— En rappelant cet ordre de l’Ecriture, nous avons désiré vous interroger sur une question qui intéresse certainement tous les parents. Le fait que vous soyez vous-même père d’une nombreuse famille donne de la valeur à vos observations et à vos conseils.
— Merci d’accréditer par cette remarque les quelques réflexions que je désire partager avec vous. En effet, c’est trop souvent que les conseils d’éducation, pour ne pas dire les théories éducatives, sont données aux parents par des personnes qui n’ont jamais eu d’enfants. Il est facile à des célibataires ou à des couples sans enfants d’expliquer aux pères et mères de famille comment ils doivent s’y prendre pour avoir des enfants bien éduqués. Mais peut-être que ces mêmes personnes bien intentionnées auraient moins d’assurance quant à la valeur de leur méthode, si elles avaient elles-mêmes à en faire l’application. Disons-le d’emblée, en soulignant que nous exagérons un peu : autant d’enfants, autant de méthodes éducatives possibles.
— Votre remarque nous prépare à comprendre que vous attachez beaucoup plus d’importance aux éducateurs eux-mêmes, qu’à leurs méthodes. C’est l’éducateur qui donne sa vraie valeur à toute méthode éducative.
— On ne peut définir plus heureusement ce que je tiens pour une attitude fondamentale en matière d’éducation. Les méthodes ont toutes une certaine valeur et pourraient toutes être tenues pour relativement bonnes. Mais l’essentiel à rappeler en matière d’éducation concerne les parents bien avant les enfants.
— Cela reviendrait-il à dire que là où l’éducation a échoué, les parents auraient donc d’abord à s’en prendre à eux-mêmes, avant de blâmer leurs enfants ?
— La logique vous fait aboutir à une conclusion qui pourrait paraître brutale à l’oreille de parents en peine avec leurs enfants. Il serait fort dangereux, sinon injuste, d’appliquer cette conclusion à tous les cas où l’échec est manifeste. Ce serait oublier que les enfants sont aussi des responsables. Aussi bien que leurs parents, ils ont une conscience, une intelligence ; les torts que pourraient avoir leurs parents, les erreurs d’éducation dont ils pourraient être les victimes, ne seront jamais tels que ces enfants — surtout s’ils sont devenus grands et ont atteint l’âge de raison — puissent être tenus pour irresponsables. La vieille formule : “Ce n’est pas de ma faute, mon père buvait” est une allégation facile et hypocrite par surcroît. On pourrait rétorquer à celui qui s’en prévaut pour justifier son inconduite, qu’il est de nombreux enfants de buveurs chez lesquels, précisément, la fâcheuse attitude du père a été décisive dans leur vie d’enfant. Ayant goûté à la souffrance que l’alcoolisme créait au foyer, ils en ont été guéris à toujours et n’en prennent pas prétexte pour s’alcooliser à leur tour.
— Mais tout en reconnaissant que l’accent doit être mis sur l’éducateur plutôt que sur les méthodes, n’y a-t-il pas lieu cependant, de définir ce que peuvent être celles-ci ?
— Pour ma part, je discerne trois méthodes possibles, en précisant d’emblée que deux d’entre elles m’apparaissent très insuffisantes, voire dangereuses. Et ce sont ces deux méthodes que je vais d’abord esquisser.
La plus mauvaise est certainement celle qui prétend donner à l’enfant le maximum de liberté. Sous prétexte que l’enfant est un chef-d’œuvre en devenir, les parents de ce chef-d’œuvre assistent en spectateurs à l’éclosion et au développement de la personnalité incomparable du “phénomène”. Il peut crier, se démener comme un sauvage, faire usage de tous ses instincts rangés sous le nom d’originale fantaisie, personne ne dit rien. Refuse-t-il de venir à table ou de s’y tenir convenablement ou d’y manger ce qu’a préparé sa mère ou la maîtresse de maison, on acquiesce ; pour rien au monde, on ne voudrait entraver le développement du petit chéri ! Le petit chéri décide de toutes choses le concernant ; ses heures de sommeil et — devenu grand — ses heures de sortie et de rentrée ; ses compagnes et ses compagnons de jeu ; ses lectures ; les sports qu’il veut pratiquer ; l’utilisation qu’il fera de ses loisirs, de ses week-ends ; tout est laissé à son goût et à ses décisions personnelles.
Je dis cette méthode absurde, car elle ignore trois faces de la réalité et trois faces combien importantes !
La méthode éducative ici dénoncée souligne l’inconscience des parents et des éducateurs qui, semblables à Jonas, fuient devant leur tâche. Rien d’étonnant si, plus tard, le bateau familial connaît des tempêtes.
— Tout à l’heure, vous incriminiez une seconde méthode. Quelle est-elle ?
— Elle consiste à faire peser sur nos enfants le carcan d’une loi où les “tu dois, il faut, je t’interdis, j’exige” s’abattent de jour en jour, à toute heure, en tout lieu, en toutes circonstances, avec menaces à l’appui si l’enfant ne se plie pas à cette éducation d’esclave. Cette forme d’éducation connaît des applications diverses. Elle a pour fin l’écrasement de toutes personnalités naissantes qui, ou bien resteront des mineurs toute leur vie, ou bien deviendront des révoltés tentés de franchir un jour avec excès les limites de sagesse qu’on avait cru leur imposer, souvent avec de bonnes intentions. Cette révolte se fera d’autant plus violente que les parents étaient exigeants et avaient toujours raison contre leurs enfants.
—… sans compter le nombre de parents qui exigent beaucoup de leurs enfants alors qu’eux-mêmes sont souvent loin d’être ou de faire ce qu’ils attendent de leur progéniture ! On pourrait dénoncer de la même manière les parents qui ont de grandes ambitions pour leurs enfants, mais ne se demandent pas si celles-ci correspondent à leurs goûts et à leurs aptitudes. Mais passons à la bonne manière d’éduquer un enfant. Qu’avez-vous à nous dire ?
— Parlons brièvement de la méthode et en même temps de l’éducateur. Nous en verrons successivement trois aspects.
Je ne vous apprends rien en vous disant que la Bible comprend deux parties distinctes : l’Ancien et le Nouveau Testament. Le premier connaît une note dominante : la loi, autrement dit les “tu dois, il faut”, alors que le Nouveau Testament met en évidence la grâce et le pardon, vraies sources de notre liberté. Cette pédagogie divine est précieuse à retenir. L’enfant, dans son jeune âge, a besoin de rencontrer chez ses parents une réelle autorité, facteur d’une réelle discipline. L’enfance est l’époque par excellence de la loi que l’on ne discute point. Mais cette loi qu’imposent les parents n’est pas une fin en soi. A rester toujours à ce stade, on créerait la révolte chez l’enfant. Déjà dans l’Ancien Testament Dieu dit à son peuple : “J’ai mis devant toi le bien et le mal, la bénédiction et la malédiction, la mort et la vie : choisis la vie”. C’est, en effet, la première perspective d’une éducation selon le Seigneur. Elle doit amener l’enfant à un juste discernement des choses, à un choix en accord avec sa propre conscience et les égards dus au prochain. C’est là le premier élément béni d’une juste éducation : que l’enfant apprenne à se conduire, et à vivre en opérant sans cesse un choix, heureux pour lui et pour les autres, dans toutes les possibilités qui lui sont offertes.
— A cet égard quel est le rôle de l’éducateur ?
— Tout simplement de payer d’exemple ! Car l’enfant apprend et choisit d’abord par imitation. D’où l’importance de l’exemple de ses parents, et vice-versa, le désastre d’une éducation légaliste sans cesse démentie par le mauvais exemple des parents. Disons, en passant, qu’à cet égard la lecture de saines biographies peut jouer un rôle déterminant chez l’enfant.
— Mais les parents ne sont pas infaillibles ! L’enfant sera le premier à s’en apercevoir. Comment y remédier ?
— L’enfant découvre plus ou moins tôt les imperfections de ses parents et éducateurs. Quel avantage si ceux-ci ne sont pas de simples moralistes, mais des chrétiens ! Car ils peuvent amener l’enfant à comprendre que la loi à mettre en pratique vient de quelqu’un d’autre, de Dieu lui-même, et qu’aux exigences de sa loi, Dieu a ajouté toutes les bénédictions de sa grâce. Là encore, l’exemple des parents est déterminant. Ils apprendront à leurs enfants qu’ils sont, eux parents, les premiers bénéficiaires de cette grâce ; qu’ils sont chaque jour à demander pardon à Dieu pour telle ou telle de leurs insuffisances. Résultat : derrière le visage de ses parents, l’enfant découvre la présence du Dieu vivant, un Dieu saint qui ne tient pas le coupable pour innocent, mais qui se réjouit de faire grâce au pécheur ; qui nous apprend à aimer comme Il nous aime, à pardonner comme Il pardonne. Et le chemin d’obéissance sur lequel doit marcher l’enfant est tracé d’autant plus facilement que ses parents y marchent aussi. Il pourra y avoir lutte, tension, même discussion violente parfois ; mais il ne pourra jamais y avoir révolte. Les exigences des parents ont pour garant le Seigneur lui-même, sa Parole, sa présence. On peut discuter les parents et leur autorité, mais on ne discute pas le Seigneur et la sainteté de sa loi.
— Vous avez parlé d’un troisième aspect…
— J’ose dire qu’il est la conséquence des deux premiers, lors même qu’il s’impose dans le même temps où ils sont mis en pratique. Vivre de la grâce de Dieu parce que celle-ci couvre sans cesse nos désobéissances de la loi, n’est pas toute la vie chrétienne. Dans le plan divin, la loi conduit à la grâce certes, mais la grâce, quand elle nous conduit à la repentance, nous découvre le Sauveur vivant. Jésus appelle aussi nos enfants à la nouvelle naissance, à la régénération.
Pour élever nos enfants selon le Seigneur, il faut donc que nos enfants aient passé par la conversion, suivie d’une nouvelle naissance. Christ n’est pas seulement celui qui pardonne. Il est aussi celui qui donne un cœur nouveau, un esprit nouveau. C’est ce que Dieu, par sa loi et par sa grâce, veut finalement accorder à nos enfants.
Là encore, l’exemple des parents et de l’éducateur est déterminant. Nous ne pouvons conduire les autres, nos enfants en particulier, plus loin que nous n’avons été nous-mêmes. Nous ne pouvons nous attendre à voir nos enfants vivre dans la communion du Christ vivant, être par lui rendus vainqueurs et de l’ennemi et de leurs mauvais penchants naturels, si nous-mêmes, leurs parents et leurs éducateurs, nous ne connaissons pas le Christ libérateur et n’avons pas trouvé en lui la libération qui leur est offerte. Il faut que nous l’ayons nous-mêmes saisie, expérimentée, pour que nous puissions en être les témoins devant nos enfants.
C’est pourquoi nous conclurons notre entretien de ce jour par une parole de l’apôtre Paul : “Enfants, obéissez à vos parents selon le Seigneur, car cela est juste. Honore ton père et ta mère, c’est le premier commandement avec une promesse : afin que tu sois heureux et que tu vives longtemps sur la terre.”
Mais la Parole prend bien soin d’ajouter, et nous comprenons mieux pourquoi maintenant :
“Et vous pères, n’irritez pas vos enfants, mais élevez-les en les corrigeant et en les instruisant selon le Seigneur” (Ephésiens 6.1-4).