L’histoire de la Bible

L’ÉCRITURE AU SERVICE DE L’ÉCRITURE

2. MOÏSE UTILISE L’ALPHABET, LA GRANDE DÉCOUVERTE DE SON TEMPS

« Car Dieu… a dit : La lumière brillera du sein des ténèbres ! » 1

1 2 Corinthiens 4.6.



L’Euphrate ; sa vallée fut le berceau des civilisations.

A l’époque où les hommes des cavernes habitaient l’Europe, de prodigieuses civilisations prenaient leur essor au Moyen-Orient. L’histoire naquit sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, et près de 60 siècles de bouleversements internationaux n’ont pas effacé les traces laissées par ces peuples autant avides de connaissances que de conquêtes ; à leur tête, il convient de citer les Sumériens.

Au fil de leurs découvertes, archéologues et chroniqueurs ont cherché à situer dans le temps la civilisation sumérienne. Ils ne parvinrent pas à faire concorder leurs constatations : 3500, 4000, 5000 ans avant J.-C. ? Laissons à ces spécialistes la responsabilité de leurs estimations. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est le fait que ce peuple préhistorique était déjà expert dans l’art de l’écriture.

« Qu’as-tu fait à l’école ?
— J’ai récité ma tablette, j’ai pris mon déjeuner, j’ai préparé ma nouvelle tablette, je l’ai remplie d’écriture, je l’ai terminée ; puis on m’a indiqué ma récitation et, dans l’après-midi, on m’a indiqué mon exercice d’écriture. A la fin de la classe, je suis allé chez moi, je suis entré dans la maison, où j’ai trouvé mon père assis. J’ai parlé à mon père de mon exercice d’écriture, puis je lui ai récité ma tablette, et mon père a été ravi.
Quand je me suis éveillé tôt le matin, je me suis tourné vers ma mère et je lui ai dit : Donne-moi mon déjeuner, je dois aller à l’école. Ma mère m’a donné deux petits pains et je suis-allé.à l’école. Là, le surveillant de service m’a dit : Pourquoi es-tu en retard ? Effrayé et le cœur battant, je suis allé au-devant du, maître et je lui ai fait une respectueuse révérence… »

Le texte se poursuit, s’allongeant par des descriptions très colorées ; l’arrivée tardive de l’écolier lui vaut le fouet ; en outre, il doit subir une sévère réprimande au sujet de sa mauvaise écriture, ce qui entraîne une nouvelle correction. En désespoir de cause, il propose alors à son père d’inviter le maître à la maison et de l’amadouer par quelques présents. Il n’en faut pas davantage pour que le professeur change d’avis au sujet du jeune garçon. Comblé d’honneurs et de cadeaux, goûtant aux mets les plus succulents, il ne peut que louer l’assiduité de son élève, et ceci à la grande satisfaction du père et des gens de la maison.

« Jeune homme, parce que vous n’avez pas dédaigné ma parole, ni ne l’avez mise au rebut, puissiez-vous atteindre le pinacle de l’art du scribe, puissiez-vous l’atteindre pleinement. Puissiez-vous atteindre au plus haut rang parmi les écoliers… Vous avez bien rempli vos tâches scolaires, vous voici devenu un homme de savoir. » 2

2 Samuel N. Kramer : « L’histoire commence à Sumer », p. 50-51, édition Arthaud.



Tablette de caractères pictographiques.

On pourrait presque croire que ce récit a été rédigé en notre 20e siècle. Cependant son auteur, un adolescent de Sumer, l’a gravé sur des tablettes d’argile, utilisant de petites figurines qu’il alignait, chacune d’elles correspondant à une syllabe. Ce sont les fameux caractères pictographiques, dont l’invention date de plus de 50 siècles. Déchiffrant ces textes, les archéologues du 20e siècle en tirèrent la conclusion suivante : Si ces hommes qu’on appelle primitifs étaient à même de transcrire leurs actions capricieuses, n’étaient-ils pas aussi ca- pables de graver des documents plus importants ?

La Bible évoque les premières générations de l’humanité. En quelques pages, elle résume les traits dominants de ces âges obscurs, montrant en particulier que le premier couple, Adam et Eve, fut l’objet de révélations particulières de la part de son Créateur. Cependant, les paroles divines adressées aux premières générations de l’humanité ne dépendirent pas du seul truchement des traditions orales pour être transmises à leurs descendants. Il est probable que, dès l’aube de l’histoire, l’écriture les fixa, les préservant ainsi de bien des déformations ou altérations. Tout nous porte à croire par exemple qu’Hénoc, le premier prophète de la Bible 3, eut la possibilité d’écrire ou de faire transcrire ses révélations. Il en fut de même des discours du patriarche Job. On a retrouvé en Anatolie et ailleurs des textes « imprimés » sur le roc, à l’aide de caractères vraisemblablement taillés dans du plomb, comme le disque de Phaestos (île de Crète, 2e millénaire). Job avait très probablement connaissance de ce mode d’écriture lorsqu’il s’écria :

3 Genèse 5.22-24 ; Jude 14-15.

« Oh ! je voudrais que mes paroles fussent écrites,
Qu’elles fussent écrites dans un livre :
Je voudrais qu’avec un burin de fer et avec du plomb
Elles fussent pour toujours gravées dans le roc. » 4

4 Job 19.23-24.

Si les documents originaux ont été égarés, ils ne furent pas perdus pour tout le monde. Que ce soit avant où après le déluge, des croyants suscités par Dieu conservèrent ces textes et les transmirent aux générations suivantes ; celles-ci en prirent soin jusqu’au moment où, sous l’impulsion déterminante du Saint-Esprit, Moïse fut appelé à rédiger la Genèse. Alors le souffle divin s’empara du premier écrivain sacré, comme il se saisit ensuite de ses successeurs :

« Ce n’est pas par une volonté d’homme
qu’une prophétie a jamais été apportée,
mais c’est poussés par le Saint-Esprit que
des hommes ont parlé de la part de Dieu. » 5

5 2 Pierre 1.21.

Moïse n’eut pas à trier la littérature accumulée jusqu’alors. Le Saint-Esprit agit en son esprit pour fixer le choix de la matière. Il en fut de même pour les autres écrivains sacrés, et en particulier pour les quatre évangélistes transcrivant la vie terrestre du Seigneur Jésus-Christ, ainsi que le rappelle le dernier verset de l’Evangile selon Jean :

« Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses ; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait. » 6

6 Jean 21.25.

Au lieu d’avoir recours à une matière morte émanant de documents transmis au hasard des circonstances, Moïse reçut de Dieu une révélation précise exprimant le message que le Créateur réservait aux hommes : il en fut de même, au cours des siècles, de tous ceux qui furent choisis pour communiquer le texte de la Révélation divine. Nous reviendrons plus loin à cette grande vérité de l’inspiration plénière des Ecritures.

Les échanges internationaux étaient alors fort réduits ; les civilisations de l’antiquité se dévelopèrent indépendamment les unes des autres, sur les rives du Nil, dans le bassin mésopotamien, sur les hauts plateaux de l’Anatolie où en Extrême-Orient. Chacune d’elles inventa son propre système d’écriture : hiéroglyphes égyptiens, caractères cunéiformes de la vallée de l’Euphrate, etc. Aujourd’hui encore, les égyptologues qui se spécialisent dans l’étude des hiéroglyphes laissent aux archéologues fouillant la Mésopotamie le soin de déchiffrer les caractères cunéiformes, chaque sphère d’investigation constituant un monde en soi.



Caractères cunéiformes.

Mais d’autres peuples du Croissant Fertile parvinrent à un degré élevé de connaissances, en subissant indirectement l’influence et l’apport culturel de l’Egypte ou de la Babylonie. Phéniciens, Hittites, Assyriens, Cananéens ont laissé de nombreux documents de leurs transactions commerciales ou de leurs conquêtes militaires. Leurs techniques pouvaient différer, mais il est indéniable que le niveau de culture atteint par ces civilisations était en grande partie conditionné par l’usage et la propagation de l’écriture.

Cependant, les érudits du 19e siècle n’admettaient guère de telles théories. Conduits par Ewald, Kuenen et Wellhausen, les savants émirent une hypothèse qui, à l’époque, fit grand bruit. De l’avis de la majorité, l’écriture n’avait pu être inventée qu’au 6e siècle avant J.-C, si bien que les textes de l’Ancien Testament n’auraient été rédigés qu’à l’époque des captivités d’Israël et de Juda, soit près de 1000 ans après Moïse. Ce courant d’opinions dirigea les pensées philosophiques et théologiques du début du 20e siècle ; il surgit encore aujourd’hui en certains commentaires pénétrés des idées destructrices de la critique biblique. L’histoire s’est pourtant chargée d’infirmer ces théories abracadabrantes : non seulement l’écriture a joué un rôle prépondérant dans le développement des civilisations d’antan, mais les caractères alphabétiques ont fait leur apparition dès le 18e siècle avant J.-C. pour se propager en Phénicie et en Palestine dès le 15e siècle, précisément dans les pays qui ont donné naissance à la Révélation biblique : péninsule du Sinaï, Israël, Syrie et Liban.

Les écritures pictographiques, cunéiformes et hiéroglyphiques comportaient plusieurs centaines de signes conventionnels, désignant chacun un mot ou une syllabe ; par une évolution très lente, les hommes découvrirent qu’il leur était possible d’exprimer aisément les mêmes idées à l’aide d’une vingtaine de lettres. Il n’était donc plus nécessaire de recourir à l’érudition de spécialistes ; lecture et calligraphie devenaient accessibles au commun des mortels.



Le premier abécédaire complet, trouvé à Ras Schamra (Syrie).

Par ses avantages, cette découverte peut se comparer à celle des chiffres arabes, survenue beaucoup plus tard : les chiffres romains avaient paralysé l’arithmétique pendant des siècles ; mais l’invention du zéro rendit possibles les additions, les soustractions, les multiplications et les divisions : dès lors, les mathématiques firent des bonds prodigieux. L’écriture alphabétique elle aussi transforma le mode de vie d’Israël d’abord, et celui du monde entier progressivement : même des hommes de condition modeste apprirent à lire et à écrire. C’est ce que confirment les récits bibliques ; nous nous bornerons ici à citer un seul exemple, datant du 13e siècle avant J.-C. :

« Gédéon… saisit d’entre les gens de Succoth un jeune homme qu’il interrogea, et qui lui mit par écrit les noms des chefs et des anciens de Succoth, soixante-dix-sept hommes. » ? 7

7 Juges 8.14.

Témoignage probant du fait que l’instruction s’était propagée en Israël à tous les échelons de la société.



Le désert de Madian, tel qu’il se présente aujourd’hui. Moïse y demeura 40 ans.



Point d’eau dans le désert. Lorsque Moïse se retira au pays de Madian, il s’arrêta près d’un puits (Exode 2.15) semblable à celui-ci.

Mais revenons à Moïse. Après avoir tué un Egyptien, il dut fuir la terre des pharaons 8. A son insu, il s’intégra ainsi dans le plan souverain de Dieu : N’était-il pas nécessaire qu’une importante phase de sa vie se déroulât dans la péninsule du Sinaï, là même où l’écriture alphabétique avait surgi ? Il devint gendre de Jéthro, sacrificateur de Madian. Or, qui disait alors sacrificateur, disait spécialiste des textes. Certains sont allés jusqu’à dire que Moïse aurait même participé à la grande découverte de son époque ou du moins à ses premières utilisations 9. Un fait est indéniable : Dieu ne voulait pas que Sa Parole fût réservée à quelques initiés privilégiés ; elle était destinée à tous les hommes, sans distinction de classe ou de race. Et lorsque le Saint-Esprit poussa Moïse à exprimer par écrit le message reçu de son Dieu, il bénéficia d’une technique d’avant-garde : l’écriture alphabétique. Dieu avait donc permis cette grande trouvaille qui allait bouleverser les générations suivantes en divers pays, tout en jouant un rôle déterminant dans l’essor spirituel de Son peuple.

8 Exode 2.11-15.

9 voir Léon Benveniste : « L’alphabet est né au Sinaï ».

Or, en cette heure stratégique du milieu du 2e millénaire avant l’ère chrétienne, une seconde découverte devait également être mise au service de la Parole divine : l’emploi des papyrus comme matériel d’écriture. Ce sera le sujet du chapitre suivant.

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