Priorité à la liberté

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Les autorités

Vevey

Je grimpe dans le train et m’installe dans le compartiment des « non fumeurs » afin de passer la nuit dans une atmosphère plus respirable. Simplement.

Lausanne

Le wagon se remplit autour de moi, des gens sérieux qui ne disent mot somnolent déjà. Pas de fumée. C’est bien !

Vallorbe

Arrêt prolongé. La douane. Puis le train repart et, par un long tunnel, pénètre en France. Alors, brusque remue-ménage. Mes sept compagnons de voyage, sans s’être concertés, fouillent leurs poches en toussotant, exhument briquets et cigarettes et, les yeux mi-clos, tirent avec délices bouffées sur bouffées comme pour rattraper l’heure d’austérité qu’ils viennent de subir. Dame ! En Suisse on ne fume pas chez les « Non Fumeurs ».

Ce revirement s’explique aisément. Passé la frontière, le régime change. On passe d’une liberté à une autre liberté. Ici – je veux dire en France – le fumeur est roi dans tout le train et par surcroît, les contrôleurs sur cette question se montrent « bon enfant ». Rassurés de ce côté, certains usagers du tabac se sentent libres d’ignorer cette stupide interdiction. C’est pourquoi mes sept compagnons paraissent avoir bonne conscience d’enfumer un citoyen qui a le funeste travers de mépriser un tel plaisir. On le lui fait bien voir en lui infligeant un juste châtiment : celui de subir, sans récalcitrer, la tabagie huit heures durant. Comme dans tout régime démocratique, la majorité l’emporte et la majorité a toujours raison. La démocratie peut être oppressive.

Que faire alors pour recouvrer ma liberté ? Avertir, et s’il le faut, gourmander les contrevenants comme il m’est arrivé de le faire ? Ce genre d’intervention paie-t-il vraiment ? Tout au plus réussit-on à rendre l’atmosphère un peu moins respirable encore ? Le chrétien se doit d’être indulgent et patient. D’aimer le fumeur. A moins qu’il n’y ait des victimes à défendre, il se taira, Il tendra l’autre joue. Je peux, et ce sera plus efficace semble-t-il, appeler le contrôleur pour qu’il sévisse. Je ne crois guère à de telles interventions. L’homme de la S.N.CF. une fois parti, la fumée reprendra ses droits. Je me résous donc, librement, à quitter le compartiment pour aller m’aérer dans le couloir. Hélas ! Là, je rencontre une nouvelle catégorie de fumeurs, les bons, à qui j’aurais mauvaise grâce de faire le moindre reproche… eux qui sont sortis pour aller griller une « sèche » dehors, afin de ne pas incommoder autrui, c’est-à-dire les non-fumeurs. Ma dernière ressource serait (et non sera) de réclamer intempestivement justice en tirant la sonnette d’alarme. Quand l’autorité et la discipline font défaut, le scandale, les manifestations à grand fracas, les pétitions, les grèves de la faim s’imposent pour que justice soit faite. Si tous les non-fumeurs incommodés se pendaient à la sonnette, sans doute finirait-on par les prendre en considération. Bien entendu, je balaie cette idée car il n’y a pas de commune mesure entre une si légère épreuve et le fait d’arrêter un train ce qui mettrait en peine des centaines d’innocents voyageurs. S’il fallait tirer toutes les sonnettes d’alarmes pour freiner les abus, on n’arriverait jamais à destination. Non ! Je dois aimer les égoïstes comme les autres. Les aimer en refusant de m’irriter à leur endroit. Les aimer jusqu’à accepter de rester, s’il le faut, huit heures dans une atmosphère polluée ! Oui, je veux aimer les fumeurs mais, en même temps je tiens à rester libre. Je refuse qu’on m’impose la tabagie. Je refuse de subir. C’est pourquoi je prends une libre décision. Celle de retourner à ma place en bénissant tous mes compagnons de route. Et si je n’arrive pas à dormir, j’intercèderai pour eux, demandant à Dieu de ne pas laisser passer l’occasion de parler du Libérateur. Prier pour celui qui m’incommode, me libère et me donne d’aimer. Alleluia ! Après tout, l’essentiel est de savoir que Dieu me voit, même au travers de la fumée.


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Quand l’autorité fait défaut, la rébellion s’installe et s’intensifie. Mécontents et trublions abondent. Ils se manifestent partout, à tout moment, en toute occasion, harcelant sans répit le pouvoir, lequel, impressionné, réagit timidement et se montre hésitant quant aux mesures à prendre. Cette faiblesse n’échappe à personne, surtout pas aux opposants qui jugent opportuns de multiplier leurs actions pour sensibiliser l’opinion à leur profit, Fatalement, ils dépassent la mesure et provoquent une brusque et inévitable répression, la fameuse répression policière qu’on montera en épingle pour discréditer et paralyser le pouvoir et son support, la police. C’est le cercle infernal. La faiblesse engendre le désordre qui tôt ou tard débouche sur la violence et la brutale intervention des forces de l’ordre pour aboutir en définitive au mécontentement général.

Il en va de même dans de trop nombreux foyers où l’enfant est roi. On use de la méthode persuasive plutôt que de la verge. On multiplie les « mon chou ne fait pas ça… ou viens ici » sans exiger vraiment que l’enfant obtempère. Alors le « chéri » résiste, frappe du pied, arrogant, indiscipliné, turbulent jusqu’à ce que le père ou la mère excédés s’emportent et frappent sans discernement leur rejeton sous l’empire de la colère, ce qui ne réussit qu’à irriter le petit énergumène. Conscient d’être la victime d’une explosion injustifiée autant qu’inattendue, il ne songe qu’à se venger à la première occasion. Et c’est le même cercle infernal : faiblesse – désordre – répression – irritation.


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La Bible traite des autorités et de leurs devoirs. Elle traite aussi de nos devoirs envers elles. A ce sujet, il est bon de relire le chapitre treize des Romains, une page trop méconnue, écrite sous Néron le pire des César, donc sous un régime de dictature et de persécution des plus injustes et des plus sanguinaires. Si un appel à la révolte s’est imposé dans l’histoire de l’Eglise, c’est bien du temps de l’apôtre. Ne se devait-il pas de démasquer le tyran, de condamner les répressions sanglantes, d’inviter les croyants à signer des pétitions ou à défiler dans les rues, d’entraîner la masse dans la rébellion ouverte ? Tout cela eut été à propos et certainement approuvé par la multitude dans et hors de l’Eglise. Or, l’apôtre n’en fit rien. Au contraire. Inspiré d’En-haut, il invita ses lecteurs à se soumettre sans restriction à de telles autorités, à vivre paisibles afin de ne pas attirer leur attention. Et en quels termes ! Relisez ce chapitre et vous saurez quelle doit être l’attitude du chrétien face au pouvoir. Allons-nous traiter Saint Paul de lâche ? L’accuserons-nous de s’être tout simplement dépréoccupé de milliers d’âmes honteusement opprimées, d’avoir joué le jeu du pouvoir, d’avoir ignoré les souffrances de multitudes asservies ? Sera-t-il déclaré coupable de ne pas avoir usé de son influence auprès des croyants pour les entraîner dans une opposition active au régime ?

Non, mille fois non !

Pour quatre motifs au moins nous devons l’obéissance aux autorités, quelles qu’elles soient.

1° motif. Parce que l’Etat idéal n’existe pas si bien que l’homme se croirait toujours autorisé et même tenu, à lui désobéir. Y a-t-il sur la terre un seul régime qui reçoive l’approbation de tous, qui fasse l’unanimité ? Tout ce qui procède de l’humain est frappé au coin de l’imperfection, donc entaché d’égoïsme et d’injustices, de violence et d’autoritarisme. Les imperfections d’un régime n’autorisent jamais la rébellion.

2° motif. Toute autorité établie, quelle qu’elle soit, tient son pouvoir de Dieu. Jésus le déclare aussi bien que les apôtres (1). Donc toute rébellion contre l’autorité est une rébellion contre Dieu lui-même. Une vérité trop complaisamment oubliée et qu’il vaut la peine de méditer, la Bible en main. Sérieusement. Evidemment, soumission ne signifie nullement consentement ou coopération active. Si l’Etat me refusait le droit d’adorer mon Seigneur et de le proclamer ouvertement, je protesterais avec respect et fermeté, préférant le châtiment, sans pour autant me révolter systématiquement contre le pouvoir.

(1) 1 Jean 19.11 et Romains 13.1-2, 4.

3° motif. Le chrétien trouve en l’Etat moins un adversaire qu’un allié ; en tous cas, il n’est pas nécessairement une incarnation du mal. Certes, il y a des lois injustes, de bonnes lois mal appliquées, des lois justes et cependant gênantes pour une minorité de gens. Et l’on trouvera sous les régimes les plus libéraux de l’abus et de l’oppression. Hélas ! A ce sujet, il est utile de lire les quelques versets qui précèdent le chapitre 13 des Romains (12.17-21) dans lesquels l’apôtre présente le vrai chrétien comme un non-violent qui, spolié, riposte par l’amour préférant confier son sort entre les mains de Dieu plutôt que de recourir à la vengeance pour défendre ses droits. N’est-ce pas l’Eternel qui proclame : « A moi la vengeance » ? Il prend en main la cause du non-résistant qui s’en remet à Lui. Mais ce débonnaire pourra-t-il compter sur l’intervention divine ? Ne deviendra-t-il pas l’éternelle victime qu’on dépossède et exploite à fond parce qu’elle ne se défend pas. N’a-t-il pas accepté, librement, d’imiter Jésus qui « injurié ne rendait point d’injures, maltraité ne faisait point de menaces mais s’en remettait à Celui qui juge justement » ? (2) Qui donc, sur la terre, le protégera contre le méchant ? Evidemment pas l’Eglise puisqu’elle n’a pas ici-bas de pouvoir séculier. C’est donc à l’Etat que revient le soin de nous défendre. Dieu l’a institué pour exercer – en partie sans doute – la vengeance. « Le magistrat qui porte l’épée, écrit Saint Paul (3) est un serviteur de l’Eternel pour exercer la vengeance ».

(2) 1 Pierre 2.23.

(3) Romains 13.4.

4° motif. « Ceux qui résistent à l’autorité, déclare le même apôtre, attireront une condamnation sur eux-mêmes ». (4) Autrement dit, les rebelles tomberont sous le coup de la loi et devront encourir le châtiment « de celui qui porte l’épée ». Sans doute est-on tenté d’accuser l’écrivain sacré de développer chez ses lecteurs « la peur du gendarme », de les inciter à l’obéissance par crainte du châtiment. A cela Paul s’empresse de répondre, prévenant l’objection : « Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition mais encore par motif de conscience ». (5)

(4) Romains 13.2.

(5) Romains 13.5.

Sans doute me rétorquera-t-on, à la suite de ce qui précède : Mais vous oubliez une parole importante de l’Ecriture : « Il faut obéir plutôt à Dieu qu’aux hommes ». (6) C’est vrai. A cette juste remarque, je fournirai une double réponse :

(6) Actes 17.29.

a) En premier lieu, l’obéissance à Dieu consiste à se soumettre librement aux autorités, comme à Dieu lui-même. C’est la règle générale.

b) En second lieu – et ceci est l’exception qui confirme la règle – le chrétien a le devoir de résister aux autorités lorsque sa foi en Jésus-Christ et le témoignage qu’il doit Lui rendre sont en jeu.

Ecoutez l’apôtre s’adressant au Sanhédrin qui voulait l’empêcher d’évangéliser : « Jugez s’il est juste devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu ; car nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu… ». (7) Personnellement, je ne trouve pas d’autre motif de refus dans le Nouveau Testament. Dieu merci, dans nos pays actuellement, il nous est loisible de prêcher le Christ sans être inquiétés par nos autorités. C’est une grâce dont il faut user largement avant que vienne, peut-être, le moment où elle nous sera ôtée. Cette pensée doit nous inciter à prier sans relâche pour tous ceux qui sont élevés en dignité « afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté ». (8)

(7) Actes 4.19.

(8) 1 Timothée 2.2.


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Quels sont, en définitive, nos devoirs envers les autorités ?

1° D’abord, le respect. Pierre ordonne nettement : « Honorez le chef de l’Etat » (le Roi). (9) De son côté, Paul déclare : « Il est écrit : Tu ne parleras pas mal du chef de ton peuple ». (10) En outre il précise : « Rendez la crainte à qui vous devez la crainte ; l’honneur à qui vous devez l’honneur » (c’est-à-dire aux autorités, d’après le contexte). (11)

(9) Actes 23.5.

(10) Romains 13.7.

(11) 1 Pierre 2.17.

Voilà qui est clair et devrait faire cesser dénigrement ou mépris systématique envers ceux qui nous gouvernent. Sans toutefois conclure que nous sommes tenus de souscrire à tout ce que décident les hommes en place ou que nous devions être de chauds partisans de la majorité.

2° Ensuite, l’intercession. « J’exhorte avant toute chose à faire des prières, des supplications… pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. Cela est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur… ». (12) Relisez plusieurs fois cette parole, arrêtez-vous sur les expressions soulignées, persuadez-vous que tel est le langage de Dieu puis demandez-vous si vous avez été agréable au Seigneur sur ce point ? Je doute que les chrétiens qui traînent dans la boue les hommes au pouvoir – qu’ils soient de gauche ou de droite – prient régulièrement et intensément pour eux selon le conseil de l’apôtre. Et dans les communautés où l’on fait régulièrement mention des autorités à la fin du service dominical, le fait-on toujours « en vérité » ? (*) Mon attitude et mon langage à l’égard des autorités n’attristeraient-ils pas le Saint-Esprit qui a inspiré le chapitre treize des Romains ?

(12) 1 Timothée 2.1-3.

(*) Que se passerait-il dans un pays comme la France par exemple, si un million de croyants se mettaient à prier sincèrement et fidèlement pour les autorités ?

3° Enfin, le règlement de l’impôt. (13) Il y aurait beaucoup à dire sur ce point. Il est préférable que chacun s’examine pour savoir s’il répond à la volonté du Seigneur en ce qui concerne ses déclarations de revenus.

(13) Romains 13.6-7.

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