Ce n’est pas seulement le mot apologie, c’est déjà la chose qui figure dès les premières pages de l’histoire évangélique. Les discours du Seigneur, dans le IVe Evangile en particulier, sont en grande partie apologétiques, relatifs à la divinité de sa personne et de sa mission qui était contestée par les principaux du peuple et bientôt par les foules elles-mêmes. Ces discours, ainsi que plusieurs de ceux que rapportent les synoptiques, surtout vers la fin du ministère de Jésus, et alors que la lutte a atteint sa période aiguë, fournissent même les éléments et les principes permanents d’une vraie apologie du christianisme, et c’est là avant tout que nous devons les chercher (cf. Jean 5.36 ; 7.16-17 ; 10.38 ; 14.11 ; et dans les synoptiques : Matthieu 22.41-46 ; Marc 2.10 ; Luc 11.20).
Nous trouvons aussi dans les discours de Jésus des apologies partielles adressées à ceux qui niaient tel ou tel point de doctrine tout en admettant encore l’autorité des Ecritures, Matthieu 22.32 ; des justifications d’actes particuliers, soit de lui-même : guérisons et miracles opérés au jour du sabbat, Marc 2.27 ; Jean 7.23 ; soit de ses disciples, Luc 6.1-5.
Le résultat de ces apologies où d’ailleurs Jésus ne restait jamais sur la défensive, est rapporté par les évangélistes en ces termes : Tous étaient confus, et n’avaient plus rien à répliquer, Luc 20.40 ; et c’était là, en effet, tout espoir de les convertir ayant disparu, le succès le plus considérable qu’il fût possible d’ambitionner.
Pas plus que dans les évangiles, nous ne trouvons dans les épîtres un système apologétique suivi et complet. Les disciples comme le Maître sans doute ont dû s’occuper tour à tour à confondre l’hostilité et la malveillance ; à combattre les préjugés ; à réfuter les objections qui n’étaient pas frivoles ; mais de ces opérations préliminaires on passait bien vite à l’affirmation du témoignage ; ou plutôt les deux éléments : discussion et affirmation, se portaient et se pénétraient incessamment l’un l’autre. C’était l’apologie prise à ses sources vives, se distinguant à peine de l’action immédiate exercée sur les consciences ; découlant du message lui-même ; relevée par le dévouement absolu de l’homme à la cause qu’il représentait, et dont la contre-épreuve était déjà le martyre. C’était cet épanouissement extraordinaire de vie et de force spirituelles, ce déploiement de dons miraculeux, d’une part, et de l’autre, de la puissance vivifiante et sanctifiante de l’Evangile, qui faisaient de chaque disciple un apologète, et rendaient de longues démonstrations superflues. Plus le christianisme se montre, moins il a affaire de se démontrer.
Les discours des apôtres rapportés dans les Actes, et adressés soit aux Juifs (ch. 2 et 13), soit aux païens (Actes 14.15-18 ; 17.22-32), n’en méritent pas moins d’être cités comme des modèles du genre, et montrent en même temps quelle est la diversité des ressources dont l’apologétique doit user, et, pour ainsi dire, des tons qu’elle doit prendre, selon le caractère de l’adversaire. Il y avait un terrain commun entre le Juif et l’apôtre de Jésus-Christ : c’était l’A. T. ; il y en avait un aussi entre ce dernier et le païen : c’était la révélation naturelle. Or nous constatons que dans les discours rapportés dans les Actes, Paul a toujours soin de prendre son point de départ dans l’A. T., s’il parle à des Juifs, et dans les révélations naturelles, s’il s’adresse à des païens, s’efforçant avant tout d’écarter les préventions et les préjugés que pouvaient inspirer aux uns une fausse interprétation des Ecritures, et aux autres, une conscience faussée ou une raison obscurcie. En demandant à Agrippa et à Festus s’il est donc incroyable que Dieu ressuscite les morts (Actes 26.8), il n’entendait pas sans doute prouver rationnellement la réalité de la résurrection, mais écarter au nom du bon sens l’a priori opposé par la raison naturelle à l’affirmation du fait énoncée par ses témoins.
D’ailleurs les apologies de sa personne et de son ministère que Paul prononça devant Félix (Actes ch. 24), et devant Festus et Agrippa (ch. 26), étaient de fait des apologies de l’Evangile dont la prédication lui avait été commise, et c’était dans l’intérêt de la cause de Jésus-Christ plutôt que dans le sien propre qu’il les avait entreprises. En proclamant dans les chaînes son innocence, il attestait par là même la divine puissance, la sainteté et la valeur de son message.
A la différence de Paul, Jean ne discute pas. Il se contente de poser la vérité avec l’autorité d’un témoin oculaire et auriculaire (1 Jean 1.1-3), et n’admettant même pas qu’elle rencontre des adversaires sincères. Il croirait lui faire injure en l’exposant seulement aux hasards d’un débat contradictoire. Cette attitude du dernier des témoins de Jésus-Christ au siècle apostolique s’explique encore par les circonstances. Les événements avaient fait justice de l’opposition juive plus complètement que tous les arguments, et l’opposition païenne n’osant plus se mesurer avec l’autorité du dernier des apôtres survivants, ne se faisait plus valoir qu’à l’état d’hérésies dans le sein de l’Eglise.
Les choses changèrent dès le second siècle. A mesure que les éléments jusqu’alors en fusion commencèrent à s’isoler les uns des autres, on éprouva le besoin de rassembler et de coordonner les preuves et arguments que l’on pouvait invoquer en faveur du christianisme dans des apologies proprement dites, et de faire ressortir les points de contact entre cette nouvelle révélation et les précédentes, soit la révélation naturelle et générale, soit la révélation écrite et particulière.