Malheur à la cité dont le roi est un enfant
Un père de famille me raconte le fait suivant : « Avant hier, une camarade de classe est venue inviter ma fille pour une surboum, avec, naturellement, la perspective d’une rentrée tardive. Vivement intéressée, ma fille – de seize ans – a supplié :
— Papa, permets-moi d’aller à cette soirée. Je te promets de ne pas m’attarder trop.
Aussi gentiment que possible et sans formuler de reproches, j’ai répondu :
— Non ! Vois-tu, je préfère que tu restes avec nous ce soir.
Si je ne fus pas étonné de voir une ombre de tristesse passer dans les yeux de ma grande fille (qui cependant n’insista pas), je le fus autrement d’entendre son amie s’exclamer tout de go :
— Oh ! Comme j’aurais aimé que mon père me dise parfois : « Non » ! Ce qui voulait dire en clair : « Comme tu as de la chance d’avoir un père responsable qui sait te diriger ! »
Cette réponse – authentique – pour surprenante qu’elle soit n’a rien d’insolite. En fin de compte l’enfant (et même souvent l’adolescent qui doit faire l’apprentissage des responsabilités), aime sentir au-dessus de lui une autorité agissante. Une autorité qui, soucieuse de son bonheur, le prend en charge, décide à sa place, se montre sage pour lui et donc le sécurise. Car au fond de lui-même, l’enfant se sait incapable de décider sainement et de se garder lui-même. Aussi quel soulagement lorsqu’il peut s’en remettre à un père qui veille sur lui et n’agit que pour son bien.
♦
♦ ♦
Aujourd’hui, l’enfant est roi. Piètre monarque devant lequel capitulent de piètres parents. Ils ont adopté telles quelles les théories d’une certaine psychologie qui enseigne de ne jamais contrarier l’enfant de peur de le traumatiser pour la vie. Alors, on consent à lui dire « oui » en sachant pertinemment qu’il s’égare et se fait du mal. Les enfants soumis de jadis ont cédé la place aux parents obéissants. Il y a transfert d’autorité pour le plus grand malheur de tous. Curieux progrès !
Les parents soumis commettent au moins deux erreurs :
1. — D’abord celle de croire qu’il faut céder à tous les caprices de l’enfant pour le satisfaire et se l’attacher. Une maman, ferme d’ordinaire, tenta une expérience avec l’un de ses garçons. Elle décida, pour une journée seulement et dans la mesure du possible, de lui fournir tout ce qu’il réclamerait et de répondre sur le champ à ses moindres désirs, jusqu’à son coucher. Littéralement épuisée au terme de la journée, elle dut avouer : « Je n’ai pas réussi à le contenter durablement. Il exigeait toujours autre chose, et en grognant, par dessus le marché. Il m’a mise sur les genoux ».
Et c’est vrai. On ne contente pas un enfant de cette façon : il est insatiable lorsqu’il n’a qu’à exprimer ses désirs pour les voir satisfaits. D’ailleurs, chacun sait que la « vie en rose », la surabondance, ne font pas les gens heureux. Il est reconnu que la plupart des dépressifs se recrutent parmi les nantis, les comblés. Donnez tout à gogo à votre rejeton et vous aurez un enfant grognon, blasé, exigeant, inconscient et désagréable. Ne lui refusez jamais rien et vous perdrez sur tous les tableaux. L’enfant ne vous témoignera aucune reconnaissance car vous lui aurez fait croire que tout lui est dû et que le monde lui appartient. Cédez-lui constamment et il vous reprochera bientôt de n’avoir « rien dans le ventre ». Il finira par vous mépriser et vous rendra responsable, non sans raison, de ses échecs. Et si timidement vous lui faites remarquer qu’il a mal agi, il vous jettera à la figure : « Puisque tu le savais, tu n’avais qu’à m’empêcher de le faire ».
2. — Une autre erreur est de croire qu’un refus fera de votre enfant un frustré, un traumatisé qui va nourrir à votre égard une rancœur éternelle. En vérité, c’est l’inverse qui se produira. Le « oui » des faibles est le plus funeste des « oui ». Le « non » qui vise le bien de l’enfant est la meilleure des réponses. Lorsque le bon sens le commande, consentez à dire le « non » de l’amour :
— Non, il ne faut pas veiller plus longtemps. Il est dix heures et c’est le moment pour toi d’aller au lit.
— Non, je ne te permets pas d’accaparer la conversation à table lorsque nous avons des visites.
— Non, tu ne dois pas reprendre du chocolat.
— Non, je ne veux pas que tu grimpes avec tes chaussures sur le canapé. Apprends à respecter les choses …
Prenez le temps d’expliquer – sereinement – le pourquoi de votre refus et puis montrez-vous ferme. Que votre « non » en soit un vrai, sur lequel on ne revient pas. Ne laissez pas à votre enfant l’espoir de le voir se transformer en « oui », il en serait trop heureux et vous l’inciteriez à revenir sans cesse à la charge pour vous faire fléchir. Or, il insistera d’autant moins que vous lui paraîtrez déterminé. Naturellement, si vous hésitez à fournir une réponse (si vous balancez entre le oui et le non), ne vous hâtez pas de la donner mais demandez un délai de réflexion pour consulter votre conjoint, puis, lorsque la décision est prise, n’y revenez pas.
Plus d’une fois votre fils (ou votre fille) cherchera à vous vaincre. Il tâtera le terrain afin de vous jauger : il voudra savoir JUSQU’OÙ il peut aller avec vous. L’œil en coin, il vous observera pour déceler le défaut de la cuirasse et vous harcèlera les jours où, fatigué, inquiet, accaparé par des visites vous n’êtes pas tout à fait vous-même. Là, il découvrira les limites de votre autorité … toutefois, il souhaitera secrètement que vous lui résistiez jusqu’au bout. Il serait déçu de l’emporter sur vous car vous perdriez alors son estime.
J’ai assisté à des scènes navrantes dans le genre de celle-ci : Vers la fin du repas, Catherine réclame une part supplémentaire de gâteau. Avec raison, la maman refuse :
— Ma chérie, cela suffit pour aujourd’hui. Tu as assez mangé.
La fillette maugrée puis réitère sa demande, toujours en grognant, sans se soucier de la conversation qu’elle trouble. Finalement, voyant sa mère tournée vers les amis, silencieusement cette fois, elle avance lentement la main vers le plat et s’empare du morceau convoité.
J’observe la maman. Consciente du manège elle feint cependant d’ignorer le geste de sa fille et poursuit la conversation tandis que l’enfant enfonce ses dents blanches dans la pâte feuilletée … une friandise bientôt abandonnée car, en réalité, elle n’a plus faim.
Catherine a agi de la sorte parce que maman s’avère incapable de lui résister. Le « non » de tout à l’heure n’était pas un vrai « non », définitif.
Quoi qu’il en soit, épreuve de force ou non, l’enfant ne devrait pas avoir le dernier mot et les parents ne jamais baisser pavillon. C’est affaire de préséance. Il doit y mettre du sien. Donc, tenez bon en maîtrisant vos émotions.
LES PARENTS S’INTERROGENT