Saint Irénée vint au monde au commencement de l’empire d’Adrien, vers l’an 120 de Jésus-Christ. Ses parents, qui sans doute étaient chrétiens, le mirent encore enfant sous la conduite de saint Polycarpe, évêque de Smyrne. Ce fut dans une si sainte école, qu’il puisa les lumières et la science profonde de la religion, qui le rendirent dans la suite un des plus grands hommes de son siècle, l’ornement de l’Église, et la terreur des hérétiques. Aussi avait-il grand soin de remarquer tout ce qu’il voyait dans ce saint vieillard pour en faire son profit ; il écoutait ses discours avec ardeur, et les gravait, non sur des tablettes, mais dans le plus profond de son cœur. C’est saint Irénée lui-même qui nous apprend toutes ces circonstances ; et il ajoute qu’à force de repasser dans son esprit les instructions de son maître, il les y grava si profondément, qu’elles lui furent toujours très-vives et très-présentes dans la suite, et même dans sa vieillesse la plus avancée.
On ne sait point à quelle occasion saint Irénée vint dans les Gaules ; mais saint Grégoire de Tours dit qu’il y fut envoyé par saint Polycarpe. Il fut ordonné prêtre de l’Église de Lyon par saint Pothin, qui en était évêque, et il exerçait déjà les fonctions de prêtre l’an 177, lorsqu’il fut choisi par les martyrs de Lyon pour être le porteur d’une lettre qu’ils écrivaient au pape Éleuthère, où, après l’avoir salué comme leur père, ils ajoutent : « Nous avons exhorté Irénée, notre frère et notre compagnon, à rendre ces lettres à votre paternité. Nous vous supplions de le considérer comme un homme tout à fait zélé pour le testament de Jésus-Christ. C’est en cette qualité que nous vous le recommandons. Si nous avions cru que le rang et la dignité puissent donner le mérite et la vertu, nous vous l’eussions recommandé d’abord comme prêtre de l’Église ; car il l’est effectivement. » Le motif de la députation de saint Irénée fut de procurer la paix aux Églises, divisées sur la question de la pâque. On croit qu’il fut aussi porteur des lettres que les mêmes martyrs écrivirent aux Églises d’Asie et de Phrygie, au sujet des troubles que les nouvelles prophéties de Montan y avaient causées.
Saint Pothin étant mort la même année, saint Irénée fut mis en sa place, et fut le second évêque de l’Église de Lyon. Cette ville changea bientôt de face sous la conduite de son nouvel évêque ; et Dieu donna tant de force à ses prédications, qu’en peu de temps il la rendit presque toute chrétienne. Pour préserver son peuple des erreurs qui se répandaient dans les provinces près du Rhône, saint Irénée s’appliqua à en faire connaître tout le venin, à fournir des armes pour les combattre, s’attacha à en découvrir toutes les contradictions, à confirmer les néophytes dans la foi, et à ramener même les hérétiques dans le sein de l’Église ; et dans ce dessein il composa des livres contre les hérésies, dans lesquels il rapporte en détail toutes les extravagances des valentiniens et des autres hérétiques de ce temps-là, et donne toutes sortes de moyens pour les convaincre. Il travailla aussi beaucoup pour procurer la paix entre les Églises, au sujet de la fête de Pâques, et fit en sorte, parmi les siens, qu’il fut permis à chacun de suivre l’ancien usage de son Église. « C’est ainsi, dit Eusèbe, qu’Irénée, remplissant toute la signification de son nom, se montra véritablement ami de la paix par la douceur de ses mœurs, par la modération de sa conduite, et par les mouvements qu’il se donna pour la procurer à l’Église. » Il reçut la couronne du martyre dans la persécution de Sévère, l’an 202 de Jésus-Christ. Saint Irénée composa plusieurs ouvrages pour la défense de la foi et pour l’utilité de l’Église ; savoir : cinq livres contre les hérésies, une Lettre à Florin, une à Blaste, un Livre de l’Ogdoade, plusieurs lettres touchant la célébration de la fête de Pâques, dont une était adressée au pape Victor ; un Livre contre les païens, intitulé : De la Science ; un autre adressé à un Chrétien nommé Marcion ; un troisième, qui renfermait diverses disputes. On croit aussi qu’il composa un Traité contre Marcion, et un Discours sur la foi, adressé à Demètre, diacre de Vienne. Pour ce qui est du livre qui avait pour titre : De la Substance du monde, qu’on lui attribuait du temps de Photius, on convient qu’il est de Caïus, prêtre de Rome.
Saint Irénée, dit l’auteur des Siècles chrétiens, devint si profond dans la science de la religion et des saintes Écritures, qu’il fut en état de combattre à la fois tous les hérétiques de son temps, depuis Simon jusqu’à Tatien, et de les suivre jusque dans leurs derniers retranchements, à travers les détours dans lesquels ils s’embarrassaient. Ce sujet était si obscur et si compliqué par la variété des erreurs et la bizarrerie des pensées auxquelles l’esprit humain s’était déjà livré en matière de religion, que, pour y répandre du jour, il ne fallait rien moins que l’érudition et les talents d’Irénée. Il n’y a point eu d’hérésie si confuse dans ses principes, si tortueuse dans sa marche et si enveloppée de nuages, dont il n’ait percé les ténèbres ; et son ouvrage sur cet important objet peut être donné pour un modèle de discussion et de controverse à tous ceux qui s’engagent dans la même carrière. Les caractères par lesquels il apprend à distinguer la vérité de l’erreur dans les disputes de religion, sont la tradition apostolique qui transmet d’un âge à l’autre l’enseignement de la foi ; l’autorité des Écritures interprétées, non par l’Église, qui en conserve le dépôt et qui seule en connaît le vrai sens ; la succession des pasteurs qui fait remonter le ministère évangélique et, avec lui, tous les dogmes, à la source primitive et sacrée d’où ils découlent ; enfin les vrais miracles qui ne sont opérés que dans l’Église, et qu’il est toujours possible de discerner d’avec les artifices de l’imposture et les prestiges de l’enfer. Il conclut de là que la nouveauté de l’enseignement et la rupture de l’unité sont deux moyens par lesquels le fidèle peut toujours discerner les faux docteurs et juger leur doctrine ; et, par une autre conséquence des mêmes principes, il recommande l’attachement à l’Église et aux pasteurs légitimes, comme le préservatif le plus sûr qu’on puisse opposer à la contagion de l’hérésie.
Ce saint évêque consomma son laborieux ministère par le martyre, sous la persécution de Sévère, la seconde année du troisième siècle.