L’homme est pécheur, et perdu. Tout l’atteste, la conscience, l’Écriture, et par-dessus tout le reste, nous l’avons vu récemment, Jésus-Christ, son nom, sa mission, son sacrifice, son histoire entière.
Cet homme pécheur et perdu, comment sera-t-il sauvé ? ou, pour aller droit au but, vous, qui êtes cet homme pécheur et perdu, comment serez-vous sauvé ?
En présence de cette question, la première pensée qui monte dans le cœur de l’homme, c’est de mériter le salut par l’obéissance rendue aux commandements de Dieu. Pensée à laquelle on se livre avec d’autant plus de confiance, qu’on croit pouvoir l’appuyer sur des déclarations de l’Écriture ; de Moïse : « L’homme qui fera ces choses vivra par elles. » (Lévitique 18.5) ; de Jésus-Christ même : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements » (Matthieu 19.17). Mais un coup d’œil attentif suffit pour dissiper cette espérance : c’est attacher le salut à une condition qui est déjà toute violée. Vous serez sauvé si vous ne péchez point : de quoi cela vous sert-il, si vous avez déjà péché ? Autant porter à un malheureux, qui s’est rendu coupable de meurtre, la bonne nouvelle qu’il n’a rien à redouter de la loi pourvu qu’il ait respecté la vie de son prochain ! Vous venez trop tard : le mal est fait ; et, tant qu’on en appellera à la loi, il est irréparable. Que si Moïse dit à Israël : « Celui qui fera ces choses vivra par elles, » ou si Jésus-Christ dit au jeune riche : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements, » Moïse et Jésus-Christ rappellent ici une condition propre à une économie qui n’est plus ; et ils la rappellent tout exprès pour obliger le pécheur tenté de prendre la voie des œuvres (Galates 3.10), à y regarder de plus près, et à reconnaître qu’elle est désormais fermée pour lui. Non que cette voie ne fût bonne en soi pour conduire à la vie ; seulement, elle n’est plus bonne pour l’homme pécheur, ou plutôt l’homme pécheur n’est plus bon pour elle, parce que c’est le chemin des saints. Parler à l’homme de mériter le salut, c’est un anachronisme ; c’est plus, c’est une contradiction dans les termes. Car on n’a besoin de salut que pour être perdu, on n’est perdu que pour avoir démérité. Dire à un pécheur : Méritez le salut, c’est dire à un malade : Guérissez-vous en vous bien portant.
Cela est clair comme le jour ; et pourtant l’homme pécheur ne se rend pas. Le mérite des œuvres lui tient tellement à cœur, qu’il s’ingénie pour lui trouver une place à côté du péché. A défaut de ce mérite qui s’obtiendrait par l’observation de toute la loi, il en imagine un de second ordre, pour lequel il suffirait d’en avoir observé une partie ; c’est-à-dire que ne pouvant s’élever jusqu’à la loi, il abaisse la loi jusqu’à lui ; il l’accommode à sa condition pécheresse, tout exprès pour pouvoir dire : « J’ai observé cette loi-là. » Non seulement la philosophie morale, jusque dans ses représentants les plus élevés, appelle l’homme au bonheur par le chemin de la vertu humaine, dont elle avoue elle-même les manquements ; mais le disciple même des Écritures divines, tout instruit qu’il est par elles de son état de péché, trouve toujours quelque ouverture par où retomber dans le mérite des œuvres. Le Juif, placé en présence de la loi de Sinaï qu’il a transgressée, se rassure en substituant aux œuvres principales de la loi les ordonnances cérémonielles, et se flatte de la vie éternelle parce qu’il est circoncis, et qu’il n’a ni omis un sacrifice, ni oublié une ablution, ni violé un sabbat. Le chrétien, accablé par la sainteté du sermon de la Montagne, se réfugie dans les pratiques du renoncement, la pénitence, la macération, les jeûnes, la solitude, sauf à justifier le mérite qu’il leur attribue par je ne sais quelle communication de celui qui réside dans les œuvres de Jésus-Christ. Le protestant lui-même, affranchi du mérite des pratiques, se rassure par celui des œuvres morales, la bienfaisance, la probité, les vertus de famille ou de société. Toujours les œuvres de l’homme, partout la même illusion : une obéissance partielle et mêlée de péché, tenant lieu de cette obéissance absolue et sans péché qui seule, selon l’Évangile, constituerait l’homme en état de mérite. Le tout ou rien, maxime dangereuse dans les choses de l’homme, est la seule qui convienne au Dieu trois fois saint : aussi l’Écriture l’invoque-t-elle ici sans ménagement. Selon elle, quiconque en appelle aux œuvres par un côté, est tenu de prouver qu’il a tout observé : « Je proteste à quiconque (d’entre les Juifs) se fait circoncire, qu’il est obligé de pratiquer la loi tout entière » (Galates 5.3). Et encore, : « Si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres autrement la grâce n’est plus la grâce ; et si c’est par les œuvres, ce n’est, plus par la grâce ; autrement l’œuvre n’est plus une œuvre. » (Romains 11.6). Entre ces deux chemins que l’on nous montre poux nous conduire au ciel, il s’agit, non de transiger, mais de choisir : n’en ayons qu’un, mais qu’il soit sûr.
Ce chemin, s’il existe pour nous, ne peut être désormais que la grâce. Le meurtrier, condamné par la loi des hommes, peut être affranchi de la sentence qu’il a encourue par l’exercice souverain du droit de grâce. Y a-t-il auprès de Dieu, pour le pécheur condamnable et condamné, un recours en grâce ? Voilà toute la question. Que si c’est à peine une question pour vous, tant il vous paraît résulter naturellement de la bonté de Dieu qu’il pardonne le péché, vous êtes loin de la vérité. La bonté de Dieu, oui ; mais la sainteté de Dieu aussi, avec laquelle il faut que cette bonté compte, et il s’agit de savoir si elle le pourra. C’est une question, vous dis-je, sinon pour vous, du moins pour l’Apôtre, du moins pour le geôlier de Philippes (Actes 16.30), du moins pour les anges (Luc 16.7), du moins pour Dieu lui-même, qui s’écrie : « J’ai trouvé la propitiation » (Job 30.24), comme d’une chose qu’il a longtemps cherchée sans la trouver et qu’il n’a fini par trouver qu’en rappelant à son aide toutes les pensées divines combinées. C’est à cette question que saint Paul répond dans mon texte, par ce qu’il appelle ailleurs « l’Évangile (c’est-à-dire la bonne nouvelle) de la grâce » (Actes 20.24). Écoutez-le : « Vous avez été sauvés par la grâce, par la foi ; et cela ne vient point de vous ; c’est le don de Dieu ; non point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres, que Dieu a préparées, afin que nous marchions en elles. » Voici tout l’Évangile resserré en trois lignes, aussi pleines qu’elles sont concises. Tout est là : le principe du salut, la grâce ; le moyen du salut, la foi ; la fin du salut, les bonnes œuvres ; et chaque chose y est à la place qui lui est propre, et dans son vrai rapport avec tout le reste. Ainsi notre plan nous est tout donné : nous n’avons qu’à suivre notre Apôtre, mais avec une différence d’application. Lui s’adresse plus spécialement à ceux de ses lecteurs qui sont déjà convertis au Seigneur Jésus-Christ, et il leur rappelle comment ils ont été sauvés ; moi, je m’adresse plus spécialement à ceux de mes auditeurs qui ne sont pas jusqu’ici convertis au Seigneur Jésus-Christ, et je leur explique comment ils peuvent être sauvés.
Commençons par le commencement : « Vous avez été sauvés par la grâce. » Qu’est-ce que la grâce ? La grâce — c’est la grâce : il y a dans le langage des hommes de ces termes primitifs que l’on sent, mais que l’on ne définit pas, comme on n’analyse pas les substances simples ; il y en a aussi de tels dans l’Évangile, et le mot grâce est de ce nombre. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que la grâce est la faveur que trouve auprès de Dieu un pauvre pécheur, qui n’a mérité que sa colère. Je dis qui a mérité sa colère : ce point est capital. La grâce implique, chez qui la reçoit, un état d’indignité qui lui méritait un traitement tout contraire ; le ciel n’est donné par grâce qu’à celui qui est digne de l’enfer ; la vie éternelle n’est une grâce que pour qui est digne de la mort éternelle : vous croyez peut-être avoir rendu assez d’hommage à la grâce, quand vous avez déclaré que les œuvres sont insuffisantes, et que, l’homme eût-il fait tout ce qu’il doit faire, la félicité éternelle dépasse trop ses faibles mérites pour n’être pas accueillie à titre de grâce ? Détrompez-vous : ce n’est pas rendre hommage à la grâce, c’est lui donner un démenti. C’est confondre la grâce de Dieu qui n’est que pour la créature déchue, avec sa bonté, dont les plus innocentes, dont les saints anges eux-mêmes ont besoin. Il n’en coûterait guère à notre amour-propre de reconnaître que Dieu nous fait grâce, — comme il fait grâce à l’ange Gabriel, ou à l’ange Michel, qui n’ont jamais contrevenu en quoi que ce soit à sa volonté. Quand nous aurions fait tout ce que nous devons, « nous ne serions que des serviteurs inutiles » (Luc 17.10), et la vie éternelle serait encore un don de la bonté divine, d’une bonté infinie ; mais ce ne serait plus une grâce, parce que nous n’aurions pas alors encouru la condamnation, disons plus, parce que nous aurions droit alors à la vie par les conditions de la loi. Mes frères, point d’équivoque, soyez sincères avec Dieu et avec vous-mêmes.
Il ne s’agit pas seulement de reconnaître vos œuvres insuffisantes pour vous justifier, il s’agit de les reconnaître suffisantes pour vous condamner. Que si vous ne les reconnaissez pas telles, du moins ne prononcez plus le mot grâce ; ce mot n’a dans votre bouche ni vérité ni dignité, car il vous déclare ce que vous ne croyez pas être. Laissez-nous-en l’usage, à nous qui nous reconnaissons pécheurs, pécheurs perdus, sans mérite, sans ressource propre. Laissez-nous-le, — nous ne nous plaindrons pas de notre partage. Si les langues humaines n’ont pas de mot plus humiliant pour notre orgueil, elles n’en ont pas de plus doux à notre cœur.
Oui, mon Dieu ! Grâce ! grâce ! grâce ! puisque celui qui se met à genoux en criant grâce est aussi celui qui se relève « sauvé par la grâce ! » « Sauvés par la grâce. » Comprenez-vous ce salut, dont la grâce est le principe ? C’est la chose la plus simple à la fois et la plus merveilleuse du monde. A regarder ce que vous êtes, un pécheur, et ce que vous avez mérité, la mort, il n’y avait autre chose à attendre pour vous que la perdition ; et pour vous y soustraire, aucune délivrance ne pouvait être trouvée en vous-même. Mais « Dieu qui est amour, » et qui n’a pu nous voir d’un œil indifférent courir à une affliction éternelle, a trouvé en lui-même un secret pour donner la vie à ceux qui ont mérité la mort. Ce secret, c’est la grâce. Selon la loi, la promesse de la vie, attachée à une condition que vous ne pouvez remplir dans votre état actuel, et qu’au surplus vous avez déjà transgressée, vous était à tout jamais inaccessible, et ne vous laissait pas d’autre partage que le désespoir : selon la grâce, vous pouvez entrer dans la vie tel que vous êtes, en vous soumettant à ce salut humiliant que Dieu met à votre portée, et dont il a fait lui-même tous les frais. Il a envoyé son Fils au monde ; il a accompli en lui toute l’œuvre de la loi ; il a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous ; il l’a frappé à notre place, sur la croix ; il l’a ressuscité des morts, et l’a élevé à sa droite, et il a promis la vie éternelle à quiconque la veut venir prendre en Jésus-Christ. Voilà désormais, au lieu de la justice impraticable de la loi, une justice praticable pour nous, parce que Jésus-Christ se charge de tout. C’est la doctrine de saint Paul dans un admirable passage de son Épître aux Romains : « Car Christ est la fin de la loi en justice à tout croyant. Or Moïse décrit ainsi la justice qui est par la loi, savoir que l’homme qui fera ces choses vivra par elles. Mais la justice qui est par la foi s’exprime ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? Cela est ramener Christ d’en haut. Ou : Qui descendra dans l’abîme ? cela est ramener Christ d’entre les morts. Mais que dit-elle ? La parole est près de toi, en ta bouche et en ton cœur » (Romains 10.4-7). Pour nous qui avons perdu la justice de la loi qui disait : « L’homme qui fera ces choses vivra par elles, » reste la justice de la foi qui nous est tout ouverte et tout accessible, parce que transportant en Christ tout ce que nous n’avions pas fait et n’aurions jamais pu faire, elle substitue à la question de savoir si nous pouvons, et si nous avons fait, la question de savoir si Christ peut, et si Christ a fait. Cette justice-là, tout aimable, toute prévenante, parle ainsi : « Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? C’est en faire descendre Christ ; ni : Qui descendra dans l’abîme ? C’est rappeler Christ d’entre les morts. » C’est-à-dire : ne te tourmente pas de cette parfaite obéissance que tu devais à la loi de Dieu, et que tu ne lui as point rendue ; car ce n’est plus à toi qu’elle est demandée, c’est à Christ, qui peut la rendre, et qui l’a rendue ; c’est une chose faite. Ne te tourmente pas non plus de cette peine redoutable que tu as encourue, et que tu ne pourrais souffrir qu’en perdant ton âme, car, ce n’est pas sur toi qu’elle tombera, c’est sur Christ, qui la peut souffrir, et qui l’a soufferte ; c’est une chose faite. « La parole est près de toi, en ta bouche et en ton cœur. » Le salut que l’on te presse d’accepter est un salut tout fait, que tu n’as qu’à prendre ; un autre a travaillé, il ne te reste qu’à entrer dans son travail. Sur quoi Luther, le Paul de la Réformation, écrit ces paroles naïves et pénétrantes : « Il faut bien savoir distinguer la loi d’avec l’Évangile. La loi et l’Évangile sont aussi différents l’un de l’autre que l’homme est différent de Dieu ; car la loi nous entretient de ce que nous devons à Dieu, et l’Évangile de ce que Dieu nous a donné. La loi nous prescrit, et nous impose, ce que nous devons faire ; elle est toute tournée vers le faire, et tout occupée d’exiger. Car Dieu dit par la loi : Fais ceci, ne fais pas cela, voilà ce que je veux ! L’Évangile, tout au contraire, au lieu de prescrire, d’imposer, d’exiger, le prend en sens opposé. Il ne dit pas : Fais ceci, ne fais pas cela ; mais il nous invite à étendre la main et à prendre, en disant : Vois, mon ami, ce que Dieu a fait pour toi ; il a envoyé son Fils en chair, et il l’a livré à la mort ; et toi, il t’a délivré de la mort, du péché, de l’enfer et du Diable. Crois cela, et l’accepte, et tu seras bien heureux ! Tu seras ? ce n’est pas assez : tu es bien heureux. J’ai affaibli mon texte. Vous serez sauvés par la grâce, disais-je ; mais l’Apôtre dit à quiconque croit : « Par la grâce vous avez été sauvés, » et il le dit par deux fois en quatre lignes. La première, en parenthèse, comme d’une chose si bien connue qu’il n’a besoin que de la rappeler ; la seconde, en thèse directe, comme d’une chose si bien affermie qu’il est prêt à l’établir contre tout venant. « Vous avez été sauvés » (Tite 3.5 ; 1 Timothée 1.13, etc.). C’est une chose faite, pour le chrétien, tout aussi bien que d’être perdu est une chose faite pour le pécheur. De tout perdu qu’il était hier, aujourd’hui il est tout sauvé. » Si ce langage vous paraît trop absolu, écoutez plutôt l’Apôtre lui-même développant sa pensée dans les versets qui précèdent mon texte et qui l’amènent : « Dieu, qui est riche en miséricorde, par sa grande charité de laquelle il nous a aimés, lors, dis-je, que nous étions morts en nos fautes, il nous a vivifiés ensemble avec Christ, par la grâce duquel vous êtes sauvés ; et il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes en Jésus-Christ » (versets 4-7).
Est-ce assez de gratuité ? est-ce assez d’assurance ? Ce langage, je le sais bien, est taxé de présomption par tous ceux qui en appellent au mérite des œuvres ; et à leur point de vue, ils ont raison. Oui, le langage que saint Paul tient lui-même et qu’il nous engage à tenir, serait le comble de la présomption, pour qui songerait à mériter. Mais pour qui n’attend rien que de la grâce, ce langage est l’expression toute simple de la reconnaissance, de l’amour, que dis-je ? de l’humilité ; il n’y a pas plus de présomption à dire : J’ai été sauvé par la grâce, quand on le dit dans l’esprit de l’Apôtre, qu’il n’y en aurait de la part d’un pauvre qui aurait été tiré de la misère à dire : Voyez le bien qu’il m’a fait ; me voici hors de peine ! que je serais ingrat de ne pas l’aimer !
Allez, mon frère, frère en Adam par le péché, frère en Christ pour le salut, laissez dire au monde ; et quoi qu’il en puisse penser, prenez le salut gratuit qui vous est présenté ! Présenté aujourd’hui, prenez-le aujourd’hui ! et ne vous endormez pas ce soir que vous ne puissiez dire : J’ai reçu la vie éternelle ! Et qu’est-ce donc qui vous pourrait retenir ? Est-ce que vous êtes trop bon, trop vertueux, trop saint, pour avoir besoin d’un tel salut ? Malheureux, va donc apprendre à te connaître. « Tu dis : Je suis riche, je suis dans l’abondance et je n’ai besoin de rien ; et tu ne connais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu » (Apocalypse 3.17). Ou bien, est-ce que vous êtes trop coupable pour en être digne ? Mon frère, que me dites-vous là ? Eh quoi ! trop coupable pour dire avec le publicain : « Mon Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! » trop coupable pour dire avec le larron en croix : « Je reçois ce que j’ai mérité ; » ou avec saint Paul : « Je suis le premier des pécheurs ! » Viens, viens, comme ils ont fait, tel que tu es, chargé du fardeau de tes péchés, et tu « retourneras dans ta maison, » comme eux, pliant sous le poids de la grâce !
Mais pour avoir part à « la grâce de Dieu, » que faire ? Cette grâce « salutaire (en principe) pour tous les hommes, » mais dont (en fait) tous ne profitent pas, comment vous sera-t-elle appropriée ? « Par la foi, » répond l’Apôtre : Si la grâce est le principe du salut, la foi en est le moyen. Une version plus littérale ferait mieux sentir ce rapport : « Vous avez été sauvés par la grâce, par le moyen de la foia. » La foi, dont l’Écriture parle si souvent, la foi, qui est le gage de toutes les promesses, n’y est pas plus définie que la grâce. Car ces mots par lesquels s’ouvre le magnifique tableau des triomphes de la foi (Hébreux 11.1) : « La foi est une représentation des choses qu’on espère, et une démonstration de celles qu’on ne voit point, » expliquent moins le caractère de la foi qu’ils n’en décrivent la puissance. Sans doute, c’est encore ici une de ces notions élémentaires, que l’on obscurcirait en cherchant à les éclaircir, et qui s’expliquent d’elles-mêmes à l’esprit de l’homme ; ou s’il manque quelque chose à leur conception, c’est à la vie et aux faits, non à la philosophie et au langage, qu’il appartient d’y suppléer. Imitons l’Écriture ; c’est le plus populaire de tous les maîtres, et tout ensemble le plus exact. Croire, c’est prendre Dieu sur parole ; c’est s’en rapporter à Dieu, d’un esprit tout persuadé et d’un cœur sans défiance ; plus spécialement, dans la matière qui nous occupe, croire, c’est écouter la bonne nouvelle de la grâce avec les dispositions d’un homme qui ne doute ni que Dieu ait parlé, ni que ce que Dieu a dit soit vrai.
a – By grace, through faith.
Ce qu’il faut surtout remarquer ici, c’est le rapport de la foi à la grâce. La foi, cet élément humain du salut tout divin, la foi est ce je ne sais quoi dans l’homme, par où se donne à lui la grâce qui est en Dieu ; de telle sorte que, d’une part, la grâce ne parvient à l’homme que si elle lui est transmise par la foi ; et que, de l’autre, la foi n’agit dans l’homme qu’en laissant passer la grâce, sans y rien ajouter du sien. La foi est donc si nécessaire, que sans elle la grâce est comme si elle n’était pas, et tout ensemble si simple, qu’elle laisse à la grâce sa gratuité tout entière, que dis-je ? qu’elle la constate et la fait éclater.
La foi est nécessaire pour approprier à l’homme la grâce de Dieu. Il ne s’agit pas de mériter un salut dont le caractère essentiel est d’être immérité ; mais ce salut immérité, il s’agit d’y prendre part. Celui qui sauve, c’est Dieu ; mais celui qui est sauvé, c’est l’homme ; et cet homme, non une machine ou un instrument, mais une créature morale et responsable, qui a sa participation inévitable autant qu’obligatoire, dans toute transaction dont elle est l’objet, sans en excepter la plus souveraine ou la plus gratuite. Le salut d’une âme est un ouvrage qui n’appartient qu’à Dieu ; c’est une création, selon l’expression de l’Apôtre dans mon texte, c’est-à-dire l’introduction d’un principe nouveau dans le cœur, par opposition au développement naturel d’un germe préexistant. Mais cette création est intérieure ; elle s’opère dans l’homme, c’est assez pour que l’homme y ait sa part d’action, à la différence de cette autre création qui nous a appelés à l’existence. « Dieu qui nous a créés sans nous, a dit un Père de l’Église, ne veut pas nous sauver sans nous ; » cela est vrai dans l’affaire du salut, comme il est vrai dans toute action de l’homme par laquelle il est mis en possession des dons de Dieu, quels qu’ils soient. Dieu met devant moi un paysage ravissant : encore faut-il que j’ouvre les yeux pour le contempler ; Dieu me présente un fruit délicieux : encore faut-il que j’ouvre la bouche pour le recueillir ; Dieu m’offre un remède certain pour mes maux : encore faut-il que j’ouvre la main pour le prendre. Il en va de même pour le salut : la foi est la faculté réceptive de l’homme, s’exerçant sur le don de Dieu, et faisant nôtre ce qui n’était que pour nous. La foi est l’œil qui regarde, la bouche qui recueille, la main qui prend. Un Béchuana converti la définissait admirablement : « La foi est la main du cœur. » En deux mots, si la grâce est la main de Dieu qui donne, la foi est la main de l’homme qui reçoit : que ces deux mains se rencontrent, tout est dit.
Mais autant la foi est nécessaire, autant elle est simple. Elle opère en recevant, mais en recevant seulement : l’homme s’efface, pour laisser tout le salut à Dieu. Ne me dites pas que la foi sent, que la foi aime, que la foi obéit ; et que c’est par ce sentiment, par cet amour, par cette obéissance qu’elle vaut devant Dieu. Non, vous dis-je ; la foi ne fait que recevoir ; et c’est par cette simplicité du recevoir qu’elle vaut, parce que c’est par elle qu’elle laisse à Dieu toute la gloire du faire. Le sentiment, l’amour, l’obéissance, ce n’est pas la foi, c’en sont les fruits, les œuvres ; et attribuer le salut à ces fruits, à ces œuvres, c’est, après l’avoir rejetée dehors par le grand portail, ramener la justice propre par une porte dérobée. Ne me dites pas même que la foi est une condition du salut. Sans doute, cela peut se dire, si l’on ne veut exprimer par là que la nécessité de la foi pour être sauvé ; mais le mot de condition présente à l’esprit l’image d’une participation agissante méritoire ; et l’humble participation du recevoir ne saurait être qualifiée de condition sans abuser du langage. Vous vous rendriez ridicule si vous disiez : La vallée de Chamonix est admirable — mais à condition qu’on la regarde ; ou le raisin est un fruit exquis — mais à condition qu’on le prenne. Il ne faudra pas dire davantage : La grâce de Dieu nous sauve, mais à condition qu’on y croie ; mais il faudra dire avec l’Apôtre : « La grâce de Dieu nous sauve par la foi. » Par la foi, précisément pour bien constater que l’homme n’y est pour rien, et que le salut est un don de Dieu, un pur don, tout gratuit ; ainsi l’explique l’Apôtre, reprenant sa pensée par le côté négatif, pour ne laisser à notre orgueil aucune issue par où lui échapper : « Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ; cela ne vient pas des œuvres, afin que nul ne se glorifie. » C’est dans le même esprit que le même Apôtre écrit aux Romains une ligne qui résume à elle seule tout ce que nous pourrions dire là-dessus : « C’est par la foi — afin que ce soit selon la grâce. » Pesez bien cette parole profonde. Non seulement, nous sauvant par la foi, Dieu nous sauve par grâce ; mais s’il nous sauve par la foi, c’est précisément pour réduire la participation de l’homme aux moindres proportions possible, pour constater, pour rendre visible à tous les yeux, qu’il nous sauve par pure grâce, sans condition, sans mérite, sans autre action humaine que celle qui nous met en rapport avec l’action souveraine de Dieu.
Viens donc, pauvre pécheur qui me prêtes une oreille si attentive, et qui voudrais de si bon cœur vivre dans la grâce, mourir dans la paix et ressusciter dans la gloire, mais qui as jusqu’ici douté de Dieu et désespéré de toi-même, viens, et crois. Ne te tourmente-pas de ce que tu as à faire, crois. Ne te tourmente pas de ce que c’est que croire, crois : ton cœur t’instruit assez de ce que c’est, et l’expérience t’apprendra le reste. Voilà de l’eau, bois ; voilà du pain, mange ; voilà la grâce de Dieu, voilà Jésus-Christ crucifié et ressuscité, qui s’est chargé de tout le faire, qui était hors de ta portée, pour ne te laisser que le croire, qui est à ta portée : crois, dis-je, et tout ce qu’il a fait est autant à toi que si tu l’avais fait toi-même, pour que tu sois aussi sûr de ton salut que si tu étais saint comme le Saint des saints. « Crois seulement, et tu verras la gloire de Dieu. » Que si tu ne peux te consoler de l’avoir déshonoré par le péché, au lieu de lui donner gloire par la sainteté, écoute : tu as ta manière de lui donner gloire. La première voie ouverte à l’homme pour glorifier Dieu, l’obéissance parfaite, qui eût rendu hommage à la perfection de sa loi, t’est fermée, mais il t’en reste une seconde, la foi, qui rend hommage à la gratuité de sa grâce. Cet hommage ne sera pas moins agréable à Dieu que n’eût été l’autre ; que dis-je ? il le sera même davantage, car « Dieu est amour, » et de toutes ses perfections, celle dont il est le plus jaloux, c’est son amour tout gratuit, que l’homme innocent n’eût jamais connu, que l’ange saint n’a point éprouvé, et que l’homme pécheur, mais reçu en grâce, a la tendre mission de sentir et de proclamer. Je disais avec Jésus-Christ : « Crois seulement, et tu verras la gloire de Dieu » (Jean 11.40) ; je puis ajouter : Crois, et nul ne fera pour cette gloire plus que toi !
Mais les bonnes œuvres, que deviennent-elles dans ce salut tout gratuit ? Ce qu’elles deviennent ? elles deviennent praticables, d’impraticables qu’elles étaient. Ce salut, dont la grâce est le principe, et la foi le moyen, les bonnes œuvres en sont le terme. « Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres, que Dieu a préparées, afin que nous y marchions. »
Deux choses frappent ici par leur contraste : la première, que la gratuité du salut ne reçoit nulle atteinte de la nécessité des bonnes œuvres ; la seconde, que la nécessité des bonnes œuvres n’est en rien compromise par la gratuité du salut. Il y a plus : cette gratuité et cette nécessité se relèvent l’une l’autre. L’Apôtre aurait pu se borner à dire que « ce n’est pas par les œuvres, » quoique ce soit pour les bonnes œuvres. » Mais ce n’est pas par un quoique, c’est par un car, qu’il lie ces deux pensées : ces deux côtés du salut chrétien ne se complètent pas seulement, ils s’appuient et se déterminent l’un l’autre ; ce sont, dans la doctrine du salut, les deux faces d’une seule vérité, comme ce sont, dans le langage de l’Apôtre, les deux membres d’une seule période. Ceci est admirable : jamais saint Paul et saint Jacques ne furent mieux conciliés ; jamais on ne vit ni le salut plus nettement dégagé d’avec les œuvres de l’homme, ni les bonnes œuvres du chrétien placées en plus haut rang.
La gratuité du salut chrétien maintenue dans les bonnes œuvres qu’il enfante, c’est le premier objet qui attire l’attention de l’Apôtre, parce que cette gratuité est la doctrine distinctive de mon texte, et de toute la première partie de notre épître. « Nous sommes l’ouvrage de Dieu, » nous qui faisons les bonnes œuvres ; de telle sorte que nos bonnes œuvres, n’étant que l’ouvrage de l’ouvrage de Dieu, retournent de plein droit à lui comme à leur source véritable : c’est moins nous qui les faisons, que lui qui les fait par nous. L’Apôtre applique ici à la création spirituelle du peuple chrétien, ce que le Psalmiste avait dit de la création nationale du peuple d’Israël : « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous ; nous sommes son peuple et le troupeau de sa conduite » (Psaumes 100). Mais ce mot ouvrage ne lui suffit déjà plus : nous sommes plus que l’ouvrage de Dieu, nous sommes sa création : « Ayant été créés en Jésus-Christ, pour les bonnes œuvres. » Créer, c’est créer : Dieu n’a pas moins fait quelque chose de rien en nous sauvant qu’en nous donnant la vie, et l’un ne réclame pas moins que l’autre sa toute-puissance. Comment pourrions-nous désormais nous glorifier dans des bonnes œuvres qui ne sont que le produit d’une création de Dieu ? Autant vaudrait nous attribuer l’honneur de notre naissance, ou bien le mérite des mouvements que nos mains et nos pieds exécutent à l’aide des forces naturelles dont Dieu les a pourvus. Enfin, pour dernier trait, nous ne pouvons pas même nous vanter d’avoir préparé ou choisi les bonnes œuvres que nous faisons ; car c’est « Dieu qui les a préparées, » tout exprès « pour que nous y marchions. » Comme il nous a créés pour elles, il les a préparées pour nous. Tant il est vrai que les bonnes œuvres elles-mêmes ne sont qu’une partie du plan formé de Dieu pour notre salut, et que « tout est de lui, par lui, et pour lui. » Cessez donc d’opposer les bonnes œuvres des sauvés à la gratuité du salut : c’est raisonner en sens contraire de la vérité. Ces bonnes œuvres constatent et font éclater cette gratuité, qui seule leur a donné l’être et frayé le chemin ; et plus un chrétien sera zélé pour les bonnes œuvres, plus il manifestera pour sa part cette gratuité qui l’a fait tout ce qu’il est.
Il m’est permis de passer rapidement sur ce point après les développements auxquels je me suis livré ; et je me hâte vers la contrepartie de cette gratuité, je veux dire vers la nécessité des bonnes œuvres. Cela même qui vous fait voir combien peu nos bonnes œuvres nous appartiennent, fait voir du même coup combien elles sont nécessaires : car c’est tout exprès pour les faire que nous avons été sauvés : « Ayant été créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres, que Dieu a préparées afin que nous marchions en elles. »
Ailleurs, les bonnes œuvres sont recommandées aux chrétiens, soit comme provenant de la grâce, qui les produit aussi naturellement qu’un arbre son fruit (Galates 5.22), soit comme « convenables à la saine doctrine, parce que la foi n’a pas de plus bel ornement qu’elles (1 Timothée 2.9-10, etc.) ; soit comme voulues de Dieu parce qu’il prend plaisir à voir marcher ses enfants dans la sainteté (Hébreux 13.16 ; 1 Pierre 2.20) ; soit comme prescrites par la reconnaissance, en réponse à l’amour dont il nous a aimés le premier. (1 Jean 4.19 ; Romains 12.1) ; soit comme indispensables au salut, parce qu’on ne va pas au ciel par le chemin de l’enfer (Romains 6.16) ; soit pour d’autres raisons, car elles sont infinies. Mais celle qui est indiquée ici par l’Apôtre est plus décisive encore : les bonnes œuvres sont plus que le fruit de la grâce, plus que l’ornement de la foi, plus que le commandement de Dieu, plus qu’une obligation de reconnaissance ; elles sont la fin du salut. Vous demandez pourquoi vous avez été sauvés par la grâce, pourquoi créés de nouveau par la foi en Jésus-Christ ? l’Apôtre vous répond : « Pour les bonnes œuvres. » Nous voici au cœur même de la question. Dieu fait tout en vue de sa gloire ; même le méchant pour le jour de la calamité ; combien plus le juste pour le jour de sa délivrance ! et, en se proposant pour fin prochaine le bonheur de ceux qu’il arrache à la perdition, il se propose pour fin dernière de glorifier en eux son nom, par les bonnes œuvres : « Que votre lumière luise devant « les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est aux cieux ». (Matthieu 5.16 ; Jean 15.8). En nous sauvant par grâce, sans les œuvres, en Jésus-Christ, Dieu a eu devant les yeux les bonnes œuvres qu’il voulait nous amener à produire : les bonnes œuvres, voilà la fin, l’objet, le stimulant, le terme de tout ce qu’il a fait pour nous. Cela est aussi simple que profond ; et les autres aspects sous lesquels les bonnes œuvres nous sont présentées reviennent tous à celui-là. Prenez celui auquel l’Évangile se complaît le plus, et par lequel je commençais tantôt : les bonnes œuvres fruit du salut, comme le raisin est le fruit de la vigne. Le fruit n’est-il pas ce que cherche le vigneron, et la fin qu’il se propose ? La grappe chargée de son jus précieux est le produit naturel du cep, elle en est l’aimable ornement, elle en est la marque distinctive, mais elle est plus que tout cela : elle en est la fin ; le jardinier n’a planté la vigne et ne la cultive que pour obtenir le raisin, si bien que s’il eût connu quelque autre moyen de le posséder, il se fût épargné les soins infinis où il consume sa vie. Oh ! que les bonnes œuvres sont donc inhérentes au salut gratuit, puisqu’elles l’ont déterminé dans la pensée divine, et que Dieu n’a voulu avoir des rachetés que pour avoir des saints ! Des saints, n’est-ce pas le nom de prédilection qu’il donne à ses enfants pour les distinguer d’avec ceux du siècle ?
Au reste, ce n’est pas seulement en cet endroit que le rapport des œuvres à la grâce se découvre ; il est marqué souvent ailleurs, surtout dans les lettres de notre Apôtre : car le docteur de la grâce est aussi le docteur des bonnes œuvres ; et saint Paul est à lui-même son saint Jacques. Méditez à ce point de vue son épître à Tite. Au second chapitre, après avoir pressé tour à tour toutes les classes de chrétiens, jeunes et vieux, libres et esclaves, de s’appliquer aux bonnes œuvres qui leur sont propres, toujours en s’appuyant de ce même argument présenté sous les formes les plus variées : « pour honorer la doctrine de Dieu notre Sauveur, » il résume sa pensée là-dessus dans une conclusion qui a de profondes analogies avec mon texte : « Car la grâce de Dieu, salutaire à tous les hommes, a été manifestée, nous enseignant » — Quoi ? — « Que renonçant à l’impiété et aux passions mondaines, nous vivions dans ce présent siècle sobrement, justement et religieusement. En attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire du grand Dieu, et notre Seigneur Jésus-Christ, qui s’est donné soi-même pour nous. » — Pourquoi ? — « Afin qu’il nous rachetât de toute iniquité, et qu’il nous purifiât, pour lui être un peuple qui lui appartienne en propre, et qui soit zélé pour les bonnes œuvres » (Tite 2.11-14). Poursuivons ; il n’a pas fini : « Avertis-les d’être soumis aux principautés et aux puissances, d’obéir aux gouverneurs, d’être prêts à faire toutes sortes de bonnes œuvres ; de ne médire de personne, de n’être point querelleurs, mais doux, et montrant une parfaite douceur envers tous les hommes. Car nous étions aussi autrefois insensés, rebelles, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés ; vivant dans la malice et dans l’envie, dignes d’être haïs, et nous haïssant l’un l’autre. Mais quand la bonté de Dieu notre Sauveur, et son amour envers les hommes, ont été manifestés, il nous a sauvés, non par des œuvres de justice que nous eussions faites, mais selon sa miséricorde, par le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint-Esprit, lequel il a répandu abondamment en nous par Jésus-Christ notre Seigneur. Afin qu’ayant été justifiés par sa grâce, nous soyons les héritiers de la vie éternelle selon notre espérance, » — voilà le but prochain… et voici le but final : « Afin que ceux qui ont cru en Dieu aient soin les premiers de s’appliquer aux bonnes œuvres. »
Allez, maintenant ; vous avez de quoi répondre à ceux qui vous accusent de compromettre les bonnes œuvres en prêchant le salut par la grâce ; oui, comme saint Paul a compromis la sainteté de ses disciples par sa doctrine, ou sa sainteté personnelle par sa foi ; ou comme on compromet l’espoir de la récolte en plantant et en taillant la vigne, l’espoir de la moisson en labourant et en ensemençant la terre. Mais au reste, l’intérêt apologétique est ici bien secondaire : j’ai un plus sérieux objet en vue. Ce n’est pas seulement pour que vous ayez de quoi répondre
Mais enfin, ces bonnes œuvres, où les trouver, et qui vous en indiquera le chemin, souvent si difficile à discerner ? Dieu s’en charge encore ; lisez mon texte jusqu’au bout : en vous créant pour les bonnes œuvres, il a préparé les bonnes œuvres pour vous ; le chemin en est tout frayé devant vous par sa main paternelle ; il ne vous reste plus qu’à y marcher. Sentez-vous bien la beauté de cette image, disons mieux, la grandeur de cette grâce, que l’Apôtre vous jette comme par surcroît et qui met le comble à tout le reste ? Comme votre salut est tout fait par la grâce et qu’il ne vous reste qu’à vous l’approprier par la foi, ainsi votre chemin de bonnes œuvres est tout fait aussi pour vous, et il ne reste qu’à le discerner, puis à le suivre sans vous en détourner ni à droite ni à gauche : ce n’est pas votre chemin à faire, c’est le chemin de Dieu à trouver.
Achevez de comprendre ceci par l’exemple de Jésus-Christ homme. Jésus ne fait jamais paraître la moindre incertitude sur ce qu’il doit faire, ni le moindre embarras pour se tracer un plan de vie. Ces combats qui ont agité tous les saints et qui se sont terminés pour les uns dans une règle salutaire, mais quelque peu légale, pour les autres dans une liberté salutaire aussi, mais sujette aux abus, ne semblent pas s’être jamais offerts à son esprit. Pourquoi cela ? c’est que son plan ce n’est pas lui qui le choisit, c’est Dieu qui le lui fait, et qui le lui fait si droit, si lumineux (je ne dis pas si facile !), qu’il n’a qu’à le suivre pas après pas, sans hésitation ni obscurité. Ce n’est pas lui qui va chercher ses bonnes œuvres, ce sont ses bonnes œuvres qui viennent le chercher, se succédant les unes aux autres à leur place devant lui, chacune en son heure et à son tour, sans se traverser ni s’embarrasser l’une l’autre, Dieu ne laissant jamais manquer ni le temps à l’œuvre, ni l’œuvre au temps. Tel est le chemin de bonnes œuvres que Dieu a préparé pour Jésus, afin qu’il y marche ; et parce que Jésus répond à ce plan du Père par un œil simple, par un cœur droit, par une volonté docile, la vie entière de Jésus n’est qu’une série de bonnes œuvres non interrompue, et dont chacune a été expressément choisie de Dieu pour le moment et les circonstances où elle devait trouver sa place marquée. Que cela est beau ! Eh bien ! cela est pour vous tout comme pour lui ; que dis-je ? cela a été en lui pour vous montrer qu’il doit être en vous. Comme lui, vous avez devant vous votre chemin de bonnes œuvres tout tracé, un chemin qui vous est propre, personnel, et que vous avez désormais non à faire, mais à suivre. Ne le voyez-vous pas, ce chemin ?… Là se trouvent toutes vos bonnes œuvres. Il n’en est aucune pour vous en dehors de ce chemin, comme il n’en est aucune qui manque dans ce chemin, si vous voulez « ne pas faire votre volonté, ni suivre votre voie, ni dire vos paroles » (Ésaïe 58.13). Entre Jésus-Christ et vous, la différence à cet égard n’est pas dans le chemin, elle est dans le cœur. Si vous aviez son œil simple, son cœur droit, sa volonté soumise, votre vie se déploierait devant vous, jour après jour, heure après heure, aussi naturellement qu’a fait devant lui la sienne, et vous approcherez de cet idéal à proportion que vous approcherez de cet œil simple, de ce cœur droit, de cette volonté soumise.
Ne vous agitez pas, ne vous imposez pas le fardeau de votre plan de vie ; ouvrez seulement les yeux et discernez le chemin de Dieu, qui part de votre conversion à Jésus-Christ et qui se continue durant tout le cours de votre carrière terrestre. Dans cet esprit, toutes vos œuvres viendraient se placer sous vos mains, tous vos sentiers devant vos pas, toutes vos paroles sur vos lèvres, appelés de Dieu même, et tout comme si vous entendiez sa voix vous dire : « C’est ici le chemin, marchez-y » (Ésaïe 30.21). Ainsi vous deviendrez réellement un homme de bonnes œuvres, n’ayant pas autre chose à faire au monde que les bonnes œuvres, menant une vie toute composée de bonnes œuvres et réalisant dans sa plénitude cette belle parole des Proverbes : « Le sentier des justes est comme la lumière resplendissante, qui augmente son éclat jusqu’à ce que le jour soit en sa perfection » (Proverbes 4.18). Cette perspective ne vous tente-t-elle pas ? ne soupirez-vous pas après une telle vie, toute réglée de Dieu et toute rapportée à sa gloire ? Oui, je lis dans votre cœur, cette vie seule répond à votre besoin intérieur ; — entrez-y donc, vous l’avez devant vous, entrez-y, — mais entrez-y par la porte, qui est la grâce ; et pour être l’homme des bonnes œuvres, commencez par être l’homme de la grâce !
Que viens-je de faire, mes chers auditeurs ? d’exposer la doctrine du salut ? Non, mais de vous annoncer l’Évangile. Exposer la doctrine, c’est l’affaire de la théologie, celle de la prédication, c’est d’annoncer l’Évangile aux pécheurs qui périssent. Ce pécheur qui périt, c’est vous ; cet Évangile qui peut vous sauver, le voilà ! Dieu m’en est témoin. Que l’on discute tant qu’on voudra ; que l’on rejette, que l’on réfute, que l’on se raille, que l’on s’irrite, — c’est là l’Évangile, qui se résume en trois mots inséparables : grâce, foi, bonnes œuvres. C’est l’Évangile de l’Église chrétienne, c’est l’Évangile de l’Église réformée, c’est l’Évangile de Luther, c’est l’Évangile de Calvin, c’est l’Évangile de saint Augustin, c’est l’Évangile de saint Paul, c’est l’Évangile de saint Jacques, c’est l’Évangile de Jésus-Christ ; — c’est aussi le mien, par la grâce de Dieu ; — et il faut que ce soit le vôtre, ou vous ne verrez jamais la gloire de Dieu. Je vous l’annonce sous ma responsabilité, recevez-le sous la vôtre : certain, aussi certain que Dieu est Dieu et que la Bible est sa Parole, que si vous n’entrez pas dans le ciel par cette porte, vous n’y entrerez jamais. N’est-ce pas vrai, ô mon Sauveur ? Eh bien ! si cela est vrai, rends-leur-en témoignage toi-même au dedans d’eux-mêmes ! Impose silence à la voix de l’homme, et ne leur fais entendre que la tienne, « afin que leur foi ne soit point l’effet de la sagesse des hommes, mais de la puissance de Dieu ! » (1 Corinthiens 2.5.)