La voie par excellence

La voie par excellence

L'analyse

Après avoir comparé l'amour aux autres vertus et démontré qu'il les dépasse toutes en excellence, Paul, dans trois courts versets, en fait une analyse de la plus étonnante précision. il nous montre que l'amour est un composé de sentiments divers. C'est comme un rayon de lumière que, dans une expérience de physique, on a pu voir passer à travers un prisme afin d'en décomposer les différentes couleurs, rouge, bleu, jaune, violet, orange, toutes les nuances de l'arc-en-ciel. De même, Paul fait passer ce sentiment qu'on appelle amour à travers le prisme magnifique de son intelligence inspirée et l'en fait sortir divisé en ses divers éléments, de manière à nous donner, dans ces quelques mots, ce qu'on pourrait appeler le spectrum de l'amour.

Or quels sont ces éléments ? Remarquez qu'ils portent des noms familiers, que ce sont des qualités dont nous entendons constamment parler, des choses qui peuvent être faites par tous les hommes et dans toutes les conditions de la vie, et surtout, rendez-vous bien compte de ceci : l'amour, cette chose suprême, ce bien par excellence de la vie, consiste dans une multitude de petites actions et de vertus ordinaires.

Dans son analyse de l'amour chrétien, l'apôtre nous montre neuf éléments différents, savoir :

Le support. — L'amour est patient.

La bonté. — Il est plein de bonté.

La générosité. — Il n'est pas envieux.

L'humilité. — Il ne s'enfle point d'orgueil.

La courtoisie. — Il n'est point malhonnête.

Le désintéressement. — Il ne cherche point son intérêt.

La douceur. — Il ne s'aigrit point.

La simplicité. — Il ne soupçonne pas le mal.

La sincérité. — Il ne se réjouit point de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité.

Patience, bonté, générosité, humilité, courtoisie, désintéressement, douceur, simplicité, sincérité, voilà de quels éléments est composé le don suprême, voilà ce qui produit la stature de l'homme parfait en Jésus-Christ. Remarquez aussi que toutes ces vertus se rapportent à nos relations avec les hommes, à la vie présente, à cet aujourd'hui que nous connaissons ou bien au lendemain qui est proche, et non à l'éternité que nous ne saurions pénétrer. Nous parlons beaucoup d'amour pour Dieu. Le Christ parla beaucoup d'amour pour les hommes. Nous nous occupons beaucoup de cette question : comment faire notre paix avec le ciel ? Le Christ est venu apporter la paix sur la terre. La religion ne peut être une chose à part dans notre vie, une manière d'être qu'on y ajoute, il faut qu'elle soit le mobile de toute notre existence, le souffle de l'Esprit éternel qui, pendant notre court séjour dans ce monde qui passe, nous anime et nous dirige, la source d'où doit sortir chaque mot que nous prononçons, chaque acte, quelque trivial qu'il puisse paraître, que nous accomplissons, chacun de ces riens qui composent le total de chacune de nos journées.

Nous ne pouvons consacrer qu'une rapide notice à ces divers éléments de l'amour que nous venons de passer en revue.

Saint Paul parle tout d'abord de la patience. En effet, l'attente, c'est l'attitude normale de l'amour : il sait tout attendre avec calme et tranquillité. Il n'est pas pressé d'agir, mais se tient prêt à se montrer quand l'occasion se présentera, étant animé jusqu'alors d'un « esprit doux et paisible. » L'amour souffre longtemps sans se plaindre, il supporte, tout, il croit tout, il espère tout.

Il s'agit ensuite de la bonté. L'amour est un principe actif. Avez-vous jamais remarqué combien le Seigneur Jésus a consacré de temps à faire des actes de bonté. Repassez dans votre esprit cette vie du Christ, et vous verrez qu'il a dépensé une portion très notable des jours de sa vie terrestre à rendre les hommes heureux. Il n'y a qu'une chose ici-bas qu'il vaudrait mieux donner que le bonheur, c'est la sainteté ; mais cela ne dépend pas de nous. Ce que Dieu met souvent en notre pouvoir, c'est de contribuer au bonheur d'autrui. La plupart du temps nous pouvons procurer aux autres un peu de joie, simplement en nous montrant bons à leur égard.

On a dit quelque part que le plus grand service qu'un homme puisse rendre au Père céleste, c'est d'être bon envers ses autres enfants. Je me suis souvent demandé pourquoi nous ne nous montrons pas meilleurs les uns vis-à-vis des autres. Ce serait chose si facile ! et combien n'en aurions-nous, pas besoin ! Combien prompt est le bienfaisant effet de la bonté ! Comme on en garde sûrement le souvenir ! Comme on en est largement récompensé ! car, si par un acte de bonté, une parole, un regard de sympathie, vous avez su inspirer l'affection, aucun débiteur ne sera aussi suprêmement honorable, aussi sûr d'acquitter sa dette et de rendre même au delà de ce qu'il a reçu. L'amour ne fait jamais défaut, il ne périt jamais. Aimer, c'est le succès ; aimer, c'est le bonheur pour soi et pour les autres ; aimer, c'est la vie, je dirai même, avec le poète Browning, l'amour, c'est le nerf de la vie.

La vie avec ses pleurs, la vie avec ses craintes,

  Ses espérances, ses douleurs,

N'est que l'occasion d'apprendre les lois saintes

  De l'amour, ce lot des meilleurs.

Savoir ce qu'est aimer, c'est savoir ce qu'est vivre...

Là où est l'amour, là aussi est Dieu. « Celui qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu. » Puisque Dieu est amour, notre devoir c'est d'aimer, d'aimer sans distinction, sans calcul, sans retard. Répandez votre amour sur les pauvres, — cela est relativement facile, — répandez-le aussi sur les riches, qui souvent en ont encore plus besoin. Répandez-le surtout sur vos égaux : cela est parfois bien difficile, et ce sont ceux pour lesquels, la plupart du temps, nous faisons le moins. Il y a une différence essentielle entre chercher à plaire et chercher à faire plaisir. C'est vers le dernier que doivent tendre nos efforts. Ne perdez aucune occasion de rendre heureux ceux qui vous entourent. Voilà la lutte continuelle, la victoire silencieuse, mais certaine, d'un cœur vraiment aimant. Souvenons-nous toujours que nous ne traversons ce monde qu'une seule fois. Si donc il y a quelque service à rendre, quelque bonté à témoigner à un être humain quelconque, ne différons pas, n'y mettons ni négligence, ni retard ; nous ne passerons plus par le même chemin !

La générosité. « L'amour n'est point envieux. » L'apôtre nous montre ici la charité chrétienne en rivalité avec les œuvres d'autrui. Chaque fois que vous essayerez de faire une bonne œuvre, vous êtes sûr de trouver d'autres hommes faisant une œuvre semblable, et la faisant probablement mieux que vous. Ne leur portez pas envie. Ce serait là un sentiment de malveillance envers ceux qui combattent dans les mêmes rangs, un esprit de dénigrement et de convoitise. Combien peu, hélas ! les œuvres chrétiennes elles-mêmes nous servent de défense contre des sentiments anti-chrétiens ! Ce péché d'envie, assurément le plus méprisable de tous les défauts qui projettent leur ombre sur l'âme d'un disciple du Sauveur, nous guette infailliblement au seuil de chaque œuvre que nous entreprenons et nous envahira sûrement, si notre âme n'en est garantie par cette grâce divine : la générosité. Une seule chose est vraiment digne d'envie, c'est d'avoir une âme large, riche en amour du prochain. Si nous avons le bonheur de la posséder, elle nous mettra au-dessus de toute autre envie.

Le quatrième élément dont se compose l'amour, c'est l'humilité.

Être plein de bonté pour tous, répandre à flots son amour sur le monde, et, quand la charité chrétienne a accompli sa belle œuvre, savoir se retirer à l'ombre et ne point s'en prévaloir, oublier même ce que l'on aura fait, voilà ce à quoi saint Paul vous convie. Le véritable amour se cache même de soi et ne cherche jamais sa satisfaction personnelle. « La charité ne s'enfle point d'orgueil. »

Le cinquième élément de l'amour semblera peut-être étrange, et l'on pourrait s'étonner de le trouver ici c'est la courtoisie.

La courtoisie, c'est l'amour réglant les rapports journaliers des hommes les uns avec les autres et se manifestant par le respect des convenances : « l'amour n'est point malhonnête. » Quelqu'un a donné cette définition de la politesse, « c'est l'amour s'exerçant dans les petites choses de la vie. » En effet, le secret de la vraie politesse, c'est d'aimer. Par sa nature même, il est impossible que l'amour se conduise avec inconvenance. L'homme le plus inculte, s'il a dans le cœur l'amour de ses semblables, quelque raffinée que puisse être la société où il se trouvera jeté, ne saurait se conduire d'une manière malhonnête.

Le désintéressement. L'amour « ne cherche pas son intérêt, » ou, plus littéralement, ce qui est à lui. Remarquez bien cela, pas même ce qui est à lui ! Nous sommes habitués à croire qu'il est juste et louable de défendre ses droits. Je ne veux pas le nier. Il arrive parfois telles circonstances où l'homme est appelé à exercer un droit plus élevé, celui d'en faire abnégation. Toutefois, ce n'est pas encore là ce que Paul demande. L'amour va bien plus loin. Il veut que ces droits, nous ne les cherchions même pas, que nous les ignorions et que l'élément personnel soit entièrement éliminé de nos cœurs. Il n'est pas toujours si difficile qu'on se l'imagine, de renoncer à nos droits. Pour la plupart, ils s'appliquent à des choses qui nous sont extérieures. Ce qui l'est autrement, c'est de nous donner nous-mêmes et de ne pas chercher des avantages personnels. Lorsque nous les avons cherchés, achetés, gagnés, mérités, nous nous sommes déjà approprié la meilleure partie de ces biens. Y renoncer devient alors pour nous comparativement facile. Mais ne pas les rechercher, regarder d'abord, non à nos propres intérêts, mais à ceux des autres, voilà ce qui peut s'appeler l'œuvre de l'amour.

« Toi, tu rechercherais les grandeurs ! » dit le prophète, « ne les cherche pas ! » Pourquoi ? Parce qu'il n'y a rien ici-bas de véritablement grand, ou même qui puisse l'être. La seule grandeur véritable, c'est l'amour, l'amour pur de tout égoïsme. Le renoncement lui-même n'est rien, je dis plus, il serait presque une faute s'il n'avait pour but soit le bien des autres, soit la manifestation d'un amour si puissant qu'il compense tout ce que nous pouvons lui sacrifier.

Je viens de dire qu'il nous est plus difficile de ne point du tout rechercher notre propre intérêt, que, l'ayant recherché, d'y renoncer. Cette parole n'est vraie que d'un cœur demeuré à moitié égoïste. Rien n'est dur, rien n'est difficile pour l'amour. Il nous est dit que le joug de Christ est aisé ; or ce joug n'est autre chose que la manière dont le Seigneur veut que nous acceptions la vie. Or je suis persuadé que la manière qu'il nous propose, celle de nous dépouiller de toute préoccupation égoïste, est la plus facile de toutes. La leçon qui ressort avec évidence de l'enseignement de Jésus, c'est que le bonheur ne dépend pas de la possession, ni de l'acquisition de quoi que ce soit, mais qu'il consiste uniquement, au contraire, à donner. Il en résulte que la grande majorité des hommes commet une grave erreur en cherchant à « amasser des trésors. » L'homme s'imagine que posséder, amasser, acquérir, se faire servir, peut donner le bonheur, tandis qu'en réalité on ne l'obtient que lorsqu'on a appris à donner et à servir. « Quiconque voudra être le premier parmi vous, qu'il soit votre serviteur, » et j'ajouterai que celui qui voudra posséder le bonheur se souvienne qu'il n'y a qu'un chemin pour y parvenir. On est plus béni, et par conséquent plus heureux, en donnant qu'en recevant.

La qualité que saint Paul signale ensuite comme partie essentielle du grand tout de l'amour, c'est l'amabilité. « L'amour ne s'aigrit point. » Rien ne saurait être plus surprenant, pour bien des personnes, qu'une telle affirmation. Nous sommes généralement disposés à regarder le manque d'amabilité, ce qu'on appelle un caractère difficile, comme une faiblesse très pardonnable. Nous en parlons comme d'une simple infirmité naturelle, une disposition de famille, une affaire de tempérament, et nous ne le considérons guère comme une chose dont il faille tenir sérieusement compte pour nous former une opinion sur un homme. Voici cependant que, juste au milieu de cette analyse de l'amour, ce défaut nous est signalé, et les saintes Écritures, à diverses reprises, s'accordent pour le condamner comme l'un des pires dissolvants de tout ce qui est bon. Ce qu'il y a d'étrange dans ce défaut, c'est qu'il est le vice des gens vertueux, et souvent l'unique tache dans une nature à d'autres égards noble et élevée. Vous devez sûrement connaître des hommes qui vous sembleraient approcher de la perfection si ce n'était un caractère facilement froissé, prompt à s'offenser, et susceptible à l'excès. Cette possibilité d'allier l'irritabilité de caractère à de hautes qualités morales est un des problèmes les plus singuliers et les plus tristes de la psychologie.

Le fait est qu'il y a deux sortes de péchés : les péchés matériels et les péchés moraux. L'enfant prodigue peut servir comme exemple des premiers ; le frère aîné est le type des seconds. Or la société n'hésite pas un instant à décider lesquels sont les plus condamnables ; son arrêt tombe, sans l'ombre d'un doute, sur l'enfant prodigue. Mais a-t-on raison ? Où est la balance capable de peser les fautes d'autrui ? Affirmer qu'il y a du plus ou du moins, des péchés grossiers et des péchés véniels, n'est donc qu'un jugement d'homme. En effet, certains défauts, dans une nature raffinée, peuvent entraîner une plus grande culpabilité que d'autres, plus évidents aux yeux de la chair, qui se trouvent dans une nature plus grossière. De même, au jugement de Celui dont l'essence est l'amour, un péché contre l'amour peut paraître cent fois plus vil.

Au reste, aucune forme du vice, ni la débauche, ni l'avarice, ni même l'ivrognerie, n'a plus fait pour déchristianiser la société que la mauvaise humeur. Pour abreuver la vie d'amertume, pour désunir les sociétés, pour rompre les liens les plus sacrés, pour désoler les foyers, pour dessécher les cœurs, pour déflorer la jeunesse, en un mot pour l'angoisse et la misère, et cela sans aucun motif sérieux, il n'est rien de tel que la mauvaise humeur. Souvenez-vous du frère aîné de l'enfant prodigue. Il est moral, laborieux, patient, obéissant envers son père : il possède, sans contredit, une foule de vertus. Mais voyez-le, cet homme, arrivé à la maturité de l'âge, refusant dans un accès de bouderie puérile, d'entrer dans la maison paternelle. « Il se mit en colère, » nous dit l'Évangile, « et ne voulut point entrer. »

Songez à l'effet que devait faire cette conduite sur son père, sur les serviteurs, sur les invités, sur l'enfant prodigue lui-même et réfléchissez combien d'enfants prodigues peuvent être, à leur tour, éloignés du royaume de Dieu par le défaut d'amabilité de ceux qui font profession de lui appartenir ! Examinons avec quelque attention le sombre nuage qui s'est abaissé sur le front du fils aîné. De quoi est-il fait ? De jalousie, de colère, d'orgueil, de cruauté, de propre justice, de susceptibilité, d'entêtement, de bouderie ! Voilà ce qui règne en maître dans cette âme dont l'amour est absent, et, à des degrés différents, tous ces tristes sentiments entrent dans la composition de la mauvaise humeur. Jugez donc vous-même si de tels péchés ne doivent pas produire des conséquences plus sérieuses, pour soi et pour les autres, que ceux que nous avons l'habitude de traiter de fautes grossières et dégradantes.

Au reste, la question a été décidée par Jésus lui-même. Ne s'est-il pas écrié : « Les péagers et les femmes de mauvaise vie vous devancent dans le royaume de Dieu ! » il n'y a, en réalité, aucune place dans le ciel pour des dispositions du genre de celles dont nous venons de parler. Si un homme ayant de semblables sentiments pouvait même y entrer, il changerait pour lui le ciel en enfer. De là la nécessité de naître de nouveau pour entrer dans ce royaume, car, si nous voulons en franchir le seuil, il faut que ce royaume soit déjà au dedans de nous.

C'est donc l'amabilité qui sert de thermomètre pour marquer notre état spirituel. Mais ce qui en fait l'importance c'est surtout l'indication qu'elle fournit de nos sentiments intimes. Voilà pourquoi je crois devoir insister là-dessus. L'amabilité est la pierre de touche du véritable amour. Son absence est la preuve, la révélation d'une nature qui, au fond, n'est ni aimable, ni aimante.

Je comparerais la mauvaise humeur à une fièvre intermittente qui montre un état de maladie continuel au dedans de nous. C'est la bulle d'air impur qui, venant éclater à la surface de l'eau, trahit quelque pourriture au fond ; c'est un échantillon des produits les plus cachés de l'âme qui s'échappe de ses profondeurs sans qu'on y pense ; en un mot, c'est l'éclair qui nous révèle une multitude de péchés hideux, car l'absence de patience, de bonté, de générosité, de courtoisie, ainsi que l'existence d'un égoïsme colossal, sont tous rendus visibles par une seule étincelle de mauvaise humeur.

Chercher à réprimer des accès d'humeur, ce n'est donc pas assez ; il faut remonter à la source et changer le fond même de notre nature. Ainsi, et ainsi seulement, pourraient s'éteindre nos dispositions mauvaises. On adoucit les âmes et les caractères, non en extirpant le mal qui s'y trouve, mais en y versant quelque chose d'autre, et cette autre chose, c'est le grand amour, l'esprit nouveau, l'esprit de Christ. Ce Saint-Esprit, nous pénétrant tout entier, adoucit, purifie, transforme tout. Voilà l'unique remède au mal, voilà ce qui seul peut produire un changement radical et renouveler, régénérer, réhabiliter l'homme intérieur. Nous ne nous changerons pas par la puissance de notre volonté ; et le temps n'y réussira pas davantage. Christ seul peut accomplir cette œuvre au dedans de nous.

C'est pourquoi que le même esprit qui était en Jésus-Christ soit en vous. Quelques-uns d'entre vous peuvent n'avoir plus beaucoup de temps à consacrer à cette œuvre. Mais encore une fois, souvenons-nous que c'est ici une affaire de vie ou de mort. Pour vous et pour moi, je ne puis faire autrement que d'insister sur ce point. Il est écrit : « Si quelqu'un scandalise l'un des petits qui croient en Jésus, il voudrait mieux pour lui qu'on lui attachât au cou une meule de moulin et qu'on le jetât au fond de la mer. » Ce qui revient à dire, et le Seigneur l'affirme solennellement, qu'il vaut mieux ne point vivre que ne point aimer.

Nous avons maintenant à parler de la simplicité.

La simplicité de cœur, d'où procède la confiance dans les autres, est le résultat de la sincérité, de l'absence de toute fraude en soi-même. C'est une grâce que doivent rechercher avec soin les personnes soupçonneuses. La posséder, c'est le grand secret de l'influence que nous exercerons dans le monde. Réfléchissez un peu et vous verrez que ceux qui ont le plus d'influence sur vous sont ceux qui vous témoignent le plus de confiance. Dans une atmosphère de méfiance, les hommes se renferment en eux-mêmes, tandis que sous l'action de la confiance les cœurs s'ouvrent, se sentent encouragés au bien et améliorés. Il est étonnant que, dans ce monde si dur, si étranger à l'amour, il existe encore quelques rares âmes qui ne soupçonnent point le mal. Voilà, en effet, le sceau dont sont marqués ceux qui ne sont pas du monde. L'amour ne suppose pas de mauvais motifs, voit toujours le meilleur côté des actions et les explique de la manière la plus favorable. Quel bienheureux état d'esprit cela doit être ! Comme on se sent rafraîchi et fortifié, lorsque, même pour un instant passager, il arrive qu'on en rencontre de tels sur son chemin !

Se sentir traité avec confiance, c'est, bien souvent, le salut. Si nous essayons d'exercer une influence bienfaisante autour de nous, nous remporterons des succès justement en proportion du degré auquel nous aurons su faire sentir à ceux auxquels nous nous sommes adressés que nous avons confiance en eux. Le respect que nous montrons pour nos semblables est, pour celui qui est tombé, le premier échelon qui l'aidera à remonter, à se reprendre, à se respecter lui-même. Sentir que quelqu'un a de lui une opinion favorable, c'est pour ce malheureux l'espoir, le précurseur de son relèvement, le tableau qu'on lui présente de ce à quoi il lui sera possible de parvenir.

La sincérité. — L'amour ne se réjouit point de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité. J'ai employé le mot sincérité pour indiquer l'état d'âme dont il s'agit ici, car, dans le sens restreint qui nous frappe d'abord, c'est l'expression juste du texte. Celui qui sait aimer sera sincère autant que charitable. Il s'agit ici de cette discipline de l'esprit qui refuse de faire son profit des fautes de son prochain, de cette charité qui ne prend aucun plaisir à signaler les faiblesses des autres, mais qui, au contraire, selon une parole de l'Écriture, « couvre une multitude de péchés ; » de cette droiture d'intention qui fait que nous cherchons à voir les choses dans leurs justes proportions et se réjouit de les trouver meilleures qu'on ne les avait supposées ou que la calomnie ne les avait représentées.

Ce passage peut cependant avoir un sens plus étendu. L'amour, nous dit-on, se réjouit de la vérité, de la vérité vraie ; non pas de ce qu'on peut avoir enseigné sous ce nom dans telle petite coterie, dans telle ou telle chapelle, dans telle ou telle assemblée d'hommes quelconques, mais de la vérité qu'à l'exemple des juifs de Bérée, loués par saint Luc, on aura mise à l'épreuve, selon cette autre parole de l'apôtre : « Éprouvez toutes choses et retenez ce qui est bon. » On la cherchera, cette vérité, religieuse ou autre, avec humilité, sans parti-pris, et, l'ayant trouvée, on s'y attachera, quelques sacrifices qu'il en coûte.

Ainsi se termine cette analyse de l'amour chrétien. Mais ce n'est pas assez de le connaître ; l'affaire la plus sérieuse de notre vie devrait être de le posséder, d'en faire le mobile de toutes nos actions. L'œuvre la plus excellente au monde, c'est d'apprendre à aimer. La vie n'est-elle pas remplie d'occasions de nous y exercer ? À chacun d'entre nous, il s'en présente chaque jour des multitudes. Ce monde n'est pas un lieu d'amusement ; c'est une école. La vie n'est pas une fête, mais un temps d'instruction, et l'unique, l'éternelle leçon que nous avons à apprendre, c'est celle-ci : Comment faire pour aimer mieux, pour aimer d'une manière plus intelligente, pour aimer davantage ? Or, que faut-il pour qu'un homme arrive à l'excellence dans les arts, dans les sciences, dans la littérature, dans les travaux manuels ? La capacité et l'étude sans doute, mais surtout la pratique.

Que faut-il donc pour faire un homme de bien ? La pratique du bien. Il n'y a rien de capricieux dans la religion. L'âme n'est pas soumise à des lois différentes de celles qui régissent les esprits et les corps. Si un homme néglige d'exercer son bras, ses muscles ne se développeront pas ; au contraire, le membre se raidira et se flétrira. De même, si un homme n'exerce pas son âme au bien, il n'acquerra aucune vigueur morale ; il n'y aura chez lui aucune saine croissance spirituelle. L'amour ne dépend ni de l'émotion, ni de l'enthousiasme ; ce n'est autre chose que le caractère chrétien dans son plein développement, riche en qualités précieuses, fort, viril, vigoureux. C'est la nature de Christ qui est devenue la nôtre. Or, les qualités qui constituent ce beau caractère ne s'acquerront que par une pratique continue.

Que faisait le Christ pendant qu'il travaillait dans l'atelier du charpentier ? Il mettait en pratique les doctrines qu'il devait enseigner plus tard. Quoique parfait, l'Écriture nous dit qu'il apprit l'obéissance, qu'il croissait en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

Ne vous plaignez donc pas de votre sort quel qu'il soit ; ne gémissez pas des soucis continuels qui vous assiègent, de la platitude de votre vie, des vexations qu'il vous faut supporter, des petitesses, des bassesses des gens parmi lesquels vous êtes appelé à vivre et avec lesquels vous avez à travailler.

Surtout ne vous découragez pas à cause des tentations ; ne soyez pas perplexe lorsqu'il vous semblera que le nombre et la force en augmentent et qu'elles vous enserrent de plus en plus, ne vous donnant de relâche ni par suite de vos efforts, ni par suite de vos souffrances, ni même par l'effet de vos prières. C'est là la discipline que Dieu vous envoie, et cette discipline fera son œuvre, vous rendant patient, humble, généreux, désintéressé, bon et aimable. Ne vous plaignez pas de la main qui veut rectifier en vous l'ébauche encore trop informe de l'image de Christ. Chaque jour, cette image croît en beauté et devient plus distincte, quoique vous, peut-être, vous ne vous en aperceviez pas, et il se peut que chaque assaut de la tentation ajoute quelque chose à sa perfection. C'est pourquoi, restez au milieu du monde ; ne vous isolez point ; demeurez parmi les hommes, au milieu des affaires, des chagrins, des difficultés et des obstacles. Vous souvenez-vous de ce que dit Goethe ? « Le talent se développe dans la solitude ; et le caractère, dans le courant de la vie. » Le talent, c'est-à-dire la capacité pour une œuvre quelconque, se développe dans la solitude.

Ainsi en est-il de la capacité de la prière, de la foi, de la méditation, de la vue de l'invisible. Mais le caractère, ce qui forme l'essence de notre être, croît dans le courant de la vie de ce monde. Voilà où, principalement, les hommes doivent apprendre l'amour.

Et maintenant, me demanderez-vous peut-être, comment faut-il faire pour l'apprendre ? Afin de simplifier la chose, j'ai passé en revue les divers éléments de l'amour. Mais ce ne sont là que des éléments. L'amour lui-même ne saurait se définir. La lumière est quelque chose de plus que tout ce qui la compose. C'est une chose éthérée, flamboyante, éblouissante, vibrante. De même, l'amour est quelque chose de plus que tout ce qui en forme les éléments. C'est une chose palpitante, vivante. Par le mélange de toutes les couleurs, l'homme peut produire la blancheur ; il ne saurait faire la lumière. Par le mélange de toutes les qualités, les hommes peuvent atteindre à la vertu, ils ne sauraient enfanter l'amour.

Comment donc faut-il faire pour que cette chose transcendante, vivante, devienne la vie de nos âmes ?

Quand nous nous efforcerions de l'obtenir par toute la puissance de notre volonté ; quand nous prendrions pour modèles ceux qui la possèdent ; quand nous observerions rigoureusement une règle de vie que nous nous serions imposée ; quand nous passerions tout notre temps à veiller et à prier, ces choses seules n'amèneraient pas l'amour dans un cœur d'homme.

L'amour est l'effet d'une cause que nous pouvons connaître, que les saintes Écritures nous indiquent, et ce n'est qu'autant que nous aurons accompli la condition d'où il dépend que cet effet peut se produire.

Voyons maintenant cette cause. Lisez dans la 1re épître de saint Jean les paroles qui suivent : « Nous aimons parce qu'il nous a aimés le premier ! » C'est à dessein que nous omettons le pronom le qui ne se trouve pas dans le texte original et qui en diminue la force. Notez ce mot « parce que. »

La voilà donc, cette cause dont je vous ai parlé. Parce qu'il nous a aimés le premier, il s'ensuit forcément, si nous croyons cela, que nous aimerons Lui, notre Dieu Sauveur d'abord, et ensuite tous les hommes. Nous ne pourrions faire autrement. Peu à peu notre cœur sera changé et sa dureté se fondra sous les chauds rayons du soleil de justice.

Considérez l'amour de Christ et vous apprendrez à aimer. Tenez-vous devant ce miroir où le caractère du Rédempteur se trouve réfléchi, et vous serez transformé en son image, et vous deviendrez toujours plus doux, toujours plus aimant. Il n'y a pas d'autre moyen. L'amour ne se commande pas, mais si vous contemplez la beauté divine de Jésus, vous en viendrez nécessairement à l'aimer et à lui ressembler. Contemplez donc ce caractère parfait, cette vie sans tache, ce sacrifice immense qu'il fit de lui-même pendant tout le temps qu'il vécut sur notre terre, sacrifice qu'il consomma sur la croix du Calvaire, et vous ne saurez faire autrement que de l'aimer. Or, si vous l'aimez, vous lui deviendrez semblable.

L'amour enfante l'amour.

C'est là un simple procédé d'induction. Mettez un morceau de fer auprès d'un corps saturé d'électricité, et le fer, pendant quelque temps, deviendra électrique lui-même. Il se trouvera transformé en aimant par le simple voisinage du vrai aimant et aussi longtemps qu'ils resteront ensemble ils seront l'un et l'autre des aimants. Restez auprès de Celui qui nous a aimés et qui s'est donné pour nous, et vous aussi vous deviendrez un véritable aimant, possédant une réelle force d'attraction. Comme Lui, vous attirerez à vous tous les hommes ; comme Lui, vous vous sentirez attiré vers eux. C'est là l'effet invariable de l'amour. Celui qui en remplit la condition en éprouvera certainement les résultats. Renoncez à l'idée que la religion nous arrive par accident, par des voies mystérieuses, par caprice. Elle nous arrive par une loi naturelle ou, si vous l'aimez mieux, par une loi surnaturelle, car toute loi a Dieu pour auteur.

Edouard Irving, allant un jour faire une visite de malade chez un jeune garçon mourant, ne lui dit que ces mots : « Mon enfant, Dieu vous aime ! » puis il le quitta, L'enfant se souleva dans son lit en s'écriant : « Dieu m'aime ! Dieu m'aime ! » et, à partir de ce moment, il fut tout changé, consolé, heureux. Le sentiment de l'amour de Dieu le saisit, s'empara de lui, l'attendrit, et commença de créer en lui un cœur nouveau et un esprit nouveau.

C'est ainsi que l'amour de Dieu pénètre le cœur dur de l'homme et fait de lui une nouvelle créature, patiente, humble, douce, sans égoïsme. Il n'y a pas d'autre moyen pour obtenir ce résultat. Il n'y a là-dedans aucun mystère. Nous l'aimons, nous aimons nos frères, nous aimons tous les hommes, parce qu'il nous a aimés le premier.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant