On a eu l’occasion de rappeler déjà les tendances opposées qui séparaient, en matière christologique, l’école d’Antioche de celle d’Alexandrie. Celle-ci mettait au premier plan la divinité du Verbe incarné, et l’unité intime de sa personne : celle-là s’appliquait, au contraire, à bien marquer la distinction des deux natures dans l’Homme-Dieu, et s’intéressait spécialement à sa vie et à ses expériences humaines. Apollinaire avait exagéré jusqu’à l’hérésie la tendance alexandrine : il avait été unanimement condamné. Mais on pouvait corriger en partie son système et en retenir les conclusions : c’est ce que fit l’eutychianisme. L’école d’Antioche, à son tour, connut à la fin du ive et au commencement du ve siècle, des représentants de son enseignement qui en outrèrent l’expression et en oublièrent les justes correctifs. L’histoire a groupé leurs noms autour de celui de Nestorius.
Nous avons à exposer ces deux mouvements d’idées, en commençant par celui qui se rattache à Nestorius. Que l’on veuille bien seulement se rappeler, d’après ce qui vient d’être dit, que ni Nestorius ni Eutychès n’ont été, à proprement parler, les créateurs des hérésies dont ils portent la responsabilité. Ces hérésies existaient avant eux et ne sont, je le répète, que l’expression des tendances de leurs écoles respectives, portées à l’état aigu.
A la première école d’Antioche, fondée par le martyr saint Lucien († 312), en avait succédé, vers le milieu du ive siècle, une seconde qui eut pour auteur Diodore. Diodore était antiochien de naissance et, pendant les luttes arienne et apollinariste, soutint vaillamment, de la parole et de la plume, la cause de l’orthodoxie. Élevé en 378, par les soins de Mélèce, sur le siège de Tarse, il jouit pendant sa vie d’une exceptionnelle considération, juste récompense de sa science et de ses vertus. Cependant, après sa mort, survenue entre les années 386-394, et à partir du ve siècle, cette réputation déclina. Saint Cyrille d’Alexandrie s’était rendu compte que la source du nestorianisme était à chercher plus haut que les écrits de Nestorius, et il crut la trouver dans ceux de Diodore. Il n’hésita pas à les dénoncer ; mais tous ses efforts cour les faire condamner furent vains, et il ne paraît pas que Diodore ait été anathématisé par d’autres que par les monophysites. Ces attaques eurent toutefois pour effet de discréditer, auprès des catholiques, la mémoire de l’évêque de Tarse, et c’est à cette circonstance sûrement qu’il faut attribuer la disparition presque complète de ses nombreux ouvrages.
[Photius affirme (Biblioth., cod. 18) que le cinquième concile général excommunia Diodore ; mais on ne trouve aucune trace d’une pareille condamnation dans les actes de cette assemblée. Peut-être Photius a-t-il attribué au concile de Constantinople de 553 ce qui fut le fait d’un concile (monophysite) de Constantinople de 499 (Victor de Tunnum, Chronique, P. L., LXVIII, 949).]
Saint Cyrille avait-il raison de poursuivre en Diodore un précurseur de Nestorius ? Sans aucun doute ; car on trouve déjà dans les fragments qui restent de son œuvre, et surtout du traité Contre les synousiastes, les formules qui seront condamnées plus tard dans le patriarche de Constantinople. Jaloux de maintenir contre les apollinaristes l’intégrité des deux natures en Jésus-Christ, Diodore distingue énergiquement dans le Sauveur le Fils de Dieu du fils de David que le premier a pris et en qui il a habité : τέλειος πρὸ αἰώνων ὁ υἱὸς τέλειον τὸν ἐκ Δαβὶδ ἀνείληφεν, υἱὸς ϑεοῦ υἱὸν Δαβίδ (col. 1559). Aussi n’est-ce que par figure (καταχρηστικῶς), et parce que le fils de David a été le temple du Verbe, que l’on peut dire du Dieu Verbe, du Fils de Dieu, qu’il est fils de David. Le Verbe n’est pas fils de David, il est son Seigneur (ibid.). Il n’est pas fils de Marie : μὴ τῆς Μαρίας υἱὸς ὁ Θεὸς Λόγος ὑποπτευέσϑω (col. 1560). Ce Verbe, en effet, n’a pas eu deux naissances, l’une éternelle, l’autre dans le temps ; mais né du Père, il s’est fait un temple de celui qui est né de Marie (col. 1561). En conséquence, l’homme né de Marie n’est pas fils de Dieu par nature, mais par grâce : le Verbe seul l’est par nature (χάριτι καὶ οὐ φύσει…, χάριτι υἱὸς ὁ ἐκ Μαρίας ἄνϑρωπος, φύσει δὲ ὁ ϑεὸς Λόγος, col. 1560). C’était enseigner qu’en Jésus-Christ il y avait deux fils distincts, Diodore cependant repousse cette conclusion, sous prétexte qu’il n’enseigne pas qu’il y eût dans le Sauveur deux fils de David ou deux fils de Dieu κατ’ οὐσίαν, mais seulement que le Verbe éternel de Dieu a habité dans celui qui est de la semence de David : Τὸν πρὸ αἰώνων ϑεὸν Λόγον λέγων κατωκηκέναι ἐν τῷ ἐκ σπέρματος Δαβίδ (col. 1559). Il est probable même qu’il maintenait, en paroles du moins, l’unité de personne (col. 1501 A), et il est certain qu’il regardait l’homme on Jésus comme adorable d’une adoration unique avec le Verbe. Toutefois, cet effort pour conserver le langage et justifier l’usage traditionnel ne faisait pas que Diodore sauvegardât réellement l’unité personnelle de Jésus-Christ. Il est trop clair que plusieurs de ses assertions sont inacceptables, et que, voulant mettre en relief l’inconfusion des natures dans le Christ, il les sépare et les isole.
Des œuvres de Diodore, nous l’avons dit, il ne reste que des fragments ; de son disciple Théodore — évêque de Mopsueste en 392, mort en 428 — on n’a conservé aussi, en dehors de deux commentaires exégétiques, que des fragments dogmatiques, mais assez étendus pour fournir un exposé doctrinal complet. Théodore, comme Diodore, a joui de son vivant d’une réputation considérable soit comme prédicateur, soit surtout comme exégète. Pour les nestoriens, il est resté « le commentateur » par excellence. Malheureusement, comme celle de son maître et plus sérieusement encore, cette réputation a eu à souffrir des luttes christologiques où le souvenir de Théodore s’est trouvé mêlé. Le Ve concile général a condamné sa personne et ses écrits, et l’on s’accorde généralement à voir en lui le vrai Nestorius, le théoricien de l’hérésie à laquelle le patriarche de Constantinople a donné son nom. Examinons ce qu’il en est.
Suivant la tradition des théologiens d’Antioche, Théodore s’intéresse particulièrement au côté humain de la personne du Rédempteur. L’humanité prise par le Verbe est une humanité complète (ἄνϑρωπος τέλειος), composée d’une chair humaine et d’une âme raisonnable. Si parfaitement homme est le Sauveur qu’il a grandi et s’est développé — en tant qu’homme — comme les autres enfants, non seulement en âge et en forces physiques, mais en sagesse, en discernement du bien et du mal, en connaissances de toute sorte. Bien plus, il a été tenté, et ses tentations n’ont pas été purement extérieures, elles sont venues du dedans et ont occasionné en lui de véritables luttes, condition de son progrès moral. Il en a triomphé cependant, et est resté toujours indéfectiblement fidèle à Dieu, impeccable qu’il était par sa naissance virginale et par son union avec le Verbe.
Cette union a été à la fois le fait de la grâce et une récompense des mérites prévus de Jésus-Christ homme. Ses mérites ont été en lui en partie la conséquence de son union avec le Verbe, et en partie la cause morale et méritoire de cette union. « Jésus, dit Théodore, eut pour le meilleur une inclination non commune à cause de son union au Dieu Verbe, dont il fut jugé digne suivant la prescience du Dieu Verbe, l’unissant à lui du haut [du ciel] », κατὰ πρόγνωσιν τοῦ ϑεοῦ Λόγου ἄνωϑεν αὐτὸν ἑνώσαντος ἑαυτῷ.
Quelle est donc cette union ? Théodore la désigne par différents mots : ἕνωσις, qui est général ; συνάφεια, couramment employé dans l’école d’Antioche, et qui signifie liaison, conjonction, expression en soi indifférente et dont avaient déjà usé des auteurs certainement orthodoxes ; σχέσις, relation, rapport, beaucoup trop lâche, et que saint Cyrille condamnera vivement ; ἐνοίκησις, inhabitation, le Verbe habitant dans l’humanité comme sous une tente ou dans un temple, conception familière encore aux auteurs d’Antioche.
Cette inhabitation, Théodore, dans un passage fort remarqué de ses œuvres (De incarnatione), l’explique non par une présence en substance ou en opération (οὐσίᾳ, ἐνεργείᾳ) de Dieu dans le Sauveur, mais par une bienveillance, par une complaisance particulière (εὐδοκία) que Dieu et le Verbe spécialement ont prise en Jésus. Cette complaisance n’est pas d’une autre nature que celle que Dieu prend dans les âmes justes ; elle s’en distingue seulement en ce que Dieu et le Verbe se sont complus en Jésus comme dans un fils, ὡς ἐν υἱῷ. Ce mot va devenir le point de départ de toute la théorie de l’union.
« Qu’est-ce à dire comme dans un fils ? demande Théodore. Cela veut dire que, ayant habité [en Jésus], le Verbe s’est uni tout celui qu’il a pris, et l’a préparé à entrer en participation de toute la dignité que lui, Fils par nature qui habite [en Jésus], rend commune entre eux. Il en fait une seule personne [avec soi], de par l’union à laquelle [il l’élève] ; il lui communique toute primauté. Il a voulu tout accomplir par lui, et le jugement, et l’examen du monde entier, et sa propre parousie. »
L’auteur revient ailleurs sur cette assertion et la complète :
« L’union des natures dont la bienveillance est le principe, écrit-il dans son épître à Domnus, opère en elles, par l’homonymie, l’unité absolument indivisible d’appellation, de volonté, d’opération, d’autorité, de puissance, de domination, de dignité, de pouvoir, n’y ayant en elles, suivant cette union, qu’une seule personne. »
Ἡ κατ᾽ εὐδοκίαν τῶν φύσεων ἕνωσις μίαν ἀμφοτέρων τῷ τῆς ὅμωνυμίας λόγῳ ἐργάζεται τὴν προσηγορίαν, τὴν ϑέλησιν, τὴν ἐνέργειαν, τὴν αὐϑεντίαν, τὴν δυναστείαν, τὴν δεσποτείαν, τὴν ἀξίαν, τὴν ἐξουσίαν, μηδενὶ τρόπῳ διαρουμένην; ἑνὸς ἀμφοτέρων κατ᾽ αὐτὴν προσώπου καὶ γενομένου καὶ λεγομένου.
Et un peu plus loin :
« Le mode d’union κατ’ εὐδοκίαν, gardant les natures sans confusion et sans division, montre que des deux la personne est unique, une aussi la volonté, une l’opération, une par conséquent l’autorité et la domination. »
Ὃ δὲ τῆς κατ᾽ εὐδοκίαν ἑνώσεως τρόπος ἀσυγχύτους φυλάττων τὰς φύσεις καὶ ἀδιαιρέτως ἕν ἀμφοτέρων τὸ πρόσωπον δείκνυσιν, καὶ μίαν τὴν ϑέλησιν, καὶ μίαν τὴν ἐνέργειαν, μετὰ τῆς ἐπομένης τούτοις μιᾶς αὐϑεντίας καὶ δεσποτείας.
Et encore :
« Comme il (Jésus) est élevé au-dessus de toute principauté, de tout pouvoir, de toute souveraineté, de toute vertu et de tout nom qui est nommé non seulement dans ce siècle, mais dans le siècle futur, il reçoit l’adoration de toute créature, connue ayant, avec la nature divine une union inséparable, toute créature lui rendant ses adorations à cause et en considération de Dieu. « [Ἀναφορᾷ ϑεοῦ καὶ ἐννοίᾳ πάσης αὐτῷ τῆς κτίσεως τὴν προσκύνησιν ἀπονεμούσης.]
Ainsi donc l’union dans le Christ des natures divine et humaine — union que Théodore déclare avoir commencé avec la conception du Sauveur et être indissoluble : — cette union est telle qu’elle fait participer la nature humaine à la dignité et à l’autorité divines, qu’elle la rend adorable comme Dieu et en raison de Dieu à qui elle est unie, bien plus qu’elle établit entre les deux natures l’unité personnelle. Une personne unique possède à la fois les deux natures, ἑνὸς ἀμφοτέρων… προσώπου καὶ γενομένου καὶ λεγομένου.
Cette dernière affirmation est capitale, et on la retrouve souvent sous la plume de Théodore. « Lorsque nous distinguons les natures, écrit-il, nous disons que la nature du Dieu Verbe est complète, et complète aussi sa personne, car on ne saurait dire qu’une hypostase est impersonnelle, [de même nous disons] que la nature de l’homme est complète et complète aussi sa personne. Mais quand nous considérons l’union, nous disons qu’il n’y a qu’une personne. »
[Οὐδὲ γὰρ ἀπρόσωπον ἔστιν ὑπόστασιν εἰπεῖν. A noter ici le sens du mot ὑπόστασις. Il est remarquable que ce mot dont le sens, au ve siècle, était en quelque sorte consacré en matière trinitaire, pour désigner les personnes divines, ne retenait plus le sens précis de personne, dès qu’on l’employait dans d’autres sujets. Ici il désigne une réalité ou la nature concrète. C’est la signification qu’il conservera avec Nestorius.]
Il n’y a qu’une personne, et en conséquence il n’y a en Jésus-Christ qu’un seul fils et un seul seigneur :
« On ne confesse justement qu’un seul fils, puisque la distinction des natures doit être nécessairement maintenue, et l’union de la personne (ἡ τοῦ προσώπου ἕνωσις) inviolablement conservée ». — « Nous ne disons pas deux fils ni deux seigneurs, car il n’y a qu’un Fils par essence, le Dieu Verbe, Fils unique du Père, dont cet [homme] qui lui est uni, et qui participe à sa divinité, partage le nom et la dignité de fils. Et le Seigneur par essence est le Dieu Verbe dont celui qui lui est uni partage également la dignité. Et c’est pourquoi nous ne disons ni deux fils ni deux seigneurs. »
Donc, en Jésus-Christ dualité des natures, mais unité personnelle, unité de filiation, de seigneurie, de dignité, d’autorité, unité de grandeur adorable : c’est l’enseignement de Théodore, et il semble que rien ne lui manque pour être orthodoxe. Cependant, on a pu remarquer déjà combien souvent, préoccupé de sauvegarder l’intégrité et l’inconfusion des natures dans l’union, l’auteur parle de ces natures comme de deux personnes complètes en soi. La nature humaine est αὐτός, οὗτος, ὁ λαμβανόμενος ; : c’est Jésus qui lutte contre la tentation et qui s’avance vers la perfection « mediante ei deitate ad perfectionem ». C’est l’homme seul qui est le Jésus de l’histoire. Théodore dit sans doute que l’union entraîne entre les deux natures unité de volonté et d’action (μία ϑέλησις, μία ἐνεργεια) ; mais il faut bien se garder de prendre ces expressions dans le sens que leur donneront plus tard les monothélites, et qui d’ailleurs serait erroné. L’unité dont il est ici question est une harmonie purement morale : la volonté humaine se conformait à celle du Verbe, et son action se subordonnait à la sienne. Et Théodore paraît bien parfois mettre dans cette harmonie des volontés le vrai lien qui unissait les deux natures en communauté de personne : Ὁ τεχϑεὶς ἐκ τῆς παρϑένου δίχα σπορᾶς ἄνϑρωπος οὐ διεκρίϑη τοῦ Λόγου, ταυτότητι γνώμης αὐτῷ συνημμένος, καϑ’ ἣν εὐδοκήσας ἥνωσεν αὐτὸν ἑαυτῷ. Chaque nature gardait physiquement son action propre qui devait lui être attribuée, et que l’on ne pouvait que par figure et par une sorte d’abus de langage attribuer à l’autre même prise in concreto et dans l’union.
Nous touchons ici à la question de la communication des idiomes, et c’est un des points où se révèle davantage le vice de la christologie de Théodore. L’évêque de Mopsueste ne se rend pas compte, comme d’ailleurs tous les écrivains d’Antioche, que la personnalité de Jésus-Christ est dans le Verbe, que le mystère de l’incarnation consiste simplement en ce que la personne du Verbe, possédant déjà la nature divine, s’est adjoint une nature humaine, et que dès lors à ce Verbe incarné on peut et on doit rapporter toutes les actions et passions de son humanité. Théodore ne voit pas cela, et c’est pourquoi il condamne comme des erreurs apollinaristes toutes les formules qui attribuent au Verbe incarné les actions et passions humaines, aussi bien que celles qui attribuent à l’homme concret, en Jésus-Christ, les attributs et actes divins. Il faudrait citer ici tous les fragments de son ouvrage contre Apollinaire. Ainsi, c’est une folie de dire que Dieu est né d’une vierge : « Est quidem dementia Deum ex virgine natum esse dicere… Natus autem est ex virgine qui ex substantia virginis constat, non Deus Verbum ex Maria natus est. Natus autem est ex Maria qui ex semine est David. Non Deus Verbum ex muliere natus est, sed natus ex muliere qui virtute sancti Spiritus plasmatus est in ea. » Peut-on dès lors appeler Marie ϑεοτόκος ? Oui, mais improprement : « Lorsqu’on nous demande si Marie est ἀνϑρωποτόκος ou ϑεοτόκος, répondons que pour nous elle est l’un et l’autre : ἀνϑρωποτόκος par la nature du fait, ϑεοτόκος par relation (ἀναφορᾷ). Ἀνϑρωποτόκος par nature, puisque était homme celui qu’elle portait dans son sein et qui en est sorti : ϑεοτόκος, parce que Dieu était dans l’homme qu’elle a engendré, non par une limitation de sa nature en lui, mais par un rapport de sa volonté » (κατὰ τὴν σχέσιν τῆς γνώμης). Enfin, l’homme en Jésus est-il fils naturel de Dieu ? Non. « C’est par grâce (χάριτι) que Jésus a aussi participé à la filiation, n’étant pas né du Père par nature, avec cependant ce privilège au-dessus des autres, qu’il a acquis la filiation par son union avec le Verbe, ce qui lui en vaut une plus importante communication. » Et encore : « C’est par grâce qu’il a reçu la filiation, la divinité seule possédant la filiation naturelle », χάριτι προσείληφεν τὴν υἱότητα, τῆς ϑεότητος μόνης τὴν φυσικὴν υἱότητα κεκτημένης. Or il est bien évident que, par ces mots, et quoi qu’il en dise, Théodore laisse subsister deux fils en Jésus-Christ, tout ainsi qu’au même endroit il laisse subsister deux seigneurs. Il y a sans doute une seule filiation et une seule seigneurie, essentielle dans le Verbe, adoptive et participée dans Jésus, mais il y a deux sujets de cette seigneurie et de cette filiation.
Il se trouve donc un vice radical dans la doctrine christologique que Théodore, à la fin du ive et dans le premier quart du ve siècle, enseignait à Antioche et à Mopsueste. L’auteur s’efforce sans doute de garder lus formules traditionnelles, et croit suffisamment les justifier par ses explications. Mais l’assertion fondamentale de l’unité personnelle de Jésus-Christ n’y est pas assez poussée : Théodore lui-même n’en comprend ni tout le vrai sens ni toute la portéeb. Dans sa préoccupation d’écarter l’apollinarisme, il ne voit pas ce que cette hérésie contenait de vrai, et l’intérêt sotériologique capital qu’il y avait à souder intimement, en Jésus-Christ, l’humanité au Verbe, à proclamer un Dieu-Homme souffrant et mourant. Des vérités mêmes dont il admet la formule Théodore ne sait pas tirer les conséquences logiques. Joignez à cela un langage incorrect, et des propositions qui, dans leur sens obvie du moins, blessaient l’orthodoxie. C’est plus qu’il n’en faut pour expliquer que l’évêque de Mopsueste ait été condamné par un concile conduit par des théologiens disciples de saint Cyrille. Il le méritait assurément, ne fût-ce que pour les interprétations fâcheuses auxquelles ses écrits se prêtaient si aisément.
b – Dans le Contra Apollinarium, IV (Swete, 318, 319, col. 999, 1000), Théodore compare l’union des natures à celle du corps et de l’âme ; mais dans le De incarnutione, VIII (Swete, 299, col. 981), il la compare à l’union de l’homme et de la femme, dont il est dit qu’ils ne sont pas duo, sed una caro.