Il m'a été fait la grâce, par rapport à Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. Saint Paul.
Sundar Singh regarde sa conversion comme une chose absolument surnaturelle, un miracle dans toute l'étendue du terme, un pur don de la grâce de Dieu.
– La religion hindoue, dit-il, m'enseigna qu'il y a un ciel, et je fis tous mes efforts pour m'affranchir du péché et faire en chaque chose, la volonté de Dieu. Combien j'ai étudié nos livres sacrés, combien j'ai lutté, prié, cherché la paix dans mon âme ! J'essayais de me sauver moi-même par mes bonnes oeuvres, ce qui est impossible. J'étais fier de la religion et de la philosophie hindoues, mais la philosophie n'a jamais sauvé personne. En désespoir de cause, je suppliai Dieu de me montrer le chemin du salut. En réponse à ma prière, je vis le Seigneur et il me révéla ce que j'étais moi-même.
Sundar n'a jamais douté un instant de la réalité de la vision divine : ce n'était pas une imagination ni un rêve. On ne rêve pas lorsqu'on vient de prendre un bain froid ! D'autres ont pu la mettre en doute, la tenir pour une hallucination. Pour lui ce fut une inébranlable certitude. De ses yeux il a vu le Christ vivant ; de ses oreilles il l'a entendu lui parler dans sa propre langue, l'hindoustani. A ce moment-là il est devenu un homme nouveau, une nouvelle créature en Jésus-Christ. Auparavant il haïssait le Christ, maintenant il est prêt à souffrir et même à donner sa vie pour lui. Un ennemi de Jésus a été changé en un apôtre de l'Évangile. « Les choses anciennes sont passées, voici toutes choses sont devenues nouvelles. »
Le trouble de son coeur s'est évanoui comme un songe.
– Là, dira-t-il, Christ m'a donné sa paix, cette paix « qui surpasse toute intelligence », non pour quelques instants seulement, mais pour toujours. Il n'y a pas de mots dans le langage humain pour décrire la joie incomparable qui a rempli mon coeur, mais je puis témoigner de sa réalité : c'est le ciel sur la terre.
Sundar séparait nettement, des fréquentes visions qui venaient à lui dans la méditation et la contemplation intérieure, cette apparition du Christ, tout à fait inattendue. Il déclare absolue la différence entre une vision de l'esprit et cette apparition. – J'ai eu de nombreuses visions pendant mes extases, mais Jésus, je ne l'ai vu qu'une fois.
Sundar ne s'est jamais prévalu de cette manifestation du Christ comme d'un sujet de gloire personnelle ; il s'humiliait du fond du coeur dans le sentiment de sa propre indignité et de sa rébellion passée. Il avait haï le Christ, combattu la foi chrétienne, brûlé la Bible devant tous et cependant, tandis qu'il était animé de cet esprit de haine, il avait été conquis par l'amour qui pardonne. – Quand Christ se révéla à moi, alors je vis que j'étais un pécheur et qu'il était le Sauveur.
Il fit l'expérience fondamentale de l'entière grâce de Dieu révélée par la mort de Christ sur la Croix, et de l'inutilité des efforts propres. Par là, il appartient à la lignée des saint Paul et des Luther, et de toute âme pour laquelle la question du péché et de la grâce est le problème central de la vie.
– Il y a des heureux, disait-il, qui n'ont jamais péché comme moi et ne sont pas ouvertement opposés a Jésus-Christ ; il y en a d'autres qui ont vécu avec Christ depuis leur enfance et n'ont pas besoin d'une preuve extérieure de ce qu'ils ont reçu intérieurement.
En toute humilité Sundar se plaçait aux pieds du dernier des disciples du Christ ; il se considérait comme indigne de l'amour que Dieu avait manifesté envers lui.
– Une révélation extérieure n'est pas essentielle, dit-il ; l'expérience de la grâce de Dieu est tout aussi réelle sans être accompagnée de miracles. « Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. » – Mais Sundar était convaincu que, dans ses circonstances personnelles, il n'aurait jamais trouve le salut sans cette révélation directe. Comme Thomas, il a été incrédule et très lent à croire, – c'est pourquoi, dit-il, je serai à la dernière place dans le royaume de Dieu.
La pensée de son péché le rendait profondément repentant. – Ces mains, dira-t-il avec humiliation, ont brûlé la Parole de Dieu et l'ont réduite en cendres. Ce sont les mains d'un pécheur que seul l'amour de Dieu a racheté ; l'unique fondement de mon pardon est la croix de Jésus-Christ, mon Seigneur. Cela reste comme une écharde dans ma chair d'avoir été un ennemi de Jésus ; cette pensée m'humilie jusque dans la poussière. – Et parce qu'il était si certain de l'amour de Christ et de son pardon, il trouvait difficile de se pardonner à lui-même.
Il nous semble l'entendre dire avec saint Paul : « je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu », ou encore : « Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. »
Désormais Sundar Singh était uni à Christ pour toujours, par un lien indissoluble. « Loin de moi la pensée de me glorifier d'autre chose que de la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde. »
– Après ma conversion, dit-il, je passai trois jours en prière dans un endroit solitaire, pour demander pardon et confesser mon péché. Je disais à Dieu : Pardonne-moi, car j'étais aveugle spirituellement, je ne comprenais pas ta Parole. Là, j'ai reçu l'assurance du pardon. – « Tu étais aveugle, maintenant j'ai ouvert tes yeux et tu iras pour rendre témoignage. » – Après cela j'annonçai à ma famille ce que j'avais vu et que j'étais chrétien. Les gens pensèrent que j'étais devenu fou ; d'autres que j'avais rêvé ; mais lorsqu'ils virent qu'ils ne pouvaient m'ébranler, ils commencèrent à me persécuter ; cependant ce n'était rien comparé au misérable état dans lequel j'étais auparavant.
Dans ce même temps trois jeunes garçons voulurent devenir chrétiens ; mais deux d'entre eux y renoncèrent a cause des punitions que leurs parents leur infligèrent. Le troisième fut baptisé ; puis son père, prétextant une grave maladie de sa mère, le fit revenir chez lui où il mourut peu après, sans doute empoisonné.
Pendant neuf mois, Sundar ne quitta pas la maison paternelle. Il dut subir l'incompréhension, l'opposition et même la persécution.
Tout d'abord son père lui parla avec tendresse, le suppliant de ne pas déshonorer sa famille. Comment lui, un Sikh, d'une branche fière et influente, pouvait-il faire partie de cette secte de chrétiens et renoncer à l'avenir qui s'ouvrait devant lui : honneurs, richesses et brillante situation ? Ce fut pour Sundar une grande tentation, car l'idée qu'il attirait le blâme sur ceux qu'il aimait le bouleversait. Mais il entendait la voix de Jésus : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. » Son coeur se déchira en voyant les larmes de son père ; pourtant il ne pouvait se soustraire à la vision d'En haut et à l'appel du Christ.
Un oncle, haut placé et très riche, tenta à son tour de le détourner de sa foi. Il le conduisit un jour dans sa splendide demeure et le fit entrer avec lui dans un caveau dont il referma la porte. Ouvrant un grand coffre-fort, il montra à son neveu ébloui, des richesses inouïes, des bijoux de grand prix, des pierres précieuses, des billets de banque, de l'or et de l'argent en quantité. – Tout cela est à toi si tu renonces à devenir chrétien et si tu ne déshonores pas notre nom !
Devant tant de splendeurs, Sundar se sentit un instant ébranlé, ému aussi des humbles supplications de son oncle vénéré, mais à ce moment même son coeur fut rempli d'un tel amour pour le Christ et d'un sentiment si vif de son approbation, qu'il ne lui fut pas difficile de repousser la tentation.
Il n'avait alors que quinze ans ; il savait bien que pour un garçon de son âge, se déclarer chrétien représentait une impardonnable offense envers les siens et que cet acte sapait la très grande autorité de son père comme chef de famille. Il était seul ; personne pour le comprendre ou lui donner un conseil ; aucune sympathie autour de lui, mais une farouche hostilité. Son propre frère devint son pire ennemi, ses anciens amis le tourmentèrent et la population du village s'éleva contre lui avec indignation.
Le directeur de la mission presbytérienne fut accusé d'exercer une pression sur ses élèves pour en faire des chrétiens ; mais Sundar et un ami sikh – qui se convertit lui aussi à cette époque – certifièrent devant les magistrats de l'innocence de leur maître. Cependant, à la suite de toute cette effervescence, plusieurs chrétiens durent quitter le village et bientôt la mission elle-même ne fut plus tolérée et dut fermer ses portes. Sundar, dont la vie était en danger, comprit qu'il ne lui était plus possible de rester davantage dans la maison paternelle. Il quitta Rampour et alla se réfugier dans l'école de la mission presbytérienne américaine à Loudhiana. Là, les missionnaires le reçurent avec une grande bonté mais, dit-il, – je fus surpris et scandalisé de la manière de vivre de certains garçons ; car j'avais l'idée que ceux qui suivaient le Christ devaient tous être des saints ; en ceci je me trompais tristement. Si je n'avais pas eu cette apparition du Christ, et reçu de lui une vie nouvelle, je serais peut-être revenu en arrière et resté un ennemi du christianisme.
Sundar décida de quitter cette école et ces chrétiens de nom pour retourner chez lui. Sa famille, le voyant revenir, pensa qu'il avait abandonné ses idées étranges, mais quand ils virent qu'il était plus résolu que jamais, l'oppression devint plus violente encore.
Tout d'abord on chercha à le persuader d'être chrétien en secret, sans confesser ouvertement sa foi. Ce fut une vraie tentation et bien des raisons plausibles pouvaient être invoquées : il n'avait pas encore l'âge légal pour agir de son propre chef ; ne pouvait-il pas attendre d'être plus âgé ? Mais la voix intérieure était péremptoire. « Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon père qui est dans les cieux. »
Il fut conduit au maharaja qui avait eu connaissance de son histoire. Il le fit comparaître devant le « Durbar », assemblée de l'État, et le somma d'expliquer sa conduite. On lui offrit de nouveau richesses, pouvoir, belle situation ; le maharaja fit appel à son orgueil de race ; n'était-il pas un sikh, un lion, et voulait-il tomber si bas, jusqu'à devenir un chrétien, un chien ?
Rien ne put l'ébranler. Il fit un pas de plus et rompit les derniers liens qui pouvaient encore le rattacher à la religion de son peuple : il coupa ses longs cheveux, ce signe visible des vrais disciples de Nânak, et dont les Sikhs sont si fiers.
Alors ce courageux témoin de Jésus fut en proie aux plus cruelles persécutions, traité comme le dernier de tous, un hors caste, un intouchable. Il dut prendre sa nourriture et dormir hors de la maison, comme un lépreux.
– Je me souviens, écrira-t-il plus tard, du soir où je fus chassé de chez moi ; je n'oublierai pas cette première nuit passée sous un arbre, par un temps froid. Je n'avais jamais été soumis à pareille épreuve. Je songeais : hier encore je vivais entouré de tout le luxe de ma maison, maintenant je tremble de froid, j'ai faim et j'ai soif, je suis sans abri, privé de vêtements chauds et de nourriture. Je restai toute la nuit sous cet arbre et une joie merveilleuse et la paix inondaient mon âme ; je sentais la présence de mon Sauveur. Je tenais mon Nouveau Testament dans ma main et ce fut pour moi comme ma première nuit passée au ciel. Je comparais avec bonheur mon état présent à ma vie luxueuse d'autrefois. Au milieu des richesses et du confort, je n'avais pu trouver la paix ; maintenant la présence de mon Sauveur changeait la souffrance en joie. Depuis lors j'ai toujours senti sa présence.
Maudit par son père, il dut définitivement quitter la maison. Il n'emportait que les minces vêtements qu'il avait sur lui et juste assez d'argent pour prendre le train jusqu'à une station voisine. Dans sa détresse il se souvint qu'il y avait à Rampour des chrétiens ayant dû fuir les persécutions et quitter Rampour ; il s'y rendit et se dirigea vers la maison d'un pasteur hindou et de sa femme. A peine arrivé le pauvre garçon tomba violemment malade ; un docteur appelé déclara que Sundar avait été empoisonné. Il était clair que du poison avait été mêlé à la nourriture préparée avant son départ dans l'espoir qu'il mourrait avant d'atteindre le but de son voyage. N'était-il pas préférable qu'il mourût plutôt que de déshonorer sa famille ?
La femme du pasteur ne quitta pas son chevet. Le docteur ayant déclaré l'état désespéré, promit de revenir le lendemain matin pour les funérailles. Sundar souffrait cruellement, mais malgré son extrême faiblesse, il était convaincu que Dieu ne le laisserait pas mourir avant qu'il ait pu faire quelque chose pour son Sauveur. Il demanda au docteur de lire le récit de la résurrection de Jésus dans l'Évangile de Marc. Le docteur, qui n'était pas chrétien, se moqua de l'absurdité de cette histoire.
Mais le matin venu, Sundar se sentait si bien qu'il se leva et sortit au soleil devant la maison. Le docteur, stupéfait de le retrouver vivant malgré son pronostic, s'en retourna sans même lui adresser la parole. (Quelques années plus tard, alors que Sundar travaillait à Burma, quelqu'un vint à lui : – Me reconnaissez-vous ? – Oui, dit Sundar, la dernière fois que je vous ai vu, j'étais aux portes de la mort. – Alors le docteur lui conta que sa miraculeuse guérison avait fait sur lui une telle impression, qu'il avait acheté une Bible et commencé à la lire. Il devint chrétien, fut baptisé, et entreprit un travail missionnaire à Burma.)
Lorsque Sundar fut rétabli, il se rendit à Loudhiana auprès de ses amis de la mission américaine. Ses parents firent plusieurs essais pour l'enlever de vive force. La tentative la plus douloureuse pour Sundar fut celle de son père venu lui adresser un suprême appel. Il ne put retenir ses larmes en voyant la douleur de celui-ci qui, ravagé par le chagrin, lui parlait avec émotion de l'amour de sa mère, du bonheur de la vie de famille, le suppliant de revenir à eux. Il fallut soutenir ce combat plus rude encore que la persécution.
Le dernier sacrifice était fait et Sundar se retrouva seul, dépouillé de tout, renié des siens, mais uni par un amour indissoluble à son Sauveur. « Pour son amour il voulut tout perdre. »
Afin de le soustraire aux attaques perfides de ses ennemis, on l'envoya à Sabathou, petite localité non loin de Simla où vivait le Révérend Redman, un chrétien âgé qui fut pour lui comme un père et dont la maison lui était ouverte chaque fois qu'il passait à Simla.
Le Révérend Redman était directeur de la Church Missionnary Society. Il l'examina avec soin et fut frappé de son extraordinaire connaissance de la vie et de l'enseignement de Jésus et de son expérience personnelle. Sundar lui dit qu'il était certain que Christ l'avait appelé à être son témoin, et que baptisé ou non, il devait aller prêcher l'Évangile.
Ce fut le dimanche 3 septembre 1905, à l'âge de seize ans, que Sundar Singh fut baptisé à Simla par M. Redman, selon le rite de l'Église anglicane. Le premier verset du Psaume 23, lu pendant le service divin, fut comme le mot d'ordre de la vie qu'il allait entreprendre : « L'Éternel est mon Berger, je ne manquerai de rien. » Ce Psaume du bon Berger, ainsi que le chapitre 53 d'Esaïe, furent les passages favoris de Sundar. Ils façonnèrent sa vie.
Dès le lendemain de son baptême, il retourna à Sabathou, le coeur débordant de joie. Toutes les luttes et les souffrances passées s'évanouirent comme une fumée devant le grand bonheur de porter le nom de Christ et de lui appartenir pour toujours.