Tavannes, mercredi 1er mars 1922.
En plein air, place du Collège, à 3 h. de l'après-midi.
Je suis très heureux de vous voir, mais je regrette infiniment que la langue nous sépare ; j'aimerais tant pouvoir vous parler dans la vôtre ! Après tout, cela n'a pas une très grande importance, car la langue n'est rien ; c'est l'esprit, l'âme qui s'y reflète qui importe. Une seule langue en Christ, c'est assez pour nous dans toutes nos difficultés.
Avant de commencer à parler, je lirai un verset dans l'Évangile de Jean 10.10 : « Le voleur ne vient que pour voler, tuer et détruire. Je suis venu afin que mes brebis aient la vie et qu'elles l'aient avec abondance ».
Il y a quinze jours, j'étais à Jérusalem et mes pieds foulaient, près du Temple, l'endroit même que ceux de notre Sauveur ont foulé bien des fois. Cela fit sur moi une profonde impression : quoique notre Sauveur ne fût pas là avec son corps de chair, je croyais l'entendre prononcer ces paroles : « je suis venu afin qu'elles aient la vie, une vie plus abondante ». Il a bien dit que non seulement nous pouvons recevoir la vie, mais encore la vie avec abondance. J'illustrerai par un récit la différence qui existe entre « la vie » et « la vie avec abondance ».
Il y a quelques années, il y avait aux Indes un homme resté très faible à la suite d'une longue maladie ; il était si faible qu'il ne pouvait plus vivre bien longtemps. Un jour qu'il était couché sur son lit, seul, il aperçut un serpent qui rampait de son côté ; il aurait bien voulu se sauver, mais il n'en avait pas la force, il ne pouvait pas bouger. Il avait encore la vie, mais une vie insuffisante même à saisir une pierre pour tuer le serpent. Il eut bien peur en voyant la bête approcher ; pourtant, il fut mordu et une demi-heure après il mourait. Plus tard, un de ses parents, homme fort et bien portant, tua le serpent.
Il y a bien des chrétiens aussi qui ont reçu la vie et n'ont pourtant aucune force, aucune puissance spirituelle qui leur permette de tuer le serpent ; ils ont la vie... une vie qui ne leur sert à rien ; ces chrétiens-là ne peuvent s'aider à eux-mêmes, ils ne peuvent pas sauver leur propre vie ; comment pourraient-ils aider les autres ? Si même ils en ont le désir, la force leur manque. Le résultat sera que Satan, l'ennemi des âmes, viendra et les mordra, si bien que le péché souillera leurs âmes. Pourtant, notre Sauveur a promis de nous donner, non seulement la vie, mais la vie avec abondance. Si nous possédons cette vie abondante, nous sommes assez forts pour tuer l'ennemi.
Les chrétiens qui n'ont pas cette vie en abondance n'aiment pas la prière, n'aiment pas lire la Parole de Dieu. Dans un de nos hôpitaux, aux Indes, un homme malade depuis très longtemps avait si bien perdu le sens du goût qu'il ne jouissait plus d'aucune nourriture. Il était tout surpris de ne plus rien trouver bon. Beaucoup de ceux qui ont reçu une certaine vie de l'Esprit, ont perdu néanmoins le goût spirituel à cause de la maladie du péché et ne peuvent pas apprécier la Parole de Dieu. C'est leur faute à eux et non pas celle de la Bible. Ceux qui ont la vie en abondance reçoivent la Parole de Dieu et apprécient cette nourriture spirituelle ; ils connaissent la vraie vie, la vie qui n'est qu'en Jésus-Christ.
Tant de chrétiens n'ont aucune joie en Jésus ; ils cherchent le plaisir et ne trouvent pas Christ dans leur plaisir. Ce n'est pas la faute du Sauveur, mais la leur.
Il y a quelques années, alors que je n'étais pas encore chrétien, je haïssais Christ et j'étais son ennemi. J'essayais en vain de satisfaire les aspirations de mon âme avec les choses de ce monde. Je possédais beaucoup des biens de ce monde et cependant rien ne me satisfaisait, car le vide de notre âme ne peut pas être comblé par les choses matérielles, mais seulement par Celui qui a créé notre cœur et qui sait comment le satisfaire. En devenant chrétien, je dus quitter la maison paternelle et ma parenté ; j'avais tout perdu, mais pour trouver tout en Christ. En Christ aussi, j'ai trouvé une paix merveilleuse, que le monde ne peut pas donner et qu'il ne peut pas enlever. Cette paix, je ne l'ai pas ressentie seulement quand j'étais à l'abri, près de mes amis, mais encore au sein des plus grandes difficultés.
Je me rappelle le jour où j'allai annoncer l'Évangile au Népal. Ces gens n'aimaient pas du tout que je parle contre leur religion et me disaient : « Tu es ici sans la permission de notre roi ! » Je leur répondais : « En effet, je n'ai pas obtenu la permission de votre roi, mais ai celle du Roi des rois ». « Très bien ! si ton roi t'a envoyé, nous allons voir comment il te sauvera. » Ils me mirent en prison, pieds et mains entravés dans des ceps, de sorte que je ne pouvais pas remuer. Ils m'avaient pris tous mes vêtements, j'étais absolument nu et l'on me mit en outre sur tout le corps des sangsues qui se gorgèrent de mon sang. Au commencement, je souffris ; pendant la première demi-heure je trouvai que c'était une dure épreuve. Cela provenait de ma propre faiblesse et mon Père céleste ne vint pas immédiatement à mon secours. Bientôt, cependant, une paix merveilleuse m'inonda et Sa présence fit de ma prison le ciel sur la terre. Je ne sais pas chanter, mais à ce moment-là je ne pus pas rester silencieux si bien que, au milieu de la persécution, je me mis à chanter de magnifiques hymnes de louanges. On vint alors me dire : « Que ton roi te sauve, maintenant ! Te voilà en prison et il ne peut pas te sauver ! » Je répondis : « Par sa grâce, je suis libre ; j'ai la paix de l'âme, que vous ne possédez pas ».
Dans cette prison se trouvait un homme qui avait eu l'occasion de lire l'Évangile de Marc et l'avait déchiré. Il me disait : « Tu as abandonné ta religion et tu voudrais nous gâter tous comme toi ! » Il voyait bien qu'en Christ je trouvais une puissance de vie qui transformait ma prison en ciel. Là-dessus, on alla dire au gouverneur : « A quoi cela sert-il de le garder en prison » « Tant qu'il prêchait son Évangile, personne ne prenait garde à lui, tandis que depuis qu'il est en prison, des masses de gens vont l'écouter ». Le gouverneur dit : « Laissez-le aller ; il est fou ! » L'homme qui avait déchiré l'Évangile s'avança alors et dit : « Un fou peut-il être si heureux ? si c'est un fou qui possède une joie pareille, je désire être fou moi aussi et je le désire non seulement pour moi, mais pour le monde entier ». Il vint à moi et me dit : « Pardonne-moi ! » Je lui dis d'aller au Sauveur pour trouver le pardon et quelque temps après cet homme demanda le baptême, ayant trouvé la paix et la joie parfaites. Vraiment, il y a une immense différence entre « la vie » et « la vie en abondance ». Par la grâce de Christ, nous recevons une vie abondante et la preuve de cette vie c'est la joie qui remplit nos cœurs.
Beaucoup de chrétiens ont la vie et sont malades pourtant, car les malades ont bien la vie mais point de joie, parce qu'ils n'ont pas la santé. La santé ne se trouve que dans la vie en abondance. Beaucoup d'infortunés chrétiens s'attendent à être au Ciel après leur mort, mais le Ciel commence sur la terre ! Quand notre âme entre en communion avec Dieu et que nous réalisons sa présence, nous découvrons que le Ciel, c'est posséder la parfaite paix de l'âme. Quand nous possédons cette paix en Jésus-Christ, nous n'aimons plus le péché. C'est là ce que Jean entend, lorsqu'il dit : « Nous qui sommes nés de Dieu ». (Jean 1.13.) Quand vous posséderez cette paix, cette joie magnifique en Dieu, vous ne pécherez plus. Ceux qui ne sont pas nés de nouveau ne peuvent pas recevoir cette paix ; ils essaient de la trouver en péchant, en agissant contre la volonté de Dieu.
Souvent, je me dis que, si un grand pécheur comme moi a pu être sauvé et recevoir la paix, vous pouvez bien plus encore la recevoir, vous qui croyez en Christ depuis votre enfance.
Vous êtes comme cet homme qui possédait un diamant et n'en connaissait pas la valeur. Il croyait que c'était tout juste une belle pierre, aussi, quand on lui en offrit quelques francs, le vendit-il sans hésiter. Ensuite, il apprit que c'était un diamant qui pouvait valoir cent mille francs et il se lamenta, disant : « C'était un diamant et je croyais que ce n'était qu'une belle pierre. Quelle folie de l'avoir vendu ainsi ! » Il chercha à retrouver l'homme qui lui avait acheté le diamant, mais c'était trop tard.
Dans les pays païens, on voit des hommes qui ne connaissent pas le Sauveur, mais pourtant se rendent compte de sa valeur et le cherchent comme un diamant précieux. Ceux-là trouvent le salut en Jésus-Christ. Le temps vient où, parmi les chrétiens de nom, quelques-uns écouteront le message de leurs frères venus des pays païens qui, ayant cherché Christ avec ardeur, auront été sauvés tandis que d'autres, nés dans les pays chrétiens, auront perdu la vie pour toujours.
Je suis parfois très triste d'avoir déchiré la Bible et d'autres fois je suis heureux, au contraire, d'avoir été aveugle spirituellement, car cela m'a aidé à voir et à comprendre la valeur du Christ vivant. J'ai vu son amour merveilleux. Ceux qui l'adorent trouvent le repos de leur âme et ceux qui l'ont haï, lorsqu'ils sont amenés à lui, font l'expérience de son vivant amour. Il a de l'amour pour ceux qui le haïssent tout autant que pour ceux qui l'aiment, car son amour ne va pas seulement à ses disciples, mais aussi à ses ennemis. Après avoir vu tant de miracles merveilleux, je connais mieux encore la personne du Christ vivant. De nos jours, dans les pays chrétiens, beaucoup de gens déclarent que les miracles ne sont que des fables et n'y croient pas. Ils ne croient pas, parce qu'ils ne comprennent pas et ils ne comprennent pas parce qu'ils n'ont pas fait d'expériences.
Dans le sud de l'Inde, il ne fait jamais froid. En parlant aux habitants de cette contrée, je leur racontai que j'avais vu un pont d'eau sur de l'eau. Ils disaient : « C'est impossible ! Comment cela se pourrait-il ? » je leur expliquai que, la surface de l'eau étant gelée, on pouvait traverser en passant sur l'eau qui coulait dessous et qu'il n'y avait là rien de contraire aux lois de la nature. Les habitants des pays froids savent bien que c'est tout naturel, mais comment ceux qui ont toujours vécu dans les pays chauds comprendraient-ils qu'il peut y avoir un pont d'eau au-dessus de l'eau ? Ceux qui vivent dans leur péché ressemblent précisément à des hommes qui ne sont jamais montés sur les hauteurs où ces ponts extraordinaires peuvent être vus ; mais ceux qui vivent d'une vie de prière sont comme les habitants des pays froids, ils peuvent comprendre. Lorsqu'on m'interroge sur le sujet des miracles, je réponds que j'en ai fait l'expérience. Je sais que Christ est une force.
Nous avons tous l'occasion de faire ces expériences magnifiques, et c'est en vivant avec le Sauveur. Ce n'est pas en allant au théâtre que vous verrez des miracles. Si vraiment vous désirez voir les merveilles de la puissance de Dieu, consacrez du temps à la prière. Christ ne fait rien dans le but de satisfaire la curiosité, mais il veut satisfaire l'âme et cette âme trouvera tout ce dont elle a besoin si chaque jour nous savons consacrer du temps à notre Sauveur si, nous asseyant à ses pieds, nous méditons sa parole et le prions de tout notre cœur. C'est là ma propre expérience.
Je désire vous parler de ma conversion. Sans doute, ce sont les mêmes choses que j'ai dites ailleurs aussi, mais c'est afin de rendre témoignage au salut que j'ai trouvé. Le 16 décembre 1904, je jetai la Bible au feu. Le 18 décembre, j'étais résolu à me suicider au passage du train de cinq heures du matin, car je ne pouvais pas trouver la paix ; mais auparavant je voulais encore supplier Dieu de me montrer la voie du salut. J'avais dit à mon père : « Je viens te dire adieu. Demain matin tu me trouveras mort. – Pourquoi veux-tu te tuer ? » me demanda-t-il. « Parce que l'hindouisme ne peut pas satisfaire mon âme, ni cet argent, ni ce confort, ni aucun des biens de ce monde. Ton argent peut satisfaire les désirs de mon corps, mais pas mon âme. Aussi en ai-je assez de cette vie misérable et incomplète ; je veux en finir. »
Le matin du jour où j'avais décidé de me suicider, à cinq heures, si je n'avais pas trouvé la paix, je me levai avant trois heures, je pris un bain froid, puis je me mis à prier en demandant à Dieu de me montrer le chemin du salut. Je pensais : « Si rien ne m'est révélé, si je ne puis toujours rien comprendre, je me suiciderai, afin de rencontrer Dieu dans l'autre monde. Je priai de trois à quatre heures et demie et, tout à coup, je vis comme une grande clarté dans ma chambre. Très surpris, croyant à un incendie, j'ouvris la porte et regardai, mais il n'y avait point de feu. Je refermai la porte et me remis à prier. Alors, comme dans un nuage lumineux, je vis la face glorieuse et resplendissante d'amour de Christ.
Je ne pouvais pas savoir que c'était lui, puisque je ne le connaissais pas, mais il me dit : « jusqu'à quand me persécuteras-tu ? Je suis mort pour toi ; pour toi j'ai donné ma vie ». Alors, je compris que j'étais en présence du Christ vivant. Trois jours auparavant je haïssais Jésus-Christ, je brûlais la Bible et soudain je le voyais là, devant moi. En un instant, ma vie fut transformée et sa puissance s'exerça sur mon cœur. Je me relevai. Christ avait disparu, mais, plein de joie, je courus réveiller mon père pour lui dire : « je suis chrétien ! » Il ne voulut pas le croire : « Tu as perdu l'esprit ! Va-t-en dormir ! Avant-hier tu brûlais la Bible et maintenant tu serais chrétien ! Comment cela se pourrait-il ? – Parce que je l'ai vu ! Jusqu'ici, je me disais toujours : c'est tout simplement un homme qui a vécu il y a deux mille ans ! Aujourd'hui je l'ai vu Lui-même, le Christ vivant et je veux Le servir. » Mon père reprit : « Mais tu allais te suicider ! » « Je me suis déjà suicidé ; ce Sundar Singh-là est mort ; je suis un homme nouveau. »
Il est très difficile, aux Indes, à un homme appartenant à une caste élevée, de devenir chrétien. Il est aussitôt chassé de chez lui et dépouillé de tout ce qu'il possède. Mon père considéra comme un grand déshonneur pour la famille que je sois devenu chrétien. On m'enleva tous mes vêtements et, nu et chassé de la maison paternelle par une nuit très froide, je restai sous un arbre jusqu'au matin. Je n'avais aucune expérience de la souffrance ; élevé dans le luxe et dans un grand confort matériel, c'était ma première épreuve de ce genre. Je trouvais ma situation très pénible, aussi Satan vint me tenter : « Hier, tu étais à la maison, bien tranquille, confortablement installé et maintenant tu souffres ». Alors, je me mis à comparer : au milieu du luxe et du confort de la maison paternelle, je n'avais point de paix et maintenant, seul sous un arbre dans la nuit froide, je possédais une paix merveilleuse. C'était ma première nuit dans le Ciel. Le monde n'aurait jamais pu me donner une pareille paix. Christ, le Christ vivant, m'inondait d'une joie magnifique. Le froid me pénétrait ; j'étais transi et affamé, mais j'avais le sentiment d'être enveloppé par la puissance du Christ vivant. L'ennemi, le persécuteur de Christ que j'avais été était transformé. Ce que le Seigneur a fait ainsi pour moi, dans un pays païen, il le fera bien plus encore pour vous qui vivez dans un pays chrétien.
Je suis bien fâché d'être obligé de dire que, parmi vous, il y en a beaucoup qui ressemblent à l'homme qui possédait un diamant et n'en connaissait pas la valeur. Vous êtes bénis si vous connaissez Christ et agissez selon sa volonté. Notre Sauveur nous enseigne par le moyen de sa Parole ; il est venu pour nous donner une vie abondante, une vie de paix et de joie. La vie qui n'est pas en abondance est une vie morte.
Que Dieu nous aide à réaliser notre état de péché en restant à ses pieds pour lui demander une vie abondante. Qu'il nous aide à réaliser cette vie-là, afin que nous puissions nous rencontrer de nouveau en sa présence dans le Ciel, notre demeure éternelle où nous le verrons face à face. Votre pays est la « Suisse », mais le « doux pays » est ailleurs [1]. Nous ne demeurons que quelques jours, quelques années, dans notre patrie terrestre, puis nous devons la quitter pour une autre. Ceux-là seuls qui auront reçu la vie en abondance pourront aller dans cette autre patrie, dans cette terre bénie. Ainsi que je le disais hier : Ici-bas nous disons : je suis Suisse, ou Anglais, ou Hindou, mais Là-haut nous serons un seul peuple en Christ.
Que Dieu nous aide à recevoir cette vie en abondance, afin que nous vivions en Lui déjà ici-bas, puis ensuite pour toujours Là-haut. Maintenant, nous avons des difficultés de langue, mais il n'y en aura plus quand nous nous rencontrerons dans cette terre bénie. Que Dieu nous aide à recevoir la vie et la vie en abondance, pour que nous vivions en Lui ici déjà, puis pour toujours au Ciel.
[1] Le Sâdhou a fait ici un jeu de mots : Switzerland : la Suisse ; Sweetland : le doux pays.