées pendant le siège, il contraignit les Juifs, au mépris de leurs lois nationales, à laisser leurs enfants incirconcis et à sacrifier des porcs sur l'autel. Tous désobéissaient à ces prescriptions, et les plus illustres furent égorgés. Bacchidès, qu'Antiochus avait envoyé comme gouverneur militaire[5], exagérait encore par cruauté naturelle les ordres impies du prince ; il ne s'interdit aucun excès d'illégalité, outrageant individuellement les citoyens notables et faisant voir chaque jour à la nation toute entière l'image d'une ville captive, jusqu'à ce qu'enfin l'excès même de ses crimes excitât ses victimes à oser se défendre.
[5] La mention de Bacchidès est un anachronisme ; ce général n'entra en scène que beaucoup plus tard (Ant., XII, § 899).
3.[6] Un prêtre, Matthias[7], fils d'Asamonée, du bourg de Modéin, prit les armes avec sa propre famille, — il avait cinq fils — et tua Bacchidès[8] à coups de poignard ; puis aussitôt, craignant la multitude des garnisons ennemies, il s'enfuit dans la montagne[9]. Là beaucoup de gens du peuple se joignirent à lui ; il reprit confiance, redescendit dans la plaine, engagea le combat, et battit les généraux d'Antiochus, qu'il chassa de la Judée. Ce succès établit sa puissance ; reconnaissants de l'expulsion des étrangers, ses concitoyens l'élevèrent au principat ; il mourut en laissant le pouvoir à Judas, l'aîné de ses fils[10].
[6] Section 3 Ant., XII, 6.
[7] Mattathias.
[8] Apellès d'après Ant., XII, § 270.
[9] « Dans le désert », Ant., § 271.
[10] 167/6 av. J.-C. En réalité, Judas n'était pas l'aîné des cinq fils, mais le troisième (I Macc., 2, 2).
4.[11] Celui ci, présumant qu'Antiochus ne resterait pas en repos, recruta des troupes parmi ses compatriotes. Et, le premier de sa nation, fit alliance avec les Romains[12]. Quand Épiphane envahit de nouveau le territoire juif[13], il le repoussa en lui infligeant un grave échec. Dans la chaleur de sa victoire, il s'élança ensuite contre la garnison de la ville qui n'avait pas encore été expulsée. Chassant les soldats étrangers de la ville haute, il les refoula dans la ville basse, dans cette partie de Jérusalem qu'on nommait Acra. Devenu maître du sanctuaire, il en purifia tout l'emplacement, l'entoura de murailles, fit fabriquer de nouveaux vases sacrés et les introduisit dans le temple, pour remplacer ceux qui avaient été souillés, éleva un autre autel et recommença les sacrifices expiatoires[14], Tandis que Jérusalem reprenait ainsi sa constitution sacrée, Antiochus mourut ; son fils Antiochus hérita de son royaume et de sa haine contre les Juifs[15].
[11] Section 4 Ant., XII, 7 et XII, 9, 1-2.
[12] Anachronisme. Ce traité, s'il est authentique ne se place que sous Démétrius (162-150). Cf. en dernier lieu Niese, Eine Urkunde aus der Makkaboeerzeit (Mélanges, Noeldeke, p. 817 suiv.), qui place l'ambassade juive en 161.
[13] Non pas Antiochus lui-même, mais ses généraux, Gorgias, Lysias.
[14] Décembre 165 av. J.-C.
[15] 164/3 av. J.-C.
5.[16] Ayant donc réuni cinquante mille fantassins, environ cinq mille cavaliers et quatre-vingts éléphants[17], il s'élance à travers la Judée vers les montagnes. Il prit la petite ville de Bethsoura[18], mais près du lieu appelé Bethzacharia, où l'on accède par un défilé étroit, Judas, avec toutes ses forces, s'opposa à sa marche. Avant même que les phalanges eussent pris contact, Éléazar, frère de Judas, apercevant un éléphant, plus haut que tous les autres, portant une vaste tour et une armure dorée, supposa qu'il était monté par Antiochus lui-même ; il s'élance bien loin devant ses compagnons, fend la presse des ennemis, parvient jusqu'à l'éléphant ; mais comme il ne pouvait atteindre, en raison de la hauteur, celui qu'il croyait être le roi, il frappa la bête sous le ventre, fit écrouler sur lui cette masse et mourut écrasé. Il n'avait réussi qu'à tenter une grande action et à sacrifier la vie à la gloire, car celui qui montait l'éléphant était un simple particulier ; eût-il été Antiochus, l'auteur de cette audacieuse prouesse n'y eût gagné que de paraître chercher la mort dans la seule espérance d'un brillant succès. Le frère d'Éléazar vit dans cet événement le présage de l'issue du combat tout entier. Les Juifs, en effet, combattirent avec courage et acharnement ; mais l'armée royale, supérieure en nombre et favorisée par la fortune, finit par l'emporter ; après avoir vu tomber un grand nombre des siens, Judas s'enfuit avec le reste dans la préfecture de Gophna[19]. Quant à Antiochus, il se dirigea vers Jérusalem, y resta quelques jours, puis s'éloigna à cause de la rareté des vivres, laissant dans la ville une garnison qu'il jugea suffisante, et emmenant le reste de ses troupes hiverner en Syrie.
[16] Section 5 Ant., XII, 9, 3-7.
[17] D'après Ant., I, § 366, 100 000 fantassins, 20 000 chevaux, 32 éléphants.
[18] Bethsoura ne fut prise qu'après la bataille, selon Ant., §376.
[19] D'après Ant., § 375 suiv., il se retire, au contraire, à Jérusalem et y soutient un siège qui se termine par une capitulation honorable.
6.[20] Après la retraite du roi, Judas ne resta pas inactif ; rejoint par de nombreuses recrues de sa nation, il s'allia les soldats échappés à la défaite, et livra bataille près du bourg d'Adasa aux généraux d'Antiochus[21]. Il fit, dans le combat, des prodiges de valeur, tua un grand nombre d'ennemis, mais périt lui-même[22]. Peu de jours après, son frère, Jean tomba dans une embuscade des partisans d'Antiochus et périt également[23].
[20] Section 6 Ant., XII, 10 et 11.
[21] En réalité : de Démétrius Soter.
[22] Judas ne périt pas à la bataille d'Adasa (mars 161), mais à celle de Berzètho ou Elasa (?) (I Macc., 9, 5), en septembre (?) de la même année (Ant., XII, § 430 ; I Macc., 9, 3).
[23] Ant., XIII, 2.