Je me souviens de la première fois où j'ai été invité à prêcher dans une église dont les cultes fonctionnaient selon le schéma appel-répons, une forme d'interaction entre l'orateur et les auditeurs dans laquelle toutes les affirmations du premier (appels) sont ponctuées par des répliques des secondes (répons). Devinant que je n'avais pas forcément l'habitude d'une telle pratique, le pasteur dit à l'assemblée : « Pour préparer notre hôte à notre façon de faire, nous allons commencer par un exemple simple. »
Il fit une courte pause, avant de lancer : « Dieu est bon ! » L'assemblée répondit en chœur : « En tout temps ! ». Il reprit : « Et en tout temps… ». L'auditoire compléta : « Dieu est bon ! »
« Et maintenant, annonça-t-il en me désignant le micro de la chaire, c'est Jim qui va nous conduire. »
Très mal à l'aise et peu habitué à crier, je ne réussis qu'à articuler faiblement : « Dieu est bon ». Pour m'encourager, l'assemblée répondit à tue-tête : « En tout temps ! » Sous l'effet du Saint-Esprit ou de l'adrénaline, ou peut-être des deux, j'enchaînai : « Et en tout temps… » La réponse ne se fit pas attendre : « … Dieu est bon ! »
À l'époque, il m'était facile d'affirmer la bonté de Dieu. Jusque là ma vie avait été marquée par la réussite et la bénédiction. C'est donc tout naturellement que je proclamais à qui voulait l'entendre que Dieu est bon, intrinsèquement bon.
D'ailleurs, les preuves ne manquaient pas autour de moi : j'avais une famille aimante, une épouse ravissante et merveilleuse, un jeune fils en pleine santé, une carrière brillante. Depuis ma conversion quelque douze ans plus tôt, la main bienveillante de Dieu avait reposé sur ma vie. De dire ou même de crier la bonté de Dieu ne me posa donc pas de gros problèmes ce dimanche matin. Mais tout cela était sur le point de changer.
La nouvelle nous fit l'effet d'un coup à l'estomac : la petite fille que mon épouse portait depuis huit mois souffrait d'une anomalie chromosomique rare qui causerait probablement sa mort à sa naissance. Nous rentrâmes à la maison bouleversés et en larmes. Les médecins nous avaient annoncé cette terrible nouvelle sur un ton tellement neutre que j'avais dû résister à l'envie de les empoigner par le col et de les secouer pour leur dire : « C'est de notre enfant que vous parlez, et non pas d'un cas d'école ! » Jusque-là, il ne m'était jamais rien arrivé de grave dans la vie, et voilà que j'étais confronté à l'une des pires souffrances qui puisse exister : la mort annoncée d'un enfant ! Comment pouvait-on survivre à une nouvelle de ce type ? Comment passer de la décoration de la chambre du futur bébé à l'organisation de ses obsèques ? Comment un chrétien, quelqu'un qui croit à la bonté de Dieu, réagit-il à une situation aussi tragique ?
Il s'avéra que les médecins s'étaient trompés dans leur diagnostic. Notre bébé souffrait bien d'une anomalie chromosomique, mais celle-ci n'était pas immédiatement fatale. Notre petite Madeline (pour comble d'ironie, son nom signifie « haute tour ») survécut à sa naissance. Mais elle ne pesait que quelques livres, souffrait d'une déficience cardiaque, de surdité et son estomac était incapable de garder quelque nourriture que ce soit. De l'avis des médecins spécialistes, elle ne vivrait pas plus d'un an ou deux. S'ouvrit alors une période particulièrement difficile pour ma femme et moi, faite d'une succession incessante de hauts et de bas.
Un jour, un pasteur que je connaissais de longue date m'invita à déjeuner pour me changer les idées. Alors que j'étais au milieu de ma salade, il me demanda soudain :
« Qui a péché, Jim, toi ou ta femme ?
– Excuse-moi… que veux-tu dire ? m'étonnai-je.
– Eh bien, l'un de vous – ou les deux – a dû commettre un péché à un moment ou un autre, pour que cela vous soit arrivé. »
J'essayai de me remémorer toutes les fautes que j'avais commises au cours de ma vie, me demandant laquelle avait pu irriter Dieu au point qu'il nous donne un enfant atteint de malformations fatales. Se pouvait-il que ce pasteur ait raison ? Je pensai à une bonne demi-douzaine de péchés relativement grossiers, mais rien d'illégal ou d'immoral, et certainement rien de suffisamment grave pour qu'un bébé dût en subir la peine. Et si c'était ma femme ? songeai-je alors. Après tout, il a mentionné l'un de nous deux. Peut-être est-ce elle qui a péché. Qu'a-t-elle bien pu faire ? Je laissai mes pensées vagabonder sur ce mode le reste de l'après-midi, ce qui ne fit que m'enfoncer davantage dans un mélange confus de remords et de tristesse, de colère et de suspicion. J'avais de plus en plus l'impression que la naissance de Madeline était la triste somme d'une équation simple de cause à effet. Soit Dieu réglait se comptes avec nous, soit il avait une autre raison d'agir comme il l'avait fait. Et de juger ou de douter de la justice de Dieu ne ferait qu'ajouter à mon péché.
Madeline vécut un peu plus de deux ans, après quoi son petit corps abandonna la lutte. Au cours de ces vingt-quatre mois, et pendant toute l'année qui suivit, nous entendîmes des réflexions qui dénotaient une ignorance et un manque de tact révoltants. Lors de la présentation du corps le soir précédant les funérailles, une femme vint dire à mon épouse : « Ne vous en faites pas, vous aurez d'autres enfants » ! Les commentaires que je trouvai les plus choquants étaient les tentatives d'explication théologique des intentions de Dieu. « Je suis sûr que le Seigneur a une bonne raison pour vous faire passer par là » me dirent plusieurs. « Je pense que Dieu l'aimait tellement qu'il voulait l'avoir près de lui au ciel » affirma un autre. Ou encore : « Parfois les enfants sont trop beaux pour cette terre. » Le Dieu dont parlaient ces personnes était par trop méchant ou trop petit. Elles voulaient et avaient besoin de croire en l'existence d'un plan divin, mais celui-ci présentait un Dieu qui se préoccupait davantage de lui-même que de moi. Ces chrétiens voulaient me faire croire en un Dieu cruel, capricieux et égoïste.
George Fox (1624-1691), le fondateur du mouvement Quaker, rapporte dans son journal qu'il s'assit un jour près d'un ruisseau et entendit le Saint-Esprit lui murmurer ces paroles : « Un seul, Christ Jésus lui-même, peut parler à ta condition. » J'en suis profondément convaincu. Notre « condition » était simple : mon épouse et moi étions des disciples fidèles – quoique imparfaits – de Jésus et nous étions confrontés à l'une des expériences les plus douloureuses qui fût : la mort d'un enfant.
Lorsqu'il s'agit de choisir le bon récit concernant Dieu, j'ai appris à me poser la question suivante : Cette compréhension de Dieu est-elle cohérente avec le Dieu révélé par Jésus ? Que dirait Jésus concernant notre situation ? Conclurait-il à l'instar de mon ami pasteur, que la maladie de notre fille était la conséquence de notre péché ?
Le pasteur qui m'avait demandé « Qui a péché ? » fonctionnait selon un récit vieux comme le monde. Presque toutes les anciennes religions étaient construites sur la croyance que l'homme devait faire quelque chose pour mériter les bénédictions des dieux ; inversement, s'il les irritait, il était immanquablement puni. Ce récit peut se résumer ainsi : « Dieu est un juge sévère. Si tu agis bien, tu seras béni ; si tu pèches, tu seras puni. »
Non seulement ce récit se retrouve dans la plupart des religions primitives, mais il semble également présent dans la Bible hébraïque. Dans Exode 20.5, nous lisons cette mise en garde concernant les idoles : « Tu ne te prosterneras pas devant elles, tu ne leur rendras pas de culte ; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les fils jusqu'à la troisième génération de ceux qui me haïssent. » C'était ce qu'enseignaient les rabbins au temps de Jésus et c'était encore le récit dominant parmi ses contemporains. Le théologien Raymond Brown fait remarquer : « Les rabbins parlaient de ‘punitions d'amour’ infligées par Dieu aux hommes, c'est-à-dire de châtiments qui, si la personne les endurait patiemment, lui vaudrait une longue vie et des récompenses. »
Bien que ce récit remonte au judaïsme des temps bibliques, nombreux sont les chrétiens modernes à l'avoir adopté. Peu de temps après la tragédie du 11 septembre 2001, deux télévangélistes célèbres affirmèrent que Dieu punissait ainsi les États-Unis, et plus particulièrement New York, pour leur péché. Le Dieu de Jésus en avait apparemment assez des homosexuels, des lesbiennes, des strip-teaseurs hommes et femmes, des flambeurs et des revendeurs de drogue, qu'il avait demandé à un groupe de non chrétiens d'écraser des avions sur des tours de sa part.
Ce récit est celui de bon nombre de gens qui vivent en marge de la foi et c'est aussi le plus répandu parmi les chrétiens. Une étude révèle que c'est l'image que la plupart des chrétiens conservateurs ont de Dieu. Environ trente-sept pour cent des chrétiens pensent que Dieu est à la fois « prompt au jugement et fortement impliqué dans les affaires des humains ». Tel un juge divin, Dieu nous surveille de près, décidé à nous punir sévèrement, même pour des infractions mineures.
Je dois confesser que j'ai longtemps ajouté foi à ce récit. Si je faisais quelque chose de particulièrement bien – si je priais longuement ou passais une journée à servir mon assemblée – je me demandais quelle bénédiction Dieu le donnerait en récompense. Si, par contre, j'agissais mal – si je mentais à un ami ou manquais le culte pour aller jouer au golfe – j'essayais d'imaginer quand et comment Dieu me punirait. Il me fallut attendre d'être confronté à la maladie de ma fille pour mettre ce récit en question. À l'évidence, notre petite Maddie n'avait pas péché pour attirer cette maladie sur elle ! Et quelle faute terrible ma femme ou moi-même aurions-nous bien pu commettre pour que Dieu la fasse payer à un petit enfant ? Notre épreuve m'amena à reconsidérer sérieusement l'image que j'avais de Dieu. Pour ce faire, je me tournai vers celui qui est le plus habilité à parler de lui : Jésus lui-même.
Jésus proclame avec assurance que son Père céleste est bon – d'une bonté inégalée. « Un seul est bon » (Matthieu 19.17). Dans toutes ses paroles, Jésus dépeint un Dieu à la fois bon et qui veut toujours notre bien, même si cette bonté et cette bienveillance échappent à notre compréhension. Et qu'en est-il du récit qui affirme que Dieu punit les méchants ? La question fut posée à Jésus à deux reprises, la première à l'occasion de deux événements tragiques causés, l'un par la cruauté humaine et l'autre par une catastrophe naturelle.
« En ce temps-là, quelques personnes vinrent lui raconter ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. Il leur répondit : ‘Pensez-vous que ces Galiléens aient été de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu'ils ont souffert de la sorte ? Non vous dis-je. Mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même. Ou bien, ces dix-huit sur qui est tombée la tour de Siloé et qu'elle a tués, pensez-vous qu'ils aient été plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, vous dis-je. Mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement’ » (Luc 13.1-5). |
La question de ces Juifs dérive de la conception d'un Dieu qui punit : « Ces hommes ont-ils souffert parce qu'ils étaient de plus grands pécheurs que les autres ? » Jésus dément catégoriquement. Il refuse de valider cette façon de penser. S'il y avait le moindre rapport entre le péché et la punition, il aurait aisément pu répondre par l'affirmative. Or, il utilise cette tragédie, non pas pour expliquer comment Dieu punit les hommes, mais pour rappeler qu'il y a pire que la mort.
La deuxième occasion où Jésus dénonce la conception du « Dieu qui punit » me parle tout particulièrement. Face à un homme aveugle de naissance, ses disciples lui demandent : « ‘Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?’ Jésus répond : ‘Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui’ » (Jean 9.2-3).
Les rabbins du temps de Jésus enseignaient que les maladies étaient causées par les péchés de la personne elle-même ou ceux de ses parents. Du fait que la cécité de cet homme était congénitale – il était né aveugle, on pouvait supposer que les coupables étaient ses parents. Mais comme certains rabbins affirmaient qu'un enfant pouvait pécher dans le ventre de sa mère, il n'était pas exclu que ce soit quand même de sa faute. Pour d'autres peuples de l'Antiquité qui croyaient en la réincarnation, une maladie congénitale était due à un péché commis dans une vie antérieure. La cécité, pensait-on, provenait de ce que la personne avait tué sa mère dans une vie antérieure.
L'occasion est donnée ici à Jésus de confirmer le récit dominant, mais il s'y refuse. Son affirmation que ni cet homme ni ses parents n'ont péché semble étrange à première vue, car je ne connais personne qui n'ait jamais péché. Mais ce n'est pas ce que Jésus veut dire ici : l'idée est qu'il n'y a aucun rapport entre le péché d'une personne et son infirmité. Jésus aurait pu dire : « Oui, c'est la faute de ses parents. Ils ont suivi d'autres dieux et mon Père se venge sur leur enfant. » Ou encore : « C'est de sa propre faute. Quand il était dans le ventre de sa mère, il a eu des pensées mauvaises, aussi Dieu l'a-t-il rendu aveugle. » Permettez-moi d'insister une fois de plus sur ce point : Jésus n'a rien dit de tel.
Qui plus est, Jésus guérit l'homme de sa cécité ! Ce geste est lourd d'implications. Si Jésus avait pensé que l'infirmité de cet homme était juste une punition pour ses péchés (ou ceux de ses parents), il aurait continué son chemin. La justice l'aurait exigé. Mais Jésus guérit l'aveugle et révèle ainsi la puissance de Dieu. L'exégète Merill Tenney conclut :
« Jésus refusa de cautionner l'une ou l'autre alternative suggérée par la question des disciples. Il considérait la souffrance de cet homme, non comme une rétribution pour quelque offense commise par ses parents ou par lui-même, mais une occasion d'accomplir l'œuvre de Dieu. Pour Jésus, la cécité de cet homme n'était pas une punition ou une malchance inexplicable, mais une invitation à manifester la puissance de guérison de Dieu dans la vie de l'aveugle. » |
Jésus dément clairement l'opinion selon laquelle « nous recevons ce que nous méritons ». Dieu ne passe pas son temps à tenir des comptes sur un échiquier céleste. Dans un autre évangile, Jésus utilise cette phrase bien connue pour montrer que Dieu traite tous les hommes de la même manière : « … Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et les injustes » (Matthieu 5.45).
Jésus énonce une vérité évidente : de même que le soleil brille et que la pluie tombe indifféremment sur les saints et sur les pécheurs, Dieu accorde ses bénédictions à tous les hommes, quelle que soit la façon dont ils mènent leur vie. Des malheurs terribles frappent des gens tout à fait honorables. Des choses merveilleuses arrivent à des pécheurs invétérés. La réalité ne nous permet pas d'affirmer que les méchants sont punis et les justes bénis.
Je pense comprendre ce qui fait le succès de la notion d'un Dieu qui punit le pécheur et bénis le juste : nous aimons avoir le contrôle de la situation. Cette conception nous permet de vivre dans l'illusion que nous pouvons contrôler notre monde, une perspective très séduisante dans une existence chaotique. Ce n'est rien d'autre, cependant, qu'une forme de superstition, au même titre que la peur de passer sous une échelle, de briser un miroir ou de voir un chat noir traverser la route devant nous. Nous savons tout au fond de nous que les superstitions sont ridicules, mais cela ne nous empêche pas d'y croire.
La croyance que Dieu nous punit ou nous récompense selon nos actes n'est pas seulement superstitieuse, elle est également dénuée de tout fondement. Saint Augustin d'Hippone, au quatrième siècle, a fait ressortir un problème évident :
« Nous ignorons en effet par quel jugement de Dieu cet homme est pauvre, et ce méchant opulent… pourquoi l'homme religieux est consumé par la langueur, tandis que l'impie est plein de santé… Encore si ces contradictions étaient ordinaires dans la vie… Mais la plupart du temps, les méchants ont aussi des maux, et les bons leurs joies ; ce qui rend les jugements de Dieu plus impénétrables et ses voies plus incompréhensibles. Et cependant, bien que nous ignorions par quel jugement Dieu fait ou permet ces choses, lui qui est la vertu, la sagesse et la justice suprêmes, lui qui n'a ni faiblesse, ni témérité, ni injustice, il nous est avantageux en définitive d'apprendre à ne pas considérer beaucoup les biens et les maux communs aux bons et aux méchants… » |
J'aime l'honnêteté de cette constatation. Nous ne savons pas pourquoi Dieu permet qu'il en soit ainsi. Et Saint Augustin souligne également que les bons ont aussi leurs joies et les méchants leurs maux.
Prenez la stérilité, par exemple. Je connais plusieurs couples fidèles qui sont incapables de concevoir un enfant et qui vivent cet état comme une souffrance et une honte. Et voilà que ce matin je lis dans mon journal local l'histoire d'une mère qui a prostitué sa petite fille de six ans pour pouvoir s'acheter de la drogue ! Pourquoi cette femme a-t-elle pu concevoir un enfant, alors que cette joie est refusée à mes amis ? Devrions-nous en conclure que les bons souffrent toujours et les méchants jamais ? Non, bien entendu. Il arrive aussi que les méchants souffrent et que les bons prospèrent. De toute évidence, il n'existe aucun système logique qui permettrait d'expliquer cet état de fait.
Malgré cela, Saint Augustin continue de croire que Dieu « est la vertu, la sagesse et la justice suprêmes » et qu'il « n'a ni faiblesse, ni témérité, ni injustice ». Il nous est « avantageux » poursuit-il, de ne pas perdre notre temps à nous interroger sur le pourquoi du bien et du mal. C'est inutile, parce ce cette question échappe à notre entendement. Et, surtout, elle nous empêcherait d'attacher notre esprit à ce qui est vraiment important. En conclusion, il nous conseille plutôt de :
« ne chercher que des biens qui n'appartiennent qu'aux bons et… fuir des maux qui ne sont propres qu'aux méchants ». |
Nous devrions donc concentrer notre attention sur « les biens qui n'appartiennent qu'aux bons ». Que faut-il comprendre par là ? Il s'agit de bénédictions dont jouissent uniquement ceux qui s'efforcent de faire le bien. C'est, d'une certaine manière, la seule justice sur laquelle nous pouvons compter.
Par exemple, je me trouve en ce moment au Brésil en compagnie de deux amis pasteurs. Ils ont passé des années au service des habitants de Rio de Janeiro et de Campinas, à leur annoncer l'Évangile et à leur témoigner leur amour. Même si je ne connais pas suffisamment bien le portugais pour tout comprendre, j'ai vu des dizaines d'hommes et de femmes qui ont été bénis au travers de leur ministère venir les embrasser et les remercier. Les visages des pasteurs Eduardo et Ricardo rayonnaient de joie.
Cette expérience est étrange à ceux qui font le mal. Ceux qui sont égoïstes, mesquins et méchants ne connaîtront jamais la joie de ces deux pasteurs. Ce type de bonheur est réservé à ceux qui font le bien.
Inversement, Saint Augustin nous recommande de « fuir des maux qui ne sont propres qu'aux méchants ». Les égoïstes, les cupides, les méchants ont pour compagnons fidèles la culpabilité, la solitude, le remords et le dégoût d'eux-mêmes. Ils savent ce que c'est que d'être entourés de ténèbres et vaincus par elles. Certes, ces considérations ne règlent pas entièrement le problème, mais elles nous laissent entrevoir la bonté de Dieu. Le Seigneur promet que ceux qui aiment et qui servent, qui sont honnêtes et fidèles, connaîtront une joie et une paix à laquelle les méchants ne goûterons jamais.
Nous ne connaîtrons jamais, dans cette vie, le pourquoi de ce qui nous arrive. Si nous sommes honnêtes et objectifs, nous sommes forcés de reconnaître qu'il y a peu de justice sur cette terre. Saint Augustin conclut ce thème de la souffrance par une dernière parole de sagesse, en nous promettant qu'un jour, nous comprendrons :
« Lorsque nous serons arrivés à ce jugement suprême de Dieu… alors nous reconnaîtrons la justice des jugements de Dieu, non seulement de ceux qu'il rend maintenant, mais aussi des jugements qu'il a rendus dès le commencement, et de ceux qu'il rendra jusqu'à ce moment. Alors, on verra clairement la justice de Dieu, que la faiblesse de notre raison nous empêche de voir dans un grand nombre et presque dans le monde entier de ses jugements, quoique d'ailleurs les âmes pieuses aient toute confiance en sa justice mystérieuse. » |
Si Saint Augustin était mon pasteur, il me dirait : « Nous ne pouvons pas connaître ces choses maintenant, elles dépassent notre entendement. Mais je sais que tout deviendra parfaitement clair un jour. Alors vous comprendrez pleinement pourquoi Dieu a permis que votre fille vienne au monde avec une anomalie chromosomique et pourquoi elle n'a vécu que deux ans. Et je suis convaincu que ce jour-là, vous verrez que Dieu n'était pas seulement juste, mais aussi bon. »
Je tiens à affirmer clairement que ce ne sont pas simplement les récits de Jésus qui m'ont aidé, mais que Jésus lui-même m'a porté tout au long de mon chemin de souffrance et de doute. Jésus non seulement explique la souffrance, mais il l'a aussi expérimentée. Cloué à la croix, se sentant abandonné du Père, il a enduré la pire des aliénations possibles. Moi aussi, je me suis senti abandonné de Dieu en entendant le verdict des médecins. Jésus comprend.
Dans sa lettre aux Galates, Paul fait cette confession émouvante : « Je suis crucifié avec Christ, et ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi ; ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi » (Galates 2.20).
Dans certaines versions récentes de la Bible (NBS) vous pouvez lire : « Je la vis dans la foi du Fils de Dieu ». Il existe donc une ambiguïté quant à la traduction. Pourquoi la plupart des traducteurs bibliques ont-ils choisi la première variante ? Je pense que c'est parce que nous avons tendance à insister sur notre foi en Jésus et que nous sommes peu habitués à penser à la foi de Jésus pour nous.
Jésus a affirmé que son Père est bon. Il a également refusé de cautionner l'idée que Dieu nous récompense ou nous punit sur la base de nos œuvres bonnes ou mauvaises. Il pleut sur les méchants comme sur les bons. Parfois nous prions pour que Dieu fasse tomber la pluie (pour nos récoltes) et parfois nous prions qu'il la retienne (pour nos pique-niques). La pluie arrose à la fois les méchants et les bons, qu'ils le veuillent ou non. Jésus a connu le rejet, la souffrance et l'aliénation, et les gens se sont moqués de lui en le voyant cloué à la croix, doutant que Dieu fût vraiment avec lui. Mais Jésus a cru. Et il croit pour moi, pour nous. Il croit même quand nous en sommes incapables. Il prie même quand aucune parole ne franchit nos lèvres. Nous avons part à sa foi.
J'affirme avec Paul que j'ai été crucifié avec Christ. Ce mystère me dépasse, mais je sais que Jésus est plus près de moi que je ne le suis moi-même. Christ vit en moi, et je vis par sa foi. Je ne suis pas seul. Il ne s'agit pas simplement d'adopter les récits justes, mais de laisser Jésus vivre en moi, au travers de moi et pour moi. L'amour du Père, la rédemption du Fils et la communion du Saint-Esprit ne dépendent pas de ce que je fais ou ne fais pas. C'est un don du Saint-Esprit que de croire en un Dieu qui est bon, même quand tout paraît sombre.
Quelques années après la mort de Madeline, je connus une journée difficile de solitude et de tristesse. Je repensai aux années passées, à notre douleur à l'annonce de la terrible nouvelle, aux innombrables nuits passées à arpenter les services des hôpitaux et au jour sombre et pluvieux où nous portâmes son petit corps en terre. Je me tournai vers Dieu et lui dis sans réfléchir : « Peut-être aurait-il mieux valu qu'elle ne naisse jamais. »
Je crois que jamais la réponse de Dieu ne me parvint de façon plus claire. Ce jour-là, à ce moment précis, une petite voix pénétra dans mon esprit, une voix de petite fille que je n'avais jamais entendue mais que je reconnus immédiatement comme celle de Madeline. « Tu ne devrais pas dire çà, papa. Si je n'était pas née, je ne serais pas ici maintenant. Je suis tellement heureuse au ciel et un jour toi, maman et Jacob me rejoindrez et nous vivrons pour toujours ensemble. De plus, tu ne peux pas voir maintenant tout le bien qui est arrivé grâce à moi, mais tu le comprendras un jour. »
Je me repentis aussitôt de mes pensées ignobles et me laissai tomber à terre, en larmes. Combien j'étais reconnaissant pour ces paroles ! Un autre récit avait pénétré dans mon esprit, un récit qui m'ouvrait une perspective nouvelle, celle du ciel. Je commençai à voir comment une personne pouvait être confrontée à une tragédie sans nom et quand même dire : « Dieu est bon » ; à comprendre comment Job a pu déclarer : « Même s'il voulait me tuer, je m'attendrais à lui » (Job 13.15) ; et comment Jésus a pu suer des grumeaux de sang dans le jardin de Gethsémané et quand même appeler son Père « Abba ».
Deux ans après la mort de Madeline, mon épouse Meghan fut de nouveau enceinte. Pendant huit mois, nous vécûmes avec beaucoup d'anxiété, mêlée d'un tout petit peu de foi. Nous nous rendîmes à la première échographie les genoux tremblants, prêts à entendre une mauvaise nouvelle. La technicienne, qui ignorait notre passé, ne cessa de faire des commentaires doux à nos oreilles : « Des petites mains parfaites… un cœur parfait… votre bébé semble absolument parfait. Voulez-vous connaître son sexe ? Nous lui répondîmes par l'affirmative et elle nous dit : « C'est une petite fille. Comment allez-vous l'appeler ? »
La réponse fusa de nos deux bouches en même temps : « Hope » (N.D.T. Hope signifie « espérance ».)
Cela fait maintenant dix ans que Madeline est morte. Entre-temps, j'ai compris beaucoup de choses sur la nature de Dieu. Je sais maintenant qu'il ne m'appartient pas de juger de sa bonté. Je suis un être humain doté d'une compréhension limitée et, plus je progresse dans la foi, plus grande m'apparaît mon ignorance. C'est sur le témoignage de Jésus que je dois fonder ma foi. Mes déceptions et mes révoltes m'en apprennent davantage sur ma propre personne et mes attentes que sur Dieu. La bonté de Dieu – je le vois plus clairement maintenant – est vaste et ardente. Jésus ne nous a jamais promis une vie facile. Il a même dit exactement le contraire : « Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage, moi, j'ai vaincu le monde » (Jean 16.33).
Nous devrions nous attendre à connaître le chagrin, la souffrance et le deuil, parce qu'elles font partie de notre humanité et qu'elles peuvent être utiles à notre croissance. Jacques a dit :
« Mes frères, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, sachant que la mise à l'épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse une œuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits et accomplis, et qu'il ne vous manque rien » (Jacques 1.2-4) |
J'ai progressé davantage au travers de mes difficultés que de mes succès. Je ne cherche pas les épreuves et je n'ai pas la même foi ni la même consécration que Jacques. Si je ne considère pas les épreuves « comme un sujet de joie complète », j'apprends cependant à faire confiance à Dieu quand elles me frappent. Et la vie ne m'a pas épargné ces années passées.
Je n'ai pas reçu d'autre invitation à prêcher dans la fameuse église des « appel-répons », mais je n'ai pas besoin d'une chaire pour proclamer que Dieu est bon. Je sais avec certitude que Dieu n'a pas frappé ma fille d'une maladie congénitale pour la punir de ses péchés, de ceux de ma femme ou des miens. Et je sais que Dieu est juste. Et je tiens fermement à l'espérance du ciel, un lieu où les injustices seront réparées et où je comprendrai tout pleinement. Je crois tout cela à cause de la foi du fils de Dieu, qui m'a aimé et s'est donné lui-même pour moi. Où que je me trouve, je peux affirmer avec assurance : « Dieu est bon en tout temps… et en tout temps Dieu est bon ! »
Que pouvons-nous faire pour mieux connaître et expérimenter la bonté de Dieu ? Pour découvrir le Dieu que Jésus connaît ? Les deux exercices ci-dessous peuvent nous y aider. Le premier nous apprend à ralentir, à faire silence et à vivre le moment présent. Le second ouvre nos yeux sur la beauté qui nous entoure.
Nous vivons dans un monde bruyant et pressé, et rares sont ceux d'entre nous qui prennent la peine de s'arrêter et de faire silence. Or, le Dieu qui est bon ne peut nous atteindre que dans le calme. Pour paraphraser le psalmiste, nous devons nous « arrêter » et « savoir que Dieu est bon ». Je voudrais vous encourager cette semaine à trouver cinq minutes chaque jour pour faire silence. Prenez une tasse de café ou de thé, trouvez un fauteuil confortable et restez simplement assis en silence. C'est tout. Ce n'est pas terriblement difficile, mais les bienfaits que vous récolterez seront nombreux. Suivez ces quelques conseils :
Cet exercice peut vous paraître difficile à première vue, mais avec un peu d'effort, vous devriez pouvoir l'effectuer sans peine sur une base quotidienne. Je suis certain qu'il prendra de plus en plus d'importance dans le déroulement de vos journées. Il vous aidera à ralentir le rythme de votre existence et à prendre davantage conscience de la présence de Dieu.
Et qui sait, peut-être vous amènera-t-il à observer régulièrement des temps de repos qui transformeront les notes de votre vie (vos actions) en une belle mélodie.
De grands théologiens ont mentionné le monde créé et sa beauté comme le premier signe de la bonté de Dieu. C'est également ce qu'a affirmé Paul dans le premier chapitre de sa lettre aux Romains. La création nous parle de la bonté et de la gloire de Dieu au travers de ses couleurs éblouissantes et de ses parfums enivrants. Les levers et les couchers de soleil sont des spectacles grandioses qui se produisent deux fois par jour, mais auxquels les gens, trop pressés, ne prêtent que rarement attention. Dieu aurait pu créer un monde laid ; rien ne l'obligeait à composer une nature aussi magnifique. La beauté est étroitement liée à l'ordre. La simple observation d'une pâquerette révèle la pensée de Dieu.
Maureen Conroy, membre de la congrégation des Sœurs de la Miséricorde, recommande l'immersion dans la création comme une façon de découvrir la bonté et l'amour de Dieu. Elle suggère l'expérience suivante : promenez-vous à l'extérieur en prêtant une attention particulière aux spectacles, aux sons et aux couleurs de la nature ; choisissez si possible un parc ou un endroit relativement épargné par la civilisation ; munissez-vous d'un crayon et d'un carnet et notez tout ce que vous voyez dans un secteur déterminé ; imaginez que vous devez communiquer vos observations à quelqu'un qui n'a jamais pu sortir de sa maison pour profiter de la beauté du monde créé ; relevez la couleur des plumes des oiseaux, la symétrie des feuilles et le bruit du vent ; pensez à Dieu comme à un grand artiste dont vous seriez l'élève chargé d'étudier tous les détails de son chef d'œuvre.