Anwoth, 27 juillet 1628
Madame,
En vous exprimant toute ma respectueuse soumission en Jésus notre Seigneur, je viens vous dire que j’ai appris avec peine les infirmités et la maladie de votre seigneurie. J’espère toutefois que dans toutes ces épreuves vous reconnaîtrez la volonté de Dieu et que vous serez disposée à Le laisser agir selon qu’Il le jugera bon. Que d’années se sont écoulées depuis que les anges rebelles se sont demandé si c’était leur volonté propre ou celle de leur Créateur, qui devait être exécutée ! Dès lors jusqu’à maintenant, l’humanité, faisant cause commune avec eux, plaide contre Dieu, en murmurant chaque jour contre sa volonté. Mais le Seigneur, en sa double qualité de juge et partie, a prononcé cette sentence : « Mon conseil tiendra et j’exécuterai toute ma volonté » (Ésaïe 46.10). Selon l’obéissance de la foi et dans une sainte soumission, pour notre plus grand bien, il faut nous abandonner aux lois du Tout-Puissant. Ainsi, chère Madame, dans quelque état que vous vous trouviez, le Seigneur veut que vous disiez : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Ne vous réjouirez-vous point en sentant que Celui qui connaît tous vos maux, toute votre faiblesse naturelle, donne à votre âme ce qui lui convient le mieux, et que c’est de sa propre main que cette coupe d’affliction vous est versée ? Ne supposez jamais que votre tendre et compatissant Sauveur, qui connaît votre tempérament, mêle le moindre poison au breuvage qui vous est offert. Epuisez cette coupe avec la patience des saints, et le Dieu de toute bonté bénira lui-même ce breuvage amer. Votre seigneurie se plaint aussi d’une mortelle langueur spirituelle et d’un relâchement d’amour pour Dieu. Prenez courage. Celui qui parcourait le jardin d’Eden avec grand bruit pour qu’Adam ouît sa voix, viendra aussi se faire entendre à votre âme, il vous adressera de douces paroles. Il se peut que le bruit de ses pas ne parvienne pas toujours jusqu’à vous ; en cela, vous ressemblez à Jacob pleurant Joseph tandis que Joseph vivait encore. L’image du second Adam vit en vous, et cependant vous pleurez la mort supposée de Christ qui est en vous ; Ephraïm se lamentait et pleurait (Jérémie 31.18) quand il croyait que Dieu s’était éloigné et ne l’entendait plus, et cependant Dieu est comme l’Époux « qui se tient derrière la muraille » (Cantique des cantiques 2.9). » « J’ai certainement entendu la plainte d’Ephraïm, » dit-Il au verset 18 de Jérémie. Jésus-Christ, que vous cherchez dans les forêts et les montagnes, est près de vous, Madame. Si je parle ainsi, ce n’est point pour vous engager à ne plus vous inquiéter d’aucune chose, ni pour vous porter à ne pas craindre l’éloignement de votre Sauveur, et le provoquer à jalousie par quelque péché : au contraire, c’est pour fortifier en vous le désir de marcher courageusement en avant.
Je sais par ma propre expérience que le diable viendra, parce qu’il se montre partout où il y a une bonne œuvre de faite, et il dira : Tu m’appartiens à moitié déjà, puis il cherchera à vous endormir jusqu’à ce que Celui qui aime votre âme, ne pouvant plus se faire entendre, quitte la partie et se retire. L’amour du Saint-Esprit est de tenir votre âme fixée sur une ligne lumineuse entre cette confiance entière qui ne se trouve qu’en Christ, et ce sommeil languissant d’une sécurité toute charnelle.
Chère Madame, ne comptez donc pas trop sur vous-même ; vous êtes faible et misérable, mais attendez tout de Dieu à cause de son inaltérable miséricorde, toujours la même en tout temps.
Beaucoup de chrétiens sont semblables à ces navigateurs, novices encore, qui s’imaginent que la terre-ferme et les îles fuient derrière eux, tandis que le navire les emporte. Plusieurs aussi pensent que Dieu lève l’ancre et change de place, lorsque leur âme s’agite et obéit au souffle de leurs passions ; « toutefois le fondement du Seigneur demeure ferme » (2 Timothée 2.19). Dieu sait si vous êtes à Lui. Luttez donc, combattez, avancez, craignez, croyez, priez, et vous aurez en vous les signes infaillibles des élus de Christ.
Vous redoutez les approches d’une maladie qui sera peut-être suivie de la mort. Préparez-vous pour ce voyage, Madame. Dieu vous donne des yeux pour vous guider pendant ces temps solennels et vous laisser entrevoir quelque chose au delà du tombeau. Si l’enfer, semblable à un fleuve, coulait entre nous et Jésus, je ne doute pas que, pour rejoindre votre Sauveur, vous ne le franchissiez courageusement, espérant que Jésus viendrait au plus profond des eaux vous tendre la main. Eh bien, cette rivière n’existe pas pour vous ; il ne vous reste plus qu’à franchir deux courants, la maladie et la mort. En outre, vous avez la promesse que Christ fera plus que de venir au-devant de vous, Il marchera à vos côtés, Il vous portera dans ses bras en tous lieux. Oh ! quelle joie pour vous ! Quel amour que celui de cet homme « qui est Dieu béni éternellement ; » qui se tient sur la rive du port, qui nous y attend et qui nous encourage à poursuivre notre course ! Le Seigneur est avec vous, Madame. Dieu ne permet à aucun de ses serviteurs de changer leur position contre une moins bonne. La mort en elle-même signifie celle de l’âme et du corps, mais, quant aux enfants de Dieu, ses limites sont resserrées dans un espace fort étroit. Ainsi, quand vous mourrez, ce ne sera que la moindre partie de vous-même qui périra, votre corps seul sera abandonné à la dissolution. Car en Christ vous êtes délivrée de la mort seconde ; née de Dieu, vous ne pouvez plus pécher, bien que le péché soit lié à cette vie ; le serpent ne dévorera que votre partie terrestre. Votre âme est en dehors des lois de la mort ; mais c’est chose à la fois dangereuse et redoutable que d’être le serviteur du péché, car il ne vous rend pas propre à comparaître devant Dieu, à moins que Christ ne réponde et ne paie pour vous.
J’aime à croire, Madame, que vous ne vous lassez point de représenter au Seigneur l’état de cette pauvre église. Dieu sait ce que le Parlement décidera à son égard, mais ce que je sais bien, c’est que les décrets d’un parlement bien autrement puissant dans les cieux vont fondre sur la terre. Nous avons rejeté la loi de Dieu, nous avons méprisé la Parole du Saint d’Israël (Ésaïe 5.24). « C’est pourquoi le jugement s’est éloigné et la justice s’est tenue loin ; car la vérité est tombée dans les rues et la droiture n’y a pu entrer » (Ésaïe 59.14). Ne semblerait-il pas que le Prophète ait désigné notre paroisse en déclarant que la justice s’était tenue éloignée et que la droiture ne pouvait pénétrer dans nos rues, comme si elle en eût été bannie ? il compare la vérité à une personne mourante que le mal a saisie tout à coup dans la rue, avant qu’elle pût rentrer chez elle. Je ne vous fatigue pas davantage, Madame, et je termine en vous plaçant sous la grâce et la miséricorde de ce Dieu qui vous soutiendra alors même que vous succomberiez. Veuille le Seigneur Jésus se tenir près de votre âme !
S. R.