Par une nuit obscure, je sortis seul pour prier dans la jungle, et pendant que j'étais assis sur un gros rocher, je présentai mes besoins à Dieu et j'implorai son secours. Après un instant, je vis un homme pauvre qui venait vers moi. Je supposai qu'il souffrait de la faim et du froid, et venait me demander un secours ; je me levai alors et lui dis que j'étais moi-même un pauvre mendiant qui ne possédait rien sinon une simple couverture ; qu'il valait mieux pour lui se rendre en ville et demander aux gens ce dont il avait besoin. A peine avais-je prononcé ces mots, qu'il brilla subitement comme un éclair et disparut en laissant derrière lui une bénédiction pareille à des gouttes de pluie sur un terrain desséché. Hélas ! La vérité se fit jour ! C'était mon cher Sauveur qui était venu à moi, non pas pour recevoir, mais pour me donner, à moi, pauvre, misérable, et pour m'enrichir (2 Cor. 8.9). Songeant alors à ma folie et à ma légèreté, je répandis d'abondantes larmes.
Un autre jour, mon travail étant terminé, je retournai dans la même jungle pour prier ; je m'assis sur le même rocher, et pensai à la prière que j'allais faire. J'en étais là de mes réflexions, lorsqu'un autre personnage se présenta. Ses manières et toute son attitude indiquaient qu'il était de caractère noble et pieux, mais il y avait pourtant quelque chose de rusé dans ses yeux et de diabolique dans son accent. Il m'aborda en ces termes : « Maître ! pardonne-moi si je trouble ta solitude et tes prières, mais c'est un devoir de chercher le bien des autres ; je suis venu vers toi, car ta vie si pure et si dévouée m'a fait une profonde impression. Nombre d'autres personnes qui cherchent Dieu éprouvent envers toi un sentiment analogue. Néanmoins, tu es loin d'être suffisamment honoré, toi qui as consacré ton cœur et ton âme au bien des hommes. Voici mon sentiment : ta conversion au christianisme a exercé une influence sur quelques milliers de chrétiens, mais elle ne s'étend pas au-delà, et même quelques-uns d'entre eux te regardent avec défiance. Ne vaudrait-il pas mieux pour toi devenir le chef de tes compatriotes, en restant hindou ou musulman ? Tout une partie de notre peuple est à la recherche d'un chef. Si tu acceptais mon conseil, nous verrions bientôt des milliers et des milliers d'Hindous et de Musulmans dans l'Hindoustan devenir tes sectateurs et t'adorer ! » En entendant ces suggestions, les paroles du Seigneur montèrent spontanément à mes lèvres : « Arrière de moi, Satan ! je savais bien que tu es un loup qui te déguises en brebis. Tu désires que je quitte la voie étroite, que j'abandonne la croix et la vie éternelle, pour prendre la voie large qui mène à la mort. Le Seigneur est ma récompense, Lui qui a donné sa vie pour moi ! C'est mon devoir absolu de me sacrifier avec tout ce que je possède pour lui, car il est tout pour moi. Ainsi, va-t'en, car je n'ai rien de commun avec toi ! » Entendant cela, il fut effrayé et disparut en grommelant. Alors, dans mon émotion, il me fut impossible de retenir mes larmes, et je priai Dieu en ces mots : « O ! Seigneur Dieu, qui es tout, en tous lieux, pour moi, vie de ma vie, esprit de mon esprit, aie pitié de moi, et remplis-moi tellement de ton saint Esprit et de ton amour, qu'il n'y ait place pour quoi que ce soit d'autre que toi dans mon cœur. Je ne désire aucune bénédiction, mais je te désire toi-même, toi de qui descendent toute bénédiction et toute vie. Je ne demande ni le monde, ni ses pompes ni sa gloire, je ne demande pas même le ciel, mais je te demande toi ; car où tu es, là est le ciel ! C'est en toi seul que je trouve la paix et l'abondance pour mon cœur. Toi-même, ô Créateur ! Tu as créé ce cœur pour toi et non pas pour aucune créature quelconque ! C'est pourquoi ce cœur ne peut trouver de repos nulle part sinon en toi, en toi seul, ô Père, qui as mis en moi cette soif de paix. Arrache de ce cœur tout ce qui est contraire à toi, demeures-y, et dirige-le toi-même ! Amen. »
Lorsque je me relevai, après avoir prononcé cette prière, que vis-je ? Un être de lumière, glorieux, et d'une beauté extrême, se tenait devant moi. Quoiqu'il ne prononçât pas une parole, et que je fusse incapable de le voir nettement, à cause des larmes qui remplissaient mes yeux, un flot d'amour s'échappait de sa personne, et une lumière abondante se répandit dans mon âme. Je reconnus immédiatement mon cher Sauveur ; je me levai du rocher et tombai à ses pieds. Il tenait désormais la clé de mon cœur ; il en ouvrit la porte avec cette clé, qui est faite d'amour, et il me remplit de sa présence. Où que ce fût, en moi ou autour de moi, je ne voyais plus que lui. Il était enfin évident que le cœur de l'homme est le trône et la citadelle de Dieu. Lorsqu'il lui plait d'habiter en un cœur, les cieux et le royaume de Dieu commencent à s'y trouver. En quelques instants, il me remplit tellement et me révéla de telles merveilles, que même si on en écrivait des livres, on ne pourrait pas en donner une idée exacte. La langue du ciel est seule suffisante pour exprimer les réalités du ciel. Les langues de la terre sont insuffisantes pour rendre compte de ces merveilles ! Quoi qu'il en soit, je ferai mon possible pour mettre par écrit quelque chose de ce que le Seigneur m'a accordé dans ces visions. Il prit place sur ce même rocher sur lequel je m'étais assis auparavant ; je me mis à ses pieds et lui adressai mes questions. Ainsi, par questions et réponses, l'entretien se poursuivit entre le Seigneur et son disciple !