Où l’on fait voir que si Jésus-Christ n’est pas vrai Dieu d’une même essence avec son père, la religion mahométane est préférable à la religion chrétienne, et Jésus-Christ moindre que Mahomet.
Que si Jésus-Christ n’est pas d’une même essence que son Père, le christianisme que nous professons est la corruption de la religion chrétienne, et que le mahométisme en est le rétablissement.
C’est un principe de la religion naturelle, plus ancienne que toutes les autres religions, qu’il y a un éloignement infini entre le Créateur et la créature ; cela fait qu’on ne peut, sans impiété, abaisser Dieu jusqu’à la créature, et qu’on ne peut, sans idolâtrie, élever la créature jusqu’à Dieu. Si donc Jésus-Christ est le Créateur, le Dieu souverain, on ne peut dire, sans impiété, qu’il soit une simple créature ; et si Jésus-Christ n’est qu’une simple créature, on ne peut, sans idolâtrie, le reconnaître pour le Dieu souverain : de sorte que si nous nous trompons dans le sentiment que nous avons que Jésus-Christ est d’une même essence que son Père, et qu’il est par conséquent le Dieu souverain, on ne voit pas que nous puissions nous défendre d’être de véritables idolâtres, puisque nous l’adorons dans cette qualité.
Il ne servira de rien de dire ici, pour nous décharger de ce crime, que nous croyons de bonne foi que Jésus-Christ est le Dieu souverain ; qu’il y a véritablement de l’erreur dans notre esprit, mais non pas de l’infidélité dans notre cœur, puisqu’au fond ce n’est qu’au Dieu souverain que va notre adoration. On pourrait excuser, par la même raison, toutes les idolâtries passées, présentes et possibles. Les païens, qui adoraient leur Jupiter, croyaient de bonne foi qu’il était le Dieu souverain ; et dans leur intention, leur culte se rapportait à l’Être suprême : cependant ils n’en étaient pas moins idolâtres pour cela.
Il ne faut pas non plus s’imaginer qu’une créature, pour être très excellente, puisse devenir l’objet de l’adoration, qui ne peut être rendue qu’au Dieu souverain. Ceux qui adorent les astres ne sont pas moins idolâtres que ceux qui adorent le bois et la pierre ; et ceux qui adoreraient les anges ne le seraient pas moins que ceux qui adorent les astres : leur idolâtrie serait moins grossière, mais elle ne serait pas moins véritable, parce que l’idolâtrie ne consiste pas à rendre les honneurs divins à une créature basse, mais simplement à les rendre à une créature.
On nous dira qu’il peut être quelquefois permis de rendre l’adoration à une créature qu’il plaît à Dieu de revêtir de sa gloire, comme il est permis de faire des honneurs extraordinaires à un homme à qui le roi ordonne qu’on les rende. A la bonne heure, que cela soit, pourvu qu’on nous accorde qu’il n’est jamais permis d’adorer une créature comme le Dieu souverain, de même qu’il n’est point permis d’honorer un sujet en le reconnaissant pour être le véritable roi. Dieu, en effet, n’a pu ni voulu se décharger en faveur d’un autre de ce caractère incommunicable de sa gloire. Il ne l’a pu, car il est impossible que Dieu seul soit le Dieu souverain, et qu’un autre qui n’a pas son essence le soit avec lui. Il ne l’a point voulu ; car comment pourrait-il vouloir une chose qui, étant contre la vérité, est aussi contre sa nature ?
Supposez donc, tant qu’il vous plaira, que Jésus-Christ tient la place de Dieu, qu’il est son ambassadeur, et que ce n’est qu’en tant qu’il tient la place de Dieu qu’il est un juste objet de notre adoration, cela ne fait rien contre notre maxime, qui est que Jésus-Christ n’étant point le Dieu souverain, ne peut être adoré comme Dieu souverain, sans manifester une idolâtrie ; ce sera notre premier principe.
Le second est que l’idolâtrie est un crime qui viole la loi de Dieu, et qui anéantit l’esprit de la piété. En effet, ce crime est opposé aux deux grandes fins de la religion. Il a une opposition évidente à la gloire de Dieu, puisqu’il dépouille Dieu de sa gloire pour en revêtir une créature ; il est opposé à notre salut, puisque le Saint-Esprit déclare que les idolâtres n’hériteront point le royaume des cieux.
Il s’ensuit de ces deux principes, que le christianisme que nous professons est la corruption de la religion chrétienne, et que le mahométisme en est le rétablissement. Car si la religion chrétienne, dans sa pureté, ne reconnaît Jésus-Christ que pour une simple créature, nous renversons la religion chrétienne lorsque nous adorons Jésus-Christ comme étant essentiellement le Dieu souverain ; et si la religion de ceux qui adorent Jésus-Christ comme l’Être souverain, est la corruption du christianisme, il s’ensuit que la religion mahométane, qui met le Dieu souverain infiniment au-dessus de Jésus-Christ, en est à cet égard le rétablissement.
On dira ici, peut-être, que la religion chrétienne essentiellement n’est pas une science de simple contemplation, mais une science pratique, et qu’elle consiste plutôt dans l’obéissance que dans des spéculations abstraites sur la divinité. Je conviens du principe, mais je soutiens qu’on n’en peut faire d’application raisonnable au sujet dont il s’agit ici ; car peut-on traiter de simples spéculations des principes si importants, que nous sommes idolâtres, ou ne le sommes pas, selon qu’ils sont faux ou véritables ? Si Jésus-Christ est d’une même essence avec son Père, ou, ce qui revient à la même chose, si Jésus-Christ est le Dieu souverain, il doit être adoré en cette qualité ; et nos adversaires ne pourront alors, sans impiété, refuser de le reconnaître pour tel, et de l’honorer sous ce nom ; et s’il ne l’est point, nous ne pouvons, sans idolâtrie, le confondre avec le Dieu souverain. Il s’agit ici d’éviter l’impiété ou l’idolâtrie ; il s’agit par conséquent de questions pratiques, qui sont même d’une souveraine importance.
C’est donc en vain qu’Episcopiusa fait ses efforts pour nous montrer que ce n’est point une chose essentielle au salut de savoir si Jésus-Christ est Dieu par une génération éternelle, ou si, n’étant qu’une simple créature, il est appelé Dieu à cause de son ministère ; car lorsqu’il entreprend de faire voir que ces questions ne sont point fondamentales, en montrant que ceux qui croient Jésus-Christ une simple créature, ou même un simple homme, peuvent l’adorer sans être coupables d’idolâtrie, parce qu’ils l’adorent, non en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il tient la place de Dieu, il ne s’est pas aperçu que sa preuve demeurait imparfaite, parce que, pour montrer que ces questions ne sont pas essentielles, il ne suffit pas de faire voir que les sociniens, sans être idolâtres, peuvent adorer celui qu’ils croient être un simple homme par sa nature ; mais qu’il faut montrer encore que nous pouvons, sans idolâtrie, adorer Jésus-Christ comme le Dieu souverain, encore qu’il ne soit pas le Dieu souverain.
a – Simon Bischop (1583-1643), théologien hollandais, qui a développé et systématisé les principes d’Arminius.
Certainement, si ce que nous croyons de la consubstantialité et de la génération éternelle du Fils de Dieu nous engage dans l’idolâtrie, rien ne peut être plus essentiel ni plus fondamental que ces questions qui regardent cette génération et cette consubstantialité. Or, il est certain que notre doctrine sur ce sujet nous engage dans l’idolâtrie, s’il est vrai que, nous soyons dans l’erreur ; car si Jésus-Christ n’est pas d’une même essence avec son Père, il n’est pas le Dieu et le créateur de toutes choses ; et si cela est encore, nous ne pouvons le mettre sur le trône de l’Être souverain sans une manifeste idolâtrie ; et même il ne nous reste plus d’excuse pour diminuer l’horreur de cette superstition.
Car si nous disons pour notre justification, que nous l’adorons comme l’Être souverain parce que nous le croyons de bonne foi l’Être souverain, les païens, comme nous l’avons déjà remarqué, justifieront le culte qu’ils rendent à leur Jupiter, en disant qu’ils ne l’adorent comme le vrai Dieu que parce qu’ils croient de bonne foi qu’il est le vrai Dieu.
Si nous disons que nous ne sommes point coupables d’adorer Jésus-Christ comme le Dieu souverain, parce qu’encore qu’il ne soit point en effet le Dieu souverain, il mérite pourtant notre adoration, nous ne faisons que changer l’état de la question ; car il ne s’agit point de savoir si Jésus-Christ mérite notre adoration ; mais il s’agit de savoir si nous pouvons l’adorer comme le Dieu souverain, lorsqu’il n’est pas le Dieu souverain en effet.
Si nous disons qu’il ne faut reconnaître pour essentiel et pour véritablement nécessaire au salut, que les choses qui d’un côté sont très clairement contenues dans l’Écriture, et qui de l’autre nous sont commandées ou défendues sous peine de la perte du salut éternel, cela même sert à nous condamner ; car qu’y a-t-il de plus formellement contenu dans l’Écriture, que le précepte de ne pas attribuer à un autre la gloire du Dieu souverain ? Et qu’y a-t-il qui soit défendu sous des peines plus rigoureuses que l’idolâtrie, qui met la créature en la place du Créateur ?
S’il nous vient dans la pensée que le Dieu souverain ne condamnera point notre culte, parce qu’il s’attribue tous les honneurs qu’on rend à son Fils, on nous redressera en nous disant que si Jésus-Christ est une créature, il ne peut être appelé le Fils de Dieu que dans un sens impropre et éloigné, et que quoi qu’il en soit, s’il est une simple créature, la différence qui est entre lui et le Dieu souverain, est plus grande que celle qui peut se trouver entre une créature et une créature, quelle que soit la disproportion qui est entre elles ; et qu’ainsi, si une créature excellente trouve mauvais, avec raison, qu’on transporte à une créature basse les hommages qui lui sont dus, Dieu trouvera plus mauvais encore qu’on rende à Jésus-Christ le culte qui n’est dû qu’à lui seul.
On dit que Jésus-Christ représente le Dieu souverain : oui ; mais pour représenter le Dieu souverain, il n’est pas le Dieu souverain. Il est le Fils de Dieu : oui ; mais il ne porte ce titre que dans une sens impropre et figuré, qui n’empêche pas qu’il n’y ait un plus grand éloignement entre lui et le Dieu souverain, qu’entre le plus sale des insectes et le plus glorieux des anges : de sorte que quand il serait permis de revêtir la plus basse des créatures des titres et de la gloire qui appartiennent à la plus noble, il ne serait jamais permis de rendre à Jésus-Christ les hommages qui ne sont dus qu’au Dieu souverain.