Le titre même de notre ouvrage : Le Catholicisme à la lumière de l’Ecriture Sainte, pose un grave problème, qu’il faut traiter sans tarder : en matière de foi et de conduite, quelle est l’autorité suprême du chrétien ? Est-ce la Bible ou l’Eglise ?
Ce problème peut se formuler aussi de cette manière : l’Ecriture Sainte a-t-elle le droit de juger l’Eglise, ou est-ce l’Eglise qui doit juger l’Ecriture Sainte ? Où encore, Dieu, voulant sauver l’homme en lui donnant son Fils, Jésus-Christ, a-t-il voulu se révéler aux hommes par un livre, l’Ecriture Sainte, ou par l’Eglise ?
Avant de pouvoir résoudre ce problème, examinons d’abord ce que l’Eglise dit de la Révélation divine et ce qu’en dit l’Ecriture elle-même.
Voici ce que dit le catéchisme Romain (5e partie, par. 4) :
Où sont contenues les vérités que Dieu a révélées ?
… dans l’Ecriture Sainte et dans la Tradition.
Qu’est-ce que l’Ecriture Sainte ?
… la collection des livres écrits par les prophètes et les hagiographes, les apôtres et les évangélistes, sous l’inspiration du Saint-Esprit, et reçus par l’Eglise comme inspirés.
… l’Ecriture Sainte est appelée communément la Sainte Bible.
Pourquoi l’Ecriture Sainte est-elle appelée le livre par excellence ?
… à cause de l’excellence des matières qu’elle traite et de l’auteur qui l’a inspirée.
Ne peut-il y avoir d’erreur dans l’Ecriture Sainte ?
Il ne peut y avoir aucune erreur dans l’Ecriture Sainte puisque, en effet, elle est inspirée par Dieu, l’auteur de toutes ses parties est Dieu lui-même. Cela n’empêche pas que, dans les copies et les traductions qui en ont été faites, il ne puisse s’être glissé quelques fautes, ou des copistes ou des traducteurs. Mais dans les éditions revues et approuvées par l’Eglise catholique, il ne peut y avoir d’erreur en ce qui concerne la foi ou la morale.
Voici le dogme catholique, sur ce point :
Les Ecritures admises par l’Eglise dans le canon sont inspirées, ont été écrites sous l’influence du Saint-Esprit et ont par suite Dieu pour auteur (PTD I. 33).
Les Pères de l’Eglise et les conciles ont toujours reconnu l’inspiration divine de l’Ecriture Sainte, qui est la Parole de Dieu. Sur ce point-là, les chrétiens évangéliques sont d’accord avec l’Eglise Catholique. L’inspiration de l’Ancien Testament est prouvée dans le Nouveau par la façon dont le Christ le cite fréquemment en reconnaissant son autorité divine, par exemple lorsqu’il repousse le tentateur en citant trois fois le Deutéronome (Matthieu 4.4, 7, 10). Les apôtres ont fait de même, et Paul (2 Timothée 3.16) dit au sujet de l’Ancien Testament : « Toute Ecriture est inspirée de Dieu et utile… ». Pierre écrit (2 Pierre 1.21) : « aucune prophétie d’Ecriture… n’est venue par volonté humaine, c’est poussés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu. »
L’inspiration du Nouveau Testament résulte objectivement du don du Saint Esprit que les apôtres ont reçu. Les livres du Nouveau Testament contiennent en effet l’enseignement des apôtres, et s’imposèrent comme tels à l’Eglise, et les premiers docteurs accordent une confiance égale aux deux Testaments, qui sont « l’Ecriture divine » (Polycarpe 1, Irénée, Tertullien).
1 Tous les chrétiens étant des saints au sens biblique (v. p. 29 et 129), les pères de l’Eglise sont cités sous leur simple nom dans cet ouvrage.
L’Eglise Catholique affirme que l’Eglise seule a le droit d’interpréter la Bible ; Dieu, en quelque sorte, ne se révèle à l’homme dans l’Ecriture qu’à travers l’interprétation qu’en donne l’Eglise ; c’est ce qui ressort du catéchisme :
La lecture de la Bible est-elle nécessaire à tous les chrétiens ?
… n’est pas nécessaire à tous les chrétiens, puisqu’ils sont instruits par l’Eglise ; cependant, elle est très utile et recommandée à tous.
Peut-on lire quelque traduction que ce soit en langue vulgaire ?
On peut lire les traductions de la Bible en langue vulgaire qui sont reconnues fidèles par l’Eglise catholique et qui sont accompagnées d’explications approuvées par elle.
Pourquoi ?
… parce que l’Eglise est seule la légitime gardienne de la Bible.
Que devrait faire un chrétien à qui une Bible serait offerte par un protestant ou un de leurs émissaires ?
Un chrétien… devrait la rejeter avec horreur, parce qu’elle est interdite par l’Eglise, S’il l’avait reçue sans y faire attention, il devrait au plus tôt la jeter au feu ou la remettre à son curé.
Pourquoi ?
L’Eglise interdit les Bibles protestantes parce que, ou bien elles sont altérées et contiennent des erreurs, ou bien, manquant de son approbation et de notes qui expliquent les sens obscurs, elles peuvent nuire à la Foi. C’est pour cette raison que l’Eglise interdit même les traductions de la Sainte-Ecriture qu’elle a déjà approuvées, mais qui ont été réimprimées sans des explications approuvées par elle.
C’est pourquoi le Concile de Trente déclare que l’Ecriture n’est pas directement accessible au fidèle :
« nul ne peut savoir si cette Parole est de Dieu qu’autant que l’Eglise l’a déclaré. L’autorité de la Bible vient de l’Eglise » (Sess. IV, De author. Eccles.).
Il en résulte logiquement, pour le fidèle, que la lecture de la Bible est inutile.
L’histoire de l’Eglise abonde en exemples où les Ecritures ont été lues et comprises par le fidèle sans intermédiaire ; ce fut le cas de Jérôme et d’Augustin. Irénée (adv. Haeres. XXVII. 2) déclare :
« … les Ecritures tout entières, les Prophètes, les Evangiles peuvent être clairement, sans ambiguïté et harmonieusement comprises par tous, bien que tous ne les croient pas. »
Il est inutile d’ajouter que les versions protestantes actuelles ne sont pas altérées et ne contiennent pas d’erreur, et que de grands savants catholiques le reconnaissent volontiers. Il est vrai qu’elles sont en général sans notes explicatives mais c’est par souci d’objectivité totale.
Oui, répond l’Eglise, en formulant ce dogme :
En dehors de l’Ecriture, la Tradition doit être acceptée comme une source propre de la foi (De foi, PTD. I. 44).
Voici ce qu’en dit le catéchisme :
Qu’est-ce que la Tradition ?
C’est… la Parole de Dieu qui n’est pas écrite, mais qui, communiquée de vive voix par Jésus-Christ et par les apôtres, est parvenue sans altération de siècle en siècle jusqu’à nous par le moyen de l’Eglise.
Où sont contenus les enseignements de la Tradition ?
… principalement dans les décrets des Conciles, les écrits des Saints Pères, les actes du Saint-Siège, les paroles et les usages de la liturgie sacrée.
Quel cas faut-il faire de la Tradition ?
Il faut faire de la Tradition le même cas que de la Parole de Dieu révélée que contient l’Ecriture Sainte.
Et un évêque, Mgr Audollent (Explication du catéchisme de Paris, p. 118) ajoute ceci :
« Jésus-Christ a dit beaucoup plus que les évangélistes n’ont écrit : eux-mêmes ont soin de nous en prévenir (Jean 21.25). Les apôtres ont commencé par transmettre de vive voix à leurs disciples les enseignements du Sauveur : ce fut même, au commencement, leur unique manière d’enseigner, et les Evangiles ne furent écrits qu’un peu plus tard… »
N’est-ce pas insinuer que l’Evangile, c’est-à-dire la Parole écrite, est inférieur à la tradition, puisqu’il est moins abondant et plus tardif ? En outre, pour le fidèle, la Bible doit être lue par personne interposée (Les notes), tandis que la tradition lui est accessible directement. La Tradition est, pour lui, supérieure à la Bible.
Je sais que Mgr Bartmann (PTD. I. 51) reconnaît que « l’Ecriture conserve, dans son contenu et sa forme un avantage sur la Tradition… L’Ecriture a été transmise à l’Eglise par des organes inspirés et conserve par là la marque permanente de l’inspiration. La Tradition, par contre, bien que procédant au début de porteurs inspirés de la Révélation, n’a pu se transmettre plus tard qu’avec l’assistance du Saint-Esprit ».
Par contre, le Père Tanquerey, dont la Synopsis Theologiae Dogmaticae fait autorité dans la plupart des grands séminaires, après avoir affirmé que la Tradition est la source principale de la révélation, supérieure à l’Ecriture, va jusqu’à dire :
« Voici la conclusion de tout ce traité : Si, en vérité, il est nécessaire de comparer le magistère vivant (c’est-à-dire l’enseignement de l’Eglise) à la Tradition et à l’Ecriture, il ressort de cette comparaison que ce magistère vivant du corps épiscopal, existant maintenant sous le Pontife Romain, est la règle de foi la plus proche de nous, qui nous enseigne authentiquement Ia Parole de Dieu. L’Ecriture et la Tradition, prédication de l’Eglise dans les siècles reculés, sont des règles de foi lointaines.&nbso,» (Pars Prior. Tractatus, V).
Cette conclusion paraît l’aboutissement logique de la thèse catholique.
* * *
Une remarque s’impose ici : la Tradition, étant orale, est pratiquement indéfinissable. Mgr Bartmann considère comme « sources » de la Tradition, les symboles, la catéchèse des premiers évêques (dont bien peu d’éléments subsistent), les liturgies, les actes des martyrs, les décrets des conciles, l’enseignement des Pères, des papes, les catéchismes, les bréviaires, les images, les statues, l’architecture chrétienne… (PTD. I. 49).
Mais les écrivains ecclésiastiques se sont souvent contredits : lesquels représentent la Tradition vraie ? L’Eglise répond : quelques-uns d’entre eux, dont il faut plus « peser les voix que les compter ». Avec quelle balance ? Nous savons que les conciles n’ont pas toujours été unanimes : leurs décrets sont parfois contradictoires. Et que penser de tant d’Actes de martyrs qui sont d’invraisemblables histoires, proches des contes de fées ? Quels sont ceux qui contiennent l’authentique Tradition ?
D’ailleurs, l’Eglise primitive n’a pas accepté la Tradition sur le même plan que l’Ecriture. On peut citer des Pères de l’Eglise :
Cyrille d’Alexandrie (Ve siècle) :
« Comment pourrions-nous recevoir ce que l’Ecriture Sainte n’a point dit et le mettre au rang des choses véritables ? » (Exposition de la Genèse, livre II).
Chrysostome (345-407) :
« Les choses qu’on invente sous le nom de Tradition apostolique, sans l’autorité de l’Ecriture, sont frappées du glaive de Dieu. » (Homélies sur Matth. 49).
Irénée (mort en 202) :
« Les Ecritures sont parfaites, car elles sont les paroles de Dieu, dictées par son Esprit. Elles sont seules la Tradition apostolique manifestée au monde entier. » (Cité par Malan, sans référence précise, dans son livre sur l’Église Romaine, page 39).
Dans ce gigantesque ensemble constitué par tous les ouvrages des Pères, les décrets des conciles et les traditions orales, c’est l’Eglise qui décide en définitive qui sont les Pères authentiques et ceux qui ne le sont pas, et ce qu’il faut prendre ou laisser dans la Légende Dorée. L’Eglise est donc maîtresse de la Tradition.
Il paraît que Pie IX n’a pas dit la phrase célèbre qu’on lui attribue : « La Tradition, c’est moi ! », mais c’est bien cela tout de même, malgré les démentis des théologiens comme Mgr Bartmann (PTD I. 48). En mettant la Tradition — si insaisissable — sur le même plan que l’Ecriture Sainte, l’Eglise, par sa position d’arbitre et d’interprète, paraît au fidèle au-dessus de l’Ecriture. Est-ce biblique ?
Au temps de Jésus, il y avait une situation semblable chez les Juifs. A côté de l’Ecriture Sainte ils avaient une vaste tradition contenue dans des paraphrases et des commentaires. La Synagogue, par Les Scribes et les Docteurs de la loi, prétendait interpréter la Bible. Jésus fait sur ce point de véhéments reproches aux Docteurs d’Israël, et fait appel directement au texte sacré, et le peuple s’étonne qu’il ne parle pas comme les Docteurs de la loi ! Voilà quelques-uns de ces reproches : « Il leur disait : Vous annulez bel et bien le commandement de Dieu pour observer votre tradition. » « Vous annulez la Parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes transmise » (Marc 7.9 et 13).
La tradition n’est jamais au-dessus de l’Ecriture, elle ne peut qu’être explicative.
Certes, l’ensemble de l’opinion et des expériences des chrétiens des générations précédentes, est très utile à connaître, mais elle ne doit jamais se substituer à l’Ecriture qu’elle veut expliquer. Il est très dangereux de placer la Tradition au même rang que l’Ecriture. Les docteurs juifs devaient se soumettre à l’Ecriture, souveraine et seule règle de foi et de conduite.
Dès le début de l’Eglise, les fidèles sont approuvés quand ils vérifient si l’enseignement des apôtres est conforme à l’Ecriture. C’est le cas pour les disciples de Bérée, qui, après avoir écouté l’apôtre Paul, « examinaient les Ecritures pour voir si tout était exact. » (Actes 17.12).
Et les apôtres mettent en garde les chrétiens contre les Docteurs qui commettent la même erreur que les scribes et attachent à leurs interprétations de l’Evangile une valeur égale à l’Evangile lui-même :
Galates 1.9 : « Si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! »
Colossiens 2.8 : « Prenez garde qu’il ne se trouve quelqu’un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la philosophie, selon une tradition tout humaine. »
C’est l’Ecriture Sainte, dont Dieu est l’auteur, qui juge l’homme. Jésus affirme : « La parole que j’ai fait entendre voilà qui le jugera, au dernier jour ! » (Jean 12.48). L’Eglise ne peut que proclamer cette parole, elle ne peut rien y ajouter et rien y retrancher. Le chrétien a donc toujours le droit, et le devoir, de vérifier si l’enseignement de l’Eglise est conforme à l’Ecriture.
Il est vrai que certains hommes ont fait dire à la Bible des monstruosités, en l’expliquant au moyen de leur libre examen, mais ils ne se sont pas soumis à son Auteur et n’ont pas voulu vraiment être instruits par elle. Nous croyons que la Bible n’est pas un livre comme les autres, puisqu’elle a Dieu pour Auteur. Le Saint-Esprit, qui l’inspira, agit dans le cœur du croyant, en lui accordant son secours surnaturel. C’est l’Esprit qui reste le meilleur interprète de l’Ecriture, comme Jésus l’affirme à ses disciples : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de Vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière… » (Jean 16.13). Dieu peut se révéler directement à l’homme par l’Ecriture Sainte, nous en avons maints exemples dans l’histoire de l’Eglise.
* * *
Pour répondre à notre question du début, nous affirmons que l’Ecriture Sainte, Parole de Dieu, est la seule autorité souveraine pour le chrétien. L’Eglise elle-même doit lui être soumise. C’est pour cela que dans cet ouvrage nous voulons comparer l’enseignement de l’Eglise Catholique au texte des Ecritures.
Le problème du Canon.
La traduction grecque de l’Ancien Testament, connue sous le nom de Version des Septante, faite avant l’ère chrétienne en Egypte, contient un certain nombre de livres qui ne se trouvent pas dans la Bible hébraïque, et, de plus, Daniel et Esther ont dans cette traduction plusieurs passages qui ne se trouvent pas non plus dans l’hébreu. Ces textes qu’on appelle Apocryphes, ou Deutérocanoniques, ont été considérés par les docteurs juifs comme en dehors du Canon (liste) des livres divinement inspirés, et ils n’ont jamais été cités par Jésus ou ses apôtres dans le Nouveau Testament 2. C’est pour cette raison que les auteurs évangéliques, tout en reconnaissant la valeur de ces livres, ne les considèrent pas comme inspirés, et qu’ils ne sont généralement pas imprimés dans les bibles protestantes. Les évangéliques pensent que les juifs ayant été chargés de conserver les livres saints, c’est leur jugement qui prévaut sur ce point.
2 A part quelques allusions probables dans les épitres de Jacques et aux Hébreux.
Le Concile de Trente, par contre (Sess. IV) décida d’admettre ces livres comme divinement inspirés et les inscrivit dans le Canon des Ecritures, à l’exception de quelques-uns. Pourtant Athanase, Cyrille de Jérusalem, Amphilochius et en particulier Jérôme, le grand savant bibliste, font une nette différence entre ces livres et le Canon juif, et de nombreux savants du moyen âge les ont suivis, tout en citant volontiers des passages tirés de ces livres.
La liste et l’emplacement de ces passages est d’ailleurs variable dans les bibles catholiques.
L’édition officielle de la Vulgate, en 1592, contient ces livres (indiqués ici en italiques), dans cet ordre : Néhémie (appelé II Esdras) ; Tobie, Judith, Esther (et ses additions), Job, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique, Sagesse de Salomon, Ecclésiastique, Isaïe, Jérémie, Lamentations, Baruch, et Epître de Jérémie, Ezéchiel, Daniel et ses additions (chant des jeunes Hébreux, Suzanne, Bel et le Dragon), les petits prophètes, I et II Maccabée. En appendice de l’Ancien Testament, en petits caractères, et avec la mention qu’ils sont « en dehors de la liste des livres canoniques », on trouve : La prière de Manassé, III et IV Esdras. La Bible de Jérusalem (édition 1956) suit à peu près le même ordre ; cependant elle place les Maccabées entre Esther et Job.
L’Eglise Catholique reconnaît comme Apocryphes les livres suivants des Septante : III et IV Esdras, III et IV Maccabées, les Odes et les Psaumes de Salomon, et la prière de Manassé.