Le Pasteur Réformé

I
La surveillance de nous-mêmes

Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis pasteurs, pour paître l’Église de Dieu, qu’il a acquise par son propre sang.

(Actes 20.28)

Révérends et bien-aimés frères,

Quelques personnes pensent que cette exhortation de Paul aux anciens de l’Église prouve qu’il était leur chef ; cependant, nous, qui vous adressons aujourd’hui la parole de la part du Seigneur, nous espérons pouvoir le faire librement et sans craindre que l’on ne tire de nos discours une pareille conséquence. Quoique chargés d’instruire le troupeau que Dieu nous a confié, nous pouvons aussi nous instruire les uns les autres, comme ayant une commune charge et une commune foi. Si les fidèles que nous dirigeons « doivent s’instruire, s’avertir, s’exhorter chaque jour réciproquement, » il est hors de doute que nous, leurs pasteurs, nous pouvons nous rendre mutuellement les mêmes offices, sans cesser d’être égaux en autorité ou en dignité. Comme les fidèles de notre Église, nous avons des péchés à mortifier, des grâces à demander et à accroître ; mais notre œuvre est plus grande et plus difficile que la leur, nous avons donc besoin aussi bien qu’eux, sinon d’être instruits, du moins d’être avertis et stimulés. Nous devrions en conséquence nous réunir plus fréquemment dans ce but ; nous devrions nous exhorter entre nous, aussi sincèrement et aussi sérieusement que les pasteurs les plus zélés exhortent leur troupeau, de peur que, faute d’avertissements et de pressantes exhortations, notre foi ne soit moins solide et moins vive que la sienne. C’était la pensée de saint Paul, et je n’en veux pas d’autre preuve que cette vive et touchante allocution aux pasteurs de l’Église d’Ephèse, auxquels il donnait ainsi en peu de mots une leçon utile, mais difficile à apprendre. Combien il eût été heureux pour l’Église que ses évêques et ses ministres se fussent profondément pénétrés de cette leçon, et qu’ils eussent pour elle renoncé à des études et à des travaux qui n’avaient d’autre effet que de leur assurer les applaudissements du monde !

Dans le développement de l’importante vérité contenue dans l’exhortation de saint Paul, nous nous proposons d’adopter la marche suivante :

  1. Nous examinerons ce que c’est que prendre garde à nous-mêmes ;
  2. Nous montrerons pourquoi nous devons prendre garde à nous-mêmes ;
  3. Nous rechercherons ce que c’est que de prendre garde à tout le troupeau ;
  4. Nous enseignerons la manière dont nous devons prendre garde à tout le troupeau ;
  5. Nous établirons quelques-uns des motifs pour lesquels nous devons prendre garde à tout le troupeau ;
  6. Enfin, nous ferons l’application de tous les points dans l’examen desquels nous allons entrer.

1. Nature de cette surveillance

En premier lieu, examinons ce que c’est que prendre garde à nous-mêmes.

I. Veillez à ce que l’œuvre de la grâce sanctifiante s’opère complètement dans votre âme.

Prenez garde à vous-mêmes, mes frères, de peur d’être dépourvus de cette grâce divine que vous offrez aux autres, et d’être étrangers à l’influence efficace de cet Évangile que vous prêchez ; de peur que, tandis que vous annoncez au monde la nécessité d’un Sauveur, votre propre cœur ne le néglige et ne renonce à ses bienfaits. Prenez garde à vous-mêmes, pour ne pas périr en voulant sauver les autres, pour n’être pas vous-mêmes dépourvus de la nourriture divine que vous leur préparez. Suivant les promesses de Dieu (Daniel 12.3), ils brilleront comme des étoiles, ceux qui en convertiront plusieurs à la justice ; mais c’est à condition qu’ils y seront eux-mêmes convertis. Sans doute, l’œuvre de leur ministère leur assure la promesse d’une gloire plus brillante ; mais ils n’en jouiront qu’à la condition qu’ils seront eux-mêmes sincères dans la foi. Plus d’un pasteur a averti les autres de ne pas « aller à ce lieu de tourment » tandis qu’il y courait lui-même ; plus d’un prédicateur est maintenant en enfer, qui a cent fois exhorté ses auditeurs à faire tous leurs efforts pour y échapper. Est-il raisonnable de supposer que Dieu sauvera un ministre qui offre aux autres un salut qu’il refuse pour lui-même, et qui leur prêche des vérités dont il ne fait aucun cas ? Celui qui, par état, prépare de riches tissus, va souvent en haillons, et celui qui assaisonne les mets les plus délicats ne se nourrit parfois que d’aliments grossiers. Croyez-moi, Dieu ne sauve jamais un homme parce qu’il est prédicateur et orateur éloquent, mais parce qu’il est justifié, sanctifié, et fidèle au service de son maître. Efforcez-vous donc de croire et de pratiquer les vérités que vous prêchez à vos auditeurs, et attachez-vous à ce Sauveur que vous leur annoncez. Celui qui vous ordonne d’aimer votre prochain comme vous-mêmes, suppose d’abord que vous vous aimez vous-mêmes et que vous ne courez pas volontairement à votre ruine.

Il est terrible pour un homme qui fait profession de christianisme, et surtout pour un prédicateur, de ne pas être sanctifié. En ouvrant la Bible, ne craignez-vous pas d’y lire votre condamnation ? En écrivant vos sermons, ne vous vient-il pas à l’esprit que vous dressez un acte d’accusation contre vous-mêmes ? En tonnant contre les péchés d’autrui, ne songez-vous pas que vous aggravez les vôtres ? En proclamant devant vos auditeurs les richesses inappréciables de Christ et de sa grâce, ne voyez-vous pas que vous mettez à nu votre propre iniquité, puisque vous les rejetez, et votre propre indigence, puisque vous en êtes dépourvu ? Quand vous voulez amener les hommes à Christ, les arracher au monde, les conduire à la foi et à la sainteté, votre conscience, si elle est réveillée, ne vous dit-elle pas que tous vos discours tournent à votre confusion et à votre honte ? Vous parlez de l’enfer, mais c’est parler de votre héritage ; vous dépeignez les joies du ciel, mais c’est étaler votre misère, vous qui n’avez aucun droit « à l’héritage des saints dans la lumière. » Que pouvez-vous dire qui ne tourne contre vous ? Quelle vie misérable que celle d’un homme qui travaille et parle contre lui-même, et qui passe ses jours à prononcer sa propre sentence ! Un prédicateur qui n’a pas dans son cœur l’expérience de la religion est une des plus misérables créatures qu’il y ait sur la terre, et pourtant il est ordinairement insensible à son malheur ; car il est si riche en dons trompeurs qui prennent à ses yeux l’apparence de la grâce, il a tant de brillantes pierreries toutes semblables aux purs joyaux qui font la richesse du chrétien, que l’idée de sa pauvreté ne vient jamais l’affliger. Il s’imagine qu’il est « riche, pourvu de biens, et qu’il ne manque de rien, tandis qu’il est pauvre, misérable, aveugle et nu. » Il connaît les Saintes Écritures, il pratique de pieux devoirs, il ne vit pas ouvertement dans le péché, il sert à l’autel de Dieu, il prêche la sainteté de cœur et de conduite, et comment ne serait-il pas saint ? Oh ! quelle profonde misère que de périr au milieu de l’abondance, que de faire servir à notre aveuglement et à notre perte ces pratiques que Dieu a instituées pour nous éclairer et pour nous sauver ! Nous présentons aux autres le miroir de l’Évangile pour qu’il réfléchisse à leurs yeux l’aspect de leur âme, et nous, nous en détournons la vue, nous n’y voyons rien ou nous n’y voyons que des apparences mensongères. — Qu’un tel homme s’arrête ; qu’il examine son cœur et sa vie ; qu’il se convertisse avant de s’occuper à convertir les autres ; qu’il se demande à quoi peut servir une nourriture que l’on ne digère point ; qu’il se demande si celui qui invoque le nom de Christ ne doit pas « se retirer de l’iniquité, » pour que Dieu exauce ses prières ; s’il suffira au jour du jugement de dire : « Seigneur, Seigneur, nous avons prophétisé en ton nom, » lorsque Dieu fera entendre ces terribles paroles : « Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas. » Etait-ce pour Judas un grand motif de consolation dans le lieu de tourments, de se rappeler qu’il avait prêché avec les autres apôtres, qu’il s’était assis à table avec Jésus-Christ, qui l’avait appelé son ami ? Quand de telles pensées se présenteront à l’esprit des pasteurs dont nous parlons, qu’ils montent en chaire et qu’ils répètent le sermon d’Origène sur ce texte (Psaumes 50.16-17) : « Mais Dieu a dit au méchant : Est-ce à toi de réciter mes statuts et de prendre mon alliance en ta bouche ; puisque tu hais la correction, et que tu as jeté mes paroles derrière toi ? » qu’ils lisent leur texte et qu’ils l’expliquent par leurs larmes ; qu’ils fassent une entière confession de leurs péchés ; qu’ils déplorent leur malheur devant toute l’assemblée ; qu’ils demandent aux fidèles le secours de leurs prières pour obtenir le pardon et la grâce de Dieu, afin que désormais ils prêchent un Sauveur qu’ils connaissent, afin qu’ils sentent profondément les vérités qu’ils annoncent, et qu’ils puissent célébrer les richesses de l’Évangile d’après leur propre expérience.

Hélas ! un danger et un malheur très commun pour l’Église, c’est d’avoir des pasteurs qui ne sont point régénérés et des prédicateurs qui ne sont pas chrétiens ; des hommes consacrés au saint ministère pour servir Dieu, avant d’être sanctifiés par la consécration de leur cœur, comme disciples de Christ ; des hommes qui adorent un Dieu inconnu, qui prêchent un Christ inconnu, qui prient un Esprit inconnu, qui recommandent un état de sainteté, de communion avec Dieu, de glorification et de félicité qu’ils ne connaissent point et que probablement ils ne connaîtront jamais. Il ne sera jamais qu’un prédicateur sans âme, celui qui ne sent pas au fond du cœur l’influence de Christ et de la grâce divine. Que tous les jeunes lévites qui fréquentent nos facultés de théologie se pénètrent bien de ces vérités. Combien il est triste pour eux de consumer leur temps à acquérir quelque connaissance des œuvres de Dieu, à apprendre quelques-uns de ces noms par lesquels les diverses langues les désignent, et de ne pas connaître Dieu lui-même ; d’être étrangers à cette œuvre de régénération qui seule peut les rendre heureux ! Ils passent leur vie comme dans un vain rêve, occupant leur esprit de mots et de pures notions, mais étrangers à l’Éternel et à la vie des saints. Si jamais Dieu les réveille par sa grâce, leurs sentiments et leurs occupations leur feront reconnaître que jusqu’à présent leur vie n’a été qu’un songe sans réalité. Ils ne peuvent rien connaître s’ils ne connaissent pas Dieu ; une seule étude est donc essentielle, celle de Dieu. Nous ignorons la créature, tant que nous ignorons ses rapports avec le Créateur. Des lettres et des syllabes jetées au hasard ne présentent aucun sens, et celui qui ne voit pas Dieu, qui est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, et qui ne le voit pas dans tout, ne voit absolument rien ; car toutes les créatures séparées de Dieu sont comme autant de syllabes assemblées au hasard et qui n’ont aucune signification. Si elles en étaient réellement séparées, elles cesseraient d’exister, elles seraient complètement anéanties, et lorsque nous les en séparons dans notre imagination, elles ne sont plus rien pour nous.

Autre chose est de connaître les créatures comme Aristote les connaissait, ou de les connaître comme le fait un chrétien. C’est une étude excellente et plus utile qu’on ne croit ; mais Aristote ne peut nous en apprendre qu’une bien faible partie. Quand l’homme fut créé parfait, placé dans un monde parfait, où tout était dans un ordre admirable, la création était pour lui un livre ouvert dans lequel il pouvait lire la nature et la volonté de son auteur. Le nom de Dieu était gravé en traits ineffaçables sur toutes les créatures ; l’homme, en ouvrant les yeux, voyait partout l’image du Créateur, mais nulle part aussi complète et aussi brillante que dans lui-même. Il n’avait alors qu’à lire le livre de la nature, et surtout à s’étudier lui-même, pour acquérir une connaissance parfaite de sa destination et de l’essence de Dieu. Mais quand il voulut connaître et aimer les créatures indépendamment de Dieu, il perdit à la fois la connaissance de la créature et du Créateur, et n’acquit en retour que la funeste science qu’il cherchait, que de vaines notions sur tous les êtres et sur lui-même, parce qu’il ne les considérait point dans leurs rapports avec Dieu. Ainsi, celui qui vivait pour le Créateur et par le Créateur ne vit plus que pour les créatures et pour lui-même ; ainsi « tout homme, le savant comme l’ignorant, n’est que vanité. Tout homme se promène parmi ce qui n’a que l’apparence ; il s’inquiète en vain. » Et comme Dieu, en devenant notre Rédempteur, n’a pas cessé d’être aussi notre Créateur ; comme l’œuvre de la rédemption est en quelque sorte subordonnée à celle de la création, et la loi du Rédempteur à celle du Créateur, de même aussi les devoirs que nous avons à remplir envers Dieu comme notre Créateur subsistent toujours, et nos devoirs envers Dieu comme Rédempteur leur sont subordonnés. C’est l’œuvre de Christ de nous ramener à Dieu et de nous rétablir dans la perfection de la sainteté et de l’obéissance, et comme il est le chemin qui conduit au Père, de même la foi en lui est le chemin qui nous remettra en possession de Dieu.

J’espère, mes frères, que vous comprenez ma pensée. Je veux dire que voir Dieu dans ses créatures, l’aimer, communiquer avec lui, était l’occupation de l’homme dans son état de pureté : loin que cela ait cessé d’être pour nous un devoir, c’est l’œuvre de Christ de nous y ramener par la foi ; par conséquent, les hommes les plus saints sont les plus propres à étudier les ouvrages de Dieu, et seuls ils peuvent les étudier et les connaître réellement. « Ses œuvres sont grandes et recherchées par tous ceux qui y prennent plaisir, » non pour elles-mêmes, mais pour celui qui les a faites. L’étude de la physique, ainsi que celle des autres sciences, n’est d’aucun prix, si ce n’est pas Dieu que l’on y cherche. Voir et admirer Dieu, le respecter et l’adorer, l’aimer et se réjouir en lui dans la manifestation de ses œuvres, voilà la vraie, la seule philosophie ; toute autre n’est que folie, comme Dieu lui-même l’appelle. C’est ainsi que vous sanctifierez vos études, en prenant Dieu pour leur grand objet et leur unique fin.

Je trouve donc (et je vous prie de me pardonner ici une observation que je me sens forcé de vous faire), je trouve que c’est un usage absurde et dangereux dans les universités chrétiennes, d’étudier la créature avant d’étudier le Rédempteur, de s’occuper de physique, de métaphysique et de mathématiques avant de se livrer à l’étude de la théologie ; car celui qui n’est pas d’abord nourri de science vivante ne sera jamais qu’un enfant en philosophie. La théologie doit être la base et le point de départ de toutes nos autres études. Si Dieu doit être le but de toutes nos recherches, il faut que les professeurs le montrent à leurs élèves dans toutes ses créatures ; la théologie doit être le commencement, le milieu, la fin, l’unique objet de leurs études, et la nature doit être lue comme le livre de Dieu, écrit pour sa manifestation. L’Écriture Sainte est un livre encore plus facile, et quand vous y aurez appris à connaître Dieu et sa volonté, étudiez alors ses œuvres avec l’esprit d’un chrétien et d’un théologien : si vous ne vous y voyez pas, vous et toutes les autres créatures, comme n’ayant de vie et d’existence qu’en Dieu et pour sa gloire, alors, quelque chose que vous croyiez voir, vous ne voyez rien ; si, en étudiant les créatures, vous n’apercevez pas que « Dieu est tout en tous, et que toutes choses sont de lui, par lui et pour lui, » vous présumez savoir quelque chose, et vous n’avez encore rien connu comme il faut le connaître. » Ne regardez pas non plus la physique et la science de la nature comme de simples études préparatoires : c’est la plus noble et la plus sublime partie de la sagesse, de chercher, d’admirer et d’adorer Dieu dans toutes ses œuvres ; les hommes les plus saints se sont livrés à de telles contemplations. Le livre de Job et celui des Psaumes peuvent nous apprendre que la physique se lie à la théologie plus étroitement qu’on ne le suppose.

En conséquence, pour le bien de l’Église, je demanderai aux professeurs vraiment pieux s’il ne serait pas à propos d’occuper leurs élèves de l’étude de la théologie pratique (car je n’en connais pas d’autre), aussi bien que de celle des autres sciences, et s’ils ne devraient pas même commencer par là ? S’ils s’attachaient surtout à expliquer à leurs élèves la doctrine du salut, à leur en faire sentir toute l’importance ; s’ils poursuivaient ainsi le cours de leurs enseignements en les subordonnant à celui-là, afin que leurs élèves pussent en comprendre le but ; si leur philosophie avait une couleur véritablement religieuse, nous pensons qu’il en résulterait de grands avantages pour l’Église et pour le pays : mais quand les langues et la philosophie occupent presque tout leur temps ; quand, au lieu d’enseigner la philosophie en théologiens, ils enseignent la théologie en philosophes, comme si la doctrine de la vie éternelle n’était pas quelque chose de plus important que des questions de logique ou d’arithmétique, voilà ce qui perd tant de jeunes ministres : voilà ce qui remplit l’Église de tant de pasteurs non régénérés ! C’est pour cela que nous avons tant de prédicateurs mondains qui parlent de la félicité invisible, tant d’hommes charnels qui célèbrent les mystères de l’Esprit, tant d’infidèles qui prêchent Jésus-Christ, tant d’athées qui proclament le Dieu vivant. Ils ont appris la philosophie avant ou sans la religion, il n’est donc pas étonnant que la philosophie soit toute leur religion.

J’en appelle donc à ceux qui dirigent l’éducation des jeunes gens dans le but spécial de les préparer au saint ministère. Vous, leurs professeurs et leurs maîtres, commencez et finissez par les choses de Dieu ; présentez chaque jour à vos élèves ces vérités dont leur cœur doit être pénétré, sous peine de perdition ; entretenez-les souvent, d’une manière vive et pénétrante, de Dieu, de l’état de leur âme et de la vie à venir. Vous ne savez pas quelle impression ces divers sujets peuvent faire sur eux. Non seulement l’âme de ce jeune homme à qui vous vous adressez, mais une foule d’autres, peuvent avoir à bénir Dieu de votre zèle, et même d’une seule parole dite à propos. Vous êtes mieux placés que qui que ce soit pour leur être utiles ; ils sont entre vos mains dès leur jeunesse, et ils ont pour vous une docilité qu’ils n’auraient pas pour d’autres. S’ils sont destinés au saint ministère, vous les préparez pour le service particulier de Dieu, et vous devez leur faire connaître Celui qu’ils auront à servir. Oh ! quel malheur pour leur âme et quel fléau pour l’Église de Christ, s’ils sortaient d’entre vos mains avec des cœurs charnels pour commencer une œuvre si grande, si sainte, si pure ! Si vous leur confiez une mission dont ils soient incapables, quelle œuvre de mort ne feront-ils pas parmi le troupeau ! Si, au contraire, vous êtes pour eux des moyens de conversion et de sanctification, combien d’âmes vous béniront et quel bien vous pouvez faire à l’Église ! Si leurs cœurs sont touchés des saintes vérités qu’ils étudient et qu’ils prêchent, ils les étudieront et les prêcheront avec plus d’ardeur ; leur expérience chrétienne les guidera dans le choix des sujets les plus utiles, leur fournira des preuves abondantes pour les développer, et leur apprendra à les appliquer à la conscience de leurs auditeurs. Prenez donc garde de préparer des causes de douleur et de gémissement pour l’Église, et des sujets de joie pour l’ennemi éternel qui détruit les âmes.

II. Ne vous contentez pas d’être vous-mêmes en état de grâce ; mais faites en sorte que cette grâce soit toujours agissante, vivifiante, et appliquez-vous à vous-mêmes vos propres sermons avant de les prêcher aux autres.

Quand vous ne le feriez que pour vous, vous ne perdriez point votre peine ; mais je vous engage surtout à le faire pour l’Église. Quand votre esprit est dans une disposition sainte et céleste, votre troupeau en recueille le fruit ; il goûte la douceur de vos instructions et de vos prières ; quand vous vous êtes approchés de Dieu, et quand vous prêchez avec ardeur, il s’en aperçoit et il vous écoute avec piété. C’est à ma confusion que je l’avoue, et que je découvre ainsi à mon troupeau les maladies de mon âme ; mais quand mon cœur se refroidit, ma prédication s’en ressent, et cette froideur se communique même aux plus pieux de mes auditeurs, qui, dans nos assemblées de prières, prient avec une langueur qui ressemble trop à ma prédication. Nous sommes les nourriciers des enfants de Christ ; si nous les privons de l’aliment dont ils ont besoin, nous les affamerons et nous les laisserons dépérir ; si nous laissons s’affaiblir notre amour, nous ne fortifierons pas le leur ; si notre ardeur se ralentit, notre prédication s’en ressentira, sinon pour le fond, du moins pour la forme ; si nous ne donnons pour pâture à notre âme que de fausses doctrines ou des controverses inutiles, nos auditeurs ne manqueront pas d’en souffrir. Mais si nous abondons en foi, en amour, en zèle, nous répandrons toutes ces richesses spirituelles sur nos congrégations, et nous augmenterons leurs grâces.

O mes frères ! veillez donc sur vos cœurs ! bannissez-en les convoitises, les passions, les inclinations mondaines ; entretenez-y la vie de la foi, de l’amour, du zèle ; vivez beaucoup avec votre âme, vivez beaucoup avec Dieu. Si vous ne vous appliquez pas chaque jour à étudier votre cœur, à dompter la corruption, à marcher avec Dieu ; si vous ne faites pas de cela votre constante occupation, vous n’opérerez aucun bien et vous affamerez vos auditeurs ; ou si vous n’avez qu’un zèle affecté, gardez-vous d’espérer qu’il soit béni de Dieu. Livrez-vous surtout à la prière et à la méditation : c’est là ce qui fera descendre le feu du ciel sur vos sacrifices. Rappelez-vous que si vous négligez ce devoir, beaucoup en souffriront avec vous. Si vous vous laissez entraîner à l’orgueil spirituel ou à quelque erreur dangereuse, et si vous « attirez des disciples après vous, » quel coup fatal pour l’Église que vous conduisez ! Vous pouvez être pour votre troupeau un fléau, au lieu de lui être une bénédiction.

Veillez donc sur vos opinions et sur vos affections ! La vanité et l’erreur s’insinueront adroitement sous de spécieux prétextes : les grandes apostasies ont pour l’ordinaire de faibles commencements. Le prince des ténèbres se cache souvent sous l’apparence d’un ange de lumière pour plonger dans les ténèbres les enfants de la lumière. Nos affections aussi sont sujettes à se corrompre : notre première charité, notre crainte, notre sollicitude diminuent. Veillez donc pour vous et pour les autres.

Mais outre cette vigilance continuelle et générale, un ministre doit surtout faire attention à l’état de son cœur avant de se rendre au service divin ; s’il est froid, comment pourra-t-il échauffer le cœur de ses auditeurs ? Demandez donc à Dieu la chaleur et la vie ; lisez quelque livre édifiant, méditez sur l’importance des sujets dont vous allez parler, songez aux besoins spirituels de votre troupeau, afin d’entrer avec un saint zèle dans la maison du Seigneur. Entretenez en vous, par la vigilance et par la prière, la vie de la grâce ; qu’elle paraisse dans votre prédication, que chacun de vos auditeurs en ressente la bienfaisante influence.

III. Prenez garde à vous-mêmes, de peur que votre exemple ne soit en opposition avec votre prédication, et que vous ne soyez pour votre troupeau une pierre d’achoppement et une cause de ruine.

Si votre vie dément les paroles de votre bouche, vous serez vous-mêmes les plus grands obstacles au succès de vos travaux. Les incrédules, qui chaque jour attaquent devant nos fidèles les vérités que nous leur avons annoncées, nuisent sans doute à l’effet de nos prédications ; mais vous le détruirez bien plus sûrement vous-mêmes, si vos actions contredisent vos paroles, si vous abattez toute la semaine l’édifice que vous élevez pendant une heure ou deux ; vous travestissez ainsi la parole de Dieu en un vain discours et la prédication en une futile rhétorique. Une parole hautaine et orgueilleuse, une contestation inutile, une action cupide, détruiront l’effet d’une foule de sermons. Voulez-vous ou non voir le succès couronner vos efforts ? Voulez-vous agir efficacement sur l’âme de vos auditeurs ? Si vous ne le voulez pas, pourquoi prêchez-vous, pourquoi étudiez-vous, pourquoi vous appelez-vous les ministres de Christ ? Et si vous le voulez, comment pouvez-vous vous résoudre à détruire vous-mêmes votre propre ouvrage ? Quoi ! vous désirez le succès de vos travaux, et vous ne voulez pas faire part aux pauvres d’un peu de votre superflu ; vous ne voulez pas supporter une injure ou une parole offensante ; vous ne voulez pas réprimer la hauteur ou la vivacité de votre caractère, pas même pour gagner les âmes, pas même pour accomplir le seul but de votre ministère ! En vérité, vous faites peu de cas du succès, si vous l’estimez à si bas prix que vous ne vouliez rien faire pour l’obtenir.

Combien est déplorable l’erreur de quelques ministres dont la prédication et la conduite présentent un si étrange contraste, et qui s’appliquent si fort à bien prêcher, et si peu à bien vivre ! Ils consacrent toute une semaine à perfectionner un sermon, et ne trouvent pas une heure pour apprendre à régler leur vie. Ils redoutent dans leurs discours l’effet d’un mot mal placé (et je suis loin de les en blâmer, car la matière est grave et importante), mais ils s’inquiètent peu de bien placer leurs affections et de régler leurs paroles et leurs actions dans la conduite de la vie. Ils prêchent avec le soin le plus minutieux et ils vivent à l’aventure. Telle est l’attention avec laquelle ils composent leurs sermons, qu’ils se font un mérite de prêcher rarement, afin que leur langage soit plus travaillé et plus poli : ils étudient avec soin les grands orateurs pour se former un style élégant et fleuri ; ils sont si difficiles, qu’un prédicateur ne peut leur plaire que par une diction riche et pompeuse, que par ces périodes harmonieuses qui séduisent l’esprit, mais ne touchent point le cœur. Une fois hors de l’église, ils s’inquiètent peu de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils font, pourvu qu’ils ne franchissent pas trop ouvertement les bornes de la bienséance. Quelle différence entre leurs sermons et leur conversation familière ! Les moindres impropriétés de style ou de raisonnement les choquaient dans un discours ; ils les bravent dans la conduite ou dans le langage journalier.

Certes, mes frères, il nous importe de prendre garde à ce que nous faisons, aussi bien qu’à ce que nous disons. Si nous voulons être les serviteurs de Christ, nous devons le servir non seulement en paroles, mais aussi en actions ; « nous devons faire les œuvres de Dieu, afin que nous soyons bénis dans nos œuvres. » Comme nos fidèles doivent mettre la parole en pratique et ne pas se contenter de l’écouter, de même nous devons agir aussi bien que parler, de peur que nous ne nous trompions nous-mêmes. » (Jacques 1.26-27) Nous devons prêcher par nos exemples comme par nos discours. Quand vous vous préparez à annoncer à vos fidèles la parole de Dieu, si vous avez quelque sollicitude pour leur âme, demandez-vous : « Comment toucherai-je leur âme, que leur dirai-je pour les convaincre, pour les convertir et pour les sauver ? » Mais demandez-vous aussi : « Comment vivrai-je ? que ferai-je ? comment réglerai-je ma conduite pour contribuer au salut des âmes ? » Si ce salut est votre unique but, vous vous en occuperez en chaire et hors de la chaire ; ce sera la fin de tous vos travaux et de tous vos efforts. Votre fortune, vos talents, toutes vos facultés seront employés de manière à produire le plus grand bien. Votre unique étude doit être de consacrer vos richesses, votre crédit, votre influence, aussi bien que vos discours, au service de Dieu. Si vous croyez que la prédication soit le seul but de votre ministère, vous ne vous regarderez comme ministres que tant que vous serez en chaire, et dans ce cas, vous seriez à mes yeux tout-à-fait indignes de cette fonction sacrée.

Permettez-moi, mes frères, de vous recommander le zèle pour les bonnes œuvres. Soutenez la sainteté de votre caractère, et gardez-vous d’être pour les autres un sujet de scandale. Que votre exemple soit la condamnation du péché et un encouragement à la pratique du devoir. Voudriez-vous donc que vos fidèles s’inquiétassent plus de leur âme que vous ne vous inquiétez de la vôtre ? Si vous voulez qu’ils « rachètent leur temps, » ne perdez pas le vôtre. Si vous désirez que vos discours leur soient utiles, parlez-leur de manière à les édifier et à les faire croître dans la grâce. Que votre famille soit exemplaire, pour servir de modèle à la leur. Ne soyez ni fier ni hautain, si vous voulez qu’ils soient humbles. Les vertus que je vous recommande comme les plus utiles sont l’humilité, la douceur et le renoncement à vous-mêmes. Pardonnez les injures et « rendez le bien pour le mal. » Imitez notre Seigneur qui, « lorsqu’il était injurié, n’injuriait point à son tour. » Si les pécheurs sont opiniâtres et dédaigneux, la chair et le sang vous conseilleront sans doute d’user de représailles et de les combattre par les mêmes moyens ; mais efforcez-vous de les vaincre par la bonté, la patience et la douceur. Ne cherchez pas à leur prouver que vous les surpassez en pouvoir mondain, car c’est une lutte où les fidèles succombent le plus souvent ; mais faites voir que vous l’emportez sur eux en vertu et en piété. Si vous croyez qu’il vaut mieux imiter Jésus-Christ que César ou Alexandre, qu’il est plus glorieux d’être un chrétien qu’un conquérant, un homme qu’une brute, luttez de charité et non de violence, opposez à la force, non pas la force, mais la modestie et la charité. Rappelez-vous que vous devez être les serviteurs de tous. Ayez de la condescendance pour les hommes de la plus humble condition. Ne vous éloignez point des pauvres, car ils pourraient prendre cet éloignement pour du mépris. En vous familiarisant avec eux dans un but de sainteté, vous pouvez leur faire beaucoup de bien. Ne parlez à personne avec hauteur ou dédain, mais soyez affable avec les plus humbles comme avec vos égaux en Christ. Des manières douces et affectueuses sont un moyen facile d’obtenir les plus grands succès.

Multipliez, mes frères, les œuvres de charité et de bienfaisance ; visitez les malheureux, informez-vous de leurs besoins, et intéressez-vous à leur âme et à leur corps. Procurez-leur la Bible et quelques livres de piété qui puissent leur être utiles, et faites-leur promettre qu’ils les liront avec attention. N’épargnez pas votre argent, et faites tout le bien que vous pourrez. Ne songez point à amasser des richesses pour vous ou pour vos enfants. Si vous vous appauvrissez pour faire du bien, vous gagnerez plus que vous ne perdrez. Prouvez aux pauvres que vous regardez l’argent dépensé pour le service de Dieu comme le mieux placé. Je sais que la chair et le sang murmureront contre la pratique de ce devoir, et ne manqueront pas de prétextes pour s’en dispenser ; mais souvenez-vous de ce que dit le Seigneur Jésus : « Celui qui aime quelque chose au monde plus que lui n’est pas digne d’être appelé son disciple. » Si vous ne croyez pas que Jésus-Christ exige de vous ces sacrifices parce qu’ils vous sont pénibles, vous vous abusez vous-mêmes ; vous niez le devoir, parce qu’il vous impose des privations ; vous n’êtes pas véritablement chrétiens ; la corruption de votre cœur obscurcit votre entendement, qui à son tour augmente les illusions de votre cœur. Si vous vous appauvrissez sur la terre pour amasser un trésor dans le ciel, vous ne perdez rien : étranger et voyageur ici-bas, votre pèlerinage vous sera d’autant plus facile que vous serez moins chargésa !

aQui viam terit, eo felicior quo levior incedit : Le voyageur marche d’autant plus légèrement qu’il est moins chargé. (Minutius Felix, Octavius)

Quand le cœur est charnel et avide, il se laisse difficilement persuader de pratiquer les œuvres de charité ; on les recommande aux autres, mais on s’en dispense volontiers soi-même. Le vrai croyant au contraire sera aussi généreux en actions qu’en paroles. Oh ! quel bien pourraient faire les ministres, s’ils vivaient dans le mépris du monde, de ses richesses et de ses honneurs, s’ils dépensaient tout ce qu’ils ont pour le service de leur maître, s’ils s’imposaient des privations afin d’avoir plus à donner ! Une telle conduite disposerait plus de cœurs à recevoir leur doctrine, que toute leur éloquence. Mais sans cette libéralité chrétienne, leur piété passera pour de l’hypocrisie, et peut-être ne sera-t-elle pas autre chose. « Celui qui vit dans l’innocence, dit Minutius Felix, adresse à Dieu la plus efficace prière ; celui qui arrache un homme au danger, immole la plus agréable victime. Voilà nos sacrifices, voilà les offrandes dignes de Dieu. Pour nous, le plus juste est le plus religieux. » Sans imiter les papistes, qui s’enferment dans les couvents et abandonnent tout ce qu’ils possèdent, nous ne devons cependant rien posséder que pour Dieu.

IV. Prenez garde à vous-mêmes, de peur de vivre dans les péchés que vous condamnez chez les autres.

Si vous êtes particulièrement appelés à glorifier Dieu, déshonorerez-vous son saint nom comme les autres ? Si vous proclamez la puissance et l’autorité de Christ, serez-vous les premiers à les mépriser et à vous révolter contre elles ? Si le péché est un mal, pourquoi vous y laissez-vous aller ? et s’il n’en est pas un, pourquoi le condamnez-vous ? S’il est dangereux, pourquoi vous y exposez-vous ? et s’il ne l’est pas, pourquoi cherchez-vous à en détourner les autres ? Si les menaces de Dieu sont vraies, pourquoi ne les craignez-vous pas ? et si elles sont fausses, pourquoi cherchez-vous sans nécessité à les faire craindre aux autres ? Dieu a déclaré que « ceux qui commettent de telles choses sont dignes de mort, » et cependant vous ne craignez pas d’y tomber. « Toi qui enseignes les autres, tu ne t’enseignes pas toi-même ; toi qui dis qu’on ne doit pas commettre adultère, tu commets adultère ; toi qui te glorifies dans la loi, tu déshonores Dieu par la transgression de la loi. » (Romains 2.21-24) Vous livrerez-vous à la médisance, au dénigrement, à la calomnie, quand vous les condamnez tous les jours ? Prenez garde à vous-mêmes ; ne vous souillez pas des péchés contre lesquels vous vous élevez dans vos discours ; ne vous soumettez pas à ces chaînes honteuses que vous paraissez vouloir briser : « Ne savez-vous pas que, quand vous vous rendez esclaves de quelqu’un pour lui obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez ; soit du péché pour la mort, soit de l’obéissance pour la justice ? » (Romains 6.16) O mes frères ! il est plus aisé de censurer le péché que d’en triompher.

Enfin, prenez garde à vous-mêmes, de peur que vous ne manquiez des qualités nécessaires à l’accomplissement de votre œuvre. Il doit être abondamment pourvu de connaissances, celui qui veut enseigner aux hommes les vérités mystérieuses nécessaires au salut. De quelles qualités ne doit-il pas être doué, pour accomplir une tâche aussi laborieuse ! que de difficultés à résoudre, même sur les principes fondamentaux de la religion ! que de textes obscurs à expliquer ! que de devoirs à remplir dans lesquels nous pouvons nous égarer, si nous n’en connaissons pas bien la nature, le but et les moyens ! que d’écueils à éviter, et que de sagacité et de prudence il nous faut souvent pour cela ! que de tentations cachées nous devons dévoiler à nos fidèles ! que de cas de conscience, graves et difficiles, nous avons chaque jour à décider ! Et comment accomplir cette œuvre, si nous n’y sommes pas bien préparés ? Que de forteresses redoutables il nous faut abattre ! que de résistances obstinées nous avons à vaincre ! Notre voie est tellement encombrée de préjugés, qu’il ne nous est pas aisé même de nous faire écouter des pécheurs. A peine nous avons fait une brèche dans leurs espérances charnelles et dans leur funeste tranquillité, qu’ils ont une foule d’expédients pour la réparer. Contre nous s’élève une multitude d’ennemis secrets que nous regardions comme nos amis. Il nous faut discuter contre des enfants qui ne nous comprennent pas, contre des rêveurs qui nous étourdissent de leurs absurdités, contre des insensés qui, réduits au silence, ne sont pas pour cela convaincus, et qui, à défaut de bonnes raisons, nous opposent leur opiniâtreté ; semblables en cela à l’homme que Salvien avait à combattre, et qui, résolu à dévorer la substance d’un pauvre, n’opposait aux pressantes exhortations de son pieux antagoniste que cette réponse irréfragable, suivant lui : « J’ai juré de le faire. » Nous donc n’avons pas seulement à lutter contre la raison des pécheurs, mais contre leurs passions qui ne veulent rien entendre. Leur meilleure raison, c’est qu’ils ne veulent pas nous croire, ni nous, ni « tous les prédicateurs du monde ; qu’ils ne veulent pas changer de sentiments ou de conduite ; qu’ils ne veulent pas renoncer à leurs péchés, quoi qu’il en arrive. » Lorsque nous entreprenons la conversion d’un pécheur, nous avons affaire à une multitude de passions furieuses aussi intraitables qu’une populace soulevée. Telle est la tâche immense que nous sommes obligés de remplir.

O mes frères ! qu’il nous faut pour cela d’habileté, de force, de courage ! « Qui est suffisant pour de si grandes choses ? » disait saint Paul, et combien nous serions insensés de nous en croire capables ! « Quels ne devez-vous pas être par une sainte conduite et par des œuvres de piété ? » disait l’apôtre Pierre. De même pouvons-nous dire à chaque ministre : « Pour accomplir l’œuvre dont nous sommes chargés, quels ne doivent pas être nos efforts et notre persévérance ! » Quel immense fardeau nous avons à porter ! que d’habileté il nous faut pour chaque partie de notre tâche, et combien chacune de ces parties est importante ! La prédication n’est pas, à mon avis, ce qu’il y a de plus difficile ; et cependant combien il nous faut de talent pour exposer clairement la vérité, pour convaincre nos auditeurs, pour éclairer leur conscience, pour pénétrer leur cœur de l’amour de Christ, pour combattre victorieusement toutes les objections, pour amener les pécheurs à reconnaître leur défaite et l’horreur de leur position, pour parler enfin un langage digne, convenable et intelligible à tous ! Certes, une habileté commune ne suffit pas pour une tâche si haute et si sainte, pour annoncer la parole de Dieu d’une manière digne de sa grandeur. Combien il serait déplorable que, par faiblesse ou par négligence, nous vinssions à échouer dans une entreprise si importante et si sainte ! Combien il serait terrible de déshonorer l’œuvre de Dieu et d’endurcir les pécheurs au lieu de les convertir ! Combien d’auditeurs profanes trouvent dans la faiblesse du prédicateur un sujet de raillerie ! Combien sont plongés dans l’engourdissement et dans la torpeur, parce que notre cœur et notre parole n’ont pas assez de vivacité pour les réveiller !

Et que d’habileté il nous faut encore pour défendre la vérité contre ses adversaires, pour raisonner avec eux de la manière la plus propre à les convaincre ! Si nous échouons par faiblesse, quel triomphe pour eux ! Notre déshonneur personnel est peu de chose ; mais combien d’hommes faibles et ignorants peuvent par là se laisser pervertir et entraîner à leur ruine ! et combien il est difficile d’en ramener un seul à la vérité pour le sauver ! O mes frères ! n’êtes-vous pas effrayés de la grandeur de cette œuvre ? Une mesure ordinaire de talent, de prudence ou d’habileté pourra-t-elle y suffire ? L’Église est parfois, il est vrai, forcée de tolérer des serviteurs faibles et peu capables ; mais malheur à nous, si nous nous pardonnons notre faiblesse et notre impuissance ! La raison et la conscience nous disent que si nous entreprenons une tâche aussi difficile, nous ne devons épargner aucune peine pour nous y préparer dignement. Quelques études légères ne suffisent pas pour faire un profond théologien. Je sais qu’on nous a quelquefois recommandé de laisser là une science vaine, et de nous en remettre au Saint-Esprit du soin de nous préparer à notre labeur et de nous aider à l’accomplir ; mais Dieu, qui nous a prescrit l’usage de tous les moyens d’instruction, ne nous pardonnera pas de les négliger ; il ne nous assurera pas le succès, si nous ne faisons rien pour l’obtenir ; il ne nous instruira pas par des songes et par des visions ; il ne nous élèvera pas au ciel pour nous révéler ses décrets, tandis que nous resterons oisifs et indolents sur la terre. Quoi ! nous « éteindrons l’Esprit » par notre indolence et par notre lâcheté, et nous oserons nous appuyer sur ses promesses ! Etrange aveuglement ! La parole de Dieu nous ordonne « de ne pas être paresseux à nous employer pour autrui, mais de servir le Seigneur avec un esprit fervent. » Tels nous devons nous efforcer de rendre nos auditeurs, tels nous devons être nous-mêmes. En conséquence, mes frères, ne perdez point votre temps dans l’inaction. Livrez-vous à l’étude, à la prière, à de pieux et utiles entretiens, à la pratique de vos devoirs. Prenez garde à vous-mêmes, de peur que votre faiblesse ne soit le résultat de votre négligence, et que, par votre impuissance, vous ne laissiez périr l’œuvre de Dieu entre vos mains.

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