Un homme dans la tour

EXPLORATION

Huit heures sonnent dans le lointain. Jean-Paul n’est plus au lit, ni à la ferme. Le voilà à quelques pas des Olivettes, en compagnie d’Etienne, emmitoufflé jusqu’au nez. Naturellement il n’a pas fermé l’œil de la nuit, tellement il avait peur de s’oublier. Il se voyait en train de fouiller les profondeurs de la terre, découvrant des merveilles qui devaient le rendre célèbre.

Jean-Paul a sa lampe de poche ; Etienne son rouleau de ficelle.

— En route !

Etienne passe le premier car il connaît bien le chemin pour l’avoir fait souvent. La pente est rude et les broussailles ralentissent la marche. Ici, il faut écarter des ronces, là enjamber un rocher, plus loin escalader un mur. Les obstacles ne manquent pas, aussi Jean-Paul a-t-il beaucoup de peine à suivre. Cependant, il est trop fier pour rester en arrière. Il préfère suer et souffler que de se laisser distancer.

— Nous y serons bientôt. crie Etienne, sans détourner la tête. Encore cinquante mètres.

Les cinquante mètres du jeune campagnard paraissent bien longs à Popol qui malgré l’air frais du matin transpire à grosses gouttes. Tantôt devant, tantôt derrière, souvent dans les jambes, Fallot gambade allègrement. Il a l’air bien décidé à suivre ses amis jusqu’au centre de la terre si c’est nécessaire.

— Enfin nous y voilà ! déclare Etienne.

Le grand garçon se hisse sur un rocher calcaire en plate-forme, puis aide son petit compagnon à le gravir. De ce promontoire, la vue s’étend très loin. On aperçoit toute la vallée jusqu’au village dont on ne voit que quelques maisons. – A droite, derrière les grands tilleuls, les Oumbras ; – à gauche, plus bas, les Olivettes aux murs blanchis à la chaux.

Jean-Paul s’assied, essoufflé. Rouge comme les tomates de grand-père, son visage ruisselle ; il l’éponge à plusieurs reprises avec un grand mouchoir barriolé.

— Où est ta grotte ? dit-il en regardant de tous côtés.

— Devant toi, répond Etienne avec un léger sourire.

— Comment ! Je ne vois rien !

D’un coup de pied, Etienne fait voler une branche de chêne à demi-desséchée qu’il avait placée là pour masquer l’entrée de la grotte. Ah ! si on lui avait ravi son secret ! Le trou est petit, très petit même. Jean-Paul se demande avec inquiétude s’il pourra s’y glisser. Il n’est pas très gros, mais quand même !

Sans dire un mot, Etienne attache la ficelle à une racine.

— En avant ! dit-il sur un ton de capitaine. Tu n’as qu’à me suivre.

Il s’enfonce résolument tête première dans l’étroit boyau. Bien entendu, cela ne va pas tout seul ! Tout son corps s’agite : on dirait une souris qui vient d’être prise au piège. Maintenant Jean-Paul ne voit plus que les jambes de son ami. puis les chaussures qui s’accrochent à la roche.

— À mon tour !

Ce n’est pas sans un frisson qu’il imite son compagnon ; mais est-ce le moment de reculer ? Il engage avec peine la tête comme s’il avait peur de se salir. Le trou est sombre devant lui. Quelques bribes de lumière lui rappellent qu’Etienne n’est qu’à quelques pas, ce qui le rassure. Jean-Paul avance par à-coups, se déchire les mains, les genoux… accroche la ficelle que son ami déploie consciencieusement. Le boyau n’est pas large, aussi progresse-t-il lentement.

— Courage ! dit une voix qui vient des profondeurs. Pas de relâche !

Du courage, il en faut car l’obscurité grandit. Par endroits, la roche est mouillée. Quelques gouttes d’eau glacée lui font dans le cou une sensation bizarre des plus désagréables. Jean-Paul a horreur de l’eau froide, mais pour une fois, il doit la supporter sans dire un mot.

Les mains tendues en avant, il cherche les petites aspérités pour s’agripper et se tirer. Il se sert aussi des pieds qu’il engage dans les fissures pour se propulser plus loin. Cette gymnastique assez pénible a quelque chose d’amusant.

— Voilà la première salle, crie Etienne dont la voix est assourdie par la voûte calcaire. Encore un effort, tu n’as plus que deux mètres !

Deux mètres à cette vitesse, c’est beaucoup. Jean-Paul, malgré sa bonne volonté, n’est pas aussi rapide que son ami plus fort et mieux entraîné. Enfin, le voilà au bout de ce mauvais pas ! Il débouche à son tour dans une grande salle que la lampe éclaire faiblement. Il jette en même temps un « Oh ! » admiratif. Le plafond est entièrement recouvert de petites stalactites blanchâtres et la paroi, à droite, est tapissée d’une magnifique dentelle de pierre. Le Parisien n’avait jamais rien vu de pareil.

— Que c’est beau ! s’exclame-t-il plusieurs fois, que c’est beau ! Il ne se lasse pas de regarder ces merveilles de la nature que la petite lumière fait étinceler de mille feux.

— Ce que tu vois là, dit Etienne à la façon des guides, est peu de chose : c’est maintenant que la visite commence.

A droite s’ouvre une galerie très sombre. C’est une énorme fissure dans la roche, fissure qui témoigne d’immenses bouleversements dans les siècles passés. Etienne s’y engage avec précaution, car le sol est glissant. Il déroule lentement sa longue ficelle. Jean-Paul le suit de près pour bénéficier de la lumière que le gaillard semble un peu trop garder pour lui. Dix mètres plus loin, la galerie s’arrête comme murée. Une petite cascade d’eau cristalline franchit en deux ou trois sauts cet à-pic de deux mètres.

— Tu vois ce trou, là-haut !

— Oui !

— Il faut passer par là !

Volontiers Jean-Paul dirait non ! mais il n’ose reculer. Etienne a l’air tellement décidé et sûr ! Et puis, n’a-t-il pas promis des merveilles ?

— C’est le point le plus difficile à franchir, poursuit le guide, mais nous y parviendrons. Courage encore !

Le jeune campagnard grimpe lentement, très lentement même. Il prend son temps, examine la paroi avec soin. Il s’accroche à la roche, place le pied sur une petite saillie, puis, avec souplesse, se hisse jusqu’à l’entrée de la nouvelle galerie.

— A ton tour, dit-il Tu n’as qu’à suivre le même chemin.

La chose est facile à dire. Jean-Paul essaye timidement, mais sans résultat. Il glisse… il a peur. Il recommence sous les yeux impatients d’Etienne. Peine inutile ! Il est toujours en bas.

— Ecoute bien, je vais t’aider. Saisis cette arête !… Bon ! Pose le pied dans ce trou. Soulève-toi… et place l’autre pied à cet endroit. Bien ! A présent, donne-moi la main. Tiens bon ! Un, deux, trois. et notre petiot est précipité sur la plate-forme.

Maintenant, allons plus loin. Le chemin est plus aisé, mais gare à la glissade !

Cinq mètres de galerie facile, et nos deux enfants débouchent au sommet d’un gouffre aux dimensions colossales. La lumière a de la peine à rencontrer la paroi opposée.

La bouche ouverte, muet, Jean-Paul est dans l’admiration. Toutes les parois sont recouvertes de dentelles de pierre. De gigantesques stalagmites montent des sombres profondeurs pour rejoindre de non moins gigantesques stalactites, toutes façonnées de haut en bas. Au centre, on dirait une immense statue de marbre, édifiée sans bruit au travers des âges. A droite, des colonnades rangées côte à côte font penser à quelques grandes orgues de cathédrale. Les deux enfants ne savent où regarder, tant il y a de merveilles devant eux.

— Que c’est beau ! s’exclame Jean-Paul. Que c’est beau !

La lampe fouille tous les recoins de la grotte. La vision est grandiose, effrayante même. Il semble toujours qu’un terrible fantôme va sortir de quelque sombre galerie.

Que c’est beau ! répètent en chœur nos jeunes explorateurs.

Etienne a déposé son rouleau de ficelle sur un rocher.

Il n’en a plus besoin car il va inspecter cette grande excavation sans aller plus loin. Le rocher est bien en vue, il n’aura pas de peine à retrouver sa pelote. Les deux garçons vont et viennent, les yeux grands ouverts. Il y a tant de choses à voir ! Partout, les concrétions en nombre incalculable ont les formes les plus inattendues et les teintes les plus variées.

Maintenant, les voici parvenus à l’autre extrémité de cette immense salle. Ils s’installent sur un rocher surplombant l’abîme qu’ils n’ont pu atteindre qu’en avançant prudemment sur un étroit sentier calcaire, les épaules plaquées contre la paroi. Les deux jeunes gens affamés – de pareils exercices vous creusent l’estomac ! – tirent leur casse-croûte qu’ils dévorent en un clin d’œil. Une fois rassasiés, ils s’asseyent sur le sol humide, dos à dos, puis s’assoupissent rapidement, gagnés par la fatigue d’une telle équipée.

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